Marque distinctive et forme de produit : la nullité de marque appliquée

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Marque distinctive et forme de produit : la nullité de marque appliquée
L’Essentiel : Les marques constituées exclusivement par la forme d’un produit, qui lui confèrent sa valeur substantielle, sont considérées comme dépourvues de caractère distinctif. Ainsi, elles peuvent être annulées sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur acquisition de caractère distinctif par l’usage. La CJUE a précisé que la perception du public ciblé joue un rôle crucial dans l’appréciation de ce caractère distinctif. En conséquence, une forme qui se rapproche de la norme du secteur est moins susceptible d’être reconnue comme marque, car elle pourrait fausser la concurrence sur le marché.

Des signes, constitués exclusivement par leur forme conférant à ces derniers leur valeur substantielle, sont dépourvus de caractère distinctif, de sorte que les marques ainsi déposées sont nulles, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’acquisition de leur caractère distinctif par l’usage. 

Affaire Tolix

En l’espèce, les marques de la société Tolix (chaise industrielle en A) ont été annulées.

Le choix des consommateurs d’acheter ces deux modèles est, dans une très large mesure, déterminé par la forme dont ces signes sont exclusivement constitués.

Le caractère distinctif d’une marque

Le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits et services pour lesquels son enregistrement a été demandé et, d’autre part, par rapport à la perception du public ciblé qui est constitué par le consommateur de ces produits et services.

La position de la CJUE

Par ailleurs, la Cour de justice, (CJCE 7 octobre 2004 n° C-136/02 Mag-Instrument) après avoir rappelé que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques, a toutefois rappelé que, dans le cadre de l’application de ces critères, «la perception du public pertinent n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une telle marque que dans le cas de marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne.

En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme (…), en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que s’agissant d’une marque verbale ou figurative. (Voir arrêt [S] / OHMI point 29 avril 2004 (..).

Dans ces conditions, plus la forme dont l’enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que la dite forme est dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7 paragraphe 1 sous b) du règlement n°40/94. Seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur est, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine1 n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de ladite disposition.

Nullité des marques constituées exclusivement par la forme

Sur la nullité des marques constituées exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle, dans la mesure où l’article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle institue une restriction spécifique aux marques constituées par la forme du produit qui constitue un obstacle à l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, il convient d’examiner, au préalable si les signes en cause sont constitués ou non exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction des produits, ou conférant à ces derniers leur valeur substantielle, comme le soutient M. [D], avant d’examiner ensuite et le cas échéant la réalité de cet usage.

Dans son arrêt du 18 septembre 2014 ( Hauck c/Stokke chaise Trip Trapp -205/13), la CJUE, répondant à une question préjudicielle a dit pour droit que l’article 3 paragraphe 1 sous e) troisième tiret de la première directive 89/104 [soit les dispositions identiques aux dispositions françaises précitées] doit être interprété en ce sens «que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer une valeur substantielle. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu’un des éléments d’appréciation aux fins de déterminer l’applicabilité du motif du refus.»

Elle précise ainsi [ 19] «L’objectif immédiat de l’interdiction d’enregistrer les formes purement fonctionnelles prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la directive sur les marques ou qui donnent une valeur substantielle au produit, au sens du troisième tiret de cette disposition, est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption1 (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 45). (…)

[30] « À cet égard, le fait de considérer la forme comme donnant une valeur substantielle au produit n’exclut pas que d’autres caractéristiques du produit puissent conférer également une valeur importante à celui-ci.

[31] Ainsi, l’objectif d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption exige, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 85 de ses conclusions, que l’application du troisième tiret de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques ne soit pas automatiquement exclue lorsque, en dehors de sa fonction esthétique, le produit concerné assure également d’autres fonctions essentielles.

[32] En effet, la notion de «forme qui donne une valeur substantielle au produit» ne saurait être uniquement limitée à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, au risque de ne pas couvrir les produits ayant, en sus d’un élément esthétique important, des caractéristiques fonctionnelles essentielles. Dans ce dernier cas, le droit conféré par la marque à son titulaire octroierait un monopole sur les caractéristiques essentielles des produits, ce qui empêcherait ledit motif de refus de remplir pleinement son objectif. (…)

[34] La perception présumée du signe par le consommateur moyen n’est pas un élément décisif dans le cadre de l’application du motif de refus énoncé au troisième tiret de cette dernière disposition, mais peut, tout au plus, constituer un élément d’appréciation utile pour l’autorité compétente lorsque celle-ci identifie les caractéristiques essentielles du signe (voir, en ce sens, Lego Juris/OHMI, EU:C:2010:516, point 76).

[35] À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 93 de ses conclusions, peuvent entrer en ligne de compte d’autres éléments d’appréciation tels que la nature de la catégorie concernée des produits, la valeur artistique de la forme en cause, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné, la différence notable de prix par rapport à des produits similaires ou la mise au point d’une stratégie promotionnelle mettant principalement en avant les caractéristiques esthétiques du produit en cause.

[36] Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens que le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition peut s’appliquer à un signe constitué exclusivement par la forme d’un produit ayant plusieurs caractéristiques pouvant lui conférer différentes valeurs substantielles. La perception de la forme du produit par le public ciblé ne constitue qu’un seul des éléments d’appréciation aux fins de déterminer l’applicabilité du motif de refus en cause.

La Cour a également dit pour droit ( 20 septembre 2007 Benetton group n° C-371/06) que «l’article 3, paragraphe 1, sous e), troisième tiret, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que la forme d’un produit qui donne une valeur substantielle à celui-ci ne peut constituer une marque en application de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, lorsque, avant la demande d’enregistrement, elle a acquis une force attractive du fait de sa notoriété en tant que signe distinctif, à la suite de campagnes publicitaires présentant les caractéristiques spécifiques du produit en cause.»

Enfin, la CJUE dans un arrêt du 23 avril 2020 ( Gömböc n° C-237:19) a dit pour droit:

«[39] Conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95, sont refusés à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés les signes exclusivement constitués par la forme qui donne une valeur substantielle au produit.

[40] L’application de ce motif de refus d’enregistrement repose ainsi sur une analyse objective, destinée à démontrer que la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l’attractivité du produit que le fait d’en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné.

[41] Par conséquent, pour que le motif de refus d’enregistrement, prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95, puisse être appliqué, il faut qu’il résulte d’éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d’acheter le produit en cause est, dans une très large mesure, déterminé par une ou plusieurs caractéristiques de la forme dont le signe est exclusivement constitué.»

L’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle 

Pour rappel, en vertu de l’article L.711-2 dans sa rédaction applicable à la cause, le caractère distinctif d’une marque s’appréciant au regard de la loi en vigueur au moment de son dépôt, « le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.

Sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage.»

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conséquences de l’annulation des marques de la société Tolix ?

L’annulation des marques de la société Tolix, qui concernent des chaises industrielles, a des implications significatives sur la protection de la propriété intellectuelle. En effet, cette décision souligne que les marques constituées exclusivement par leur forme, sans caractère distinctif, ne peuvent pas être protégées. Cela signifie que les consommateurs ne peuvent pas identifier l’origine des produits simplement par leur forme, ce qui peut nuire à la capacité de l’entreprise à se différencier sur le marché. De plus, cette annulation peut ouvrir la voie à d’autres entreprises pour produire des articles similaires sans craindre de violer les droits de marque de Tolix, ce qui pourrait entraîner une concurrence accrue et potentiellement une dilution de la marque.

Comment le caractère distinctif d’une marque est-il évalué ?

Le caractère distinctif d’une marque est évalué en tenant compte de deux éléments principaux. D’une part, il est examiné par rapport aux produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé. D’autre part, il est également évalué en fonction de la perception du public ciblé, c’est-à-dire les consommateurs de ces produits et services. Cette évaluation est cruciale car une marque doit être capable de distinguer les produits d’une entreprise de ceux d’une autre. Si une marque est perçue comme générique ou descriptive, elle risque d’être considérée comme dépourvue de caractère distinctif, ce qui peut entraîner son annulation.

Quelle est la position de la CJUE concernant les marques tridimensionnelles ?

La CJUE (CJUE) a établi que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles, qui sont basées sur la forme du produit, ne diffèrent pas de ceux appliqués aux autres types de marques. Cependant, la CJUE a également souligné que la perception du public peut varier selon le type de marque. Par exemple, les consommateurs ne s’attendent pas à identifier l’origine d’un produit uniquement par sa forme, surtout en l’absence d’éléments graphiques ou textuels. Cela rend plus difficile l’établissement du caractère distinctif pour les marques tridimensionnelles par rapport aux marques verbales ou figuratives.

Quelles sont les conditions de nullité des marques constituées exclusivement par la forme ?

Les marques constituées exclusivement par la forme d’un produit peuvent être déclarées nulles si elles sont imposées par la nature ou la fonction du produit, ou si elles confèrent à ce dernier sa valeur substantielle. L’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle stipule que ces marques ne peuvent pas acquérir de caractère distinctif par l’usage. Cela signifie qu’une marque qui est simplement une représentation de la forme d’un produit, sans éléments distinctifs supplémentaires, ne peut pas être protégée. La CJUE a également précisé que le motif de refus d’enregistrement s’applique à des signes qui, en raison de leurs caractéristiques, influencent de manière significative l’attractivité du produit, ce qui pourrait fausser la concurrence sur le marché.

Comment l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle définit-il le caractère distinctif ?

L’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle précise que le caractère distinctif d’une marque est évalué par rapport aux produits ou services désignés au moment de son dépôt. Il énonce également que certains signes sont dépourvus de caractère distinctif, notamment ceux qui sont des désignations génériques, descriptives ou qui se limitent à la forme imposée par la nature ou la fonction du produit. Cette disposition vise à empêcher l’enregistrement de marques qui ne remplissent pas leur fonction essentielle d’origine, garantissant ainsi que les consommateurs puissent identifier clairement l’origine des produits sur le marché.

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