L’Essentiel : Mme [V] [R] a été embauchée par la SAS Celio France en tant que vendeuse en février 2011. Après un arrêt maladie débutant en août 2019, elle a demandé la résiliation judiciaire de son contrat, déclarée inapte en juillet 2020. Le conseil de prud’hommes a jugé, en décembre 2023, que l’employeur avait manqué à ses obligations, prononçant la résiliation aux torts de la SAS Celio France. Cette dernière a interjeté appel, mais la cour a constaté une violation du principe du contradictoire, annulant le jugement. Mme [V] [R] a également demandé des dommages-intérêts pour préjudice moral, sans succès.
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Embauche et rappel à l’ordreMme [V] [R] a été embauchée par la SAS Celio France en tant que vendeuse à partir du 1er février 2011, avec une ancienneté reconnue depuis le 29 août 2007. Le 29 mai 2019, elle a reçu un rappel à l’ordre de la part de son employeur. Arrêt maladie et résiliation judiciaireÀ partir du 26 août 2019, Mme [V] [R] a été placée en arrêt maladie. Le 2 juillet 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a été déclarée inapte à son poste le 27 juillet 2020 et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 24 novembre 2020. Jugement du conseil de prud’hommesLe 21 décembre 2023, le conseil de prud’hommes a jugé que la SAS Celio France avait commis de graves manquements à ses obligations contractuelles en ne protégeant pas la santé de Mme [V] [R]. Il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l’employeur, avec effet au 24 novembre 2020, et a condamné la SAS Celio France à verser plusieurs indemnités à Mme [V] [R]. Appel de la SAS Celio FranceLe 29 janvier 2024, la SAS Celio France a interjeté appel du jugement, demandant son annulation et contestant la résiliation judiciaire ainsi que les indemnités accordées à Mme [V] [R]. Prétentions des partiesDans ses écritures, la SAS Celio France a demandé l’annulation du jugement et a contesté les demandes de Mme [V] [R]. De son côté, Mme [V] [R] a demandé que l’appel soit jugé irrecevable et a sollicité la confirmation du jugement initial. Violation du principe du contradictoireLa cour a constaté que la SAS Celio France n’avait pas été informée des pièces et conclusions de Mme [V] [R] avant l’audience, ce qui constitue une violation du principe du contradictoire. En conséquence, le jugement a été annulé. Demande de préjudice moralMme [V] [R] a demandé des dommages-intérêts pour préjudice moral, affirmant avoir été victime de harcèlement moral. Cependant, la cour a jugé que les éléments présentés n’étaient pas suffisants pour établir l’existence d’un harcèlement moral. Résiliation judiciaire et manquements de l’employeurMme [V] [R] a soutenu que son employeur avait manqué à ses obligations en ne protégeant pas sa santé psychique. La cour a reconnu que la SAS Celio France avait tardé à réagir aux alertes de harcèlement, justifiant ainsi la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Conséquences de la résiliation judiciaireLa cour a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V] [R] aux torts de la SAS Celio France, avec effet au 24 novembre 2020. Elle a également condamné la SAS Celio France à verser plusieurs indemnités à Mme [V] [R]. Frais de justiceLa SAS Celio France a été condamnée à supporter les dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser des frais irrépétibles à Mme [V] [R]. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail ?La résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l’employeur, produit des effets similaires à ceux d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon l’article L.1235-1 du Code du travail, « tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ». En l’espèce, la cour a constaté que la SAS Celio France avait manqué à son obligation de sécurité, justifiant ainsi la résiliation judiciaire. Cette résiliation entraîne le droit pour le salarié de percevoir des indemnités, notamment : – Une indemnité compensatrice de préavis, conformément à l’article L.1234-1 du Code du travail, qui stipule que « le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis en cas de rupture du contrat de travail ». – Des congés payés afférents, selon l’article L.3141-22 du Code du travail, qui précise que « le salarié a droit à un congé payé pour toute période de travail ». – Une indemnité légale de licenciement, régie par l’article L.1234-9 du Code du travail, qui indique que « le montant de l’indemnité de licenciement est calculé en fonction de l’ancienneté du salarié ». Dans le cas présent, la cour a condamné la SAS Celio France à verser à Mme [V] [R] des sommes précises pour chacune de ces indemnités, en tenant compte de son ancienneté et de son salaire. Quels sont les droits du salarié en cas de harcèlement moral ?Les droits du salarié en matière de harcèlement moral sont protégés par les articles L.1152-1 et L.1154-1 du Code du travail. L’article L.1152-1 stipule que « nul ne doit subir des faits de harcèlement moral dans le cadre de son travail ». De plus, l’article L.1154-1 précise que « le salarié qui se plaint de harcèlement moral bénéficie d’une protection particulière ». Pour établir l’existence d’un harcèlement moral, le juge doit examiner l’ensemble des éléments fournis par le salarié, y compris les documents médicaux. L’article L.1152-2 du Code du travail définit le harcèlement moral comme « des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ». Dans le cas de Mme [V] [R], bien qu’elle ait allégué des faits de harcèlement, la cour a constaté que les éléments présentés étaient trop généraux et manquaient de précisions. Ainsi, la cour a débouté Mme [V] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, considérant que les preuves fournies n’étaient pas suffisantes pour établir l’existence d’un harcèlement moral. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail ?L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, inscrite dans l’article L.4121-1 du Code du travail, qui stipule que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation inclut la prévention des risques professionnels et la protection de la santé des employés. En cas de manquement à cette obligation, le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Dans le litige en question, la cour a constaté que la SAS Celio France avait tardé à réagir aux alertes de Mme [V] [R] concernant des faits de harcèlement moral. Ce manquement a été jugé suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail, car il a contribué à une dégradation de sa santé et a entravé son retour au travail. Quels sont les effets de l’annulation d’un jugement par la cour d’appel ?L’annulation d’un jugement par la cour d’appel a des conséquences importantes, notamment en vertu de l’article 562 du Code de procédure civile, qui précise que « la cour d’appel qui annule un jugement pour un motif autre que l’irrégularité de l’acte introductif d’instance est tenue de statuer sur le fond de l’affaire ». Dans le cas présent, la cour a annulé le jugement initial en raison d’une violation du principe du contradictoire, car la SAS Celio France n’avait pas été informée des pièces et conclusions de Mme [V] [R] avant l’audience. Cette annulation a conduit la cour à examiner l’affaire au fond, statuant sur la résiliation judiciaire du contrat de travail et les conséquences qui en découlent, y compris les indemnités dues à Mme [V] [R]. Ainsi, l’effet dévolutif de l’appel a permis à la cour de réévaluer la situation et de rendre une décision conforme aux droits des parties. |
du 29/01/2025
N° RG 24/00153
AP/FM/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 29 janvier 2025
APPELANTE :
d’un jugement rendu le 21 décembre 2023 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Commerce (n° F 23/00362)
SAS CELIO FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Zouhaire BOUAZIZ de l’AARPI GZ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [V] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SCP ROYAUX, avocat au barreau des ARDENNES
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 décembre 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 29 janvier 2025.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
Mme [V] [R] a été embauchée à compter du 1er février 2011, avec reprise d’ancienneté au 29 août 2007, par la SAS Celio France dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de vendeuse.
Le 29 mai 2019, la SAS Celio France lui a notifié un rappel à l’ordre.
A compter du 26 août 2019, elle a été placée en arrêt maladie.
Le 2 juillet 2020, Mme [V] [R] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Elle a été déclarée inapte à son poste le 27 juillet 2020 et a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 24 novembre 2020.
Par jugement du 21 décembre 2023, le conseil de prud’hommes a :
– dit que la SAS Celio France a commis de graves manquements à ses obligations contractuelles en ne protégeant pas la santé de Mme [V] [R] ;
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] aux torts de l’employeur, avec prise d’effet au 24 novembre 2024, date de la rupture du contrat de travail ;
– dit que la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la SAS Celio France à payer les sommes suivantes :
2 860,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
286, 60 euros à titre de congés payés afférents,
4 807,75 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 300 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS Celio France aux entiers dépens y compris les frais d’huissiers en justice en cas de recours forcé.
Le 29 janvier 2024, la SAS Celio France a interjeté appel du jugement.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Dans ses écritures remises au greffe le 29 avril 2024, la SAS Celio France demande à la cour :
A titre principal,
– d’annuler le jugement ;
A titre subsidiaire,
– d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– de juger que le licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement est fondé ;
– de débouter Mme [V] [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– de condamner Mme [V] [R] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner Mme [V] [R] aux entiers dépens.
Dans ses écritures remises au greffe le 25 juillet 2024, Mme [V] [R] demande à la cour :
– de juger tant irrecevable que mal fondé l’appel interjeté ;
– de débouter la SAS Celio France de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– de confirmer le jugement en ce qu’il a :
dit que la SAS Celio France a commis de graves manquements à ses obligations contractuelles en ne protégeant pas sa santé ;
prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la SAS Celio France ;
dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
condamné la SAS Celio France à lui verser les sommes suivantes :
2 860,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
286,08 euros au titre de congés payés afférents,
4 807,75 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– de l’infirmer pour le surplus ;
– de condamner la SAS Celio France à lui verser les sommes suivantes :
15 734,51 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la première instance ;
– de condamner la SAS Celio France aux entiers dépens de l’instance.
Sur la demande au titre de l’irrecevabilité de l’appel
Mme [V] [R] demande à la cour de juger irrecevable l’appel interjeté.
Elle ne développe toutefois aucun moyen au soutien de cette demande.
Il s’ensuit que Mme [V] [R] doit être déboutée de sa demande.
Sur la demande au titre de l’annulation du jugement
L’employeur sollicite l’annulation du jugement en soutenant que celui-ci a été rendu au terme d’une procédure non contradictoire et méconnaissant les droits de la défense et qu’il a été privé d’un procès équitable dès lors qu’il n’a été destinataire :
– ni des pièces et conclusions communiquées à l’appui de la demande de réenrolement de l’affaire formée par le Conseil de Mme [V] [R],
– ni de la convocation en vue de l’audience du 28 septembre 2023.
Mme [V] [R] conteste ces allégations et affirme que ses conclusions et pièces ont été adressées à la SAS Celio France le 30 juin 2023 et que le greffe du conseil de prud’hommes confirme également que la convocation a été adressée. Elle précise que les deux envois ont été faits par lettre simple.
Selon l’article 14 du code de procédure civile ‘nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée’.
L’article 15 du même code énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
Selon l’article 16 alinéas 1 et 2 du code précité, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
L’atteinte au principe du contradictoire est une cause de nullité du jugement.
En l’espèce, il ressort du jugement que la SAS Celio France était non comparante à l’audience.
Le dossier du conseil de prud’hommes contient une copie d’un courrier de convocation devant le bureau de jugement suite à radiation, daté du 11 juillet 2023 e adressé par lettre simple à la SAS Celio France. Cette convocation est conforme aux dispositions de l’article R.1452-6 du code du travail qui énonce que la reprise de l’instance, après une suspension, a lieu sur l’avis qui en est donné aux parties par le greffier, par tout moyen.
En revanche, il n’est pas justifié de la communication des conclusions et pièces de Mme [V] [R] à la SAS Celio France avant l’audience de jugement. En effet, celle-ci produit aux débats un courrier de son conseil daté du 30 juin 2023 aux termes duquel il adressait ses conclusions de réinscription mais n’apporte aucune preuve, quelle qu’elle soit, de l’envoi effectif de ce courrier.
Il ne ressort pas non plus du jugement que le conseil de prud’hommes se soit assuré de cette communication préalable.
Dès lors, la SAS Celio France est fondée à se plaindre, à ce titre, d’une violation du principe de la contradiction et à faire valoir que le conseil n’aurait pas dû juger l’affaire en l’état.
Le jugement doit pour cette raison être annulé.
Il résulte de l’article 562 du code de procédure civile que la cour d’appel qui annule un jugement pour un motif autre que l’irrégularité de l’acte introductif d’instance, est, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, tenue de statuer sur le fond de l’affaire.
En l’espèce, l’annulation du jugement procède non pas de l’irrégularité de l’acte introductif d’instance mais du non-respect du principe de la contradiction dans la communication des conclusions dès lors l’effet dévolutif de l’appel s’applique.
En conséquence, il incombe à la cour de juger l’affaire au fond.
Sur la demande au titre du préjudice moral
Mme [V] [R] sollicite le paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral en réparation du harcèlement moral dont elle affirme avoir été victime, ce que conteste la SAS Celio France.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-2 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [V] [R] affirme avoir ressenti des différences de traitement avec les autres salariés et surtout des attitudes quotidiennes de nature oppressante et humiliante depuis l’arrivée d’une nouvelle directrice de boutique, Mme [M] [Z].
Toutefois, la cour relève que dans ses conclusions, elle procède par des allégations d’une grande généralité, sans faire état de faits précisément décrits et datés et ne précise pas à partir de quelle date les faits auraient commencé.
Au soutien de ces allégations, Mme [V] [R] produit les pièces suivantes :
un courrier adressé au CHSCT le 28 octobre 2019 dans lequel elle indique être victime de harcèlement moral de la part de Mme [M] [Z],
un courrier, daté du même jour, adressé à la direction de l’entreprise dont l’objet était le ‘signalement de propos et d’attitudes de dénigrement de la part de Mme [Z] [M]’,
un courrier du médecin du travail, daté du 28 octobre 2019, adressé à son médecin traitant pour solliciter une prolongation de son arrêt de travail ‘afin qu’une rencontre puisse se faire avec le directeur régional’ indiquant que son état de santé n’est pas compatible avec une reprise du travail et que ‘la responsable du magasin ne voit pas où est le problème’,
l’attestation d’un salarié d’un hôtel qui affirme l’avoir vue, le 22 novembre 2019, lorsqu’il était à son poste, sortir en pleurs d’une réunion organisée avec le directeur régional et la responsable des ressources humaines de la SAS Celio France,
un courrier adressé à l’entreprise le 8 janvier 2020 dans lequel elle a sollicité un compte-rendu de la réunion du 22 novembre 2019 et demandé quelle était la suite des événements puisqu’une réunion avec la directrice de la boutique devait être organisée,
un mail réponse du même jour dans lequel l’employeur indiquait revenir vers elle dès qu’un point serait fait sur cette réunion,
un courrier du médecin traitant, daté du 26 août 2019, qui indique qu’elle présente un syndrome dépressif secondaire à des problèmes dans son travail et lui parle de harcèlement à son travail,
des ordonnances pour un somnifère et un anxiolytique des mois de septembre 2019, octobre 2109 et janvier 2021,
une attestation de son conjoint qui fait état d’une dégradation de son état de santé et de la réception de sms de la part de la directrice lorsqu’ils étaient en vacances.
Toutefois, la cour relève que :
– le courrier de la salariée du 28 octobre 2019 adressé à la direction fait état de faits qui ne sont pas circonstanciés et datés ;
– les deux autres courriers de la salariée ne rapportent pas des faits de harcèlement ;
– l’attestation d’un salarié d’un hôtel se borne à indiquer qu’il a vu la salariée en pleurs suite à une réunion qui s’était, selon elle, mal passée ;
– l’attestation de son conjoint est rédigée en des termes très généraux, sans viser aucun fait daté ;
– les pièces médicales attestent de problème de santé mais le médecin traitant ne fait que rapporter les dires de Mme [V] [R] et n’a pas pu constater les faits. Il n’est pas démontré de lien entre les conditions de travail et les mentions portées sur les certificats médicaux.
De tels éléments, même pris dans leur ensemble, ne sont pas suffisants pour laisser présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral.
En conséquence, Mme [V] [R] doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, comme l’a retenu le jugement a juste titre.
Sur la demande au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail
Mme [V] [R] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en soutenant que son employeur a manqué à ses obligations en n’assurant pas sa santé psychique. Elle explique avoir dénoncé des faits de harcèlement et qu’il n’a eu aucun égard à son encontre. Elle lui reproche son absence de réaction et considère que cette passivité constitue un manquement à son l’obligation sécurité.
La SAS Celio France s’oppose à cette demande en contestant l’existence de manquements graves de sa part.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation était justifiée et, dans la négative seulement, statuer sur le licenciement.
L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail, fondée sur l’inexécution par l’employeur de ses obligations, ne peut aboutir que si la gravité de la violation par l’employeur de ses obligations contractuelles est incompatible avec la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve repose sur le salarié.
Le rejet d’une prétention au titre du harcèlement moral n’est pas de nature à exclure tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
La résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l’initiative du salarié et aux torts de l’employeur produit alors les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, sauf si le salarié a été licencié dans l’intervalle de sorte qu’elle produit alors ses effets à la date de l’envoi de la lettre de licenciement.
En l’espèce, Mme [V] [R] justifie avoir dénoncé auprès de son employeur et du CHSCT des faits de harcèlement moral par courrier du 28 octobre 2019.
Elle explique que la SAS Celio France n’a eu aucun égard pour elle puisque la responsable de magasin, rencontrée par le médecin du travail, a indiqué ne pas voir où était le problème.
Il ressort, par ailleurs, d’un mail du même jour, que le médecin du travail a sollicité une rencontre entre Mme [V] [R], la directrice du magasin, le directeur régional et lui-même (pièce employeur n° 3).
Il est constant qu’un entretien a ensuite été organisé le 22 novembre 2019 en présence de Mme [V] [R], du directeur régional et d’un membre du service des ressources humaines. Le médecin du travail n’était pas présent malgré sa demande.
Par courrier du 8 janvier 2020, soit plus d’un mois après cette réunion, Mme [V] [R] a interpellé son employeur indiquant que depuis cette réunion elle n’avait reçu aucun courrier, aucun appel et aucun message et pensait qu’un compte-rendu lui serait adressé. Elle demandait enfin à être tenue informée de la suite des événements et à recevoir un compte-rendu de la réunion.
L’employeur lui a adressé un mail le même jour lui indiquant qu’un point allait être fait sur la réunion du 22 novembre 2019 ainsi qu’un retour sur sa situation.
Néanmoins, ce n’est que par un courrier du 18 mai 2020 que la SAS Celio France a indiqué que suite à l’entretien du 22 novembre 2019, des investigations avaient été menées qui ont mis en évidence des problématiques de communication et d’incompréhension avec la directrice de magasin et a proposé de réaliser un entretien de médiation à son retour d’arrêt maladie ou avant si elle le souhaitait et de mettre en place un suivi régulier par le directeur régional et/ou la direction des ressources humaines.
Il ressort de ces éléments, que l’employeur a tardé à réagir à la dénonciation du harcèlement moral. En effet, il a attendu près d’un mois après les alertes de Mme [V] [R] et du médecin du travail en date du 28 octobre 2019 pour organiser une réunion, sans y associer le médecin du travail. Jusqu’au 18 mai 2020, aucun retour n’a été apporté à Mme [V] [R]. Le confinement lié au Covid, qui a débuté le 17 mars 2020, ne peut suffire à justifier une telle tardiveté. Par ailleurs, la SAS Celio France invoque, dans son courrier du 18 mai 2020, des investigations mais n’en justifie aucune.
Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est donc caractérisé.
Ce manquement est suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V] [R] aux torts de la SAS Celio France dans la mesure où cette dernière, par son manque de réactivité, a laissé perdurer une situation qui a fait obstacle au prompt rétablissement et au retour au travail de la salariée.
En conséquence, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail et dit que celle-ci prend effet à la date du 24 novembre 2020, date du licenciement ultérieur.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail
Mme [V] [R] doit être accueillie dans sa demande en paiement d’une indemnité de licenciement, sous réserve de la somme déjà perçue à ce titre dans le cadre du licenciement.
Il est également fait droit à ses demandes en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, aux quanta non contestés.
Mme [V] [R] est également fondée à solliciter le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il appartient à la cour d’apprécier sa situation concrète pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L.1235-3 du code du travail.
Sur la base d’une ancienneté de 13 ans et compte tenu de l’effectif de l’entreprise qui est supérieur à 11 salariés, le barème fixe une indemnité comprise entre 3 et 11,5 mois d’ancienneté.
Lors de son licenciement, Mme [V] [R] était âgée de 54 ans. Elle ne justifie pas de sa situation postérieure au licenciement.
Au vu de ces éléments, et sur la base d’un salaire mensuel brut de 1 796,20 euros tel qu’il ressort des bulletins de paie de Mme [V] [R], la SAS Celio France sera condamnée à lui payer la somme de 5 500 euros.
Par ailleurs, en application de l’article L 1235-4 du code du travail, l’employeur est condamné à rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La SAS Celio France, partie perdante, devra supporter les dépens de première instance et d’appel et il est équitable qu’elle soit condamnée à verser à Mme [V] [R] au titre des frais irrépétibles la somme de 500 euros pour la procédure de première instance et celle de 1 500 euros en appel, soit la somme globale de 2 000 euros. Il convient en outre de la débouter de sa propre demande de ce chef.
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déboute Mme [V] [R] de sa demande d’irrecevabilité de l’appel ;
Annule le jugement déféré ;
Statuant, vu l’effet dévolutif de l’appel :
Déboute Mme [V] [R] de sa demande au titre du préjudice moral ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [V] [R] aux torts de la SAS Celio France avec prise d’effet au 24 novembre 2020 ;
Condamne la SAS Celio France à payer à Mme [V] [R] les sommes suivantes :
2 860,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
286,08 euros à titre de congés payés afférents,
4 807,75 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
5 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Précise que la condamnation au titre de l’indemnité de licenciement est prononcée sous réserve de la somme déjà perçue à ce titre dans le cadre du licenciement pour inaptitude ;
Dit que les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables ;
Condamne la SAS Celio France à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées Mme [V] [R] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;
Déboute la SAS Celio France de sa demande d’indemnité de procédure ;
Condamne la SAS Celio France à payer à Mme [V] [R] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Condamne la SAS Celio France aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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