Prise en charge d’une maladie professionnelle : conditions et respect du contradictoire.

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Prise en charge d’une maladie professionnelle : conditions et respect du contradictoire.

L’Essentiel : Le 25 mars 2023, un salarié de la société a soumis une déclaration de maladie professionnelle à la caisse primaire d’assurance maladie, accompagnée d’un certificat médical mentionnant une « rupture coiffe épaule [droite] ». Le 25 juillet 2023, la caisse a informé la société de sa décision de prise en charge de la maladie, qualifiée de « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ». Suite au rejet de son recours, la société a saisi le tribunal judiciaire pour contester cette décision. Le tribunal a déclaré son incompétence territoriale, transférant l’affaire au tribunal judiciaire de Versailles.

Contexte de l’affaire

Le 25 mars 2023, un salarié de la société [5] a soumis une déclaration de maladie professionnelle à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube, accompagnée d’un certificat médical initial daté du 30 janvier 2023, mentionnant une « rupture coiffe épaule [droite] ».

Décision de la caisse

Le 25 juillet 2023, après enquête, la caisse a informé la société [5] de sa décision de prise en charge de la maladie, qualifiée de « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite », conformément à la législation sur les risques professionnels.

Recours de la société

Suite au rejet implicite de son recours par la commission de recours amiable, la société [5] a saisi le tribunal judiciaire de Paris le 2 janvier 2024 pour contester la décision de prise en charge. Le tribunal a déclaré son incompétence territoriale, transférant l’affaire au tribunal judiciaire de Versailles.

Procédure judiciaire

Le 12 avril 2024, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la société [5]. Les deux affaires ont été jointes et examinées lors d’une audience le 5 décembre 2024, enregistrées sous un numéro unique.

Prétentions des parties

Lors de l’audience, la société [5] a demandé au tribunal de déclarer inopposable la décision de la caisse et de la condamner à payer 500 euros pour frais irrépétibles. La caisse, quant à elle, a demandé la confirmation de sa décision de prise en charge et a réclamé 1 500 euros pour ses frais.

Arguments de la société

La société [5] a soutenu que la caisse avait violé le principe du contradictoire en ne l’informant pas des changements concernant la date de constatation médicale et la qualification de la pathologie.

Réponse de la caisse

La caisse a rétorqué que les informations nécessaires étaient présentes dans le dossier et que le changement de numéro de sinistre n’affectait pas l’identification de la maladie.

Analyse du tribunal

Le tribunal a constaté que la société [5] avait été suffisamment informée des décisions de la caisse et a écarté les moyens d’inopposabilité soulevés par la société.

Conditions de prise en charge

Le tribunal a également examiné si les conditions de prise en charge de la maladie étaient remplies, notamment en ce qui concerne l’exposition du salarié aux risques mentionnés dans le tableau des maladies professionnelles.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a déclaré opposable à la société [5] la décision de la caisse de prendre en charge la maladie déclarée par le salarié, a condamné la société aux dépens, et a débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Sur le principe du contradictoire

La société [5] soutient que la caisse a violé le principe du contradictoire en ne l’informant pas des changements concernant la date de première constatation médicale et la qualification de la pathologie.

Selon l’article R461-9 du code de la sécurité sociale, la caisse doit respecter le principe du contradictoire dans le cadre de l’instruction des déclarations de maladie professionnelle.

Il est précisé que la caisse a diligenté l’instruction d’une maladie déclarée le 25 mars 2023 sur la base d’un certificat médical initial en date du 30 janvier 2023.

La caisse a ensuite modifié le numéro de sinistre pour le faire correspondre à la date de première constatation médicale, qui a été fixée au 3 janvier 2023.

Tous les courriers de la caisse mentionnaient le nom de l’assuré, son NIR et la pathologie concernée, permettant ainsi à la société [5] de s’informer sur l’origine et le fondement de la décision de prise en charge.

Ainsi, le tribunal a écarté le moyen d’inopposabilité relatif au principe du contradictoire.

Sur la qualification retenue de la pathologie

La société [5] conteste la qualification de la pathologie retenue par la caisse, arguant qu’elle n’a pas été informée d’un changement de qualification.

L’article L461-1, alinéa 2 du code de la sécurité sociale stipule que toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles est présumée d’origine professionnelle si elle est contractée dans les conditions prévues par ce tableau.

En l’espèce, le certificat médical initial mentionnait une « rupture coiffe épaule [droite] », tandis que la caisse a requalifié la maladie en « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ».

Cependant, cette requalification n’a pas entraîné de changement de tableau, et la nouvelle pathologie relevait toujours du tableau 57A.

La caisse a respecté son obligation d’information envers la société [5], qui avait accès aux éléments du colloque médico-administratif.

Dès lors, le tribunal a également écarté ce second moyen d’inopposabilité.

Sur la réunion des conditions du tableau

La société [5] fait valoir que la caisse ne prouve pas que le salarié était exposé au risque visé par le tableau 57A des maladies professionnelles.

L’article L461-1 du code de la sécurité sociale précise que pour qu’une maladie soit reconnue d’origine professionnelle, il faut que trois conditions soient remplies : la désignation de la maladie, le délai de prise en charge, et la liste des travaux mentionnée dans le tableau.

Il est établi que M. [O] a effectué des gestes pathologiques lors de ses opérations de guidage et d’aide maçonnerie, ce qui a été confirmé par le médecin-conseil.

La caisse a donc rapporté la preuve que la condition d’exposition au risque, requise par le tableau 57A, était remplie pour l’épaule droite de l’assuré.

Ainsi, le tribunal a déclaré opposable à la société [5] la décision de la caisse de prise en charge de la maladie.

Sur les frais du procès

Concernant les dépens, l’article 696 du code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

La société [5], étant la partie perdante, a été condamnée aux dépens de l’instance.

En ce qui concerne l’article 700 du code de procédure civile, le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour les frais exposés.

Dans cette affaire, le tribunal a jugé équitable de débouter les parties de leurs demandes au titre de l’article 700.

Sur l’exécution provisoire

L’article R142-10-6 du code de la sécurité sociale permet au tribunal d’ordonner l’exécution par provision de ses décisions.

Cependant, dans cette affaire, rien ne justifiait d’assortir le jugement d’une exécution provisoire.

Ainsi, le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu au prononcé de l’exécution provisoire.

Pôle social – N° RG 24/00562 – N° Portalis DB22-W-B7I-SAK5

Copies certifiées conformes délivrées,
le :

à :
– S.A.S. [5]
– CPAM DE L’AUBE
– Me Grégory KUZMA

N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL

CONTENTIEUX GENERAL DE SECURITE SOCIALE

JUGEMENT RENDU LE MARDI 04 FEVRIER 2025

N° RG 24/00562 – N° Portalis DB22-W-B7I-SAK5
Code NAC : 89E

DEMANDEUR :

S.A.S. [5]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Maître Grégory KUZMA, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant, substitué par Maître Myriam SANCHEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DÉFENDEUR :

CPAM DE L’AUBE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]

dispensée de comparution

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Madame Béatrice THELLIER, Juge
Monsieur Michel FAURE, Représentant des salariés
Monsieur Jean-Luc PESSEY, Représentant des employeurs et des travailleurs indépendants

Madame Valentine SOUCHON, Greffière

DEBATS : A l’audience publique tenue le 05 Décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 04 Février 2025.
Pôle social – N° RG 24/00562 – N° Portalis DB22-W-B7I-SAK5

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 25 mars 2023, M. [O], salarié de la société [5], a transmis à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d’un certificat médical initial établi le 30 janvier 2023 faisant état d’une « rupture coiffe épaule [droite] ».

Le 25 juillet 2023, après investigations, la caisse a notifié à la société [5] sa décision de prise en charge de la maladie « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite inscrite dans le tableau n°57 : affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail » au titre de la législation sur les risques professionnels.

Après rejet implicite de son recours par la commission de recours amiable (CRA), la société [5] a, par requête reçue au greffe le 2 janvier 2024, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge.

Par ordonnance en date du 26 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris s’est déclaré territorialement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Versailles.

L’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 24/00571.

Parallèlement, la société [5] a, par requête reçue au greffe le 8 avril 2024, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge.

L’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 24/00562.

Puis le 12 avril 2024, la CRA a rejeté expressément le recours formé par la société [5].

Après mise en état des deux affaires, celles-ci ont été évoquées à l’audience du 5 décembre 2024.

Lors de cette audience et en application des dispositions des articles 367 et 368 du code de procédure civile, le tribunal a ordonné la jonction des procédures inscrites sous les numéros RG 24/00562 et RG 24/00571, enregistrées désormais sous le seul numéro RG 24/00562.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A l’audience, reprenant oralement ses prétentions contenues dans ses dernières conclusions, la société [5] demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de lui déclarer inopposable la décision de la caisse de prise en charge de la maladie déclarée par M. [O] au titre de la législation sur les risques professionnels, de débouter la caisse de l’ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

La caisse, dispensée de comparution en application des dispositions de l’article R142-10-4 du code de la sécurité sociale, s’en rapporte aux prétentions contenues dans ses conclusions reçue au greffe le 7 juin 2024 et demande au tribunal de déclarer opposable à la société [5] sa décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [O], de débouter la société requérante de l’ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Il est renvoyé aux écritures des parties déposées à l’audience pour l’exposé des moyens de droit et de fait à l’appui de leurs prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, ainsi qu’aux observations orales de la société.

MOTIFS

.Sur le principe du contradictoire
Moyens des parties

La société [5], fait valoir, au visa de l’article R461-9 du code de la sécurité sociale, que la caisse a violé le principe du contradictoire à son égard en ne l’informant pas du changement de la date de première constatation médicale et du numéro de dossier ainsi que du changement de qualification de la pathologie.
En réplique, la caisse fait valoir que l’avis du médecin conseil qui figure sur la fiche de liaison médico-administrative jointe au dossier et qui indique la qualification de la pathologie et fixe la date de première constatation médicale de la maladie suffit à garantir le respect du contradictoire. Elle ajoute que le changement de numéro de sinistre n’intervient qu’au moment de la prise en charge du sinistre. Elle soutient enfin que le changement de numéro de sinistre n’empêche nullement l’identification du dossier puisque le nom de l’assuré (ainsi que son NIR) et la pathologie concernée figurent sur l’ensemble des plis qu’elle a adressé à l’employeur.

Réponse du tribunal

Sur la modification du n° de dossier et de la date de première constatation médicale

Aux termes des articles L461-5 et D461-11 du code de la sécurité sociale, la victime d’une maladie professionnelle doit compléter sa déclaration de maladie professionnelle d’un certificat médical initial mentionnant la date de première constatation de la maladie. Et aux termes de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, la date du sinistre est la date de première constatation médicale de la maladie et non plus la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical initial du lien possible entre sa pathologie et une activité professionnelle.

En l’espèce, il ressort des courriers versés aux débats que :

– la caisse a diligenté l’instruction d’une maladie déclarée le 25 mars 2023 sur le fondement d’un certificat médical initial en date du 30 janvier 2023 en l’enregistrant sous le numéro 230130692, correspondant en ses premiers chiffres à la date du certificat « 30/01/2023 » au format « aa/mm/jj »,

– la caisse a adressé à l’employeur, sous ce numéro, la déclaration de maladie professionnelle et le certificat médical initial par courrier du 16 mai 2023 ainsi que le questionnaire,

– la caisse a ensuite, par courrier du 25 juillet 2023, portant le numéro 230103699, adressé à l’employeur une décision de prise en charge de la maladie déclarée.

Il ressort, par ailleurs, du colloque médico-administratif que, dans le cadre de l’instruction de la maladie déclarée par M. [O] sur le fondement d’un certificat médical initial en date du 30 janvier 2023 au numéro de sinistre 230130692, le médecin conseil a fixé la date de première constatation médicale de la maladie au 3 janvier 2023, date indiquée dans le certificat médical initial.

La caisse a, en conséquence, modifié le numéro de sinistre pour le faire correspondre à la date de première constatation médicale de la maladie, toujours selon le format « aa/mm/jj », correspondant au numéro 230103699 pour la date du 3 janvier 2023.

Il convient également de relever que tous les courriers de la caisse font référence à la maladie déclarée par M. [O], tout en précisant son NIR ainsi qu’un numéro d’identifiant, de sorte qu’il est indéniable qu’il s’agisse du même assuré et de l’instruction de la même pathologie.

Si la date de première constatation médicale finalement retenue par la caisse n’est pas la date d’établissement du certificat médical initial, la société [5] disposait, en prenant connaissance du colloque médico-administratif, de la possibilité d’être suffisamment informée à la fois sur la date du 3 janvier 2023 retenue par le médecin conseil, et donc finalement retenue par la caisse, mais également sur les conditions dans lesquelles cette date avait été retenue puisqu’il est précisé qu’il s’agit de la date indiquée sur le certificat médical initial.

Enfin, il convient de relever que le courrier du 16 mai 2023 indiquait à la société [5] que la décision de la caisse interviendrait au plus tard le 2 août 2023 et qu’elle est effectivement intervenue quelques jours avant cette date butoir, le 25 juillet 2023.

Il en résulte que la société [5], qui avait été informée qu’une décision interviendrait au plus tard le 2 août 2023, ne peut valablement prétendre ignorer l’origine et le fondement du courrier de prise en charge qui lui a été adressée le 25 juillet 2023, aux mêmes nom, NIR et identifiant que ceux utilisés lors de l’instruction par la caisse sous le précédent numéro et alors même qu’elle était informée de la date de première constatation médicale retenue dans le colloque médico-administratif.

Dès lors, ce premier moyen d’inopposabilité doit être écarté.

S’agissant de la qualification retenue de la pathologie

Aux termes de l’article L461-1, alinéa 2 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions prévues à ce tableau.

Dans sa rédaction applicable au litige, le tableau n°57 des maladies professionnelles désigne plusieurs affections intéressant l’épaule (57 A) dont notamment la tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM et la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM.

En cas de recours de l’employeur, il incombe à la caisse qui a décidé d’une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau. Il appartient au juge de vérifier que la maladie désignée par le certificat médical initial coïncide avec celle mentionnée par le tableau, sans s’arrêter à une analyse littérale de ce certificat.

Le médecin-conseil de la caisse, n’étant pas tenu des termes du certificat médical initial, peut, après analyse de pièces médicales extrinsèques, qualifier la pathologie et considérer qu’elle correspond à celle visée par le tableau des maladies professionnelles qu’il instruit (Cass. 2e civ., 21 octobre 2021, n°20-15.641).

La caisse qui instruit la demande de prise en charge d’une maladie professionnelle n’est par ailleurs pas tenue par le tableau visé par la déclaration. Il lui appartient, en revanche, d’informer l’employeur d’un changement de qualification de la maladie (Cass. 2e civ., 17 septembre 2009).

En l’espèce, le 25 mars 2023 M. [O] a régularisé une déclaration de maladie professionnelle faisant état d’une « rupture coiffe épaule [droite] ». Le certificat médical initial en date du 30 janvier 2023 mentionne également une « rupture coiffe épaule [droite] » et une date de première constatation de la maladie fixée au 3 janvier 2023.

Lors de l’instruction mise en œuvre par la caisse, dans le cadre du colloque médico-administratif, le médecin conseil a qualifié la maladie de « tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante avec ou sans enthésopathie objectivée par IRM de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » et fixé la date de première constatation médicale de la maladie au 3 janvier 2023.

Suivant décision du 25 juillet 2023, la caisse a pris en charge la maladie de M. [O] qualifiée de « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » du 3 janvier 2023 au titre du tableau 57.

La société [5] soutient ne pas avoir été informée par la caisse que l’instruction de la pathologie de M. [O] se poursuivait au titre d’une maladie distincte de celle mentionnée dans la déclaration de maladie professionnelle et le certificat médical initial.

Il ressort des pièces versées aux débats que la caisse a modifié la désignation de la maladie au cours de son instruction puisqu’elle a pris en charge une « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » et non une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, comme mentionné dans le certificat médical initial.

Il convient toutefois de relever que :
– cette requalification n’a pas entraîné de changement de tableau et que la nouvelle pathologie relève toujours du tableau 57A
– et que la société [5] disposait, en prenant connaissance du colloque médico-administratif, de la possibilité d’être suffisamment informée sur la qualification de la maladie retenue par le médecin-conseil.

La caisse a donc respecté son obligation d’information à l’égard de l’employeur.

Dès lors, ce second moyen d’inopposabilité doit également être écarté.

. Sur la réunion des conditions du tableau
Moyens des parties

La société [5], fait valoir, au visa des articles L461-1 et D461-9 du code de la sécurité sociale, que la caisse ne rapporte pas la preuve que le salarié était exposé au risque visé par le tableau 57 A des maladies professionnelles (à savoir des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour cumulé) pour l’épaule droite. Elle estime que la seule opération susceptible de correspondre aux conditions du tableau précité est le guidage des toupies que le salarié effectue 4 à 5 heures par jour et précise que ce guidage se fait avec la main sans lever le bras. Elle ajoute que même si le salarié levait le bras pour cette opération cela ne représenterait que 30 minutes par jour cumulé. Elle fait enfin valoir qu’en présence de discordances entre les déclarations des parties il appartenait à la caisse de requérir l’avis du médecin du travail ou de se déplacer au sein de la société pour vérifier les conditions d’expositions aux risques, ce qu’elle n’a pas fait.

En réplique, la caisse fait valoir, au visa du même texte légal, que la maladie du salarié a été contractée dans les conditions mentionnés au tableau n°57 des maladies professionnelles, précisant que le médecin conseil a confirmé, dans le colloque médico-administratif du 15 mai 2023, le libellé complet du syndrome en tant que « tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante avec ou sans enthésopathie objectivée par IRM de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ». Elle soutient qu’il ressort des investigations menées par la caisse que les travaux effectués par l’assuré font partie de la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la pathologie déclarée et que le délai de prise en charge est rempli. Elle ajoute que le médecin-conseil a estimé au vu des éléments médicaux en sa possession que la pathologie dont était atteint l’assuré relevait du tableau 57.

Réponse du tribunal

Aux termes de l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Une maladie professionnelle est reconnue si trois conditions sont remplies :
– la désignation de la maladie professionnelle telle que mentionnée dans le tableau des maladies professionnelles,
– le délai de prise en charge,
– la liste des travaux mentionnée dans le tableau des maladies professionnelles.

Dans ses rapports avec l’employeur, il appartient à la caisse qui est subrogée dans les droits de l’assurée qu’elle a indemnisé, de démontrer que les conditions d’application de la présomption d’imputabilité issue de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale imposées par le tableau des maladies professionnelles dont elle invoque l’application, sont remplies.

Le tableau n°57 A des maladies professionnelles de l’épaule relatif aux « affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail » se présente de la façon suivante :

Désignation de la maladie

Délai de prise en charge
Liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies

Tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM

6 mois (sous réserve d’une durée d’exposition de 6 mois)

Travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction :
– avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé
Ou
– avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé

En application de l’article D461-1-1 du code de la sécurité sociale, pour l’application du dernier alinéa de l’article L461-2, la date de la première constatation médicale est la date à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi. Elle est fixée par le médecin conseil.

Cette date permet de vérifier les conditions relatives au délai de prise en charge et à la durée de l’exposition aux risques.

En l’espèce, il convient de relever que seule la condition tenant à l’exposition du salarié au risque est discutée entre les parties.

Il ressort de l’enquête administrative de la caisse que M. [O] est droitier, travaille comme compagnon spécialisé d’équipement de voirie à temps plein (40 heures par semaine répartis sur 5 jours) et effectue les travaux suivants :
– transport-chargement, déchargement et action de la grue avec télécommande : 2h par jour en moyenne,
– opération de guidage : 5h par jour :
– aide maçonnerie : 2h à 4h
– nettoyage du matériel : 1h

Il est précisé s’agissant des opérations de guidage qu’il y a trois toupies par heure, qu’elles avancent tous les 20 cm, qu’à chaque fois il lève la main et son bras pour signaler au chauffeur d’avancer et d’arrêter et qu’il lève essentiellement son bras droit étant droitier.

A l’issue de son audition le 30 juin 2023, M. [O] estime le temps où il effectue des mouvements ou maintien son l’épaule droite sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° à plus de deux heures par jours en cumulé voire trois heures (« sur une journée de travail, je pense avoir mon bras droit décollé plus de 2 heures par jour en cumulés mais je pense environ 3h »).

La société [5] a, pour sa part, indiqué que le temps passé par le salarié avec le bras droit décollé à plus de 60° pouvait atteindre 1 heure par jour en cumulé maximum après avoir dans un premier temps indiqué que le salarié ne faisait aucun mouvement pathologique dans le cadre de ses fonctions.

A regard des renseignements qui ont été transmis à la caisse, celle-ci a considéré que M. [O] remplissait les conditions d’exposition au risque décrites dans le tableau 57 A des maladies professionnelles.

Il apparaît en effet que le salarié a effectué les gestes pathologiques lors des opérations de guidage (à raison de trois toupies par heure qui avancent tous les 20 cm) mais également lors des travaux d’aide maçonnerie (2 à 4h par jour).

Il ressort ainsi de l’ensemble de ces éléments que la caisse rapporte suffisamment la preuve que la condition tenant à l’exposition du salarié au risque, requise par le tableau 57 A, est bien remplie pour l’épaule droite de l’assuré.

Dès lors, il y a lieu de déclarer opposable à la société [5] la décision de la caisse en date du 25 juillet 2023 prenant en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, la maladie déclarée le 25 mars 2023 par M. [O] au titre d’une « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » inscrite dans le tableau 57 « affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail ».

. Sur les frais du procès
Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La société [5], partie perdante, est condamnée aux dépens de l’instance.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Au regard de la solution apportée au litige et des circonstances de l’espèce, il est équitable de débouter l’ensemble des parties de leurs demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article R142-10-6 du code de la sécurité sociale le tribunal peut ordonner l’exécution par provision de toutes ses décisions. Les décisions relatives à l’indemnité journalière sont, nonobstant appel, exécutoires par provision pour l’indemnité échue depuis l’accident jusqu’au trentièmes qui suit l’appel.

En l’espèce, rien ne justifie d’assortir le présent jugement de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

ORDONNE la jonction des affaires enrôlées sous les n° RG 24/00562 et 24/00571 sous le numéro unique RG 24/00562,

DECLARE opposable à la société [5] la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube en date du 25 juillet 2023 prenant en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, la maladie déclarée le 25 mars 2023 par M. [L] [O] au titre d’une « tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » inscrite dans le tableau 57 « affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail ».

CONDAMNE la société [5] aux entiers dépens,

DEBOUTE les parties de leur demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire.

La Greffière La Présidente

Madame Valentine SOUCHON Madame Béatrice THELLIER


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