Utiliser la qualification de « maître glacier » n’est pas fautif en soi. Son usage n’est fautif que s’il est prouvé un avantage compétitif qui pourrait en résulter.
En la cause, la demande tendant à l’interdiction d’utiliser la qualification de maître glacier a donc été rejetée. Pour rappel, la concurrence déloyale et le parasitisme consacrent des fautes susceptibles, dans les conditions fixées par l’article 1240 du Code civil, d’engager la responsabilité civile de leur auteur. Ils supposent la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien de causalité direct avec celle-ci. La faute en matière de concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe général de libre concurrence qui est un principe fondamental des rapports commerciaux. Elle implique que tout commerçant a la possibilité d’attirer à lui la clientèle de ses concurrents sans que ceux-ci puissent le lui reprocher, de vendre des produits similaires à ceux d’un concurrent ou même identiques en l’absence de droit privatif dans la mesure où tout produit qui n’est pas l’objet d’un droit privatif est en principe dans le domaine public, et de vendre des produits similaires ou identiques de qualité moindre à un prix inférieur. Ainsi, même si la reprise procure à celui qui la pratique des économies, elle ne saurait à elle seule être tenue pour fautive sauf à vider de toute substance le principe de liberté ci-dessus rappelé. Il appartient donc au commerçant qui se plaint d’une concurrence déloyale de démontrer le caractère déloyal des méthodes développées par son concurrent. Il en va de même du parasitisme qui suppose de démontrer l’existence d’actes de captation indue des efforts et investissements du concurrent. Enfin et surtout, le demandeur doit démontrer l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle. |
Résumé de l’affaire : La société SNC GEO, spécialisée dans la vente de crèmes glacées, a été fondée en 1946 et est gérée par monsieur [B] [T]. En 2020, madame [I] [T] a déposé deux marques verbales, « J.O 1946 » et « GEO 1946 », et a créé la SAS NOU, exerçant une activité similaire à celle de GEO. En juin 2021, GEO a intenté une action en référé contre la SAS NOU pour contrefaçon de marque, mais ses demandes ont été rejetées. En février 2022, GEO a assigné madame [I] [T] et la SAS NOU au fond. GEO réclame le transfert des marques, l’interdiction d’utilisation des dénominations, des dommages et intérêts, ainsi que des informations sur les ventes de la SAS NOU. GEO soutient que les dépôts de marques ont été faits en fraude de ses droits, arguant d’un risque de confusion entre les deux sociétés. De leur côté, madame [I] [T] et la SAS NOU contestent les demandes de GEO, affirmant que les marques ont été déposées pour protéger l’héritage familial et qu’il n’y a pas de risque de confusion. Le tribunal a finalement débouté GEO de ses demandes et a condamné GEO à verser des frais à la SAS NOU et à madame [I] [T].
|
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de la fraude dans le dépôt d’une marque selon le Code de la propriété intellectuelle ?Le dépôt d’une marque est considéré comme frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention maligne de porter atteinte à des intérêts préexistants ou de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. L’article L712-6 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle stipule que : « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. » Ainsi, l’intention frauduleuse consiste dans la connaissance, par le déposant, de l’existence d’un signe utilisé par un concurrent comme signe distinctif pour identifier un de ses produits ou une de ses activités. Dans le cas présent, la SNC GEO soutient que madame [I] [T] a déposé les marques « J.O 1946 » et « GEO 1946 » en connaissance de ses droits antérieurs, ce qui pourrait constituer une fraude. Cependant, le tribunal a constaté que l’intention frauduleuse n’était pas avérée, notamment en raison de l’autorisation donnée à madame [I] [T] d’utiliser le terme « GEO » pour son commerce, ce qui exclut la possibilité d’une fraude. Quelles sont les implications de la concurrence déloyale selon le Code civil ?La concurrence déloyale est régie par l’article 1240 du Code civil, qui dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Pour qu’il y ait concurrence déloyale, il faut démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité direct entre les deux. La faute en matière de concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe général de libre concurrence, qui permet à tout commerçant d’attirer la clientèle de ses concurrents, tant qu’il n’y a pas de droit privatif sur le produit. Dans cette affaire, la SNC GEO a allégué que la société NOU a usurpé son identité et son histoire, mais le tribunal a jugé qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les dénominations « J.O 1946 » et « Chez Geo », ce qui a conduit au rejet des demandes de la SNC GEO. Quels sont les critères pour établir un risque de confusion entre deux marques ?Le risque de confusion entre deux marques est évalué en fonction de plusieurs critères, notamment la similitude des signes, la nature des produits ou services, et le public cible. Le tribunal a noté que les dénominations « J.O 1946 » et « Chez Geo » ne présentent pas de similitude phonétique ou visuelle, ce qui réduit le risque de confusion. De plus, les deux sociétés exercent leurs activités dans des zones géographiques distinctes, ce qui diminue encore la probabilité que les consommateurs soient trompés. L’absence de similitude entre les signes et la distance géographique entre les deux commerces ont été des éléments déterminants dans la décision du tribunal de rejeter les demandes de la SNC GEO concernant la concurrence déloyale. Quelles sont les conséquences d’une décision de rejet des demandes en contrefaçon de marque ?Lorsqu’une cour rejette des demandes en contrefaçon de marque, cela signifie que le demandeur n’a pas réussi à prouver que ses droits sur la marque étaient violés. Dans ce cas, la SNC GEO a été déboutée de ses demandes de transfert et d’annulation des marques « J.O 1946 » et « GEO 1946 », ainsi que de ses demandes d’interdiction d’utilisation de ces dénominations. Cela implique également que la société NOU et madame [I] [T] conservent le droit d’utiliser ces marques, ce qui peut avoir des implications significatives sur la concurrence dans le secteur. En outre, la SNC GEO a été condamnée à payer des frais de justice à la société NOU et à madame [I] [T], ce qui souligne les conséquences financières d’une action en justice non fondée. Le tribunal a également noté qu’il n’y avait pas de circonstances justifiant l’exécution provisoire du jugement, ce qui signifie que la décision est immédiatement applicable. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n°
22/01609
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 24/ DU 26 Septembre 2024
Enrôlement : N° RG 22/01609 – N° Portalis DBW3-W-B7F-ZQPZ
AFFAIRE : S.N.C. GEO (SCP BBLM)
C/ Mme [I] [T] et autre (SCP CABINET PIETRA & ASSOCIES)
DÉBATS : A l’audience Publique du 27 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, en qualité de Juge Rapporteur, en application des articles 804 et 805 du CPC, avec l’accord des parties, les avocats avisés ne s’y étant pas opposés, a présenté son rapport à l’audience avant les plaidoiries et en a rendu compte au Tribunal dans son délibéré, et JOUBERT Stéfanie, Juge assesseur
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
Vu le rapport fait à l’audience
À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 26 Septembre 2024
Après délibéré entre :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Société GEO
SNC immatriculée au RCS de FREJUS sous le n° 340 975 283, dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Olivier TARI de la SCP BBLM, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par la SELARL STOULS & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON
C O N T R E
DEFENDERESSES
Madame [I] [T]
née le 10 Février 1976 à [Localité 2] (83)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
Société NOU
SA au capital de 10.000 € immatriculée au RCS de FREJUS n° 893 080 150, dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentées par Maître Jean-Philippe NOUIS de la SCP CABINET PIETRA & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Faits et procédure :
La société SNC GEO (ci-après GEO) exploite, sous cette dénomination, une activité de « vente de crèmes glacées, sorbets, glaces et fabrication », dont elle assure la promotion notamment via sa page Facebook « maitreglaciergeo ». Son fonds de commerce se situe à Saint Maxime depuis le 1er juillet 1946, monsieur [Z] [T] ayant apporté son fonds à la SNC le 1er janvier 1987.
La SNC GEO a pour gérant actuel monsieur [B] [T].
Le 27 février 2020 madame [I] [T] a déposé la marque verbale « J.O 1946 » n°204628190 pour les produits et services en classe 30.
Le 18 juillet 2020 madame [I] [T] a déposé la marque verbale « GEO 1946 » n°204667304 pour les produits et services en classe 30.
Madame [I] [T] a créé le 18 janvier 2021 la SAS NOU, dont le nom commercial est J.O.1946, exerçant la même activité, à [Localité 6]. La SAS NOU exploite également une page Facebook « [03] » et un site internet « [04] ».
Le 16 juin 2021 la SNC GEO a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Fréjus sur le fondement du trouble manifestement illicite, afin que la SAS NOU soit condamnée à cesser toute utilisation de la dénomination J.O.1946 et la qualification de « maître glacier » et à lui payer une provision. Ces demandes ont été rejetées par ordonnance du 20 décembre 2021.
Par acte d’huissier de justice du 15 février 2022 la SNC GEO a fait assigner au fond madame [I] [T] et la SAS NOU.
Demandes et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 19 mars 2024 la SNC GEO demande au tribunal, au titre de la contrefaçon de marque :
d’ordonner le transfert de propriété des marques verbales « J.O 1946 » n°204628190 et « GEO 1946 » n°204667304 enregistrées le 27 février 2020 et le 18 juillet 2020 par madame [I] [T] au profit de la SNC GEO ;d’interdire à madame [I] [T] et à la société NOU SAS dont elle est la dirigeante tout usage de la dénomination GEO 1946 et J.O 1946 à quelque titre que ce soit sous quelque forme que ce soit pour tous produits et services identiques, similaires et complémentaires aux produits et services de la SNC GEO ; de condamner madame [I] [T] à lui payer la somme de 30.000 € de dommages et intérêts ;d’ordonner à la société NOU SAS de communiquer à la SNC GEO, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement : tous documents faisant apparaître les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées des glaces J.O ; le nombre et le lieu de points de vente des glaces J.O ; le chiffre d’affaires réalisé par la société NOU SAS depuis sa création le 18 janvier 2021 ; le chiffre d’affaires réalisé par point de vente depuis le 18 janvier 2021.A titre subsidiaire la SNC GEO demande :
l’annulation des marques verbales « J.O 1946 » n°204628190 et « GEO 1946 » n°204667304 enregistrées le 27 février 2020 et le 18 juillet 2020 ;la condamnation de madame [I] [T] à lui payer la somme de 30.000 € de dommages et intérêts ;la communication sous astreinte, par la société NOU, de tous documents faisant apparaître les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées des glaces J.O ; le nombre et le lieu de points de vente des glaces J.O ; le chiffre d’affaires réalisé par la société NOU SAS depuis sa création le 18 janvier 2021 ; le chiffre d’affaires réalisé par point de vente depuis le 18 janvier 2021.la publication du jugement au registre national des marques.La société GEO demande encore au tribunal, au titre de la concurrence déloyale :
d’enjoindre à la SAS NOU de cesser définitivement toute utilisation de la dénomination « J.O 1946 » et de la qualification de « Maître Glacier », sous quelque forme et à quelque titre que ce soit et de justifier de la modification de sa dénomination sociale, de l’abandon de son nom de domaine et de la fermeture de sa page Facebook ;de condamner la société NOU à lui payer la somme de 30.000 € de dommages et intérêts pour le trouble commercial direct constitutif d’un préjudice causé par les faits de concurrence déloyale qui lui sont imputables ; d’ordonner à la société NOU SAS de communiquer à la SNC GEO, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement : tous documents faisant apparaître les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées des glaces J.O ; le nombre et le lieu de points de vente des glaces J.O, ; le chiffre d’affaires réalisé par la société NOU SAS depuis sa création le 18 janvier 2021 ; le chiffre d’affaires réalisé par point de vente depuis le 18 janvier 2021.Elle demande enfin la condamnation in solidum de madame [I] [T] et de la société NOU à lui payer la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la société GEO fait valoir que les marques verbales « J.O 1946 » n°204628190 et « GEO 1946 » n°204667304 enregistrées le 27 février 2020 et le 18 juillet 2020 ont été déposées en fraude de ses droits, dès lors qu’il a été fait dans l’intention de la priver de la possibilité d’exploiter son enseigne et sa raison sociale, exploitées respectivement depuis 1946 et 1987, que madame [I] [T] l’a fait en toute connaissance de cause dans la mesure où elle est la petite-fille du fondateur [Z] [T], tout comme monsieur [B] [T], que seul ce dernier a racheté les parts sociales de leur grand-père dont il est d’ailleurs le seul détenteur du savoir-faire, que les sociétés GEO et NOU exercent toutes deux une activité principale de glacier dans deux communes proches l’une de l’autre, que la société NOU fournit également des glaces à plusieurs restaurateurs de [Localité 7], que madame [T] ne respecte donc pas dans ces conditions l’autorisation qui lui a été donnée le 27 mars 2012 d’exploiter un commerce de glace à l’enseigne « GEO » hors de [Localité 7].
La société GEO reproche en outre à la société NOU de se prévaloir du titre de maître glacier, alors qu’aucun de ses deux associés ne disposent des qualifications nécessaires, pas plus que le salarié pâtissier embauché depuis le 1er mai 2021, de se référer à l’héritage de [Z] [T] qui n’est pas le fondateur de cette société et à une date de création en 1946 qui ne correspond pas à la date de son immatriculation, rappelant que la société NOU n’est pas partie à l’accord du 27 mars 2012 et que cet accord n’autorise pas madame [T] à s’approprier son histoire et ses signes distinctifs, ni à se livrer à des actes de commerce à [Localité 7]. Elle ajoute que la société NOU commercialise une glace appelée « jour et nuit » identique à celle qu’elle vend elle-même, qu’elle utilise un logo semblable au sien, et ce dans les conditions de nature à créer la confusion dans l’esprit du consommateur.
La société GEO déduit de ces éléments que madame [T], lors du dépôt de ses marques, avait connaissance de ses droits antérieurs sur les signes en cause, et que le dépôt est donc frauduleux, et que la société NOU s’est livrée à des actes de concurrence déloyale en usurpant l’histoire et l’identité de la SNC GEO et l’héritage moral de [Z] [T] dans des conditions de nature à créer un risque de confusion.
À titre subsidiaire elle soutient que ces marques sont nulles en ce qu’elles portent atteinte à une dénomination sociale antérieure. La société GEO affirme à ce titre que le risque de confusion est avéré, dès lors qu’elle a commencé son activité avant le dépôt de la marque « GEO 1946 », dont l’élément principal est le mot « GEO », l’année 1946 étant celle de sa création, et que les produits et services proposés par elle-même et la société NOU sont identiques.
Madame [I] [T] et la société NOU ont conclu le 12 avril 2024 au rejet des demandes formées à leur encontre, à la condamnation de la société GEO à leur payer les sommes respectives de 20.000 € et 10.000 € de dommages et intérêts au titre des tracas occasionnés, du préjudice moral et du préjudice financier subis par elles, outre 5.000 € chacune pour procédure abusive et 5.000 € chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Subsidiairement elles concluent à la réduction des sommes pouvant être allouées à la société GEO et à ce que l’exécution provisoire du jugement soit écartée.
Elles exposent que madame [T] n’a déposé les marques en cause qu’afin de protéger l’héritage de [Z] [T], que la société GEO exploite son fonds sous l’enseigne « Chez GEO » alors que la société NOU exploite le sien sous l’enseigne « JO 1946 », qu’il n’y a dès lors pas de risque de confusion, que le 27 mars 2012 monsieur [O] [T], leur oncle, et monsieur [B] [T] ont autorisé madame [I] [T] à créer un fonds de commerce à l’enseigne GEO, que les dénominations JO 1946 et GEO étaient donc libres au moment du dépôt des marques, que l’ajout de la date 1946 est une référence à [Z] [T], que cet acte ne précise pas sous quelle forme madame [I] [T] pouvait exploiter ce fonds, et que la société NOU est donc légitime à exploiter cette dénomination.
Sur l’utilisation des recettes et appellations, la société NOU indique être spécialisée dans le secteur d’activité de « la fabrication et ventes à emporter de glaces, crèmes glacées, sorbets, fruits givrés, vacherins, bûches glacées, pâtisserie, boissons non alcoolisées, plats à emporter et sandwich », à [Localité 6], alors que la société GEO exploite une activité de « vente de crèmes glacées, sorbets, glaces et fabrication » à [Localité 7]. Elle précise qu’elle emploie des produits et des employés dans des conditions propres à lui permettre de revendiquer la qualité de maître artisan, que la société GEO n’a pas qualité pour contrôler la qualification de maître glacier, que les deux sociétés en cause utilisant cette appellation elle ne procure aucun avantage compétitif, et que la SNC GEO ne justifie de son droit à l’utiliser.
La société NOU expose encore que l’accord de 2012 autorise madame [T] à utiliser la référence à [Z] [T], qui est en tout état de cause également son grand-père, rappelant que cet accord ne précise pas sous quelle forme peut être exploité le fonds de commerce de madame [T].
Madame [T] et la société NOU ajoutent que le préjudice dont se prévaut la SNC GEO n’est pas démontré.
Sur la demande de nullité des marques madame [T] soutient qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les signes en cause dès lors qu’ils désignent des produits différents, que les deux sociétés ont des objets sociaux différents, que leurs dénominations ne sont pas les mêmes et qu’elles exercent dans des zones géographiques distinctes. Sur la vente de produits à l’enseigne JO dans des restaurants de [Localité 7], madame [T] et la société NOU indique n’avoir aucun lien avec ces établissements.
Sur les actes de concurrence déloyale, la société NOU conteste toute faute de sa part en l’état de l’autorisation de 2012, et de la différence d’activité, de dénomination et de zone de chalandise entre elle-même et la société GEO. Elle fait valoir en outre que la socité GEO ne démontre pas le préjudice qu’elle aurait subi depuis 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2024.
Sur les demandes au titre du dépôt frauduleux de marque :
L’article L712-6 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. »
Le dépôt d’une marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention maligne de porter atteinte à des intérêts préexistants ou de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité et que l’intention frauduleuse consiste dans la connaissance, par le déposant, de l’existence d’un signe utilisé par un concurrent comme signe distinctif pour identifier un de ses produits ou une de ses activités.
Madame [I] [T] a déposé la marque verbale « J.O 1946 » n°204628190 pour les produits et services en classe 30 le 27 février 2020 et la marque verbale marque verbale « GEO 1946 » n°204667304 pour les produits et services en classe 30 le 18 juillet 2020.
A ces dates, la société GEO exploitait déjà un fonds de commerce à [Localité 7], en utilisant le nom commercial « Chez Geo » ainsi qu’il résulte de son extrait Kbis. Ce fonds de commerce, créé le 1er juillet 1946, a été apporté à la SNC GEO à compter du 21 mars 1999. Monsieur [B] [T] est l’actuel gérant de cette SNC dont il détient par ailleurs l’ensemble des parts depuis le 5 juin 2018.
Or il résulte d’un acte sous seing privé en date du 27 mars 2012 que monsieur [B] [T] et monsieur [O] [T], alors associés de la SNC GEO, ont donné l’autorisation à madame [I] [T] de « créer un fonds de commerce de glace qui sera dénommé GEO, mais qui ne devra pas être exploité dans un commerce qui sera situé sur la commune de [Localité 7] ».
Selon les procès-verbaux de constat d’huissier de justice produits aux débats, en particulier celui du 20 avril 2021, le fonds de commerce exploité par madame [I] [T], au moyen de la SARL NOU, se trouve à [Localité 6], donc en dehors de la commune de [Localité 7]. De surcroît il est à l’enseigne « J.O 1946 ». La même dénomination est encore employée sur le site internet et la page Facebook à laquelle il renvoi selon le procès verbal du 7 mai 2021. En revanche aucun lien ne peut être fait entre ce site et cette page, d’une part, et la page Facebook « glacier Geo » recherchée directement par l’huissier en renseignant ces termes dans un moteur de recherche. Ce site internet et ces pages Facebook objets du procès-verbal de constat du 7 mai 2021 ne proposent pas de livraison de glaces mais ne font référence qu’à un point de vente à [Localité 6].
La marque verbale « J.O 1946 » ne présente aucune similitude avec la dénomination « chez Geo ». Son dépôt ne peut avoir été fait dans l’intention de priver la SNC GEO d’un signe nécessaire à son activité.
La marque verbale « GEO 1946 » présente pour sa part une similitude avec la dénomination « chez Geo », les premiers termes étant identiques. Néanmoins l’intention frauduleuse est encore ici exclue en particulier au vu des termes de l’autorisation du 27 mars 2012 qui a laissé la liberté à madame [T] d’utiliser le terme « GEO » pour exercer son commerce de glaces hors de [Localité 7], sans exclure le dépôt d’une marque.
Dès lors les demandes relatives au transfert et à l’annulation de ces marques, y compris les demandes indemnitaires et celles de communication d’informations devront être rejetées.
Les demandes tendant à interdire de façon générale à madame [I] [T] et à la société NOU SAS dont elle est la dirigeante tout usage de la dénomination GEO 1946 et J.O 1946 à quelque titre que ce soit sous quelque forme que ce soit pour tous produits et services identiques, similaires et complémentaires aux produits et services de la SNC GEO, devront également être rejetées en ce qu’elles se heurtent aux termes de l’accord précité.
Sur la concurrence déloyale :
La concurrence déloyale et le parasitisme consacrent des fautes susceptibles, dans les conditions fixées par l’article 1240 du Code civil, d’engager la responsabilité civile de leur auteur.
Ils supposent la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien de causalité direct avec celle-ci.
La faute en matière de concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe général de libre concurrence qui est un principe fondamental des rapports commerciaux. Elle implique que tout commerçant a la possibilité d’attirer à lui la clientèle de ses concurrents sans que ceux-ci puissent le lui reprocher, de vendre des produits similaires à ceux d’un concurrent ou même identiques en l’absence de droit privatif dans la mesure où tout produit qui n’est pas l’objet d’un droit privatif est en principe dans le domaine public, et de vendre des produits similaires ou identiques de qualité moindre à un prix inférieur. Ainsi, même si la reprise procure à celui qui la pratique des économies, elle ne saurait à elle seule être tenue pour fautive sauf à vider de toute substance le principe de liberté ci-dessus rappelé.
Il appartient donc au commerçant qui se plaint d’une concurrence déloyale de démontrer le caractère déloyal des méthodes développées par son concurrent.
Il en va de même du parasitisme qui suppose de démontrer l’existence d’actes de captation indue des efforts et investissements du concurrent.
Enfin et surtout, le demandeur doit démontrer l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle.
Il a déjà été vu ci-dessus qu’il n’existait pas de similitude entre la dénomination « J.O 1946 » et la dénomination « Chez Geo », celles-ci se prononçant et s’écrivant différemment.
Ce risque de confusion est d’autant moindre que la société GEO et la société NOU exercent leurs activités dans deux communes différentes distantes de 15 kilomètres et qu’il n’est n’a pas démontré en quoi un consommateur se trouvant à [Localité 7] pourrait être trompé dans le choix d’une crème glacée par un commerçant situé de l’autre côté du golfe de [Localité 6].
Il ne peut donc pas être fait interdiction à la société NOU d’utiliser la dénomination sociale « J.O 1946 », y compris sur ses supports de communication numérique.
Sur l’utilisation de la qualification de « maître glacier » par la société NOU, l’avantage compétitif qui pourrait en résulter n’est pas démontré dès lors que la SNC GEO utilise elle-même cette qualification et qu’elle ne rapporte pas la preuve qu’une partie de sa clientèle se serait détournée d’elle au profit de la société NOU depuis 2021.
La demande tendant à l’interdiction d’utiliser la qualification de maître glacier sera donc également rejetée.
La société GEO démontre, par la production de procès-verbaux de constat de commissaire de justice en date des 28 janvier, 11 et 12 avril 2023 qu’ont des glaces de marque « J.O 1946 » auprès de quatre établissements de restauration situés à [Localité 7], marque dont madame [I] [T] est titulaire et qu’elle exploite au moyen de la société NOU dont elle est l’associée et la présidente.
Là encore l’absence de similitude entre les signes respectifs utilisés par les parties pour leurs activités commerciales est exclusif d’un risque de confusion dans l’esprit du consommateur attiré par les glaces « chez Géo ».
De plus ces ventes ne concernent pas, selon les énonciations de ces procès-verbaux, la glace dite « jour et nuit » que la SNC GEO présente comme son produit-phare, ce qui est encore de nature à réduire le risque de confusion.
Enfin il n’est pas démontré en quoi l’ajout de la date 1946 représenterait un avantage commercial, ou serait de nature à induire un risque d’erreur chez le consommateur ignorant de l’histoire de la famille [T] et des circonstances de la création du fonds de commerce par [Z] [T].
En conséquence les demandes au titre de la concurrence déloyale seront également rejetées.
Sur les demandes reconventionnelles :
La société NOU et madame [T] demandent à ce titre la condamnation de la société GEO à leur payer les sommes respectives de 20.000 € et 10.000 € de dommages et intérêts au titre des tracas occasionnés, du préjudice moral et du préjudice financier subis par elles, outre 5.000 € chacune pour procédure abusive, sans toutefois démontrer ni l’existence ni l’étendue du dommage qu’elles allèguent autrement que par de simples affirmations. Le seul fait que la SNC GEO ait déjà formé devant le juge des référés du tribunal de commerce de Fréjus des demandes similaires au titre de la concurrence déloyale, rejetées par ordonnance du 20 décembre 2021, n’est pas susceptible de caractériser le caractère abusif de la présente instance, pas plus que le fait que les demandes de la SNC GEO ont été rejetées.
La société NOU et madame [T] seront donc déboutées de leurs demandes reconventionnelles.
Sur les autres demandes :
La SNC GEO, qui succombe à l’instance, en supportera les dépens. Elle sera encore condamnée à payer à la société NOU et à madame [I] [T] la somme totale de 3.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’existe aucune circonstance de nature à écarter l’exécution provisoire attachée de plein droit au présent jugement. Il n’y a donc pas lieu de statuer par une disposition particulière sur ce point.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Déboute la SNC GEO de ses demandes ;
Déboute la SAS NOU et madame [I] [T] de leurs demandes reconventionnelles ;
Condamne la SNC GEO à payer à la SAS NOU et à madame [I] [T] la somme totale de 3.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SNC GEO aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE VINGT SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Laisser un commentaire