Lutte contre les propos haineux en ligne : censure du Conseil constitutionnel

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Lutte contre les propos haineux en ligne : censure du Conseil constitutionnel

 Par sa Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020 le Conseil constitutionnel a censuré de nombreuses dispositions de la Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Le  Conseil a censuré des dispositions portant à la liberté d’expression des atteintes qui ne sont pas adaptées, nécessaires et proportionnées.

Sanction des abus de la liberté d’expression

S’il est loisible au législateur d’instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, certaines obligations faites par la loi déférée à des opérateurs de retirer des contenus à caractère haineux ou sexuel diffusés en ligne ont été jugées inconstitutionnelles.

Obligation de retrait de contenus

Le Conseil constitutionnel a censuré deux séries de dispositions instituant à la charge de différentes catégories d’opérateurs de services de communication en ligne de nouvelles obligations de retrait de certains contenus diffusés en ligne. En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, le droit à la liberté d’expression implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.

Appréciation de l’abus

Le Conseil a aussi censuré la disposition permettant à l’autorité administrative de demander aux hébergeurs ou aux éditeurs d’un service de communication en ligne de retirer certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique et prévoyant, en cas de manquement de leur part à cette obligation, l’application d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.

D’une part, la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne repose pas sur leur caractère manifeste. Elle est soumise à la seule appréciation de l’administration. D’autre part, l’engagement d’un recours contre la demande de retrait n’est pas suspensif et le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d’obtenir une décision du juge avant d’être contraint de le retirer. Enfin, l’hébergeur ou l’éditeur qui ne défère pas à cette demande dans ce délai peut être condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et à 250 000 euros d’amende. Cette atteinte à la liberté d’expression et de communication n’est ni adaptée, ni nécessaire ni proportionnée au but poursuivi.

Retrait en 24 heures des contenus manifestement illicites

Le Conseil constitutionnel a également censuré le paragraphe II de l’article 1er de la loi déférée, imposant à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus manifestement illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel. En adoptant ces dispositions, le législateur a voulu prévenir la commission d’actes troublant gravement l’ordre public et éviter la diffusion de propos faisant l’éloge de tels actes. Il a ainsi entendu faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers (dixit l’affaire Benjamin Griveaux).

Toutefois, en premier lieu, l’obligation de retrait s’impose à l’opérateur dès lors qu’une personne lui a signalé un contenu illicite en précisant son identité, la localisation de ce contenu et les motifs légaux pour lesquels il est manifestement illicite. Elle n’est pas subordonnée à l’intervention préalable d’un juge ni soumise à aucune autre condition. Il appartient donc à l’opérateur d’examiner tous les contenus qui lui sont signalés, aussi nombreux soient-ils, afin de ne pas risquer d’être sanctionné pénalement.

En deuxième lieu, s’il appartient aux opérateurs de plateforme en ligne de ne retirer que les contenus manifestement illicites, le législateur a retenu de nombreuses qualifications pénales justifiant le retrait de ces contenus. En outre, son examen ne doit pas se limiter au motif indiqué dans le signalement. Il revient en conséquence à l’opérateur d’examiner les contenus signalés au regard de l’ensemble de ces infractions, alors même que les éléments constitutifs de certaines d’entre elles peuvent présenter une technicité juridique ou, s’agissant notamment de délits de presse, appeler une appréciation au regard du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause.

En troisième lieu, le législateur a contraint les opérateurs de plateforme en ligne à remplir leur obligation de retrait dans un délai de vingt-quatre heures. Or, compte tenu des difficultés précitées d’appréciation du caractère manifeste de l’illicéité des contenus signalés et du risque de signalements nombreux, le cas échéant infondés, un tel délai est particulièrement bref.

En quatrième lieu, s’il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu prévoir au dernier alinéa du paragraphe I du nouvel article 6-2 une cause exonératoire de responsabilité pour les opérateurs de plateforme en ligne, celle-ci, selon laquelle « Le caractère intentionnel de l’infraction … peut résulter de l’absence d’examen proportionné et nécessaire du contenu notifié » n’est pas rédigée en des termes permettant d’en déterminer la portée. Aucune autre cause d’exonération de responsabilité spécifique n’est prévue, tenant par exemple à une multiplicité de signalements dans un même temps.

En dernier lieu, le fait de ne pas respecter l’obligation de retirer ou de rendre inaccessibles des contenus manifestement illicites est puni de 250 000 euros d’amende. En outre, la sanction pénale est encourue pour chaque défaut de retrait et non en considération de leur répétition.

Risque de retrait systématique

Compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

Questions / Réponses juridiques

Quelles dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans la Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet ?

Le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions de la Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, en particulier celles qui portaient atteinte à la liberté d’expression.

Ces dispositions imposaient des obligations aux opérateurs de services de communication en ligne pour retirer des contenus jugés haineux ou sexuels. Le Conseil a estimé que ces obligations n’étaient pas adaptées, nécessaires ou proportionnées, ce qui a conduit à leur annulation.

Il a souligné que le législateur pouvait établir des mesures pour lutter contre les abus de la liberté d’expression, mais que celles-ci devaient respecter les droits fondamentaux, notamment la liberté d’accès et d’expression sur les plateformes en ligne.

Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il jugé inconstitutionnelles les obligations de retrait de contenus ?

Le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelles les obligations de retrait de contenus pour plusieurs raisons.

Premièrement, il a noté que la détermination du caractère illicite des contenus ne reposait pas sur des critères clairs et manifestes, mais était laissée à l’appréciation de l’administration. Cela pouvait mener à des abus et à des décisions arbitraires.

Deuxièmement, le délai d’une heure accordé aux opérateurs pour retirer un contenu ne leur permettait pas d’obtenir une décision judiciaire avant d’agir, ce qui compromettait leur droit à un recours effectif.

Enfin, les sanctions prévues en cas de non-respect de ces obligations étaient jugées excessives et disproportionnées par rapport aux objectifs visés.

Quelles étaient les implications de l’obligation de retrait dans un délai de 24 heures ?

L’obligation de retirer des contenus manifestement illicites dans un délai de 24 heures a soulevé plusieurs préoccupations.

D’une part, cette obligation était imposée dès qu’un contenu était signalé, sans qu’un juge n’intervienne au préalable. Cela plaçait une pression énorme sur les opérateurs pour qu’ils examinent rapidement un grand nombre de signalements, ce qui pouvait mener à des erreurs de jugement.

D’autre part, le législateur avait défini de nombreuses infractions justifiant le retrait, ce qui compliquait encore l’évaluation des contenus. Les opérateurs devaient donc naviguer dans un cadre juridique complexe, souvent sans les ressources nécessaires pour le faire efficacement.

Le délai de 24 heures était jugé trop court, compte tenu des difficultés d’appréciation et du risque de signalements abusifs.

Quels risques le Conseil constitutionnel a-t-il identifiés concernant le retrait systématique de contenus ?

Le Conseil constitutionnel a identifié un risque significatif de retrait systématique de contenus en raison des dispositions contestées.

Les opérateurs de plateforme en ligne, face à la menace de sanctions pénales pour chaque manquement, pourraient être incités à retirer tout contenu signalé, qu’il soit manifestement illicite ou non.

Cette situation pourrait créer un climat de censure où les opérateurs, par crainte de sanctions, choisiraient de supprimer des contenus qui relèvent de la liberté d’expression, portant ainsi atteinte à ce droit fondamental.

Le Conseil a conclu que ces dispositions n’étaient pas nécessaires, adaptées ou proportionnées, ce qui justifiait leur censure.


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