Listes d’abonnés : abus de position dominante d’Orange

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Listes d’abonnés : abus de position dominante d’Orange

L’Essentiel : L’affaire Lectiel contre Orange illustre un abus de position dominante sur le marché du marketing direct. Après 23 ans de procédures, la Cour de cassation a confirmé qu’Orange avait entravé l’accès de Lectiel à sa base annuaire expurgée, essentielle pour ses activités. En proposant un service payant, Marketis, à des tarifs prohibitifs, Orange a empêché la concurrence, nuisant ainsi à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Ce comportement anticoncurrentiel a été jugé fautif, car il ne respectait pas les principes de concurrence loyale, privant les consommateurs de services innovants et accessibles.

Conditions tarifaires qualifiées d’abus de position dominante

23 années de procédure ont amené la Cour de cassation, à se prononcer (à nouveau), sur l’affaire Lectiel / Orange (CA Paris, 27 mai 2015).  La société Lectiel, depuis en liquidation judiciaire, qui a pour activité la commercialisation de fichiers en vue d’opérations de publipostage et de télémercatique (marketing direct), commercialisait notamment les données contenues dans la base annuaire de la société Orange. La société a demandé à Orange de lui communiquer la liste des personnes qui s’étaient inscrites pour ne pas faire l’objet de sollicitations commerciales.  L’opérateur avait refusé cette communication au motif qu’elle lui était interdite, mais a proposé à la société Lectiel de recourir à son service spécifique « Marketis » qui lui permettrait, moyennant une certaine somme, d’avoir accès aux données expurgées de l’annuaire. En imposant à ses concurrents de recourir à un service payant, à des tarifs élevés, il a été jugé qu’Orange avait abusé de sa position dominante.  La pratique d’abus de position dominante de l’opérateur avait empêché ou rendu plus difficile l’entrée sur le marché du marketing direct de la société Lectiel. Privée de l’accès à la base annuaire expurgée à des prix raisonnables, celle-ci n’a pu fournir ce service sur ce marché ou du moins à des prix compétitifs.

Faute civile et pratiques anticoncurrentielles

Si une entreprise en position dominante peut effectivement préserver ses intérêts commerciaux, et refusée de vendre si la demande repoussée présente un caractère anormal, à condition que son comportement soit proportionné à la menace et ne vise pas à renforcer sa position dominante ou à en abuser, ces conditions n’étaient pas réunies en l’espèce. L’opérateur ne pouvait pas justifier son refus d’accès à sa base annuaire à des tarifs raisonnables, aux motifs que la société Lectiel se livrait à un piratage systématique de cette ressource. Il n’appartient pas en effet à une entreprise de se faire justice à elle-même et ses pratiques anticoncurrentielles ne sauraient être exonérées par des moyens de « légitime défense ».

Comme l’a rappelé le Tribunal de première instance de l’Union (TPUE, 15/3/2000, Cimenterie CBR SA e. a. contre Commission des Communautés européennes, T-25/95) : « Des entreprises ne sauraient justifier une infraction aux règles de concurrence en prétextant qu’elles y ont été poussées par le comportement d’autres opérateurs économiques ».

Cette pratique anticoncurrentielle est constitutive de faute civile dès lors qu’elle consiste non pas dans le refus d’Orange de fournir la liste des inscriptions en liste orange, cette fourniture lui étant interdite, mais dans la fourniture d’accès à la liste expurgée à des conditions anticoncurrentielles. Le refus opposé par Lectiel à la proposition de l’opérateur d’accès à sa base annuaire, via le service Marketis, ne pouvait ôter à cette pratique son caractère fautif, la base étant fournie à un prix excessivement élevé.

Historique de l’affaire Lectiel

Il avait été définitivement jugé par la cour de cassation (CC, ch. com, 4/12/2001), que la société France Telecom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la liste des abonnés au téléphone de 1992 à 1999, marché sur lequel elle était en situation de monopole, en refusant l’accès à cette base annuaire expurgée des abonnés en liste orange, ressource indispensable et essentielle à ses concurrents pour fournir des services sur le marché aval du marketing direct. L’accès à cette base annuaire s’avérait indispensable pour la confection de fichiers, cette base complète et mise à jour quotidiennement n’ayant pas de substituts et la faculté d’obtenir des données expurgées des coordonnées des abonnés de la liste orange étant également primordiale, en raison des condamnations pénales encourues par les opérateurs en cas de confection de fichiers non expurgés.

La fourniture pure et simple de la liste orange étant prohibée, il appartenait à France Telecom de concevoir un dispositif de topage ou un fichier expurgé à des tarifs praticables pour ses concurrents sur le marché aval du marketing direct. Or, France Telecom avait fourni ces prestations à des tarifs excessivement élevés (offre Marketis), équivalents aux tarifs pratiqués par France Telecom sur le marché du marketing direct, ce qui équivalait à un refus de vente. Ces tarifs, qui ne garantissaient aucune marge aux entrants potentiels sur le marché aval ont conduit à l’éviction des opérateurs concurrents sur le marché du marketing direct et a privé les consommateurs finals de services nouveaux et innovants. Les preuves de cette pratique remontaient déjà à 1991, date à laquelle la société Filetech (Lectiel) avait mis en demeure France Telecom de lui remettre sous 48 heures la liste des personnes figurant sur liste orange, demande à laquelle France Telecom avait notifié son refus.

Indépendamment de la responsabilité civile de l’opérateur, l’Autorité de la concurrence avait qualifié cette pratique de refus d’accès à une infrastructure essentielle et de ciseau tarifaire contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et à l’article 82 du traité (devenu 102 du TFUE). En effet, en dehors de toute considération de droits de propriété intellectuelle, un opérateur, en position dominante sur le marché d’une infrastructure ou d’une facilité indispensable pour exercer une activité sur un marché aval, qui ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents, commet un refus d’accès anticoncurrentiel, si ce refus ne reçoit pas de justifications objectives, et s’il en résulte d’une part, l’impossibilité de mettre sur le marché un produit nouveau correspondant à un besoin des consommateurs, ou la limitation du développement technique au préjudice des consommateurs et d’autre part, l’occasion pour le détenteur de cette infrastructure, de se réserver un monopole sur le marché dérivé.

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Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions tarifaires qualifiées d’abus de position dominante dans l’affaire Lectiel / Orange ?

L’affaire Lectiel / Orange a mis en lumière des pratiques tarifaires jugées abusives par la Cour de cassation. La société Lectiel, qui commercialisait des fichiers pour le marketing direct, a demandé à Orange l’accès à une liste d’abonnés ayant choisi de ne pas recevoir de sollicitations commerciales.

Orange a refusé cette demande, arguant que la communication de ces données lui était interdite. Cependant, l’opérateur a proposé à Lectiel d’accéder à ces informations via son service payant « Marketis », à des tarifs jugés excessifs.

Cette situation a été interprétée comme un abus de position dominante, car Orange a imposé des conditions d’accès qui ont entravé la concurrence sur le marché du marketing direct. En conséquence, Lectiel n’a pas pu offrir ses services à des prix compétitifs, ce qui a eu un impact négatif sur sa capacité à entrer sur le marché.

Comment la faute civile est-elle liée aux pratiques anticoncurrentielles dans cette affaire ?

La faute civile dans cette affaire est intrinsèquement liée aux pratiques anticoncurrentielles d’Orange. Bien qu’une entreprise en position dominante puisse refuser de vendre dans certaines circonstances, ce refus doit être justifié et proportionné.

Dans le cas d’Orange, le refus d’accès à sa base annuaire à des tarifs raisonnables n’était pas justifié par des preuves de piratage de la part de Lectiel. La Cour a souligné que l’opérateur ne pouvait pas se faire justice lui-même et que ses pratiques anticoncurrentielles ne pouvaient être excusées par des moyens de « légitime défense ».

Ainsi, le refus d’Orange de fournir un accès à des conditions équitables a été considéré comme une faute civile, car il a eu pour effet de restreindre la concurrence et d’entraver l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché.

Quel est l’historique de l’affaire Lectiel et quelles décisions ont été prises par la Cour de cassation ?

L’affaire Lectiel a une longue histoire, remontant à des décisions antérieures de la Cour de cassation. En 2001, il a été établi que France Telecom avait abusé de sa position dominante sur le marché des listes d’abonnés entre 1992 et 1999.

La société avait refusé l’accès à une base annuaire expurgée, essentielle pour les concurrents souhaitant offrir des services de marketing direct. La Cour a jugé que France Telecom devait proposer un accès à cette base à des tarifs raisonnables, mais l’opérateur avait imposé des prix excessifs via son service Marketis.

Cette situation a conduit à l’éviction des concurrents du marché, privant ainsi les consommateurs de services innovants. L’Autorité de la concurrence a également qualifié ces pratiques de refus d’accès à une infrastructure essentielle, ce qui a renforcé la position de France Telecom sur le marché.

Quelles sont les implications de cette affaire pour les pratiques commerciales des entreprises en position dominante ?

Les implications de l’affaire Lectiel / Orange sont significatives pour les entreprises en position dominante. Elle souligne l’importance de respecter les règles de concurrence et d’éviter les pratiques anticoncurrentielles qui peuvent nuire à la concurrence sur le marché.

Les entreprises doivent être conscientes que le refus d’accès à des ressources essentielles, sans justification objective, peut être considéré comme un abus de position dominante. Cela peut entraîner des sanctions juridiques et des dommages à leur réputation.

De plus, cette affaire rappelle que les entreprises doivent adopter des pratiques tarifaires équitables et transparentes, afin de ne pas entraver l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Les décisions de la Cour de cassation et de l’Autorité de la concurrence servent de précédents importants pour les futures affaires liées à la concurrence.


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