L’Essentiel : Monsieur [U] [E] a contesté le refus de prise en charge de sa maladie professionnelle, une sciatique par hernie discale, devant le tribunal judiciaire de Lyon. Malgré les avis des CRRMP concluant à l’absence de lien entre sa maladie et son activité de cuisinier, le tribunal a reconnu que Monsieur [E] avait été exposé à des risques lésionnels en raison de la manutention de charges lourdes. Le 20 janvier 2025, le tribunal a déclaré son recours fondé, ordonnant à la CPAM du Rhône de prendre en charge sa maladie au titre de la législation professionnelle.
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Introduction de la demandeMonsieur [U] [E] a introduit un recours devant le tribunal judiciaire de Lyon le 21 avril 2021, contestando une décision de la commission de recours amiable qui avait refusé la prise en charge de sa maladie professionnelle, une sciatique par hernie discale L5-S1, déclarée le 11 janvier 2020. La commission s’était fondée sur l’avis du CRRMP de [Localité 3], qui n’avait pas établi de lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle de Monsieur [E]. Enquête et avis des CRRMPLa caisse a mené une enquête qui a révélé que, bien que Monsieur [E] ait exercé des activités de cuisinier et ait respecté les délais de prise en charge, les travaux effectués ne figuraient pas sur la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie. Le dossier a été transmis au CRRMP de la région AURA, qui a également conclu, dans un avis du 7 septembre 2020, à l’absence de lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle. Jugement et nouvel avisLe tribunal a, par jugement du 11 mars 2024, désigné le CRRMP de PACA CORSE pour évaluer si la maladie de Monsieur [E] pouvait être directement causée par son travail. Le CRRMP PACA Corse a rendu un avis le 13 juin 2024, concluant également à l’absence de lien direct entre l’affection et le travail habituel de Monsieur [E]. Arguments de Monsieur [E]Monsieur [E] a soutenu qu’il avait été exposé à des risques lésionnels en raison de la manutention de charges lourdes pendant 18 ans dans le cadre de son activité professionnelle. Il a demandé la condamnation de la CPAM à lui verser 1 500 euros en vertu de l’article 700 du CPC. Réponse de la CPAMLa CPAM du Rhône a rétorqué que les avis des CRRMP étaient clairs et concordants, et a demandé le débouté de Monsieur [E] de toutes ses demandes. Motifs de la décisionLe tribunal a rappelé que les avis des CRRMP ne s’imposent pas aux juges, qui doivent évaluer tous les éléments présentés. Il a été établi que Monsieur [E] avait bien déclaré sa maladie et que la pathologie relevait du tableau 98. L’enquête a montré qu’il avait effectué des travaux de manutention manuelle de charges lourdes, ce qui a permis d’établir un lien direct entre sa maladie et son activité professionnelle. Conclusion du jugementLe tribunal a déclaré le recours de Monsieur [E] recevable et fondé, ordonnant à la CPAM du Rhône de prendre en charge la maladie déclarée au titre de la législation professionnelle. Les autres demandes des parties ont été déboutées, et la CPAM a été condamnée aux dépens. Le jugement a été rendu le 20 janvier 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée des avis rendus par les CRRMP dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles ?Les avis rendus par un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) ne s’imposent pas aux juges du fond. En effet, selon la jurisprudence, les juges doivent apprécier la valeur et la portée de l’ensemble des éléments fournis à leur examen, indépendamment des avis des CRRMP. Cela signifie que même si un CRRMP conclut à l’absence de lien entre la maladie et l’activité professionnelle, le tribunal peut, après avoir examiné tous les éléments, décider autrement. Cette indépendance des juges est essentielle pour garantir une évaluation juste et complète des circonstances entourant chaque cas. Il est donc crucial que les juges prennent en compte non seulement les avis des CRRMP, mais aussi les témoignages, les preuves documentaires et les circonstances spécifiques de chaque situation. Quels sont les critères pour qu’une maladie soit reconnue comme maladie professionnelle au titre du tableau n° 98 ?Le tableau n° 98 des maladies professionnelles précise que pour qu’une maladie telle que la sciatique par hernie discale L5-S1 soit reconnue, il faut que la maladie soit causée par des travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes. Ces travaux incluent notamment le chargement, le déchargement, le stockage et la répartition de produits industriels et alimentaires. L’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale stipule que les maladies professionnelles sont celles qui résultent d’une exposition à des risques professionnels. Il est donc nécessaire de prouver que l’activité professionnelle a exposé le salarié à des risques lésionnels, ce qui implique une évaluation des tâches effectuées et des conditions de travail. Dans le cas de Monsieur [E], il a été établi qu’il devait réaliser des manutentions manuelles de charges lourdes dans des postures contraignantes, ce qui pourrait justifier la reconnaissance de sa maladie comme professionnelle. Comment le tribunal a-t-il évalué la demande de prise en charge de la maladie de Monsieur [E] ?Le tribunal a évalué la demande de prise en charge de la maladie de Monsieur [E] en examinant les éléments de preuve fournis, y compris les témoignages et les rapports d’enquête. Il a constaté que Monsieur [E] avait effectivement exercé des activités de manutention manuelle de charges lourdes dans le cadre de son travail, ce qui est un critère essentiel pour la reconnaissance de la maladie professionnelle. Le tribunal a également pris en compte le fait que les avis des CRRMP, bien que concordants, ne sont pas contraignants pour la décision judiciaire. Ainsi, le tribunal a jugé que les éléments présentés par Monsieur [E] étaient suffisants pour établir un lien direct entre sa maladie et son activité professionnelle. En conséquence, il a décidé que la CPAM du Rhône devait prendre en charge la maladie déclarée au titre de la législation professionnelle, conformément à l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale. Quelles sont les implications de la décision du tribunal concernant l’article 700 du CPC ?L’article 700 du Code de procédure civile (CPC) permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais non compris dans les dépens. Cependant, dans le cas présent, le tribunal a décidé que l’équité ne commandait pas d’appliquer cet article. Cela signifie que, bien que Monsieur [E] ait obtenu gain de cause, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’accorder des frais supplémentaires à ce titre. Cette décision peut être interprétée comme une reconnaissance des circonstances particulières de l’affaire, où les avis des CRRMP ont été pris en compte, mais où le tribunal a finalement jugé que les éléments présentés par Monsieur [E] justifiaient la prise en charge de sa maladie. Ainsi, la décision de ne pas appliquer l’article 700 du CPC souligne l’importance de l’équité dans le jugement, même lorsque la partie demandeuse obtient satisfaction. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON
POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :
MAGISTRAT :
ASSESSEURS :
DÉBATS :
PRONONCE :
AFFAIRE :
NUMÉRO R.G :
20 Janvier 2025
Florence AUGIER, présidente
assesseur collège employeur – absent
Marie-José MARQUES, assesseur collège salarié
assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Florence ROZIER, greffière
En l’absence d’un assesseur, le Président a statué seul avec l’accord des parties présentes ou représentées après avoir recueilli l’avis de l’assesseur présent conformément à l’article L.218-1 du COJ.
tenus en audience publique le 12 Novembre 2024
jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 20 Janvier 2025 par le même magistrat
Monsieur [U] [E] C/ CPAM DU RHONE
N° RG 21/00861 – N° Portalis DB2H-W-B7F-VZGG
DEMANDEUR
Monsieur [U] [E]
né le 20 Février 1982 à , demeurant [Adresse 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/019201 du 23/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
représenté par Me Nora TAOULI, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 957
DÉFENDERESSE
CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 6]
comparante en la personne de Madame [O] [J], munie d’un pouvoir
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :
[U] [E]
CPAM DU RHONE
Me Nora TAOULI, vestiaire : 957
Une copie revêtue de la formule exécutoire :
Me Nora TAOULI, vestiaire : 957
Une copie certifiée conforme au dossier
Monsieur [U] [E] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon le 21 avril 2021 d’un recours à l’encontre d’une décision de la commission de recours amiable refusant la prise en charge au titre des maladies professionnelles, tableau n° 98, de la maladie : « sciatique par hernie discale L5-S1 » déclarée le 11 janvier 2020 selon CMI du 24 mai 2019, au motif que l’avis du CRRMP de [Localité 3] qui n’a pas retenu de lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle, s’impose à la caisse.
La caisse a procédé à une enquête dont il est ressorti que si Monsieur [E] qui a exercé des activités de cuisinier au sein du restaurant de l’hôtel [5] à [Localité 4] puis dans le cadre de missions d’intérim pour le compte des sociétés [2] et [7], présente la maladie déclarée avec un délai de prise en charge et une durée d’exposition respectés, les travaux réalisés n’entrent pas dans la liste limitative.
La caisse a transmis le dossier au CRRMP région AURA qui n’a pas retenu de lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle dans un avis du 7 septembre 2020.
Par jugement en date du 11 mars 2024 ce tribunal a, avant-dire droit sur les demandes, désigné le CRRMP de PACA CORSE pour qu’il donne son avis et dise si la maladie dont Monsieur [E] est atteint : « sciatique par hernie discale L5 S1 » a pu être directement causée par le travail habituel de la victime.
Le CRRMP PACA Corse a rendu son avis le 13 juin 2024 et ne retient pas de lien direct entre l’affection présentée et le travail habituel de la victime.
Monsieur [E] qui sollicite la prise en charge de l’affection au titre de la législation professionnelle, expose qu’il devait dans le cadre de son activité professionnelle pendant 18 ans porter des charges lourdes lors du chargement et du déchargement des livraisons des denrées alimentaires et porter des rondeaux pesant plus de 20 kg alors qu’il travaillait seul pour des services de restauration de plus de 100 personnes ; qu’il a ainsi été exposé au risque lésionnel dans le cadre de son travail.
Il demande la condamnation de la CPAM à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du CPC.
La CPAM du Rhône répond que les 2 avis des CRRMP sont clairs et concordants et conclut au débouté de Monsieur [E] de l’ensemble de ses demandes.
Les avis rendus par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ne s’imposent pas aux juges du fond qui doivent nécessairement apprécier la valeur et la portée de l’ensemble des éléments fournis à leur examen.
Monsieur [E] a souscrit le 11 janvier 2020 une déclaration de maladie professionnelle relative à une sciatique par hernie discale L5 S1 selon certificat médical du 24 mai 2019.
Le médecin-conseil de la caisse a retenu que Monsieur [E] présentait bien la pathologie déclarée, relevant du tableau 98 avec une date de première constatation médicale fixée au 13 mai 2019.
La caisse a retenu après enquête que la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie n’était pas remplie.
Le tableau n° 98 des maladies professionnelles prévoit au titre de la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie sciatique par hernie discale L5 S1, les travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes effectuées notamment dans le chargement, le déchargement en cours de fabrication dans la livraison y compris pour le compte d’autrui, le stockage, la répartition des produits industriels et alimentaires, agricoles et forestiers.
Monsieur [E] travaille depuis le 4 septembre 2000 en qualité de cuisinier et effectue depuis 2014 des missions intérimaires en cuisine collective pour le compte des sociétés [2] et [7].
L’enquêteur a retenu qu’il a effectué de nombreuses missions de courte et moyenne durée pour le compte d’ [2] de juillet 2014 au 22 décembre 2017 et pour le compte de [7] du 18 décembre 2014 au 31 décembre 2019 ; qu’il intervenait dernièrement dans une maison de retraite où il devait réceptionner les marchandises sur palette, des packs d’eau de 30 kg, des cartons de légumes et de viande de 40 kg , une fois par semaine, avec l’aide d’une collègue de travail ; qu’il préparait les plats pour le service de midi et du soir manipulant des rondeaux rempli de viande et de sauce pesant entre 20 et 30 kg pour la préparation de 120 repas midi et soir ; qu’il réalisait également la plonge en soulevant les grosses batteries de cuisine et les bacs en métal de couvert pesant 20 kg et effectuait le nettoyage de la cuisine après les services.
Il est établi que Monsieur [E] est toujours intervenu dans des cuisines de collectivités.
Il ne peut être contesté au vu de la description des tâches accomplies par Monsieur [E] que ce dernier devait réaliser très habituellement des manutentions manuelles de charges lourdes dans des postures contraignantes pour la colonne alors qu’il devait manipuler et ranger des marchandises livrées en grande quantité et réaliser des repas matin et soir pour des collectivités de plus de 100 personnes l’avenant à porter des rondeaux de 30 litres avec également la charge de réaliser la plonge et le nettoyage d’une cuisine de collectivité.
Il doit en outre être rappelé que le caractère habituel des travaux de manutention de charges lourdes n’implique pas qu’ils constituent une part prépondérante de l’activité du salarié. (Cass. 2e Civ., 8 octobre 2009, n°08-17.005)
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Monsieur [E] devait effectivement réaliser des travaux de manutention manuelle de charges lourdes permettant de retenir le lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle.
Il y a lieu en conséquence de dire et juger que la CPAM du Rhône devra prendre en charge la maladie sciatique par hernie discale, tableau 98, déclarée le 11 janvier 2020 au titre de la législation professionnelle.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait application de l’article 700 du CPC.
La présidente du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant seule en l’absence d’assesseur avec l’accord des parties, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort.
Déclare le recours de Monsieur [U] [E] recevable et fondée.
Dit que la maladie déclarée par Monsieur [E] : « sciatique par hernie discale L5 S1 » relevant du tableau n° 98, déclarée le 11 janvier 2020, doit être prise en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM du Rhône.
Renvoie Monsieur [E] devant la CPAM du Rhône pour la liquidation de ses droits.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne la CPAM du Rhône aux dépens.
Jugement rendu par mise à disposition au greffe, le 20 janvier 2025, dont la minute a été signée par la présidente et la greffière.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Florence ROZIER Florence AUGIER
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