L’Essentiel : Mme [Y] a été recrutée par la SAS Hamelin en mai 2001 et licenciée en juillet 2021 pour des motifs économiques. Contestant la légitimité de son licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’entreprise à verser 67 800€ de dommages et intérêts. En appel, la SAS Hamelin a demandé la réformation de la décision, arguant de difficultés économiques. Cependant, les éléments fournis n’ont pas prouvé une nécessité de réorganisation, conduisant à la confirmation du jugement initial et à l’octroi de dommages et intérêts à Mme [Y].
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Embauche et licenciement de Mme [Y]La SAS Hamelin a recruté Mme [B] [Y] en tant que chef de produit le 9 mai 2001, avant de la promouvoir au poste de chef de groupe marketing. Le 8 juillet 2021, elle a été licenciée pour des motifs économiques. Action en justice de Mme [Y]Estimant que son licenciement était injustifié, Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Caen le 13 juin 2022 pour demander des dommages et intérêts. Le 15 juin 2023, le conseil a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la SAS Hamelin à verser 67 800€ de dommages et intérêts, ainsi qu’une somme de 1 300€ en vertu de l’article 700 du code de procédure civile. Appel de la SAS HamelinLa SAS Hamelin a interjeté appel du jugement, demandant la réformation de la décision, le déboutement de Mme [Y] de ses demandes, et une réduction des dommages et intérêts à 13 560€. Elle a également demandé que Mme [Y] soit condamnée à lui verser 5 500€ en application de l’article 700. Arguments de la SAS HamelinDans sa lettre de licenciement, la SAS Hamelin a évoqué des « difficultés économiques incontestables » et la nécessité d’une réorganisation pour réduire les coûts. Elle a également affirmé qu’il n’était pas possible de reclasser Mme [Y]. Contestation de Mme [Y]Mme [Y] a contesté la réalité des difficultés économiques et a soutenu que la recherche de reclassement avait été insuffisante. Elle a mis en avant que les éléments fournis par la SAS Hamelin ne justifiaient pas les motifs de licenciement. Analyse des difficultés économiquesL’article L1233-3 du code du travail stipule que les difficultés économiques doivent être caractérisées par des indicateurs tels que la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires. Les éléments fournis par la SAS Hamelin montrent des résultats d’exploitation positifs en 2019 et 2021, avec un déficit en 2020, mais sans preuve d’une dégradation continue. Évaluation de la compétitivitéLa SAS Hamelin a produit un document sur la stagnation du chiffre d’affaires, mais celui-ci ne prouve pas une menace sur la compétitivité. Les éléments fournis ne démontrent pas une nécessité de réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. Conclusion sur le licenciementLe tribunal a conclu que les motifs de licenciement n’étaient pas établis, rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mme [Y] a droit à des dommages et intérêts équivalents à 15,5 mois de salaire. Décision finaleLa cour a confirmé le jugement initial, condamnant la SAS Hamelin à verser 67 800€ de dommages et intérêts, à rembourser les allocations de chômage versées à Mme [Y] et à lui verser 3 000€ pour ses frais irrépétibles. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de licenciement pour motif économique selon le Code du travail ?Le licenciement pour motif économique est encadré par l’article L1233-3 du Code du travail, qui stipule que pour une entreprise employant au moins 300 salariés, les difficultés économiques doivent se caractériser par : – Une évolution significative d’au moins un indicateur économique, tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant quatre trimestres consécutifs, – Des pertes d’exploitation, – Une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent d’exploitation, – Ou tout autre élément de nature à justifier ces difficultés. Dans l’affaire en question, la SAS Hamelin a invoqué des difficultés économiques, mais les éléments fournis n’ont pas permis d’établir la réalité de ces difficultés. En effet, les résultats d’exploitation étaient positifs en 2019 et 2021, et bien que 2020 ait montré un déficit, cela ne suffit pas à prouver une situation économique précaire sur la période requise. Quels sont les droits de la salariée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’article L1235-3 du Code du travail prévoit que le salarié peut prétendre à des dommages et intérêts. Ces dommages et intérêts ne peuvent excéder une somme équivalente à 15,5 mois de salaire, en tenant compte de plusieurs facteurs, tels que : – L’ancienneté du salarié, – Son âge, – Le montant de son salaire au moment du licenciement. Dans le cas de Mme [Y], le conseil de prud’hommes a accordé 67 800 € de dommages et intérêts, ce qui a été confirmé par la cour d’appel, considérant que cette somme était adaptée à sa situation. Quelles sont les implications du remboursement des allocations de chômage en cas de licenciement injustifié ?L’article L1235-1 du Code du travail stipule que lorsque le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, l’employeur doit rembourser à l’organisme de sécurité sociale les allocations de chômage versées au salarié. Dans cette affaire, la SAS Hamelin a été condamnée à rembourser à France Travail les allocations de chômage versées à Mme [Y] entre la date du licenciement et la date du jugement, dans la limite de trois mois d’allocations. Cela signifie que l’employeur doit assumer la responsabilité financière des allocations versées à l’ancien salarié, ce qui peut avoir un impact significatif sur les finances de l’entreprise. Quelles sont les dispositions relatives aux frais irrépétibles en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme destinée à couvrir les frais irrépétibles, c’est-à-dire les frais qui ne peuvent être récupérés, tels que les honoraires d’avocat. Dans cette affaire, la SAS Hamelin a été condamnée à verser 3 000 € à Mme [Y] en application de cet article. Cette décision vise à compenser les frais engagés par la salariée pour faire valoir ses droits devant le tribunal, et souligne l’importance de la protection des droits des salariés dans le cadre des litiges liés au licenciement. |
N° Portalis DBVC-V-B7H-HIAS
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 15 Juin 2023 – RG n° 22/00485
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 16 JANVIER 2025
APPELANTE :
S.A.S. HAMELIN SAS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Fabrice VIDEAU, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Madame [B] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jean-Jacques SALMON, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 04 novembre 2024, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 16 janvier 2025 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
La SAS Hamelin a embauché Mme [B] [Y] à compter du 9 mai 2001 en qualité de chef de produit, l’a promue, en dernier lieu, chef de groupe marketing et l’a licenciée, le 8 juillet 2021, pour motif économique.
Estimant son licenciement injustifié, Mme [Y] a saisi, le 13 juin 2022, le conseil de prud’hommes de Caen pour réclamer des dommages et intérêts.
Par jugement du 15 juin 2023, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la SAS Hamelin à verser à Mme [Y] 67 800€ de dommages et intérêts et 1 300€ en application de l’article 700 du code de procédure civile, avec anatocisme des intérêts, a ordonné le remboursement des allocations de chômage dans la limite de 6 mois d’allocations.
La SAS Hamelin a interjeté appel du jugement.
Vu le jugement rendu le 15 juin 2023 par le conseil de prud’hommes de Caen
Vu les dernières conclusions de la SAS Hamelin, appelante, communiquées et déposées le 8 octobre 2024, tendant à voir le jugement réformé, au principal, à voir Mme [Y] déboutée de ses demandes, subsidiairement, à voir réduire le montant des dommages et intérêts à 13 560€, tendant, en outre, à voir Mme [Y] condamnée à lui verser, au total, 5 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions de Mme [Y], intimée, communiquées et déposées le 22 décembre 2023, tendant à voir le jugement confirmé et à voir la SAS Hamelin condamnée à lui verser 2 000€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 16 octobre 2024
Dans sa lettre de licenciement de 9 pages, la SAS Hamelin invoque, à la fois, des ‘difficultés économiques incontestables’ et la nécessité d’une réorganisation pour ‘baisser les coûts de revient’ et ainsi ‘résister à la concurrence’ lui imposant de supprimer le poste de Mme [Y]. Elle fait également état d’une impossibilité de la reclasser.
La salariée conteste la réalité des difficultés économiques alléguées, le caractère opérant du motif tenant à la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise et fait valoir que la recherche de reclassement a été insuffisante.
‘ L’article L1233-3 du code du travail considère s’agissant, comme en l’espèce, d’une entreprise employant au moins 300 salariés, que les difficultés économiques doivent se caractériser soit par une évolution significative d’au moins un indicateur économique (baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant quatre trimestres consécutifs), pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Les quelques éléments produits établissent que le résultat d’exploitation était positif en 2019 (556 276€), négatif en 2020 (2 237 004€) et positif en 2021 (138 104€). Il n’est soutenu ni, a fortiori, établi, l’existence d’une dégradation de la trésorerie. Aucune extraction de l’excédent d’exploitation n’a été effectuée à partir du bilan permettant de connaître l’évolution de cet indicateur.
Le tableau (cote 26) versé aux débats par la SAS Hamelin permet de comparer le chiffre d’affaire des quatre derniers trimestres avant le licenciement (entre juillet 2020 et juin 2021) avec les quatre trimestres correspondant de l’année précédente. Il en ressort que :
– de juillet à septembre 2020 le chiffre d’affaires a été meilleur qu’au trimestre correspondant en 2019 (+1%)
– d’octobre à décembre 2020, le chiffre d’affaires a été moins bon qu’au trimestre correspondant en 2019 (-7%)
– de janvier à mars 2021, le chiffre d’affaires a été moins bon qu’au trimestre correspondant en 2020 (-4%)
– d’avril à juin 2021, le chiffre d’affaires a été meilleur qu’au trimestre correspondant en 2020 (+13%).
Une situation effectuée à fin juillet 2021 (cote 38) fait apparaître que, par rapport à la même situation fin juillet 2020, le chiffre d’affaires a progressé de 1%, de surcroît en produisant moins en tonnage et en unités, ce qui est de nature à augmenter le bénéfice.
Le chiffre d’affaires n’a donc pas baissé sur quatre trimestres consécutifs.
La SAS Hamelin n’a pas produit de tableau comparable concernant les commandes.
Ces quelques éléments démontrent un déficit en 2020 et un bénéfice en 2021. La SAS Hamelin ne produit pas les éléments comptables intermédiaires existant en juin 2021 ni les prévisionnels établis pour 2021 ce qui ne permet pas de connaître les informations en sa possession au moment du licenciement et notamment de savoir ce qu’elle connaissait, alors, du redressement en train de s’opérer en 2021.
Outre le résultat d’exploitation, la SAS Hamelin ne fournit d’éléments que sur un seul des indicateurs économiques visés dans l’article L1233-3 du code du travail et cet indicateur ne conforte pas l’existence de difficultés économiques sérieuses.
Elle n’apporte pas, non plus, d’éléments chiffrés autres sur les difficultés économiques qu’elle allègue, ses projections pessimistes exposées devant le CSE ne pouvant y suppléer. En conséquence, les difficultés qu’elle allègue ne sont pas établies.
‘ La SAS Hamelin produit un document intitulé ‘le baromètre papèterie office’ portant sur des données fin novembre 2020. Il en ressort une stagnation du chiffre d’affaires sur le mois et une baisse dans deux secteurs (papier façonné et classement) que la SAS Hamelin indique être son secteur.
Cet unique élément mensuel portant sur un seul mois plus de 7 mois avant le licenciement n’apporte aucun élément la situation du secteur en juin 2021. De surcroît, pour qu’une entreprise puisse utilement prétendre devoir se réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité, il convient qu’elle justifie des menaces existant sur cette compétitivité, par exemple, en démontrant que sa part de marché se réduit ou que ses concurrents proposent des produits à moindre coût.
Dans sa note d’information au CSE pour les réunions des 4 mars et 15 avril 2021 destinée à présenter les suppressions d’emploi envisagées, la SAS Hamelin indique certes que sa part de marché en 2020 sur ses principales catégories est en baisse par rapport à 2019 ‘liée à la forte agressivité de nos concurrents sur les prix afin de conserver des volumes’. Toutefois, aucun élément chiffré n’est donné (ni dans cette note ni dans les autres pièces produites par la SAS Hamelin). En outre, immédiatement après cette remarque, la SAS Hamelin la tempère en faisant état d’une progression en valeur sur les ‘RDC’.
En conséquence, les éléments produits ne caractérisent pas une menace sur la compétitivité justifiant une réorganisation.
La réalité et le sérieux d’aucun des deux motifs mentionnés dans la lettre de licenciement n’étant établis, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Mme [Y] peut prétendre à des dommages et intérêts au plus égaux à 15,5 mois de salaire.
Elle justifie avoir perçu des allocations de chômage de mars à décembre 2022. Elle a créé une SAS dont elle est présidente et qui a été immatriculée le 5 juillet 2022. Son expert-comptable a attesté, en décembre 2023, qu’elle n’avait perçu aucune rémunération en sa qualité de présidente depuis la création de cette société.
Compte tenu de ces renseignements, des autres éléments connus : son âge (59 ans), son ancienneté (20 ans), son salaire (4 520€ selon les deux parties) au moment du licenciement, la somme allouée par le conseil de prud’hommes est adaptée et sera confirmée. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2023, date de notification du jugement. Ces intérêts se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière.
La SAS Hamelin devra rembourser à France Travail les allocations de chômage versées à Mme [Y] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [Y] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS Hamelin sera condamnée à lui verser 3 000€.
DÉCISION
– Confirme le jugement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS Hamelin à verser à Mme [Y] 67 800€ de dommages et intérêts et aux dépens de première instance
– Le réforme pour le surplus
– Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2023 et que ces intérêts se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière
– Dit que la SAS Hamelin devra rembourser à France Travail les allocations de chômage versées à Mme [Y] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations
– Condamne la SAS Hamelin à verser à Mme [Y] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– La condamne aux dépens d’appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE
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