L’Essentiel : La société Stile, spécialisée dans le transport public, a engagé M. [X] en tant que conducteur receveur en janvier 2020. Cependant, il a été sanctionné à plusieurs reprises pour des manquements à ses obligations, notamment la conduite sans carte conducteur. Le 18 septembre 2020, Stile a notifié son licenciement pour faute grave. Contestant cette décision, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a requalifié le licenciement en cause réelle et sérieuse. M. [X] et Stile ont tous deux interjeté appel, mais la cour a finalement confirmé la légitimité du licenciement pour faute grave.
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Contexte de l’affaireLa société de Transport Interurbain des Lignes Express, désignée sous le nom de Stile, est une SAS immatriculée à Versailles, spécialisée dans le transport public routier de personnes. Elle emploie plus de 11 salariés et est régie par la convention collective nationale des transports routiers. Engagement de M. [X]M. [A] [X] a été engagé par la société Stile en tant que conducteur receveur par un contrat à durée indéterminée, à compter du 1er janvier 2020, avec une reprise d’ancienneté au 6 mai 2019. Ses relations de travail étaient encadrées par la convention collective applicable. Sanctions disciplinairesAu cours de l’année 2020, M. [X] a fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires, dont un rappel à l’ordre en décembre 2019, suivi de mises à pied de trois jours en avril et de quatre jours en juillet. En septembre 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement, accompagné d’un délégué syndical. Licenciement pour faute graveLe 18 septembre 2020, la société Stile a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave, invoquant des manquements répétés à ses obligations, notamment la conduite sans carte conducteur dans le chronotachygraphe à plusieurs reprises, ce qui constitue une infraction à la réglementation en vigueur. Procédure judiciaireM. [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy le 4 février 2021, contestant la légitimité de son licenciement, qu’il a qualifié de sans cause réelle et sérieuse. Le jugement rendu le 24 mars 2022 a requalifié le licenciement en manquements professionnels justifiant une cause réelle et sérieuse, condamnant la société Stile à verser des indemnités à M. [X]. Appel de M. [X]M. [X] a interjeté appel du jugement, demandant une requalification de son licenciement et des indemnités supplémentaires, tandis que la société Stile a également fait appel, contestant la requalification de la faute et les condamnations financières. Arguments des partiesM. [X] a soutenu que son licenciement était injustifié et a demandé des indemnités pour préjudice moral et des rappels de salaire. De son côté, la société Stile a affirmé que le licenciement pour faute grave était justifié par les manquements répétés de M. [X] à ses obligations professionnelles. Décision de la courLa cour a infirmé le jugement de première instance, considérant que le licenciement pour faute grave était justifié. Elle a rejeté les demandes de M. [X] pour des indemnités et a condamné ce dernier aux dépens, tout en écartant certaines pièces produites par lui. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de la faute grave justifiant un licenciement ?La faute grave est définie par l’article L. 1234-1 du Code du travail, qui stipule que « la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Pour qu’un licenciement soit considéré comme justifié pour faute grave, il doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et imputables au salarié. Dans le cas présent, M. [X] a été licencié pour avoir conduit sans insérer sa carte de conducteur dans le chronotachygraphe, ce qui constitue une violation des règles de sécurité essentielles. L’article L. 1232-1 du Code du travail précise que « tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ». Ainsi, la cour a constaté que les manquements de M. [X] compromettaient la sécurité des usagers et des collègues, justifiant ainsi la rupture immédiate de son contrat de travail. Comment se prononce la jurisprudence sur la prescription des faits fautifs ?L’article L. 1332-4 du Code du travail stipule qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance. Ce délai commence à courir à partir du moment où l’employeur a une connaissance exacte des faits reprochés. Dans cette affaire, la société Stile a découvert les faits fautifs le 1er septembre 2020, ce qui a déclenché le processus de licenciement. La cour a donc rejeté le moyen tiré de la prescription, considérant que les faits antérieurs au délai de deux mois pouvaient être pris en compte, car le comportement fautif de M. [X] s’était poursuivi dans ce délai. Quelles sont les conséquences d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse ?L’article L. 1235-1 du Code du travail prévoit que, si un licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité. Dans le cas de M. [X], le conseil de prud’hommes a initialement jugé que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave, mais sur des manquements professionnels justifiant une cause réelle et sérieuse. Cependant, la cour d’appel a infirmé ce jugement, considérant que le licenciement pour faute grave était justifié. Ainsi, M. [X] a été débouté de ses demandes d’indemnités, y compris celles relatives aux congés payés et aux conditions vexatoires entourant la rupture de son contrat de travail. Quelles sont les implications de la mise à pied conservatoire dans le cadre d’un licenciement ?La mise à pied conservatoire est régie par l’article L. 1332-3 du Code du travail, qui permet à l’employeur de suspendre le contrat de travail d’un salarié en attendant une décision sur une éventuelle sanction disciplinaire. Dans cette affaire, M. [X] a été mis à pied à titre conservatoire avant son licenciement, ce qui est une pratique courante pour préserver la sécurité et l’ordre au sein de l’entreprise. La cour a jugé que cette mise à pied était justifiée, compte tenu des circonstances et de la gravité des fautes reprochées. Ainsi, M. [X] a été débouté de sa demande de rappel de salaire pour la période de mise à pied, car celle-ci était fondée sur des faits avérés et justifiés. Comment la cour évalue-t-elle les preuves présentées par les parties ?L’article 1315 du Code civil, devenu 1353, stipule que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Dans le cadre de cette affaire, la cour a examiné les preuves fournies par M. [X] et la société Stile. Les éléments de preuve, tels que les feuilles de route et les relevés de chronotachygraphe, ont été jugés suffisants pour établir la faute de M. [X]. En revanche, les attestations et témoignages produits par M. [X] ont été écartés, car ils ne répondaient pas aux exigences de forme et de fond nécessaires pour être considérés comme des preuves valables. La cour a donc fondé sa décision sur des éléments matériels et vérifiables, conformément aux exigences légales. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-3
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 JANVIER 2025
N° RG 22/01279 –
N° Portalis DBV3-V-B7G-VET4
AFFAIRE :
[A] [X]
C/
S.A.S. STILE
Décision déférée à la cour : Jugement rendue le 24 Mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY
N° Section : C
N° RG : F 21/00050
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Salif DADI
Me Oriane DONTOT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
APPELANT
Monsieur [A] [X]
né le 17 Juillet 1976 à MAROC
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Salif DADI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0912
****************
INTIMÉE
S.A.S. STILE
N° SIRET : 528 943 970
Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
Plaidant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l’AARPI NMCG AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007
Substitué : Me Marie-Astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Mme Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
Greffier placé lors du prononcé : Madame Solène ESPINAT
La société de Transport Interurbain des Lignes Express (ci-après désignée la société Stile) est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Versailles, sous le numéro 528 943 970, elle exploite une activité de transport public routier de personnes et emploie plus de 11 salariés.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er janvier 2020, M. [A] [X] a été engagé par la société Stile en qualité de conducteur receveur, coefficient 140, avec une reprise d’ancienneté au 6 mai 2019 au titre de la période travaillée dans le cadre de la société CTVMI.
Les relations contractuelles étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Par courrier daté du 9 décembre 2019, la société Stile a notifié à M. [X] un rappel à l’ordre.
Par courrier daté du 6 avril 2020, la société Stile a notifié à M. [X] sa mise à pied à titre disciplinaire pour une durée de trois jours.
Par courrier daté du 27 juillet 2020, la société Stile a notifié à M. [X] sa mise à pied à titre disciplinaire pour une durée de quatre jours.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 1er septembre 2020, la société Stile a convoqué M. [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.
L’entretien préalable s’est tenu le 14 septembre 2020, en présence d’un délégué syndical.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 18 septembre 2020, la société Stile a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave, en ces termes :
« Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien préalable auquel vous étiez convoquée le 14 septembre 2020, et pour lequel vous vous êtes présentée en étant accompagné de Monsieur [J], Délégué syndical à STILE.
Vous êtes salarié de STILE depuis le 1er janvier 2020 en qualité de conducteur receveur suite à une demande de mutation que nous avons acceptée, et d’une convention de transfert de la société CTVMI avec reprise d’ancienneté.
A plusieurs reprises sur l’année 2020, nous vous avons déjà notifié des sanctions disciplinaires en raison d’un manquement à vos obligations contractuelles. Vous avez de nouveau eu des comportements fautifs que nous avons évoqué lors de l’entretien et que nous vous récapitulons ci-après :
‘ En date du 1er septembre 2020, suite à une vérification de l’utilisation des cartes conducteur via notre logiciel TX VISIO, il apparaît que vous avez conduit votre car à plusieurs reprises sans votre carte conducteur chronotachygraphe, à savoir le 14/01/2020 de 12h27 à 14h52, le 18/02/2020 de 16h53 à 19h54, le 13/05/2020 de 07h37 à 09h4, le 11/06/2020 de 5h02 à 7h40. Cette pratique est illégale. En effet, l’article L. 3315-5 précise « Est puni de six mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende le fait de se livrer à un transport routier avec une carte de conducteur non conforme ou n’appartenant pas au conducteur l’utilisant ou sans carte insérée dans le chronotachygraphe du véhicule. Vous n’avez effectué aucun signalement concernant ces dates sur une perte ou un vol de votre carte, ni d’un oubli, comme vous l’impose l’article 2.2. du règlement intérieur « Manipuler correctement et conformément aux lois en vigueur, le sélecteur du chronotachygraphe dont sont équipés les véhicules et plus généralement tous les matériels qui pourraient le remplacer (notamment chronotachygraphe électronique) ». Vous devez impérativement conduire votre car avec la carte conducteur insérée. Lors de l’entretien vous nous informez que vous ne comprenez pas.
Depuis le 01/01/2020, nous avons d’ores et déjà pu constater et sanctionner des manquements de même nature à vos obligations.
– En effet, nous vous avons adressé une journée de mise à pied datée du 8 avril 2020 pour le non-respect de la réglementation concernant l’utilisation de votre téléphone portable en conduite.
– En effet, nous vous avons adressé trois journées de mise à pied pour les 14/04/2, 16/04/20 et 21/04/20 pour le non-respect de la réglementation concernant l’utilisation de votre oreillette (téléphone) en conduite (procès-verbal reçu)
– En effet, nous vous avons adressé quatre journées de mise à pied pour les 04/08/20, 06/08/20, 11/08/20, 13/08/20 pour un défaut de sécurité lié à votre conduite.
Les manquements dont vous faites preuve compromettent notre obligation de sécurité vis-à-vis de nos clients, de nos collaborateurs, vous y compris, ainsi qu’aux autres usagers de la route, et sont en total contradiction avec notre mission de délégation de service public, ce que nous ne saurions cautionner plus longtemps. Les explications recueillies auprès de vous lors de l’entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation au sujet de vos agissements fautifs.
Ainsi et pour l’ensemble de ces faits, nous considérons que votre comportement n’est définitivement plus compatible avec la poursuite de nos relations contractuelles.
Par conséquent, nous vous informons que nous sommes amenés à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement. »
Par requête introductive reçue au greffe le 4 février 2021, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy d’une demande tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse et intervenu dans des conditions humiliantes et vexatoires.
Par jugement rendu le 24 mars 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Poissy a :
– fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 2 368 euros ;
– dit et jugé que le licenciement de M. [A] [X] ne repose pas sur une faute grave mais seulement sur des manquements professionnels justifiant une cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société Stile à verser à M. [A] [X] avec intérêts légaux à compter du 8 février 2021, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation par la partie défenderesse, les sommes suivantes :
* 410,73 euros au titre de rappel de congés ;
* 2 368,00 euros au titre de rappel de l’indemnité de préavis ;
* 236,80 euros au titre des congés payés afférents ;
– rappelé que l’exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l’article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail ;
– débouté M. [A] [X] de sa demande de rappel de salaire relative à la mise à pied conservatoire ;
– condamné la société Stile à verser à M. [A] [X] avec intérêts légaux à compter du prononcé du jugement la somme de :
* 592 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– débouté M. [A] [X] de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail ;
– condamné la société Stile à verser à M. [A] [X] la somme de :
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné à la société Stile de remettre à M. [A] [X] l’attestation pôle emploi corrigée sans astreinte ;
– ordonné la capitalisation des intérêts légaux conformément à l’article 1343-2 du code civil ;
– ordonné la majoration du taux de l’intérêt légal de cinq points à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du jour où la décision est devenue exécutoire conformément à l’article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
– débouté la société Stile de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Stile aux entiers dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.
Par déclaration d’appel reçue au greffe le 19 avril 2022, M. [A] [X] a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 octobre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 14 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [X], appelant et intimé à titre incident, demande à la cour de :
– infirmer partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
– juger le licenciement de M. [A] [X] sans cause réelle et sérieuse ;
– et en ce sens, condamner la société de Transport Interurbain des Lignes Express (Stile), à lui verser les sommes suivantes :
* 4 736 euros au titre de l’indemnité visée à l’article L. 1235-3 du code du travail ;
* 1 095,29 euros au titre de son rappel de salaire (mise à pied conservatoire du 1er au 18 septembre 2020) ;
* 109,52 euros au titre des congés payés y afférents ;
* 5 000 euros au titre du préjudice subi du fait des conditions humiliantes et vexatoires ayant entouré la rupture de son contrat de travail ;
* 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– confirmer le jugement en ses autres dispositions.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 11 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Stile, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :
– dire et juger la société Stile recevable et bien fondée en son appel incident et, plus généralement, en ses demandes, fins et conclusions ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* requalifié le licenciement pour faute grave de M. [X] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
* condamné la société à verser à M. [X] les sommes suivantes :
– 410,73 euros au titre du rappel de congés payés,
– 2 368 euros au titre de rappel de l’indemnité de préavis,
– 236,80 euros au titre des congés payés y afférents,
– 592 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
* débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société aux entiers dépens y compris les frais d’exécution.
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
* débouté M. [X] de sa demande de rappel de salaire relative à la mise à pied conservatoire;
* débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour les prétendues conditions vexatoires entourant la rupture de son contrat de travail.
Y faisant droit et statuant de nouveau :
– juger que le licenciement pour faute grave de M. [X] est parfaitement justifié ;
En conséquence :
– débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause :
– condamner M. [X] à payer à la société Stile la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [X] en tous les dépens de 1ère instance et d’appel.
Sur la demande au titre du rappel de salaire (septembre 2020)
M. [X] demande la confirmation du jugement et reproche à son employeur d’avoir procédé à une retenue de 410,73 euros sur sa paie de septembre 2020 au titre de prétendus congés payés sur la période du 24 au 29 août 2020 alors qu’il n’a pas pris de congés payés à cette date. Il indique que les congés qu’il avait posé du 17 au 23 août 2020 n’ont pas été pris car son employeur lui a demandé de venir travailler.
La société Stile sollicite l’infirmation du jugement sur ce chef et considère cette demande de rappel de salaire infondée car si M. [X] a initialement posé ses congés du 17 au 23 août 2020, sa demande est cependant intervenue après la date limite de dépôt des demandes de congés et de ce fait, l’employeur a accepté, compte tenu du caractère tardif, de procéder à un report des congés du 24 au 29 août 2020.
L’article L. 3141-3 du code du travail prévoit que le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur et ajoute que la durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.
La période des congés payés doit être portée à la connaissance du salarié deux mois avant son ouverture (article D.3141-5 du code du travail). Le fait que le salarié ait droit à un congé ne l’autorise pas à prendre ce congé sans avoir obtenu l’accord exprès de son employeur.
Aux termes de l’article 1315, devenu 1353, du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Il résulte des pièces produites aux débats par l’employeur, et notamment du document intitulé « Gestion prévisionnel vacances 2019/2020 », que l’employeur a respecté les dispositions légales et a informé les salariés de la date limite de dépôt des congés d’été 2020 comme étant ainsi fixée au 3 février 2020.
Il résulte du document versé aux débats par le salarié que celui-ci a mentionné sur le formulaire « demande d’autorisation d’absences conducteur exemplaire salarié » son souhait de prendre ses congés du 17 août 2020 au 23 août 2020 inclus et que cette demande a été datée et signée par M. [X] le 16 juillet 2020.
La feuille de route versée aux débats permet quant à elle de constater que les congés de M. [X] ont été décalés du fait de cette déclaration tardive et qu’il a été placé en congés du 24 au 29 août 2020.
Le décompte de congés payés apparaissant sur le bulletin de paie d’août 2020 est donc parfaitement conforme à la réalité des faits et en conséquence, il convient par voie d’infirmation du jugement de première instance, de rejeter cette demande en paiement et de débouter le salarié de sa demande.
Sur le rejet des pièces
M. [X] produit aux débats :
– une pièce n°7 constitué d’un témoignage des membres du CSE, sous la forme d’un document en une page dactylographiée, datée du 1er octobre 2020, signée des deux membres titulaires et des deux membres suppléants et accompagnée des copies des cartes d’identité des personnes concernées (à savoir M. [P] [J], Mme [E] [G], M. [Z] [S] et M. [H] [U]),
– une pièce n°8 constituée d’une attestation de M. [K] [O],
– une pièce n°9 constituée d’une attestation de M. [L] [R],
– une pièce n°10 constituée d’une attestation de Mme [W].
La société Stile indique que les auteurs du témoignage des membres du CSE (pièce adverse 7) et de l’attestation (pièce averse n°8) ont expressément sollicité le retrait de leur témoignage suite à la diffusion qui en a été faite sans leur autorisation par l’appelant. L’employeur s’étonne que le salarié persiste à produire aux débats ces pièces et demande la confirmation du jugement sur ce point.
Les premiers juges ont écarté ces pièces sans motiver leur décision.
La cour observe que le rejet de la pièce 8 sollicitée par la société Stile est sans objet puisque M. [O], et Mme [W] ne se sont pas rétractés.
La cour constate par contre que par un document dactylographié, daté du 4 mars 2021, produit aux débats par la société Stile ces mêmes membres titulaires et suppléants précités ont indiqué : « rétraction des membres du CSE de notre témoignage en faveur de M. [X] et pour avoir transmis nos pièces d’identité sans notre consentement à Mme [W] : Section syndical CGT STILE : M. [X], nous les membres du CSE, vous signifie notre rétraction de notre témoignage du 01/10/2020 qui a été fait pour faire valoir vos droits à titre nominatif, néanmoins suite à la découverte que nos pièces d’identité et le témoignage qui vous a été remis en main propre dans le local syndical CGT STILE par nous-même, ont été retrouvés dans le dossier de Mme [W] sans notre consentement par conséquent nous rétractons définitivement. Nous vous demandons de ne pas utiliser ces documents en justice et aussi nos pièces d’identité. »
La cour en déduit que le témoignage destiné à être produit en justice doit répondre aux prescriptions prévues par l’article 202 du code de procédure civile et notamment que l’auteur d’une attestation indique que son témoignage est établi en vue de sa production en justice.
Cette exigence faisant défaut puisque les membres titulaires et suppléants du CSE, à savoir
M. [P] [J], Mme [E] [G], M. [Z] [S] et M. [H] [U] ont délivré ensuite individuellement à la société Stile une nouvelle attestation par laquelle ils ont réitérés leur souhait de se rétracter, la cour écarte donc des débats la pièce n°7 produite par M. [X] constituée d’un témoignage des membres du CSE.
M. [L] [R] a également produit par l’intermédiaire de la société intimée une attestation dans laquelle il indique que M. [X] a produit son témoignage et la copie de sa carte d’identité sans son consentement.
Pour les mêmes motifs, la cour écarte donc des débats la pièce n°9 produite par M. [X] constituée d’un témoignage de M. [L] [R].
Sur le moyen tiré de la prescription
Il résulte de l’article L. 1332-4 qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales, et que c’est le jour où l’employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, a connaissance du fait fautif qui marque le point de départ du délai de 2 mois.
Les fautes du salarié commises antérieurement au délai de 2 mois précédent le licenciement peuvent être évoquées dans la lettre de licenciement dès lors que le comportement fautif du salarié s’est poursuivi ou réitéré dans ce même délai.
Le salarié estime que les faits reprochés qui datent de plus de deux mois au moment de l’engagement de la procédure de licenciement sont prescrits.
La société Stile expose qu’elle procède chaque année à un échantillonnage et qu’elle a ainsi procédé à un audit qui a révélé le 1er septembre 2020 les faits fautifs qu’elle a été amenée à reprocher au salarié.
Il ressort des pièces versées aux débats que les conducteurs doivent vider leur carte de conducteur tous les 15 jours, contre 28 jours auparavant. Il est constant ensuite que la société exploitant les autocars récupère l’ensemble des cartes de ses conducteurs mais qu’un contrôle journalier systématique est impossible. Il est donc procédé à un échantillonnage chaque année et c’est dans ces circonstances que la société Stile a découvert lors de l’audit du 1er septembre 2020 les irrégularités concernant le mauvais usage et le non-usage de la carte chronotachygraphe de M. [X].
La connaissance de faits fautifs par l’employeur s’entend de l’information exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleurs des faits reprochés au salarié (Cass Soc 23 juin 2021, n° 20-13.762).
Dès qu’il a eu connaissance des faits, c’est-à-dire le 1er septembre 2020, l’employeur a initié la procédure de licenciement en convoquant ce même jour, M. [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et lui a notifié dans le même temps sa mise à pied à titre conservatoire. Par suite, et par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 18 septembre 2020, la société Stile a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave.
Il y a lieu d’en déduire que le délai de deux mois n’a commencé à courir que le jour où l’employeur a eu une exacte connaissance des faits fautifs, soit en l’espèce le 1er septembre 2020. En outre, la prise en compte de faits antérieurs à deux mois doit être également retenu car malgré un rappel à l’ordre et deux mises à pied conservatoires le comportement de même nature du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
Le moyen tiré de la prescription sera donc rejeté.
Sur le licenciement et ses conséquences
Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis.
La charge de la preuve pèse sur l’employeur.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié divers manquements liés à la sécurité et le fait notamment d’avoir conduit le car dont il avait la charge sans la carte chronotachygraphe et sans respecter par ailleurs la réglementation concernant l’utilisation du téléphone portable en conduite.
L’employeur verse aux débats les feuilles de route de M. [X] des journées des 14 janvier, 18 février, 13 mai et 11 juin 2020, lesquelles établissent que le salarié était programmé en action de conduite le 14 janvier 2020 de 9h00 à 14h52 et de 17h23 à 21h49, le 18 février 2020 de 06h27 à 10h13 et de 16h53 à 19h59, le 13 mai 2020 de 07h37 à 09h47 et de 11h42 à 21h29 et le 11 juin 2020 de 05h02 à 07h40 et de 11h32 à 15h57.
La société Stile produit également aux débats les relevés de chronotachygraphe démontrant que M. [X] n’a pas inséré, à l’occasion de ses temps de conduite, sa carte de conducteur aux horaires visés dans la lettre de licenciement (le 14 janvier 2020 entre 12h27 et 14h52, le 18 février 2020 entre 16h53 et 19h54, le 13 mai 2020 entre 07h37 et 09h47 et le 11 juin 2020 entre 05h02 et 07h40).
Au vu de ces éléments, l’employeur établit la faute reprochée au salarié. Il convient de retenir que cette faute est suffisamment grave puisqu’elle contrevient tant aux dispositions du règlement intérieur de l’entreprise (article 2.2) qui s’impose à l’ensemble des salariés, qu’à l’article 3315-5 alinéa 1 du code des transports qui impose dans le cadre de toute activité de transport routier d’insérer systématiquement une carte magnétique dans le chronotachygraphe du véhicule.
En outre, le chronotachygraphe permet de mesurer de manière électronique la vitesse instantanée du véhicule et les temps de conduite et de pause du chauffeur, il contribue en cela à préserver la sécurité des autres usagers de la route et également celle des salariés des sociétés de transports.
M. [X], salarié expérimenté, suivait des formations en ce sens et se voyait régulièrement rappeler l’utilité du respect d’un telle obligation. Il avait en ce sens assisté le 9 octobre 2019 à une formation sur ce thème spécifique et avait cependant fait l’objet d’un rappel à l’ordre deux mois après cette formation et ce dès le 9 décembre 2019. Il s’était vu également notifier deux mises à pied les 6 avril 2020 et 27 juillet 2020.
En l’espèce, le salarié n’établit pas l’allégation selon laquelle il aurait rencontré des problèmes d’affichage d’erreur sur le chronotachygraphe (« erreur carte 41 »), ni même qu’il en ait avisé sa hiérarchie d’une quelconque difficulté technique avant de prendre le volant. De plus, les photographies qu’il produit aux débats ne sont pas suffisamment probantes et ne permettent pas d’authentifier et de dater ses propos, ni même de s’assurer qu’il s’agit de l’équipement qui était mis en place dans le car qu’il était amené à conduire. De la même manière, l’attestation produite par le salarié, émanant de Mme [W], en dehors du fait qu’elle ne satisfait pas aux prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile puisque le témoin n’a pas mentionné qu’il s’exposait à des sanctions pénales en cas de faux-témoignage, est sujette à caution puisque celle-ci a été licenciée pour des motifs identiques à ceux reprochés à M. [X].
Quant à l’attestation de M. [O], celle-ci est rédigée en des termes vagues, ce témoin se contentant d’indiquer de manière sibylline « atteste avoir conduit des cars avec des tachygraphes qui affiche des anomalies et le T sur le tableau de bord qui signifie conduite sans carte ».
La cour déduit de l’ensemble de ces éléments que la faute grave, fondant le licenciement de M. [X], est suffisamment caractérisée, et qu’elle a ainsi rendu impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, ce qui a justifié la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis.
En conséquence, il y a lieu d’infirmer le jugement et de rejeter l’ensemble des demandes indemnitaires du salarié afférentes à la rupture de son contrat de travail et aux rappels de salaires dans le cadre de la mise à pied conservatoire du 1er au 18 septembre 2020 puisque celle-ci été, eu égard aux circonstances et à la gravité de la faute, parfaitement justifiée.
Par ailleurs, aucun élément ne justifie qu’il soit fait droit dans ces circonstances à la demande en paiement de dommages et intérêts pour conditions humiliantes et vexatoires entourant la rupture et celle-ci sera donc également rejetée.
Sur les demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Stile aux dépens. M. [X] succombant supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.
Il convient en outre par équité de débouter les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy du 24 mars 2020 dans l’intégralité de ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
ECARTE des débats les pièces 7 et 9 ;
REJETTE le moyen tiré de la prescription ;
DIT que le licenciement pour faute grave de M. [X] est justifié ;
DÉBOUTE le salarié de l’ensemble de ses demandes indemnitaires y compris de celles formées dans le cadre des congés payés d’août 2020 ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [X] aux dépens d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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