L’Essentiel : La société Cider, spécialisée dans les produits électroniques, a licencié M. [G] [F] pour faute grave en avril 2020, suite à un comportement agressif et des injures sur Facebook. M. [F] a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a initialement jugé le licenciement justifié, mais non pour faute grave. En appel, la cour a infirmé ce jugement, confirmant la faute grave et déboutant M. [F] de ses demandes d’indemnités. La cour a également condamné M. [F] à verser 1 000 euros à la société Cider pour frais de justice.
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Présentation de la société CiderLa société Cider est une SARL immatriculée au RCS de Versailles, spécialisée dans l’étude, la réalisation, la vente et la réparation de produits électroniques et informatiques, ainsi que la maintenance de matériels électroniques et électromécaniques industriels. Elle emploie moins de 11 salariés. Engagement de M. [G] [F]M. [G] [F] a été engagé par la société Cider en tant que menuisier par contrat à durée indéterminée à partir du 3 novembre 2005. À la fin de sa relation contractuelle, il travaillait dans l’atelier de [Localité 3] et percevait une rémunération brute mensuelle de 2 878,20 euros, régie par la convention collective nationale de la métallurgie. Procédure de licenciementLe 30 mars 2020, la société Cider a convoqué M. [G] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 7 avril 2020. Le 10 avril 2020, M. [F] a été licencié pour faute grave, en raison d’un comportement agressif envers un collègue, d’injures publiques sur Facebook et d’une absence injustifiée. Demande de M. [G] [F]M. [G] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy le 10 février 2021, demandant que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. Le jugement du 21 mars 2022 a déclaré le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse, mais non motivé par une faute grave. Jugement du conseil de prud’hommesLe conseil de prud’hommes a condamné la société Cider à verser à M. [G] [F] plusieurs indemnités, totalisant 11 436 euros pour l’indemnité de licenciement, 5 756,40 euros pour le préavis, et d’autres sommes pour les congés payés et le rappel de salaire. La société Cider a été déboutée de sa demande reconventionnelle. Appel de la société CiderLa société Cider a interjeté appel le 8 avril 2022, demandant l’infirmation du jugement et la requalification du licenciement de M. [F] en licenciement pour faute grave, entraînant la perte de ses indemnités. Arguments de M. [G] [F]M. [G] [F] a demandé à la cour de confirmer le jugement de première instance, arguant que son licenciement n’était pas justifié. Il a également sollicité des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour défaut de formation. Recevabilité de l’appel incidentLa cour a jugé recevable l’appel incident de M. [G] [F], considérant que ses conclusions contenaient une demande d’infirmation du jugement initial. Demande de dommages-intérêts pour défaut de formationM. [G] [F] a réclamé 7 000 euros pour préjudice lié à l’absence de formation, mais la cour a infirmé cette demande, constatant qu’il n’avait pas prouvé le préjudice subi. Analyse du licenciementLa cour a examiné les griefs invoqués par la société Cider, notamment le comportement agressif de M. [F], ses injures sur Facebook et son absence injustifiée. Elle a conclu que ces faits constituaient une faute grave justifiant le licenciement. Décision finale de la courLa cour a infirmé le jugement du conseil de prud’hommes, déclarant le licenciement de M. [F] justifié pour faute grave. Elle a débouté M. [F] de toutes ses demandes et l’a condamné à verser 1 000 euros à la société Cider au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de validité d’un licenciement pour faute grave selon le Code du travail ?Le licenciement pour faute grave est régi par plusieurs articles du Code du travail, notamment l’article L.1232-1 et l’article L.1235-1. L’article L.1232-1 stipule que : « Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. » Cela signifie que l’employeur doit prouver que le licenciement repose sur des faits objectifs, vérifiables et imputables au salarié. De plus, l’article L.1235-1 précise que : « En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. » Si un doute subsiste, il profite au salarié. Enfin, la faute grave est définie comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, justifiant ainsi une rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur. Quels sont les effets d’un licenciement pour faute grave sur les indemnités du salarié ?Les effets d’un licenciement pour faute grave sont clairement établis par les articles L.1234-1 et L.1234-9 du Code du travail. L’article L.1234-1 dispose que : « En cas de licenciement pour faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement. » Cela signifie que le salarié licencié pour faute grave ne peut prétendre à aucune indemnité compensatoire de préavis ni à l’indemnité légale de licenciement. L’article L.1234-9 précise également que : « Les dispositions relatives à l’indemnité de licenciement ne s’appliquent pas en cas de licenciement pour faute grave. » Ainsi, en cas de licenciement pour faute grave, le salarié est totalement privé de ces droits, ce qui constitue une sanction sévère pour les comportements fautifs. Comment le juge apprécie-t-il les motifs de licenciement invoqués par l’employeur ?L’appréciation des motifs de licenciement par le juge est encadrée par l’article L.1235-1 du Code du travail. Cet article indique que : « En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. » Le juge doit se baser sur les éléments de preuve fournis par les parties. Si des doutes subsistent quant à la véracité des motifs, ces doutes doivent profiter au salarié. Cela implique que l’employeur doit fournir des preuves tangibles et objectives pour justifier le licenciement, et que le juge a un rôle d’évaluation des faits présentés. Quelles sont les conséquences d’une absence injustifiée sur le licenciement d’un salarié ?L’absence injustifiée d’un salarié peut constituer un motif de licenciement, comme le stipule l’article L.1232-1 du Code du travail. Cet article précise que : « Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. » Une absence injustifiée peut être considérée comme un manquement aux obligations contractuelles du salarié, ce qui peut justifier un licenciement. Dans le cas d’une absence prolongée sans justification, l’employeur peut invoquer ce fait comme un des motifs de licenciement, à condition de prouver que cette absence a eu un impact sur le fonctionnement de l’entreprise. Le juge examinera alors si l’absence était effectivement injustifiée et si elle a eu des conséquences sur l’entreprise. Quelles sont les implications de la liberté d’expression du salarié dans le cadre de son licenciement ?La liberté d’expression des salariés est protégée, mais elle doit être exercée dans le respect des obligations professionnelles. L’article L.1121-1 du Code du travail stipule que : « Aucun salarié ne peut être sanctionné pour avoir exercé son droit d’expression, sauf si cela porte atteinte à l’entreprise. » Dans le cas d’un licenciement, si un salarié exprime des critiques à l’égard de son employeur, cela peut être considéré comme un abus de la liberté d’expression si les propos sont injurieux ou diffamatoires. Le juge doit alors évaluer si les propos tenus par le salarié, comme des injures publiques, constituent un abus de cette liberté et justifient un licenciement. Ainsi, même si la liberté d’expression est un droit fondamental, elle ne doit pas nuire à l’image ou au fonctionnement de l’entreprise. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-3
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JANVIER 2025
N° RG 22/01161 –
N° Portalis DBV3-V-B7G-VECN
AFFAIRE :
S.A.R.L. CIDER
C/
[G] [F]
Décision déférée à la cour : Jugement rendue le 21 Mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY
N° Section : I
N° RG : 21/00057
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Béatrice BONACORSI
Me Typhanie BOURDOT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. CIDER
N° SIRET : 442 511 747
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Béatrice BONACORSI, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 66
APPELANTE
****************
Monsieur [G] [F]
né le 26 Janvier 1982 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Typhanie BOURDOT de la SELARL MBD AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 644
Plaidant : Me Aurélie COSTA, avocat au barreau de PARIS
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Mme Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
La société Cider est une société à responsabilité limitée (SARL) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Versailles sous le n° 442 511 747, elle a pour activité l’étude, la réalisation, la vente et la réparation de produits électroniques et informatiques, ainsi que la maintenance de matériels électroniques et électromécaniques industriels et emploie moins de 11 salariés.
Par contrat à durée indéterminée, M. [G] [F] a été engagé par la société Cider en qualité de menuisier, à compter du 3 novembre 2005.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [G] [F] exerçait ses fonctions au sein de l’atelier de [Localité 3] et percevait une rémunération moyenne brute de 2 878,20 euros par mois.
Les relations contractuelles étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale de la métallurgie.
Par courrier remis en main propre le 30 mars 2020, la société Cider a convoqué M. [G] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s’est tenu le 7 avril 2020.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 10 avril 2020, la société Cider a notifié à M. [F] son licenciement pour faute grave, en ces termes :
« Le 16 mars dernier vous avez eu un comportement agressif et violent verbalement à l’encontre de M.[R], votre collègue de travail, sur les lieux de l’entreprise et pendant le temps de travail, en présence d’un client. Vous l’avez menacé de vous en prendre à lui physiquement, l’incitant à sortir de l’enceinte de la société pour lui »régler son compte, le casser, le démolir et le réduire en morceaux » selon vos propres termes, ce qui est inadmissible.
Le 19 mars 2020, j’ai constaté que vous aviez posté le 17 mars précédent un message sur votre page publique Facebook, accessible à tous, m’incriminant directement et me traitant de »patron véreux » car l’activité continuait au sein de l’entreprise, avec les précautions préconisées par le gouvernement.
Ces injures publiques et gratuites à mon égard ne sont pas tolérables.
Vous avez été en arrêt de travail du 16 au 20 mars mais n’avez pas repris votre poste le 23 mars 2020, sans explication ni justification. Vous êtes donc en absence injustifiée depuis le 23 mars jusqu’au 30 mars 2020, date de la notification de votre mise à pied conservatoire.
Cette conduite met en cause la bonne marche du service, l’image de l’entreprise et de son dirigeant.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 7 avril 2020 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons en conséquence de vous licencier pour faute grave à la date du présent courrier. ».
Par requête introductive reçue au greffe le 10 février 2021, M. [G] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy d’une demande tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement rendu le 21 mars 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Poissy a :
– dit que le licenciement de M. [G] [F] est justifié par une cause réelle et sérieuse et n’est pas motivé par une faute grave ;
– fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 2 878,20 euros ;
– condamné la société Cider à verser à M. [G] [F] avec intérêts légaux à compter du 19 février 2021, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation par la partie défenderesse, les sommes suivantes :
* 11 436 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
* 5 756,40 euros au titre de l’indemnité de préavis ;
* 575,40 euros au titre des congés payés y afférents ;
* 777,10 euros à titre de rappel de salaire ;
* 77,71 euros au titre des congés payés y afférents.
– rappelé que l’exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l’article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail ;
– condamné la société Cider à verser à M. [G] [F] la somme de :
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– débouté M. [G] [F] du surplus de ses demandes ;
– débouté la société Cider de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Cider aux entiers dépens.
Par déclaration d’appel reçue au greffe le 8 avril 2022, la société Cider a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 18 septembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 6 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Cider, appelante et intimée à titre incident, demande à la cour de :
– recevoir l’appel de la société Cider et le dire bien fondé ;
– déclarer irrecevable l’appel incident de M. [F] concernant ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour défaut de formation, conformément aux dispositions des articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile ;
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* dit que le licenciement de M. [G] [F] est justifié par une cause réelle et sérieuse et n’est pas motivé par une faute grave ;
* condamné la société Cider à verser à M. [G] [F] les sommes suivantes :
¿ 11 436 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
¿ 5 756,40 euros au titre de l’indemnité de préavis,
¿ 575,40 euros au titre des congés payés y afférents,
¿ 777,10 euros à titre de rappel de salaire,
¿ 77,71 euros au titre des congés payés y afférents,
¿ 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
* débouté la société Cider de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société Cider aux entiers dépens ;
Statuant de nouveau,
– juger que le licenciement de M. [F] est fondé sur des fautes graves, privatives des indemnités légales au titre du licenciement, préavis et accessoires ;
– débouter M. [F] de ses demandes ;
– condamner M. [F] à rembourser à la société Cider la somme de 16 118,89 euros réglée en exécution des causes du jugement infirmé ;
– condamner M. [F] à restituer le bulletin de salaire y afférent ;
– condamner M. [F] à payer à la société Cider au titre de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 3 000 euros à la société Cider, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 14 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [G] [F], intimé et appelant à titre incident, demande à la cour de :
A titre principal :
– confirmer le jugement de première instance sauf en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [F] pourvu d’une cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau ;
– juger de l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement de M. [F] ;
– requalifier le licenciement de M. [F] en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
En conséquence, y ajoutant :
– condamner la société Cider au paiement des sommes suivantes :
* 34 538,40 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a condamné la société Cider au paiement de 777,10 euros au titre du rappel de salaire et 77,71 euros au titre des congés payés y afférents et 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la première instance ;
Y ajoutant :
– condamner la société Cider au paiement des sommes suivantes :
* 7 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l’absence de formation ;
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
– débouter la société Cider de l’ensemble de ses demandes.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 18 septembre 2024.
Sur la recevabilité de l’appel incident de l’intimé
La société Cider souligne que si les conclusions de l’intimé mentionnent en titre « conclusions d’intimé avec appel incident », celles-ci ne contiennent aucune formalisation d’un quelconque appel incident et de demande d’infirmation du jugement. Elle demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes formulées au dispositif concernant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celles relatives à l’absence de formation.
M. [G] [F] considère au contraire que le dispositif de ses écritures contient formellement une demande d’appel incident puisqu’il demande la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a jugé le licenciement pourvu d’une cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation, retenant qu’un appelant principal n’est pas différent d’un appelant incident, lui a étendu sa jurisprudence, l’obligeant à demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions, dès lors que cet appel incident tend à la réformation (Civ. 2 e , 1 er juill. 2021, n° 20-10.694).
Si la partie appelante doit impérativement mentionner dans le dispositif de ses conclusions qu’est demandée l’annulation ou l’infirmation du jugement, elle ne peut se contenter de demander l’infirmation, et elle doit formuler des prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement, faute de quoi la cour d’appel n’est saisie d’aucune prétention (Civ. 2 e , 5 déc. 2013, n° 12-23.611, Bull. 2013, II, n° 230).
Cependant, il y a lieu en l’espèce d’observer que le dispositif des conclusions de l’intimé est libellé de la manière suivante :
« confirmer le jugement de première instance sauf en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [F] pourvu d’une cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau ;
– juger de l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement de M. [F] ;
– requalifier le licenciement de M. [F] en licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
En conséquence, y ajoutant :
– condamner la société Cider au paiement des sommes suivantes :
* 34 538,40 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ».
Il y a lieu d’en déduire que la demande visant à solliciter la confirmation du jugement sauf en ce qu’il a dit que le jugement était pourvu d’une cause réelle et sérieuse, permet d’en déduire que l’intimé sollicite dans le cadre de son appel incident la réformation d’une partie du jugement.
Le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’appel incident sera donc rejeté.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre du défaut de formation et d’adaptation
M. [F] reproche à la société Cider de ne pas avoir respecté cette obligation et sollicite à ce titre la condamnation de son employeur au paiement de la somme de 7 000 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de l’absence de formation pendant ses 15 années au service de la société Cider.
La société Cider ne réplique pas sur ce point.
L’article L.6321-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, prévoit cette obligation.
Il est jugé de manière constante que le fait pour un salarié qui, pendant sa présence longue dans l’entreprise n’a bénéficié d’aucune ou de très peu de formation, justifie le manquement de l’employeur à son obligation (Soc. 9 décembre 2015, n°14-20.377).
La défaillance de l’employeur est établie en raison de l’absence de pièce.
Cependant, si M. [F] affirme qu’il souhaitait évoluer au sein de l’entreprise Cider, il y a lieu de constater qu’il ne justifie pas du préjudice qui résulterait de ce qu’en l’absence de formation il n’a pas pu retrouver un emploi qualifié, ni même comme il l’affirme que ces formations l’auraient aidé à développer l’auto-entreprenariat qu’il a développé deux ans avant la fin de son contrat de travail.
Il convient en conséquence, infirmant le jugement, de le débouter de sa demande à ce titre.
Sur le licenciement
Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis. La charge de la preuve pèse sur l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement reproche au salarié trois griefs : un comportement agressif et violent le 16 mars 2020, la publication d’un post sur le compte Facebook du salarié le 17 mars 2020 et une absence injustifiée du 23 mars 2020 au 30 mars 2020.
L’employeur reproche aux premiers juges d’avoir procédé à la requalification du licenciement pour faute grave en un licenciement sans cause réelle et sérieuse car, si les trois griefs invoqués dans la lettre de licenciement ont été retenus comme établis, la prise en compte de faits postérieur au licenciement ne pouvait, selon la société Cider, permettre de remettre en cause celui-ci.
Concernant l’examen du premier grief relatif au « comportement agressif et violent » de M. [F] le 16 mars 2020, deux attestations sont produites aux débats.
En effet, M. [R] indique que M. [F] lui a reproché d’avoir mal rangé un outil dans l’atelier et que M. [F], s’énervant, lui a alors « demandé de sortir dans la rue » en le « menaçant de lui casser la figure ». Ces faits sont relatés de la même manière dans la lettre de licenciement à l’exception des propos qui auraient été tenus par M. [F] lorsqu’il aurait dit, s’adressant à M. [R], qu’il voulait le « casser, le démolir et le réduire en morceaux ».
Cette scène est décrite de la même manière par M. [P], salarié de la société Createst présent à l’extérieur du bâtiment le 16 mars 2020, en présence de M. [H], gérant de la société Cider, et d’un client, qui atteste que M. [F] est passé à quelques mètres d’eux et a « proféré des menaces à l’encontre de M. [R] », l’invitant « à quitter l’enceinte de la société afin de régler leurs comptes ». Il indique que M. [H] s’est interposé, a rappelé à M. [F] que le gérant avait seul qualité pour résoudre les différends entre les salariés et que ces échanges n’avaient pas leur place dans l’établissement.
Ce comportement, qui s’est déroulé en présence d’un client de la société, caractérise la violence et l’agressivité dont a fait preuve M. [F] à l’encontre de M. [R] le 16 mars 2020. Contrairement à ce que soutient le salarié, le fait que les propos exacts de messieurs [R] et [P] ne soient pas repris dans la lettre de licenciement importe peu dès lors qu’il est fait mention avec suffisamment de détails et de précisions du grief.
La cour en déduit que ces faits de violence sont incompatibles avec les relations professionnelles sur un lieu de travail et constituent une faute grave.
Ce premier grief est donc établi.
Concernant le terme « patron véreux » employé par M. [F] sur un post réalisé sur son compte Facebook ouvert sur son pseudo « Kinane DJ » avec sa photographie.
Sur sa page Facebook, M. [F] a bien eu un échange, authentifié par la production aux débats d’un procès-verbal de constat établi par huissier le 19 mars 2020 qui indique que, sous son pseudo « Kinane DJ », utilisé par le salarié dans le cadre de son activité de DJ, celui-ci a mentionné « il y a des patrons véreux qui ont rien à foutre que tu sois malade ou pas et que tu contamines ta famille alors penses à ta santé avant tout ! ». Un dénommé « [D] [Z] » a répondu à ce post « comme le tien ‘» et
M. [F] de répondre « tu crois que j’ai fais le post pour quoi, en plus il m’espionne ».
En premier lieu, il y lieu de rappeler que le juge dans le cadre de son office doit rechercher si la configuration privée du compte personnel Facebook ouvert par le salarié sous un pseudonyme, ne conférait pas aux publications diffusées sur ce compte et aux commentaires qu’il avait publiés sous pseudonyme sur des groupes publics, le caractère d’une conversation de nature privée, seules les personnes qu’il avait agréés ayant pu accéder aux publications diffusés sur son compte et d’identifier sous le pseudonyme avec lequel il commentait ou ‘aimait’ les publications diffusées sur des comptes ouverts au public (Cass. Soc 20 septembre 2023, n°21-18.953).
Le caractère d’une conversation de nature privée ne peut être retenu dès lors que le salarié est parfaitement identifié par sa photo de profil et que le commentaire est fait sur l’espace public du compte Facebook du salarié, visible de tous.
En second lieu, il y a lieu de relever, comme l’ont fait les premiers juges, que contrairement à ce que soutient M. [F], ce post ne peut être considéré comme relatif à la liberté d’expression du salarié.
La cour en déduit que, contrairement à ce que soutient le salarié, le terme de « patron véreux », expressément dirigé contre l’employeur à travers le post Facebook du 17 mars 2020, constitue une expression injurieuse constitutive d’un abus de la liberté d’expression accordée aux salariés.
Ce second grief est donc établi.
Concernant le troisième grief relatif aux absences injustifiées sur la période du 23 au 30 mars 2020.
Il y a lieu de souligner que le contexte de cette absence injustifiée, est celui de la crise sanitaire dans le cadre du premier confinement qui a débuté en France le 18 mars 2020.
Les premiers juges ont estimé à raison, à supposer que M. [R] établisse qu’il avait en mars 2020 la garde de ses enfants et que son adresse ne soit pas celle de ses bulletins de paie, qu’il ressort des pièces versées aux débats que le salarié n’est pas en mesure de justifier de son absence et qu’il n’a mis en place aucune des procédures alors proposées par le gouvernement, notamment dans le cadre des absences pour garde d’enfants.
Ce troisième grief est donc établi.
Le salarié invoque deux ultimes moyens tirés de la tardiveté de la mise en place de la procédure de licenciement d’une part et du contexte dans lequel une relation de travail s’est nouée avec son ancien employeur après son licenciement.
Concernant la tardiveté prétendue de la mise en place de la procédure à l’encontre du salarié, celui-ci ne peut reprocher à son employeur, qui soutient que les faits reprochés sont particulièrement graves, et alors que ceux-ci sont datés de la mi-mars 2020, d’avoir attendu le 30 mars 2020 pour décider d’une mise à pied disciplinaire. En effet il ressort des pièces versées aux débats que l’envoi le 24 mars 2020 de la lettre de convocation à entretien préalable, non réclamée par le salarié et envoyée de nouveau le 30 mars 2020, justifie la mise en place dans un délai parfaitement raisonnable par l’employeur de son pouvoir disciplinaire.
Concernant le fait que la société Cider ait fait appel à M. [F] après son licenciement, s’il est établi que l’employeur avait connaissance, pendant la relation de travail, que son salarié avait créé depuis le 1er décembre 2018 une activité d’auto-entrepreneur dans le secteur de la menuiserie, il ne saurait être reproché à la société Cider d’avoir sollicité et régler une prestation de travail dans ce cadre auprès de son ancien salarié. En effet, cette demande s’est faite dans un contexte exceptionnel, celui de la crise sanitaire, quatre mois après le licenciement, à une seule reprise le 16 août 2020 et alors que le seul autre menuisier de la société Cider était sur cette période en arrêt de travail.
Dès lors, le licenciement pour faute grave de M. [F] est donc justifié et la décision prud’homale sera donc infirmée.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement. En conséquence, il y a lieu de débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes financières y compris celle tenant à la mise à pied, parfaitement justifiée dans ce contexte.
La restitution des sommes versées en exécution de la décision infirmée est, sans qu’il y ait lieu de
l’ordonner, la conséquence de l’arrêt infirmatif rendu.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [F] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, débouté de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné à verser à la société Cider une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:
DIT l’appel incident de M. [F] recevable ;
INFIRME le jugement du conseil des prud’hommes de Poissy du 21 mars 2022,
Statuant de nouveau ;
DIT que le licenciement pour faute grave M. [F] justifié ;
DÉBOUTE le salarié de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ou salariales ;
CONDAMNE M. [F] à verser à la société Cider la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [F] aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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