Licenciement pour faute grave : enjeux de preuve et de motivation dans le cadre d’un contrat de travail.

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Licenciement pour faute grave : enjeux de preuve et de motivation dans le cadre d’un contrat de travail.

L’Essentiel : La société JL International a licencié M. [X] pour faute grave le 16 octobre 2020, suite à des accusations de comportements inappropriés lors du transport d’enfants en situation de handicap. M. [X] a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a confirmé la faute grave en première instance. Cependant, en appel, la cour a infirmé cette décision, jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a annulé la mise à pied conservatoire et ordonné à la société de verser plusieurs indemnités à M. [X], incluant des sommes pour licenciement abusif et rappel de salaire.

Présentation de la société et du salarié

La société JL International, spécialisée dans le transport routier de personnes, a engagé M. [T] [X] en tant que conducteur accompagnateur le 4 octobre 2016. Ce dernier a été mis à pied à titre conservatoire le 15 septembre 2020, suite à des accusations de manquements graves dans l’exécution de ses fonctions.

Procédure de licenciement

Le 16 septembre 2020, M. [X] a été convoqué à un entretien préalable, auquel il ne s’est pas présenté. Le 16 octobre 2020, la société a notifié son licenciement pour faute grave, en se basant sur plusieurs griefs, notamment des comportements inappropriés lors du transport d’enfants en situation de handicap.

Réactions de M. [X]

En réponse à son licenciement, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil le 30 novembre 2020, demandant la requalification de son licenciement et diverses indemnités. Il a contesté les motifs de son licenciement, arguant qu’ils étaient infondés et que la société n’avait pas prouvé les faits reprochés.

Jugement de première instance

Le 2 juin 2022, le conseil de prud’hommes a jugé que les motifs de licenciement constituaient une faute grave et a débouté M. [X] de ses demandes. La société a également été déboutée de sa demande d’indemnisation.

Appel de M. [X]

M. [X] a interjeté appel de cette décision le 27 juin 2022. Les parties ont été invitées à rencontrer un médiateur, mais aucune médiation n’a eu lieu. M. [X] a maintenu ses demandes d’indemnisation et a contesté la décision de première instance.

Analyse des griefs

La cour a examiné les griefs énoncés dans la lettre de licenciement, notamment le refus de priorité, le fait d’avoir heurté un poteau, des insultes et la remise d’un enfant à une personne non identifiée. La cour a constaté que la société n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour établir la véracité de ces accusations.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a infirmé le jugement de première instance, déclarant le licenciement de M. [X] sans cause réelle et sérieuse. Elle a annulé la mise à pied conservatoire et a ordonné à la société de verser plusieurs indemnités à M. [X], y compris des sommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de préavis et rappel de salaire.

Conséquences financières

La cour a fixé les indemnités dues à M. [X] en fonction de son ancienneté et de son salaire, tout en ordonnant que les créances salariales portent intérêts au taux légal. La société a également été condamnée à payer des dépens d’appel et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de validité d’un licenciement pour faute grave selon le Code du travail ?

Le licenciement pour faute grave doit respecter certaines conditions prévues par le Code du travail, notamment l’article L. 1232-1, qui stipule que :

« Tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. »

Cela signifie que la cause du licenciement doit être objective, existante et exacte, imputable au salarié, et d’une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail.

La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, ce qui implique qu’il doit fournir des éléments concrets et vérifiables pour justifier sa décision.

En l’espèce, la société JL International a invoqué plusieurs griefs à l’encontre de M. [X], mais la cour a constaté que ces griefs n’étaient pas prouvés de manière satisfaisante.

Comment se détermine la cause réelle et sérieuse d’un licenciement ?

La cause réelle et sérieuse d’un licenciement se détermine en fonction des faits qui ont conduit à la décision de l’employeur. Selon l’article L. 1232-1 du Code du travail :

« Le licenciement doit être fondé sur des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d’une certaine gravité. »

Cela signifie que l’employeur doit prouver que les faits reprochés au salarié sont réels et qu’ils justifient la rupture du contrat de travail.

Dans le cas de M. [X], la cour a relevé que la société JL International n’avait pas produit de preuves suffisantes pour établir les faits reprochés, tels que le refus de priorité, le heurt d’un poteau, ou les insultes.

Ainsi, la cour a conclu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, car les griefs n’étaient pas établis.

Quelles sont les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Lorsqu’un licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse, l’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit que :

« Le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, selon un barème fixé par le texte. »

Pour une ancienneté de 4 années, M. [X] a droit à une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 5 mois.

Dans ce cas, la cour a fixé l’indemnité à 1 045,23 euros, représentant 3 mois de salaire, car M. [X] avait environ 77 ans au moment de son licenciement et bénéficiait d’un cumul emploi-retraite.

De plus, la mise à pied conservatoire a été annulée, et M. [X] a droit à des rappels de salaire et des indemnités compensatrices pour préavis et congés payés.

Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de remise de documents de fin de contrat ?

Les obligations de l’employeur en matière de remise de documents de fin de contrat sont régies par les articles L. 1234-19, L. 1234-20 et R. 1234-9 du Code du travail, qui stipulent que :

« À l’expiration du contrat de travail, l’employeur délivre au salarié un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et des attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations de chômage. »

L’absence ou le retard de délivrance de ces documents constitue un manquement de l’employeur à ses obligations, ce qui peut conduire à allouer des dommages et intérêts au salarié.

Dans le cas de M. [X], bien qu’il ait produit un certificat de travail, il n’a pas justifié avoir réclamé les autres documents ni subi de préjudice. Par conséquent, il a été débouté de sa demande concernant la remise des documents de fin de contrat.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 JANVIER 2025

N° RG 22/02033 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VI34

AFFAIRE :

[T] [X]

C/

S.A.S. JL INTERNATIONAL prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 juin 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARGENTEUIL

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 20/00242

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Ghislain DADI

Me Christophe DEBRAY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

APPELANT

Monsieur [T] [X]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257

****************

INTIMÉE

S.A.S. JL INTERNATIONAL prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 418 87 2 5 37

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 octobre 2024, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère,

Madame Isabelle CHABAL, Conseillère,

Greffière placée lors des débats : Madame Gaëlle RULLIER,

Greffière en préaffectation lors de la mise à disposition : Madame Victoria LE FLEM,

EXPOSE DU LITIGE

La société JL International (Siren n°418 872 537), dont le siège social est situé [Adresse 1] à [Localité 6], dans le département de la Seine-et-Marne, est spécialisée dans le secteur d’activité du transport routier de personnes et effectue du transport adapté. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

M. [T] [X] a été engagé par la société JL International à compter du 4 octobre 2016 en qualité de conducteur accompagnateur, catégorie ouvrier CPS, dans le cadre d’un cumul emploi-retraite.

Il a été mis à pied à titre conservatoire le 15 septembre 2020, verbalement avec confirmation écrite par courrier du même jour.

Par courrier en date du 16 septembre 2020, la société JL International a convoqué M. [X] à un entretien préalable prévu le 30 septembre 2020, auquel il ne s’est pas présenté.

Par courrier en date du 16 octobre 2020, la société JL International a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

‘Nous faisons suite à l’entretien du mercredi 30 septembre 2020 à 14h30 auquel vous êtes venu non accompagné et au courrier de mise à pied qui vous a été notifié le 15 septembre 2020.

Vous avez été embauché le 4 octobre 2016 en qualité de ‘conducteur accompagnateur’ à temps partiel. Votre mission consiste à transporter des enfants en situation de handicap dont vous avez la charge, de leur domicile à leur établissement scolaire.

Nous avons à déplorer les faits suivants :

Le 15 septembre 2020, nous avons reçu un courrier d’Ile de France Mobilités nous précisant qu’une salariée du SAIS 92 avait transmis un mail informant de vos manquements dans l’exécution de votre mission :

– le 9 septembre 2020, vous avez refusé une priorité à droite,

– vous avez heurté un poteau en vous garant,

– vous avez prononcé des insultes devant l’enfant que vous transportez,

– et vous avez confié l’enfant dont vous avez la charge à une personne que vous ne connaissiez pas lors de sa dépose à l’Accueil de Loisirs Sans Hébergement [alsh]Parmentier.

Nous vous rappelons que vous êtes tenu de respecter le code de la route. Le Livret d’Instructions Professionnelles précise que vous devez garantir le bien-être des passagers. ‘Au volant le conducteur accompagnateur est responsable des propos tenus et de la courtoisie requise au sein de son véhicule.’

Il est également indiqué que vous devez accompagner les passagers jusqu’à leur destination finale en les confiant à un adulte responsable (famille, enseignant, éducteur…).

Pour ces raisons nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.

A la date d’envoi du présent courrier, vous ne ferez plus partie du personnel de l’entreprise, sans indemnité de préavis ni de licenciement.’

Par requête du 30 novembre 2020, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil des demandes suivantes :

– fixer le salaire moyen de M. [X] à la somme de 348,41 euros (à parfaire),

– dire et juger que le licenciement de M. [X] est sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

– condamner la société JL International à verser à M. [X] :

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 090,46 euros,

. indemnité de licenciement légale : 348,41 euros,

. indemnité compensatrice de préavis : 696,82 euros,

. congés payés afférents : 69,68 euros,

– annuler la mise à pied conservatoire du 15 septembre 2020,

– rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 348,41 euros,

– congés payés afférents : 34,84 euros,

– rappel de salaire sur heures supplémentaires (sic),

– congés payés afférents : mémoire,

– dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail : 2 500 euros,

– non remise des documents de fin de contrat : 1 500 euros,

– article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros,

– dire que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil (anciennement 1154 du code civil),

– ordonner l’exécution provisoire (515 du code de procédure civile),

– entiers dépens.

La société JL International avait, quant à elle, demandé que M. [X] soit débouté de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par jugement contradictoire rendu le 2 juin 2022, la section commerce du conseil de prud’hommes d’Argenteuil a :

– jugé que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement doivent s’analyser en une faute grave avec toutes conséquences de droit,

– débouté M. [X] de l’intégralité de ses demandes,

– débouté la société JL International de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les éventuels dépens à la charge de M. [X].

M. [X] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 27 juin 2022.

Par ordonnance rendue le 20 septembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur judiciaire. Les parties n’ont cependant pas souhaité entrer en médiation.

Par conclusions adressées par voie électronique le 26 septembre 2022, M. [X] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris,

statuant à nouveau,

– fixer le salaire moyen de M. [X] à la somme de 348,41 euros (à parfaire),

– juger que le licenciement de M. [X] est sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement, requalifier le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

– condamner la société JL International à verser à M. [X] :

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 090,46 euros,

. indemnité légale de licenciement : 348,41 euros,

. indemnité compensatrice de préavis : 696,82 euros,

. congés payés afférents : 69,68 euros,

– annuler la mise à pied conservatoire du 15 septembre 2020,

– condamner la société à verser à M. [X] :

. rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 348,41 euros,

. congés payés afférents : 34,84 euros,

. dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail : 2 500 euros,

. non-remise des documents de fin de contrat : 1 500 euros,

– article 700 (du code de procédure civile) : 2 000 euros,

– juger que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil (anciennement 1154 du code civil),

– condamner la société JL International aux entiers dépens.

La société JL International a constitué avocat le 20 juillet 2022 en la personne de Me Sauvage puis le 8 mars 2023 en la personne de Me Debray.

Le 14 décembre 2022 Me Sauvage a déclaré par message électronique déposer des conclusions sans pour autant les joindre à son message.

Par soit-transmis du 20 septembre 2023, la présidente de la chambre a demandé aux parties de formuler des observations sur le fait qu’à défaut de pièces ou conclusions jointes au message du 14 décembre 2022, la cour n’en est pas saisie.

Par message du 20 septembre 2023, le conseil de M. [X] a indiqué que son contradicteur est Me Debray et s’en est rapporté à justice sur l’absence de conclusions. Me Debray n’a pas répondu.

Par soit-transmis du 11 septembre 2024, la présidente de la chambre a demandé les observations de Me Debray sur le moyen soulevé d’office de l’irrecevabilité de toutes conclusions de l’intimé.

Aucune réponse n’a été apportée par Me Debray et l’intimée n’a signifié aucune conclusion.

Par ordonnance rendue le 25 septembre 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au vendredi 4 octobre 2024.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

L’intimée n’ayant pas conclu, elle est réputée s’être approprié les motifs du jugement.

Par application de l’article 472 du code de procédure civile, le juge d’appel ne fait droit à l’appel que si celui-ci lui paraît fondé dans ses critiques de la décision rendue par les premiers juges.

Il est relevé que si dans la déclaration d’appel M. [X] conteste le débouté de sa demande formée au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, ses conclusions ne comportent aucune demande de ce chef, de sorte que la cour n’est pas saisie d’une contestation à ce titre, en application de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile.

Sur le bien-fondé du licenciement

M. [X] expose qu’il a contesté son licenciement par courrier du 23 octobre 2020 en niant avoir refusé une priorité, heurté un poteau en se garant et prononcé des jurons et en expliquant qu’il a confié l’enfant à une responsable de la structure qu’il avait identifiée. Il soutient que la société a produit en première instance deux mails de témoins indirects et un courrier du même auteur qu’un des deux mails, que la valeur probante des mails est nulle et que leur contenu est mensonger, personne n’ayant été témoin direct des faits reprochés.

Il résulte de l’article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause du licenciement, qui s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d’une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.

En l’espèce, la lettre de licenciement évoque quatre griefs à l’encontre de M. [X].

La société JL International ne verse aucune pièce au débat de nature à démontrer la réalité de ces griefs. Il convient de se rapporter aux pièces énoncées par le jugement de première instance pour fonder sa décision et aux pièces produites par le salarié.

– un refus de priorité à droite le 9 septembre 2020

Le conseil de prud’hommes a retenu que la demande formée par courriel du 15 septembre 2020 par la chef de Pôle de Paris de changement immédiat de chauffeur vient accréditer l’accident ; que le courrier de la même responsable mettant la société JL International en demeure d’exécuter l’ensemble des prestations telles qu’elles ont été notifiées en procédant au changement de chauffeur, accompagnée de menaces de pénalités liées à des manquements graves, est une procédure qui ne comprend aucune lacune ni ambiguïté sur la réalité, la nature du dysfonctionnement ni sur la responsabilité directe du chauffeur M. [X].

Dans ses conclusions, M. [X] reproduit le courriel dont l’objet est ‘Urgent – mise en danger de l’élève [G] [A]’ qui a été adressé le 15 septembre 2020 par Mme [V] [R], cheffe de pôle [Localité 4] Petite Couronne à Mme [Y] [C], dont la fonction n’est pas explicitée :

‘Madame [C],

Pouvez-vous me contacter au sujet d’un de vos chauffeurs M. [X] (sic) dont la conduite met en danger le transport de l’élève [G] [A].

En parallèle, je vous demande un changement immédiat de chauffeur’.

Toujours selon les écritures de M. [X], ce courriel aurait été doublé d’un courrier signé de Mme [R] dont il propose un extrait sans en citer la date ou le destinataire, aux termes duquel Mme [R] indique avoir été informée par courriel du 15 septembre 2020 par Mme [J] du SAIS 92 de l’ensemble des griefs qui sont repris dans la lettre de licenciement.

M. [X] cite le texte de l’autre courriel produit par la société, signé de M. [U] de la mairie de [Localité 5] :

‘Je me permets de vous faire un retour concernant la prise en charge de votre enfant [A] au sein de l’accueil de loisirs Parmentier.

En effet en date du 9 septembre [A] a intégré l’alsh de Parmentier et a été déposé par un chauffeur qui malheureusement n’a pas fait preuve de professionnalisme et de vigilance.

En déposant votre enfant, le chauffeur a refusé une priorité à droite pouvant entraîner un accident et tout cela devant le directeur de la police municipale de [Localité 5].

Il a ensuite confié votre enfant à une personne qu’il pensait être du personnel de l’école et qu’il ne connaissait pas, je lui ai demandé où était l’enfant il m’a rétroqué ‘une dame est entrée avec dans l’école’.

Il est avéré par chance que cette personne était la psychologue de votre enfant.

Je pense qu’il serait judicieux que cette personne s’abstienne de conduire afin d’éviter un éventuel accident et s’assure de confier des enfants au bon interlocuteur.

Vous lui confiez votre enfant il se doit d’être irréprochable.’

Les auteurs de ces courriels ou courriers n’ont pas été les témoins directs du refus de priorité et aucune attestation du directeur de la police municipale de [Localité 5] n’est produite. Ainsi que l’a exprimé M. [X] dans son courrier du 23 octobre 2020, aucune indication sur le lieu de commission de la supposée infraction n’est donnée.

Le fait ne peut dans ces conditions être considéré comme valablement établi.

– avoir heurté un poteau en se garant

Ainsi que le fait valoir M. [X], la lettre de licenciement ne précise ni la date des faits ni les éventuels dégâts causés au véhicule de transport. A supposer que les faits aient été commis le 9 septembre 2020 lors du tranport de l’enfant [A], aucun des courriels évoqués plus avant ne les mentionne non plus que les dégâts matériels qui auraient été causés.

Le fait n’est donc pas établi.

– avoir prononcé des insultes devant l’enfant qu’il transportait

La cour constate que la lettre de licenciement ne cite pas les propos tenus par M. [X], dont il n’est fait état dans aucun des courriels ou courrier cités.

Le fait n’est donc pas établi.

– avoir confié l’enfant dont il avait la charge à une personne qu’il ne connaissait pas

Il est reproché à M. [X] d’avoir confié l’enfant [A] à une personne qu’il ne connaissait pas.

Cette affirmation ressort du courriel de M. [U], dont il n’est cependant pas établi qu’il a été témoin des faits.

La cour relève que M. [U] s’adresse à la mère de l’enfant [A] pour lui relater les conditions de prise en charge de son enfant mais aucune plainte de ce parent n’est produite ni même évoquée au titre de la première instance.

Dans son courrier du 23 octobre 2020, M. [X] a répondu qu’il a confié l’enfant à une personne qu’il avait identifiée comme membre du personnel appartenant aux responsables de la structure. Il a indiqué qu’il l’avait vue en cours de route, qu’elle lui avait dit ‘on se rejoint à l’école’, qu’une fois qu’il est arrivé elle l’a informé du passage réservé pour la dépose et a pris l’enfant.

Il produit l’attestation de Mme [E] [H], psychologue, qui relate avoir récupéré l’enfant [A] [G] auprès du chauffeur pour l’accompagner au centre de loisirs alsh Parmentier le 9 septembre 2020 (pièce 7).

Le conseil de prud’hommes a énoncé que le marché des transports d’enfants handicapés contient des mentions particulièrement précises et contraignantes pour la sécurité du transport et l’accompagnement sur le site de l’établissement scolaire ; que la notion de ‘conducteur accompagnateur’ sous-entend un soin particulier dans la conduite et la prise en charge d’un enfant handicapé. Il a retenu que l’accompagnement de l’enfant venait d’être délégué à M. [X] depuis une semaine seulement, ce qui entraînait logiquement une attention particulière pour cette nouvelle disposition, compte tenu de son handicap ; que l’enfant a été confié non pas à l’AVS [assistante de vie scolaire] en charge de l’enfant ou à son enseignante, ce qui était requis dans le cadre de la mise en place d’une routine de confiance et de calme spécifique à son handicap, mais à la psychologue de l’école. Il a retenu, avec les autres griefs, l’existence d’une faute grave.

Cependant ne sont versés au débat, ni le contrat de travail de M. [X], ni le marché des transports d’enfants handicapés confié à la société JL International ni les spécificités prévues pour le transport de l’enfant [A] [G], qui permettraient d’affirmer que M. [X] a commis un manquement, grave ou non, à ses obligations.

Il ressort des pièces versées au débat que Mme [H] n’était pas inconnue de l’enfant [A] et qu’elle travaillait bien au sein de la structure alsh Parmentier. Aucune pièce ou mention de la décision de première instance ne caractérise une éventuelle perturbation de l’enfant [A] liée aux conditions de son transport par M. [X] le 9 septembre 2020.

Dans ces conditions, le grief ne peut être considéré comme établi.

Faute pour la société JL International d’établir que M. [X] a commis des manquements à ses obligations contractuelles, qui plus est qui empêchaient la poursuite des relations contractuelles et nécessitaient son départ immédiat, la décision de première instance doit être infirmée en ce qu’elle a déclaré fondé le licenciement pour faute grave et a débouté M. [X] des demandes financières afférentes au licenciement.

Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnisation du licenciement

La rémunération mensuelle brute de M. [X] était de 348,41 euros pour 33 heures de travail et il avait une ancienneté de 4 ans dans l’entreprise au moment de son licenciement.

Sur l’indemnité légale de licenciement

L’article R. 1234-4 du code du travail dispose que ‘le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.’

L’article 5 bis de l’accord du 16 juin 1961 relatif aux ouvriers figurant en annexe I à la convention collective applicable prévoit que :

‘Dans le cas de rupture du contrat individuel de travail du fait de l’employeur entraînant le droit au délai-congé, l’employeur versera à l’ouvrier licencié une indemnité de congédiement calculée en fonction de l’ancienneté, dans les conditions suivantes :

a) Ouvrier justifiant de 2 ans d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur : indemnité calculée à raison de 1/10 de mois par année de présence sur la base de la moyenne des salaires que l’intéressé a ou aurait perçus au cours des 3 derniers mois ;

b) Ouvrier justifiant d’au moins 3 années d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur : indemnité calculée à raison de 2/10 de mois par année de présence sur la base de la moyenne des salaires que l’intéressé a ou aurait perçus au cours des 3 derniers mois.

Dans le dernier cas, lorsque l’ouvrier licencié a atteint l’âge qui lui permet de bénéficier d’une retraite au titre du régime en vigueur dans l’entreprise, l’indemnité pourra être réduite de 20 % par année en cas de licenciement entre 60 et 65 ans. Si le montant de l’indemnité conventionnelle devenait, de ce fait, inférieur au montant de l’indemnité de licenciement légale, l’intéressé bénéficierait de plein droit de cette dernière.’

L’indemnité légale de licenciement due à M. [X] s’élève à la somme de 348,41 euros.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

La convention collective applicable prévoit en son annexe I article 5 qu’en cas de licenciement d’un ouvrier comptant 2 ans d’ancienneté, le délai-congé est de 2 mois.

Une somme de 696,82 euros doit être versée à M. [X] à ce titre, outre 69,68 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n°2017-1987 du 22 septembre 2017, prévoit que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, selon un barème fixé par le texte.

Pour une ancienneté de 4 années complètes dans la société M. [X] a droit à une indemnité mimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 5 mois.

Il sollicite une indemnité de 2 090,46 euros correspondant à 6 mois de salaire brut, qui excède le barème.

Il ressort de son numéro de sécurité sociale que M. [X] est né en 1943. Il avait donc environ 77 ans au moment de son licenciement. Il indique qu’il bénéficiait d’un cumul emploi-retraite mais ne justifie pas du montant de sa pension.

Son indemnité sera fixée à la somme de 1 045,23 euros représentant 3 mois de salaire.

Sur l’annulation de la mise à pied conservatoire

M. [X] n’ayant pas commis de faute grave, sa mise à pied conservatoire prononcée le 15 septembre 2020 doit être annulée et la société JL International doit être condamnée à lui payer une somme de 348,41 euros à titre de rappel de salaire outre 34,84 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi

M. [X] sollicite dans le dispositif de ses conclusions une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, sans invoquer dans la discussion aucun moyen au soutien de cette prétention.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui l’a débouté de sa demande faute d’avoir été argumentée par des pièces ou conclusions.

Sur la remise des documents de fin de contrat

M. [X] sollicite une indemnisation de 1 500 euros au motif que la société n’a pas maintenu à sa disposition un solde de tout compte ni son attestation Pôle emploi.

Les articles L. 1234-19, L. 1234-20 et R. 1234-9 du code du travail prévoient que l’employeur délivre au salarié, à l’expiration du contrat de travail, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et des attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations de chômage.

L’absence ou le retard de délivrance de ces documents constitue un manquement de l’employeur à ses obligations qui peut conduire à allouer des dommages et intérêts au salarié qui justifie en avoir subi un préjudice.

En l’espèce, M. [X] produit le certificat de travail établi le 16 novembre 2020 par la société JL International et le bulletin clarifié du mois d’octobre 2020 mais ne justifie pas avoir vainement réclamé les autres documents de fin de contrat à son employeur ni avoir subi un quelconque préjudice du fait d’un retard de délivrance desdits documents.

Il sera en conséquence débouté de sa demande, par confirmation de la décision entreprise.

Sur les intérêts moratoires

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens et en ce qu’elle a débouté M. [X] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile mais confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande formée par la société JL International du même chef.

La société JL International sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à M. [X] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’intégralité de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 2 juin 2022 par le conseil de prud’hommes d’Argenteuil excepté en ce qu’il a débouté M. [X] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et pour non remise des documents de fin de contrat et la société JL International de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

Dit que le licenciement de M. [T] [X] par la société JL International est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Annule la mise à pied conservatoire de M. [T] [X] du 15 septembre 2020,

Condamne la société JL International à payer à M. [T] [X] les sommes de :

– 348,41 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 696,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 69,68 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 045,23 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 348,41 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

– 34,84 euros au titre des congés payés afférents,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

Condamne la société JL International aux dépens d’appel,

Condamne la société JL International à payer à M. [T] [X] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’intégralité de la procédure.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Victoria Le Flem, greffière en préaffectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière en préaffectation, La présidente,


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