L’Essentiel : M. [E] [H] a été embauché par la Brasserie de Famille en tant que cuisinier le 18 septembre 2018. Le 31 juillet 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement, suivi d’une mise à pied conservatoire. Le 14 septembre 2020, il a reçu une notification de licenciement pour faute grave, qu’il a contestée. Le conseil de prud’hommes a requalifié ce licenciement en cause réelle et sérieuse, condamnant la société à verser des indemnités. En juillet 2022, la société a été placée en liquidation judiciaire, et M. [H] a interjeté appel pour faire valoir ses droits.
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Contexte de l’embaucheLa société Brasserie de Famille a embauché M. [E] [H] en tant que cuisinier par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein le 18 septembre 2018, avec une rémunération brute mensuelle de 3 072,65 euros pour 169 heures de travail par mois. La relation de travail était régie par la convention collective des hôtels, cafés et restaurants. Procédure de licenciementLe 31 juillet 2020, la société a convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 14 août 2020, et a décidé de le mettre à pied à titre conservatoire. Le licenciement pour faute grave a été notifié par lettre recommandée le 14 septembre 2020. M. [H] a contesté ce licenciement, estimant qu’il n’avait pas été traité équitablement. Décision du conseil de prud’hommesLe 8 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il a condamné la société à verser plusieurs indemnités à M. [H], y compris un rappel de salaire, des congés payés, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement, ainsi qu’une somme pour les frais de justice. Liquidation judiciaire de la sociétéLe 7 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre de la société Brasserie de Famille, désignant un mandataire liquidateur. M. [H] a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes le 16 décembre 2021. Appel et demandes de M. [H]M. [H] a assigné en intervention forcée le mandataire liquidateur et l’AGS, demandant l’infirmation du jugement sur plusieurs points, y compris la requalification de son licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a également demandé que ses créances soient reconnues au passif de la liquidation judiciaire. Arguments de la sociétéLa société, représentée par le mandataire liquidateur, a contesté les demandes de M. [H], soutenant que le licenciement pour faute grave était justifié. Elle a demandé l’infirmation du jugement et la restitution des sommes versées à M. [H] en raison de la décision initiale. Motivations du jugementLe jugement a examiné la légitimité du licenciement, concluant que les faits reprochés à M. [H] ne constituaient pas une faute grave. Il a été décidé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et M. [H] a été indemnisé pour son préjudice. Les créances de M. [H] ont été inscrites au passif de la société en liquidation. Remise des documents et intérêtsLa société a été condamnée à remettre à M. [H] les documents sociaux conformes à la décision. Les créances salariales ont été reconnues comme produisant des intérêts au taux légal, mais les créances indemnitaires n’ont pas produit d’intérêts en raison de la procédure collective. Dommages-intérêts pour licenciement vexatoireM. [H] a obtenu des dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires, en raison de la durée de sa mise à pied et des conditions de son licenciement. La somme a été fixée au passif de la société. Conclusion et dépensLa cour a confirmé certaines décisions du jugement initial tout en infirmant d’autres, notamment concernant la qualification du licenciement. La société a été condamnée aux dépens de la première instance et de l’appel, ainsi qu’à verser une somme pour les frais de justice à M. [H]. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la qualification juridique du licenciement de M. [H] ?Le licenciement de M. [H] a été initialement qualifié de faute grave par la société Brasserie de Famille. Cependant, le conseil de prud’hommes a requalifié ce licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Selon l’article L.1234-1 du Code du travail, « le licenciement d’un salarié ne peut être prononcé que pour une cause réelle et sérieuse ». La faute grave, définie à l’article L.1234-9, est celle qui « résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Dans cette affaire, la cour a jugé que les faits reprochés à M. [H], à savoir la prise de marchandises sans autorisation, ne justifiaient pas un licenciement pour faute grave, en raison de l’absence de sanctions antérieures et du caractère isolé des faits. Quels sont les droits de M. [H] en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’article L.1235-3 du Code du travail stipule que « le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ». Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau. Dans le cas présent, M. [H] a été indemnisé à hauteur de 5 000 euros, ce qui a été jugé suffisant pour réparer son préjudice, compte tenu de son ancienneté, de son âge et de sa capacité à retrouver un emploi. Quelles sont les conséquences financières du licenciement pour M. [H] ?Les conséquences financières du licenciement pour M. [H] incluent plusieurs indemnités. Selon le jugement, il a droit à : – 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ; Ces sommes seront inscrites au passif de la société en liquidation judiciaire, conformément à l’article L.622-28 du Code de commerce, qui arrête le cours des intérêts à la date d’ouverture de la procédure collective. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de remise de documents sociaux ?L’employeur a l’obligation de remettre au salarié licencié certains documents sociaux. Selon l’article L.1234-19 du Code du travail, « l’employeur remet au salarié, au moment de la rupture du contrat de travail, un certificat de travail, un bulletin de paie et une attestation destinée à Pôle emploi ». Dans cette affaire, la société Axyme, en tant que liquidateur judiciaire, a été condamnée à remettre à M. [H] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes à la décision de justice. Comment sont calculés les intérêts sur les créances salariales ?Les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de jugement, conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil. Cependant, ces intérêts s’arrêtent au jugement d’ouverture de la procédure collective, comme le précise l’article L.622-28 du Code de commerce. Dans le cas présent, les créances indemnitaires de M. [H] ne produisent pas d’intérêts en raison de l’ouverture de la liquidation judiciaire le 7 juillet 2022. Quelles sont les implications de la garantie de l’AGS pour M. [H] ?L’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés) est tenue d’avancer les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire. Selon l’article L.3253-15 du Code du travail, « les décisions de justice lui sont de plein droit opposables ». Ainsi, M. [H] peut s’attendre à ce que ses créances soient garanties par l’AGS dans les limites légales, ce qui lui assure un certain niveau de protection financière en cas de défaillance de l’employeur. |
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRET DU 26 NOVEMBRE 2024
(n° 2024/ , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10418 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3DG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 21/01274
APPELANT
Monsieur [E] [H]
Chez Madame [I] [H] [R]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Anne-Sophie TODISCO, avocat au barreau de PARIS, toque E 1265
INTIMES
SELARL AXYME prise en la personne de Me [L] [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRASSERIE DE FAMILLE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Sophie LEYRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P 372
PARTIE INTERVENANTE
AGS Délégation CGEA ILE DE FRANCE EST
N’ayant pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et de la formation
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre
Madame Séverine MOUSSY, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY
ARRET :
– REPUTE CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Catherine BRUNET, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 18 septembre 2018, la société Brasserie de Famille (ci-après la société) a embauché M. [E] [H] en qualité de cuisinier, moyennant une rémunération brute mensuelle de 3 072,65 euros pour une durée de travail de 169 heures par mois.
La relation contractuelle est soumise à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants en date du 30 avril 1997 et la société employait moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.
La société a, par lettre du 31 juillet 2020, convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 14 août suivant, assorti d’une mise à pied à titre conservatoire.
Elle lui a notifié son licenciement pour faute grave par lettre recommandée en date du 14 septembre 2020.
Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 11 février 2021.
Par jugement du 8 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour l’exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société à payer à M. [H] les sommes suivantes :
* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;
* 457,51 euros au titre des congés payés afférents ;
* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
* 1 656,83 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation;
* 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné à la société de remettre à M. [H] les documents sociaux conformes à la décision ;
– rappelé qu’en vertu de l’article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations étaient exécutoires de droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire fixée à 3 347,66 euros ;
– débouté M. [H] du surplus de ses demandes ;
– débouté la société de sa demande reconventionnelle ;
– condamné la société, partie succombante au litige, aux dépens de la présente instance.
Par jugement rendu le 7 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’encontre de la société et désigné la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [Y] [U] en qualité de mandataire liquidateur.
M. [H] a régulièrement interjeté appel du jugement par déclaration du 16 décembre 2021.
Par actes des 8 et 9 août 2022, M. [H] a assigné en intervention forcée la SELARL Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de mandataire liquidateur de la société et l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest (ci-après l’AGS).
L’AGS n’a pas constitué avocat.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 septembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [H] demande à la cour de le recevoir en ses demandes, fins et conclusions et y faisant pleinement droit et de ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes, en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– confirmer le jugement du chef des condamnations prononcées, de la remise des documents sociaux conformes et du débouté de la société de l’ensemble de ses demandes ;
et statuant à nouveau,
– juger que la faute grave n’est pas fondée;
– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse;
– débouter la société de l’ensemble de ses demandes;
– juger qu’il n’y a pas lieu à restitution des sommes versées par la société en règlement des causes du jugement;
en conséquence,
– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société prise en la personne de Maître [L] [U] ‘ SELARL Axyme – ès qualités de mandataire liquidateur, les sommes suivantes :
* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied du 31/07/2020 au 10/09/2020;
* 457,61 euros au titre des congés payés afférents;
* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis;
* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis;
* 1 656,83 euros au titre de l’indemnité de licenciement;
* 11 715 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– condamner l’intimée à lui remettre les bulletins de paie conformes à la décision ainsi que l’attestation d’employeur destinée au Pôle emploi;
– assortir les condamnations à intervenir de l’intérêt au taux légal à compter de la date d’exigibilité pour les salaires et à compter de la saisine du conseil pour les autres sommes;
– ordonner la capitalisation des intérêts;
– fixer au passif de la société la somme de 3 000 euros à lui payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– juger que les sommes qui lui sont dues seront garanties, dans la limite du plafond applicable, par l’AGS qui devra en faire l’avance en application des articles L 3253-2, L 3253-3, L 3253-4 du code du travail;
– juger que les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la société dont distraction au profit de Maître Anne-Sophie Todisco.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 décembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société demande à la cour de :
– juger mal fondé M. [H] en son appel ;
– la juger recevable et bien fondée en son appel incident ;
en conséquence,
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– juger le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de M. [H] bien fondé ;
– condamner M. [H] à lui restituer les sommes perçues de la société alors in bonis en règlement des causes du jugement ;
– condamner M. [H] à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2024.
Sur la qualification de l’arrêt
Bien qu’assignée selon les formes prévues à l’article 654 du code de procédure civile, l’AGS n’a pas constitué avocat. Par conséquent, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :
» Nous faisons suite à l’entretien préalable organisé le 14 août 2020, pour lequel vous êtes venu seul.
Nous vous avons expliqué les motifs à l’origine de cet entretien et nous avons pris note de vos réponses. Toutefois, au regard des faits qui sont avérés, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave pour les raisons suivantes :
Vous exercez les fonctions de chef de cuisine au sein de notre société. A ce titre, vous avez la responsabilité de la cuisine à savoir la gestion de la carte du restaurant, des stocks, des commandes, et’
Depuis plusieurs mois, nous avions constaté que de nombreux produits étaient manquants (viande, poisson, produits laitiers, produits ménagers’) malgré des commandes et livraisons régulières. Nous vous avions fait part de ce problème inexplicable et vous avions demandé d’être vigilant.
Le jeudi 30 juillet 2020, j’ai constaté qu’il restait un morceau de cantal dans nos réfrigérateurs. Je vous ai alors demandé d’utiliser ce fromage pour la confection des salades césar du lendemain et vous l’ai remis afin de le conserver dans le réfrigérateur de la cuisine.
Un peu plus tard, et sans explications, vous avez monté ce morceau de fromage dans la chambre froide située à l’étage, près des vestiaires.
Peu avant votre fin de poste, j’ai donc vérifié les réfrigérateurs de la cuisine puis la chambre froide et j’ai constaté que le fromage n’y était plus.
Alors que vous vous apprêtiez à partir du restaurant avec un sac de sport, je vous ai demandé ce qu’il y avait dans votre sac. Madame [A], Directrice générale de la société, était présente lors de cette conversion. D’autres salariés présents dans le restaurant ont également entendu notre échange.
Vous m’avez répondu qu’il y avait le morceau de cantal. Pour seule explication, vous avez dit que c’était la première fois que vous preniez de la marchandise du restaurant. Puis, vous avez quitté le restaurant sans même restituer le fromage.
Or, quelques semaines avant, un des salariés en cuisine nous a informé qu’il vous a vu mettre dans votre sac personnel plusieurs produits alimentaires appartenant à la société, tout cela sans aucun accord de notre part.
Aucun des salariés de l’entreprise n’est autorisé à prendre de la marchandise appartenant à l’entreprise pour ses besoins personnels, sans autorisation de la Direction.
Vous avez gravement manqué à vos obligations professionnelles en ne respectant pas les consignes de travail données et surtout en emportant de la marchandise de la société à des fins personnelles à notre insu.
Nous ne pouvons tolérer un tel comportement préjudiciable à l’entreprise, qui plus est au regard de vos fonctions et responsabilités de chef de cuisine.
Par la suite, nous nous sommes souvenus qu’au moins de juin dernier, une caisse de rougets avait disparu mystérieusement de notre restaurant’
Lors de l’entretien préalable, nous avons évoqué ces faits mais vous n’avez fourni aucune explication valable, ne voyant pas ce que l’on vous reproche.
Ces faits sont inadmissibles et rendent immédiatement impossible votre maintien au sein de notre société.
Par conséquent, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de rupture.
Votre contrat de travail est donc rompu à compter de l’envoi de la présente.
Conformément à la réglementation en vigueur, la période de mise à pied conservatoire ne sera pas rémunérée. »
* sur le licenciement et ses conséquences
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
M. [H] soutient que la société a cherché par tous moyens à mettre un terme à leur collaboration au motif qu’il ‘coûtait trop cher’ alors qu’il n’avait jusqu’alors jamais fait l’objet de sanction. Il fait valoir que les attestations produites ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile; que l’attestation de Mme [Z] est rédigée en français alors que celle-ci ne s’exprimait qu’en anglais. Il fait également valoir que le morceau de fromage emporté, qui pesait moins de 100 grammes, ne peut justifier un licenciement pour faute grave – une telle sanction étant abusive et disproportionnée.
La société Axyme prise en la personne de Maître [Y] [U] ès qualités de liquidateur de la société verse aux débats trois attestations :
– celle de Mme [X], ancienne salariée de la brasserie, qui déclare avoir remarqué avec ses collègues que certains produits alimentaires destinés aux clients commençaient à disparaître et notamment avoir vu, le 30 juillet 2020, son ‘patron’ décider de changer certains fromages du menu et de remplacer le comté par du cantal que le chef cuisinier a ‘filmé et stocké’ en chambre froide, et ajoute ‘ Mais après le service nous avons remarqué que le cantal avait disparu. Le patron a alors demandé au chef où était passé le cantal. Je peux vous affirmer avec certitude que j’ai vu et entendu le chef reconnaître avoir pris le cantal pour ses besoins personnels. Selon ses dires, ce n’était que 50 gr de fromage. Ce que moi j’ai su c’était plus de 50 gr’ ;
– celle de M. [O] qui atteste avoir vu M. [H] prendre à plusieurs reprises de la marchandise pendant la durée de sa période de travail, soit du 13 décembre 2018 au 11 mars 2020;
– celle de Mme [Z], ancienne aide de cuisine, qui relate avoir vu le chef mettre dans son sac de sport de la marchandise (un carton entier de rougets barbets), sans poser de questions, et avoir vu la situation se clarifier le 30 juillet 2020, lorsque le chef cuisinier a été ‘surpris par le patron du restaurant en train de prendre du fromage pour ses besoins personnels’.
Outre le fait que les déclarations de M. [O] et Mme [Z] sont imprécises et non circonstanciées, la seule attestation de Mme [X] qui fait état de la disparation d’un morceau de cantal dont la quantité n’est pas avérée, ne peut à elle seule, en l’absence de toute sanction antérieure au licenciement et au regard du caractère isolé du fait reproché, caractériser un manquement d’une gravité telle qu’il justifiait la rupture immédiate du contrat de travail ni une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau soit en l’espèce entre 0,5 et 2 mois de salaire brut.
En l’espèce, M. [H] justifie uniquement avoir été admis au bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi du 19 novembre 2020 jusqu’au 31 décembre 2020.
Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge – 39 ans – de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies – le salarié ne produisant aucun élément sur sa situation actuelle – il sera alloué à M. [H], en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 5 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice, qui sera inscrite au passif de la société.
La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
De même, les sommes allouées à M. [H] en première instance au titre de la mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi que de l’indemnité de licenciement seront confirmées en leur quantum mais eu égard à la procédure de liquidation judiciaire, ces sommes seront inscrites au passif de la société.
* sur la remise des documents
La société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société devra remettre à M. [H] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes à la présente décision.
Sur les autres demandes
* sur les intérêts et la capitalisation
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de jugement et jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective qui arrête le cours des intérêts conformément aux dispositions de l’article L. 622-28 du code de commerce soit en l’espèce le 7 juillet 2022. En conséquence, les créances indemnitaires ne produisent pas intérêt.
La capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective.
* sur les dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
Au soutien de sa demande en dommages-intérêts, M. [H] fait valoir que la société lui a notifié son licenciement après l’avoir maintenu dans l’incertitude sur les modalités de poursuite de la relation contractuelle; qu’elle a exercé des pressions à son encontre et engagé une procédure disciplinaire pour l’intimider; que l’employeur l’a mis à pied pendant 42 jours.
Eu égard à la durée de la mise à pied à titre conservatoire, M. [H] est fondé à soutenir que son licenciement, au demeurant dépourvu de cause réelle et sérieuse, est intervenu dans des circonstances vexatoires et à obtenir la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice qu’il a subi.
Cette somme sera fixée au passif de la société et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* sur l’opposabilité de l’arrêt à l’AGS
Il résulte des dispositions de l’article L. 3253-15 du code du travail que l’AGS avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire et que les décisions de justice lui sont de plein droit opposables.
* sur la garantie de l’AGS
La cour rappelle que l’AGS doit sa garantie dans les limites légales.
* sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société sera condamnée aux dépens en première instance et en appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société sera également condamnée à payer à M. [H] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile – la décision des premiers juges étant infirmée en ce qu’elle avait débouté le salarié de sa demande au titre des frais irrépétibles mais confirmée en ce qu’elle avait débouté la société de sa demande au titre de ces mêmes frais.
Enfin, la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a :
– dit le licenciement de M. [E] [H] fondé sur une cause réelle et sérieuse;
– débouté le salarié de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances brutales et/ou vexatoires;
– condamné la société Brasserie de Famille au paiement des sommes allouées au titre de la mise à pied à titre conservatoire et des congés payés afférents, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi que de l’indemnité de licenciement;
– débouté le salarié de sa demande au titre des frais irrépétibles;
Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit le licenciement de M. [E] [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Fixe les créances suivantes de M. [E] [H] au passif de la société Brasserie de Famille :
* 4 575,14 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied;
* 457,51 euros au titre des congés payés afférents;
* 3 347,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis;
* 334,77 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis;
* 1 656,83 euros à titre d’indemnité de licenciement;
* 5 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires;
Ordonne à la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société devra remettre à M. [H] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour France travail conformes à la présente décision;
Dit qu’en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de jugement et jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective qui arrête le cours des intérêts conformément aux dispositions de l’article L. 622-28 du code de commerce soit en l’espèce le 7 juillet 2022;
Dit qu’en conséquence, les créances indemnitaires ne produisent pas intérêt;
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective;
Rappelle qu’en application de l’article L. 3253-15 du code du travail, l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire et que les décisions de justice lui sont de plein droit opposables;
Rappelle que l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France doit sa garantie dans les limites légales;
Condamne la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Brasserie de Famille sera également condamnée à payer à M. [E] [H] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes;
Condamne la société Axyme prise en la personne de Maître [L] [U] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Brasserie de Famille aux dépens de première instance et en appel – dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
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