Licenciement contesté pour négligence dans le contrôle des paiements en espèces

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Licenciement contesté pour négligence dans le contrôle des paiements en espèces

L’Essentiel : M. [B] a été embauché par la Sas Milca en tant que serveur en août 2016. Le 28 septembre 2020, des faux billets ont été découverts, entraînant une plainte et une garde à vue pour M. [B]. Après un entretien préalable, il a été licencié pour faute grave en janvier 2021. Contestant ce licenciement, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse en avril 2023. La Sas Milca a interjeté appel, mais la cour a confirmé certaines indemnités dues à M. [B], tout en infirmant la qualification de licenciement abusif.

Embauche et Contexte de l’Affaire

M. [S] [B] a été embauché par la Sas Milca en tant que serveur à compter du 24 août 2016, sous un contrat de travail à durée indéterminée. La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés et restaurants, et l’entreprise emploie moins de 11 salariés.

Découverte des Faux Billets

Le 28 septembre 2020, la société Milca a découvert des faux billets utilisés pour le règlement d’additions de repas, ce qui a conduit à une plainte. M. [B] a été entendu par la police judiciaire et a subi une garde à vue le 15 octobre 2020. Le 20 novembre 2020, quatre clients ont été déclarés coupables de mise en circulation et détention de fausse monnaie.

Procédure de Licenciement

Suite à la découverte des faux billets, la Sas Milca a convoqué M. [B] à un entretien préalable le 19 octobre 2020, suivi d’une mise à pied conservatoire. Un second entretien a eu lieu le 5 janvier 2021, après quoi M. [B] a été licencié pour faute grave le 12 janvier 2021.

Contestation du Licenciement

M. [B] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Toulouse le 21 juillet 2021. Par jugement du 11 avril 2023, le conseil a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la Sas Milca à verser plusieurs indemnités à M. [B].

Appel de la Sas Milca

La Sas Milca a interjeté appel le 9 mai 2023, contestant les conclusions du jugement de première instance. Dans ses écritures, elle a demandé la réforme de la décision, arguant que le licenciement était justifié.

Arguments de M. [B]

Dans ses dernières écritures, M. [B] a demandé la confirmation du jugement de première instance, soutenant que les faits fautifs étaient prescrits et que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Il a également demandé des indemnités pour préjudice moral.

Analyse de la Prescription des Faits

La cour a examiné la question de la prescription des faits fautifs, concluant que la procédure disciplinaire avait été engagée dans le délai légal. L’employeur a eu connaissance des faits reprochés le 30 septembre 2020, et la prescription a été interrompue par la plainte déposée.

Évaluation de la Faute Grave

La cour a analysé la qualification de faute grave retenue par l’employeur. Bien que M. [B] ait reconnu avoir encaissé des faux billets, la cour a estimé que la négligence ne justifiait pas un licenciement pour faute grave, concluant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

Conséquences du Licenciement

La cour a confirmé que M. [B] avait droit à des indemnités de licenciement et à un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire. Cependant, elle a débouté M. [B] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Documents Sociaux et Frais de Justice

La cour a ordonné à la Sas Milca de délivrer à M. [B] les documents sociaux rectifiés. Elle a également condamné la société à verser des frais de justice à M. [B] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conclusion de la Décision

La cour a confirmé en partie le jugement du conseil de prud’hommes, en infirmant la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en maintenant certaines indemnités dues à M. [B]. La société Milca a été condamnée aux dépens d’appel.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la prescription des faits fautifs selon l’article L.1332-4 du Code du travail ?

L’article L.1332-4 du Code du travail stipule que :

« Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. »

Ce délai de deux mois commence à courir à partir du moment où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

En cas de poursuites pénales, le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires est interrompu jusqu’à la décision définitive de la juridiction pénale.

Il est important de noter que l’interruption du délai n’intervient qu’en cas de poursuites pénales, et qu’une enquête préliminaire n’est pas un acte interruptif du délai prévu à l’article L. 1332-4.

Dans le cas présent, la société Milca a soutenu que le délai de prescription avait été interrompu par la plainte déposée le 30 septembre 2020. Cependant, il a été établi que la procédure disciplinaire a été engagée dans le délai de deux mois, car l’employeur a eu connaissance des faits reprochés à cette date.

Quelles sont les conditions de validité d’un licenciement pour faute grave selon l’article L.1232-1 du Code du travail ?

L’article L.1232-1 du Code du travail précise que :

« Le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. »

La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, qui constituent une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

Il incombe à l’employeur de prouver la faute grave dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Dans cette affaire, la société Milca a licencié M. [B] pour faute grave en raison de l’encaissement de faux billets. Cependant, il a été établi que M. [B] n’avait pas effectué un contrôle suffisamment attentif des billets, mais cela ne constituait pas une faute grave au sens de la loi.

Quels sont les droits du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à plusieurs indemnités, conformément aux articles L.1234-1 et L.1234-5 du Code du travail.

Ces articles stipulent que :

– Le salarié a droit à une indemnité de licenciement, dont le montant est calculé en fonction de son ancienneté dans l’entreprise.
– Le salarié a également droit à une indemnité compensatrice de préavis, qui est due lorsque le licenciement est prononcé sans préavis.
– En outre, le salarié peut prétendre à une indemnité de congés payés afférente au préavis.

Dans le cas de M. [B], le conseil de prud’hommes a reconnu que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, ce qui lui a permis de réclamer et d’obtenir des indemnités pour licenciement, préavis et congés payés.

Quelles sont les conséquences d’une mise à pied conservatoire sans faute grave ?

La mise à pied conservatoire est une mesure disciplinaire qui peut être prise par l’employeur en attendant la décision sur un licenciement.

Cependant, si la mise à pied est prononcée sans faute grave, l’employeur est tenu de verser au salarié le salaire correspondant à la période de mise à pied.

Dans le cas de M. [B], la cour a jugé que la mise à pied conservatoire prononcée par la société Milca était injustifiée, car le licenciement n’était pas fondé sur une faute grave.

Ainsi, M. [B] a eu droit à un rappel de salaire pour la période de mise à pied, ainsi qu’à une indemnité de congés payés afférente.

Quels sont les recours possibles pour un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ?

Un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse peut exercer plusieurs recours, notamment :

1. **Saisir le conseil de prud’hommes** : Le salarié peut contester son licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui examinera la légitimité du licenciement et pourra ordonner la réintégration du salarié ou le versement d’indemnités.

2. **Demander des indemnités** : Le salarié peut demander des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, y compris des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi.

3. **Obtenir des documents sociaux** : Le salarié a le droit de demander la remise de ses documents sociaux, tels que les bulletins de salaire et les attestations Pôle emploi, conformes à la décision du tribunal.

Dans le cas de M. [B], le conseil de prud’hommes a jugé que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, ce qui lui a permis d’obtenir des indemnités et la remise de ses documents sociaux.

17/01/2025

ARRÊT N°25/19

N° RG 23/01668

N° Portalis DBVI-V-B7H-PNU6

AFR/ND

Décision déférée du 11 Avril 2023

Conseil de Prud’hommes

Formation paritaire de Toulouse

(21/01071)

MME FARRE

SECTION COMMERCE

S.A.S. MILCA

C/

[S], [W] [B]

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX SEPT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

S.A.S. MILCA

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurent DUCHARLET de la SELARL LAURENT DUCHARLET, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

Monsieur [S], [W] [B]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par M.[C] [Y], défenseur syndical

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant AF. RIBEYRON, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

AF. RIBEYRON, conseillère

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffière, lors des débats : M. TACHON

Greffière, lors du prononcé : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BRISSET, présidente, et par C.DELVER, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [B] a été embauché selon un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de serveur par la Sas Milca à compter du 24 août 2016.

La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés et restaurant. La société emploie moins de 11 salariés.

Suite à la découverte de faux billets utilisés pour le règlement d’additions de repas et à la plainte de la société Milca le 28 septembre 2020, M. [B] a été entendu à diverses reprises par la police judiciaire et a fait l’objet d’une mesure de garde-à-vue le 15 octobre 2020.

Le 20 novembre 2020, le tribunal correctionnel de Toulouse a déclaré coupables des chefs de mise en circulation et détention de fausse monnaie, à savoir des faux billets de 100 euros, quatre clients de la société Milca et les a condamnés le 7 décembre 2021 à indemniser celle-ci de son préjudice financier fixé à hauteur de 850 euros.

Par courrier du 30 septembre 2020, la Sas Milca a convoqué M. [B] à un entretien préalable fixé au 19 octobre 2020 et prononcé une mise à pied à titre conservatoire. Cet entretien a eu lieu en présence de M. [Y] en qualité de conseiller du salarié.

Le 15 décembre 2020, la Sas Milca a convoqué à nouveau M. [B] à un entretien préalable fixé au 5 janvier 2021, qui a également eu lieu en présence de M. [Y].

Le 12 janvier 2021, la Sas Milca a notifié à M. [B] son licenciement pour faute grave.

M. [B] a saisi le 21 juillet 2021 le conseil de prud’hommes de Toulouse afin de contester son licenciement pour faute.

Par jugement du 11 avril 2023, le conseil de prud’hommes de Toulouse section commerce chambre 1 a :

– dit que le licenciement de M. [B] est sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la Sas Milca à verser à M. [B] :

la somme de 1 119,75 euros (mille cent dix-neuf euros soixante-quinze centimes) bruts

la somme de 111,97 euros (cent onze euros quatre-vingt-dix-sept centimes) bruts au titre des congés payés sur rappel de salaire ;

la somme de 3 465,88 euros (trois mille quatre cent soixante-cinq euros quatre-vingt-huit centimes) bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

la somme de 346,58 euros (trois cent quarante-six euros trente-huit centimes) bruts au titre des congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis ;

la somme de 1 953,26 euros (mille neuf cent cinquante-trois euros vingt-six centimes) au titre de l’indemnité de licenciement ;

la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) à titre de dommages et intérêts ;

-condamné la Sas Milca à verser à M. [B] la somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-ordonné à la Sas Milca la délivrance des documents sociaux et des bulletins de salaire des mois de septembre et octobre 2020, ainsi que le bulletin de salaire du mois de janvier 2021 conformes à la décision ;

-débouté M. [B] du surplus de ses demandes ;

-débouté la Sas Milca de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamné la Sas Milca aux dépens.

La Sas Milca a interjeté appel de ce jugement le 9 mai 2023, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.

Dans ses dernières écritures en date du 27 juillet 2023, auxquelles il est fait expressément référence, la Sas Milca demande à la cour de :

Rejetant toutes les conclusions adverses comme injustes et mal fondées,

– la recevoir en son appel et ses écritures ;

– l’y déclarer bien fondée ;

-réformer la décision du 11 juillet 2023 du conseil de prud’hommes de Toulouse en ce

qu’elle a :

-dit que le licenciement de M. [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-condamné la Sas Milca à verser à M. [B]

la somme de 1 119,75 euros bruts à titre de rappel de salaire,

la somme de 111,97 euros bruts au titre des congés payés sur rappel de salaire,

la somme de 3 465,88 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

la somme de 346,58 euros bruts au titre des congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis,

la somme de 1 953,26 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

la somme de 4 000 euros au titre de dommages et intérêts

– condamné la Sas Milca à payer à M.[B] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-ordonné la Sas Milca de délivrer des documents sociaux et des bulletins de salaires des mois de septembre et octobre 2020, ainsi que le bulletin de salaire du mois de janvier 2021 conformes à la décision,

-condamné la Sas Milca aux dépens,

-débouter M. [B] de ses demandes, fins et prétentions,

-condamner M. [B] à régler la somme de 2.500 euros à la Sas Milca sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner M. [B] aux entiers dépens

Dans ses dernières écritures en date du 2 octobre 2023, auxquelles il est fait expressément référence, M. [B] demande à la cour de :

Rejetant toutes les conclusions contraires comme injustes et mal fondées.

A titre liminaire :

-constater que les salaires correspondant à la mise à pied à titre conservatoire n’ont pas été versés pour la période du 30 septembre au 20 octobre 2020 à la suite de la reprise de son emploi le 21 octobre 2020.

A titre principal :

-constater la prescription des faits fautifs selon les dispositions de l’article L1332-4 du code du travail.

A titre subsidiaire :

-dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en l’absence de faute

-condamner la Sas Milca aux entiers dépens

En conséquence,

-confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 11 avril 2023 en ce qu’il a :

-dit et jugé que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

-condamné la société Milca au versement des sommes suivantes :

-dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 4 000,00 euros nets

-indemnité légale de licenciement : 1 953,26 euros nets

-indemnité compensatrice de préavis : 3 465,88 euros bruts

-congés payés afférents au préavis : 346,58 euros bruts

-paiement de la mise à pied conservatoire : 1 119,75 euros bruts

– indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied conservatoire : 111,97 euros bruts

– article 700 du code de procédure civile : 500,00 euros

– condamné le société Milca aux entiers dépens

Y ajoutant :

-condamner la société Milca au paiement de le somme de 4 664,70 euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi.

-condamner la société Milca au paiement de la somme de 500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 08 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription des faits fautifs

M.[B] soutient que les faits fautifs invoqués par l’employeur pour fonder les poursuites disciplinaires sont prescrits dès lors que celui-ci en a eu connaissance dès le 30 septembre 2020, jour du dépôt de sa plainte et que le délai de deux mois n’a pas été interrompu par des poursuites pénales qui n’ont pu être déclenchées par le seul effet de sa plainte sans constitution de partie-civile ni par l’enquête préliminaire.

La société Milca affirme que le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires a été interrompu par la plainte déposée le 30 septembre 2020 jusqu’à la date de connaissance de l’issue définitive de la procédure pénale et correspondant au prononcé de la décision du tribunal correctionnel de Toulouse du 20 novembre 2020 de sorte que les faits invoqués ne sont pas prescrits.

Selon les termes de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Le point de départ du délai est le jour à la date duquel l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

En cas de poursuite pénales, le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires est interrompu jusqu’à la décision définitive de la juridiction pénale lorsque l’employeur est partie à la procédure pénale et il ne court à nouveau, dans le cas contraire qu’à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de l’issue définitive de la procédure pénale, ce qu’il lui appartient d’établir. Cependant, l’interruption du délai n’intervient qu’en cas de poursuites pénales sachant qu’une enquête préliminaire, qui n’a pas pour effet de mettre en mouvement l’action publique, n’est pas un acte interruptif du délai prévu à l’article L. 1332-4 du code du travail.

En l’espèce, la procédure disciplinaire a bien été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance par l’employeur des faits reprochés au salarié puisque c’est le 30 septembre 2020 que le salarié a été convoqué à l’entretien préalable. À cette date, il n’existait pas de poursuites pénales ayant un effet interruptif puisque seule une plainte simple avait été déposée. Toutefois, dès le 16 octobre 2020, les faits, sans concerner M. [B] au plan pénal, ont fait l’objet de poursuites lors du déférement des intéressés. C’est cette date qui a marqué l’interruption de la prescription. Celle-ci n’a repris son cours qu’à compter du caractère définitif de la décision de condamnation, soit le 30 novembre 2020. Or, dès cette date, qui marquait la connaissance complète par l’employeur des faits, et en particulier de la matérialité de la fausse monnaie, l’employeur a repris la procédure disciplinaire dans l’état où elle se trouvait par une nouvelle convocation à entretien préalable le 15 décembre 2020, c’est à dire sans que le délai de prescription soit acquis.

Sur le licenciement

Selon l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

Lorsque l’employeur retient la qualification de faute grave, il lui incombe d’en rapporter la preuve et ce dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement a été rédigée dans ces termes:

‘Monsieur,

Vous travaillez pour notre entreprise depuis le 24 août 2016 en tant que serveur, avec la faculté de pouvoir occuper divers postes de travail au sein du restaurant.

Conformément aux dispositions de votre contrat de travail relatives aux tâches susceptibles de vous être confiées (article 2 ) et fort de votre expérience au sein de notre établissement, vous avez été ainsi, chargé de procéder à l’encaissement du règlement des repas servis à notre clientèle durant le mois de septembre.

Or, un contrôle mené par la direction fin septembre 2020, sur les espèces encaissées au restaurant lors de ces journées d’activité, a permis de mettre la main sur huit grossiers faux billets de 50 et 100 euros, pour un total de 750 euros.

Auteur en partie de ces encaissements de billets illicites, préjudiciables pour l’entreprise, nous vous avons initialement reçu lors d’un entretien préalable à licenciement organisé le 19 octobre 2020 pour vous entendre sur ces faits extrêmement graves intervenus au sein de notre restaurant durant le mois de septembre 2020.

L’ouverture d’un procédure pénale portant sur ces faits et en particulier l’audition en garde à vue de plusieurs protagonistes concernés par ces mêmes faits nous ont permis d’apprendre davantage sur ce qui s’est passé au sein du restaurant et de mieux cerner le rôle tenu par chacun.

C’est pourquoi, nonobstant la mesure de mise à pied conservatoire prononcée et notre précédent entretien préalable à licenciement, nous avons décidé de poursuivre la procédure de licenciement envisagée à votre égard et de vous recevoir lors d’un nouvel entretien organisé le 5 janvier 2021 dernier, destiné à entendre vos explications sur ces révélations permises par l’enquête policière et la procédure menée devant le Tribunal correctionnel de Toulouse (jugement du 20 novembre 2020).

Malgré les explications que vous nous avez fournies, nous avons décidé de vous licencier.

Ainsi que nous vous l’avons exposé lors de l’entretien, l’encaissement de ces faux billets constitue une faute professionnelle qui doit être sévèrement sanctionnée.

Un consciencieux contrôle des billets lors de leur remise par le client vous aurait en effet, permis aisément de découvrir leur fausseté et de les refuser. Un stylo de vérification n’était pas nécessaire pour s’en rendre compte.

Les avoir acceptés démontre que vous avez gravement négligé l’exécution de vos tâches, que vous n’avez pas prêté une attention suffisante aux billets remis, à leur contrôle’ ce qui a conduit notre entreprise à subir un préjudice financier majeur, qui plus est, durant une période difficile pour les établissements de restauration comme le nôtre (covid-19, baisse de fréquentation, fermeture administrative, couvre-feu’)

Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise.

Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture et vous cessez donc de faire partie des effectifs de notre société à compter de la date portée en-tête de la présente.’

L’employeur a donc licencié M.[B] pour faute grave ayant consisté en un contrôle insuffisant des billets de 100 euros encaissés lors de son service.

M.[B] conteste les faits fautifs reprochés qui justifieraient son licenciement.

Il relève que l’employeur le désigne comme l’un des salariés ayant encaissé les faux billets en septembre sans être en mesure de déterminer quel est celui des salariés qui a effectivement procédé à leur encaissement. Il soutient que les faux billets n’étaient pas aisément identifiables, qu’il a seulement reconnu avoir encaissé des billets de 100 euros les jours concernés et non de 50 euros, et que l’employeur ne démontre pas que les photographies versées à la procédure concernent effectivement la fausse monnaie retrouvée dans la caisse en septembre 2020.

Il conteste tout manquement à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail et rappelle que l’enquête pénale a établi que M.[R] [L], responsable du site en l’absence de l’employeur, avait reconnu avoir placé un faux-billet de 50 euros dans la caisse et l’avoir échangé contre un vrai au bénéfice d’un tiers qui sera déclaré ensuite coupable par le tribunal correctionnel de Toulouse le 20 novembre 2020.

L’employeur soutient que M.[B] a commis une faute grave en procédant à l’encaissement de billets grossièrement falsifiés et retrouvés dans la caisse du salarié alors qu’il la contrôlait avant de la remettre en banque. Il se prévaut des déclarations de M.[B] qui a reconnu avoir encaissé des faux-billets malgré ses doutes sur l’un d’entre eux le 15 septembre 2020. Il confirme que les photographies versées à la procédure concernent bien les billets appréhendés par les services d’enquête et permettent aisément de déterminer les billets falsifiés puisque celui de 50 euros comporte sur le bord la mention en langue anglaise ‘Ceci n’est pas légal. Doit être utilisé pour les accessoires de mouvement’ et que le billet de 100 euros présente des différences notables avec celui authentique.

La société Milca a produit :- le procès-verbal d’enquête du 15 octobre 2020 dont il ressort qu’au cours du mois de septembre 2020, quatre individus se sont présentés à plusieurs reprises au restaurant géré par la société Milca, notamment les 7, 14, 15, 21 et 28 septembre 2020 en payant leurs consommations avec des faux-billets de 100 euros mais que seules les vidéosurveillances des 15, 21 et 28 septembre 2020 ont pu être visionnées établissant l’encaissement d’un faux-billet le 15 septembre, de deux le 21 septembre et de trois le 28 septembre;

– les 4 procès-verbaux d’audition de M.[B] entre le 1er et le 13 octobre 2020, qui après avoir visionné les vidéosurveillances avec les enquêteurs, a indiqué avoir été en arrêt de travail du 14 juillet 2020 au 14 septembre 2020.

Le salarié reconnaît avoir eu des doutes lors de l’encaissement d’un billet de 100 euros le 15 septembre 2020 et avoir tenté sans succès de retrouver le stylo détecteur avant d’encaisser le billet. Il a déclaré avoir également douté de l’authenticité d’un billet de 100 euros le 28 septembre 2020 pour lequel il a effectué un contrôle tactile mais qu’il l’a encaissé ainsi que deux autres billets de 100 euros dans la même soirée qui n’ont pas suscité de questionnement. Il a indiqué aux enquêteurs avoir donné son aval à une autre serveuse, venue le trouver pour lui présenter un billet de 100 euros et qui en a encaissé, seule, un autre. Il a déclaré que les clients payaient rarement en utilisant des billets de 100 euros.

Il est ainsi établi que M.[B] a reconnu avoir encaissé lui-même quatre billets de 100 euros, un le 15 septembre et trois le 28 septembre 2020 et avoir eu des doutes sur deux billets pour lesquels il a effectué un contrôle un peu plus attentif, tactile et visuel. Il a admis que l’établissement disposait d’un stylo de détection qu’il n’avait pas retrouvé lorsqu’il avait voulu s’en servir pour vérifier un billet le 15 septembre 2020 avant de l’encaisser.

M.[B] verse aux débats l’attestation établie le 11 avril 2021 par Mme [T] [Y] qui l’a assisté durant les entretiens préalables des 19 octobre 2020 et 5 janvier 2021. Celle-ci explique que M.[B] a déclaré avoir contrôlé à la lumière un billet de 100 euros le 15 septembre 2020 car il n’avait que ce moyen à sa disposition et que l’employeur a contesté ces affirmations en évoquant un stylo de détection ancien dans une console à côté du bar, retrouvé le 30 septembre 2020. Elle ajoute que le salarié a affirmé que s’il avait encaissé les billets de 100 euros, c’est qu’il n’avait aucun doute et que s’il avait eu connaissance d’un moyen de contrôle, il s’en serait effectivement servi.

Il s’évince cependant de l’ensemble de ces éléments que M.[B] n’a pas effectué un contrôle suffisamment attentif des billets de 100 euros utilisés par des clients pour régler leurs consommations, à plusieurs reprises au mois de septembre 2020, alors qu’au fait de l’usage plutôt inhabituel de billets de cette valeur pour payer des consommations s’élevant entre 20 et 25 euros en raison de son expérience de quatre années en qualité de serveur, il avait douté de l’authenticité de deux billets, présentés au paiement à quinze jours d’intervalle et avait été sollicité par une autre serveuse pour vérifier celle d’un autre billet de 100 euros.

Le grief est donc matériellement établi.

Toutefois, pour retenir la faute grave, l’employeur a considéré le caractère grossier de la falsification au motif de la mention apposée ‘ Ceci n’est pas légal. Doit être utilisé pour les accessoires de mouvement’ et des différences manifestes avec des billets conformes dont le défaut de détection a causé à l’entreprise un préjudice financier chiffré à 850 euros.

Or, la cour relève d’une part, que ladite mention en langue anglaise permettant d’identifier immédiatement le billet comme un faux ne figure que sur le billet de 50 euros que le salarié a toujours contesté avoir encaissé et d’autre part, que les photographies des billets de 100 euros versées aux débats ne mettent pas en évidence des signes de falsification si grossière qu’ils en seraient immédiatement remarquables. En outre, il n’est fait état par l’employeur d’aucune sanction disciplinaire antérieure concernant M.[B], engagé depuis quatre années et demi dans l’entreprise en qualité de serveur mais aussi en qualité de responsable de l’encaissement du paiement des repas.

La faute commise par M.[B] constitue un motif réel et sérieux de licenciement, sans pour autant qu’elle puisse être qualifiée de faute grave, s’agissant d’une négligence dont il n’est pas établi le caractère manifestement délibéré. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement

– Sur la mise à pied :

Après le prononcé de la mise à pied conservatoire le 30 septembre 2020, M.[B] a repris son activité professionnelle le 21 octobre 2020.

En l’absence de faute grave, la société Milca ne pouvait prononcer le 30 septembre 2020 une mise à pied conservatoire. Elle est donc tenue de payer à M.[B] le rappel de salaire pour la période antérieure à la reprise d’activité, soit du 30 septembre 2020 au 20 octobre 2020, correspondant à la somme de 1 119,75 euros selon le bulletin de salaire du mois d’octobre 2020, outre 111,97 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente. La décision entreprise sera donc confirmée de ce chef.

– Sur les indemnités de licenciement :

Par application des dispositions de l’article R.1234-2 du code du travail, M.[B] peut prétendre à l’indemnité de licenciement pour la somme de 1 953,26 euros correspondant à 4 ans et 6 mois comprenant 4 mois d’ancienneté et 2 mois du préavis, qui n’est pas spécialement contestée. La décision déférée sera confirmée de ce chef.

En vertu des dispositions des articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail, M.[B] peut en outre prétendre à une indemnité de préavis qui est de deux mois pour un salarié présentant au moins deux ans d’ancienneté et qui sera fixée à la somme de 3 465,88 euros bruts (1 732,94 x 2), outre 346,58 euros bruts au titre de l’indemnité afférente de congés payés. La décision entreprise sera confirmée de ce chef.

En revanche, M. [B] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l’ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral.

En cause d’appel, M.[B] sollicite à hauteur de 4 664,70 euros l’indemnisation d’un préjudice moral, distinct et cumulable à la perte de son emploi, résultant de son placement en garde-à-vue et de la mise en ‘uvre d’une procédure disciplinaire injustifiée qui a porté atteinte à sa probité alors qu’il n’a pas été poursuivi et qu’il incombait à l’employeur de doter le personnel d’outils propres à détecter les faux-billets.

L’employeur qui avait constaté dans ses caisses la présence de plusieurs faux-billets de 100 euros, était légitime à déposer plainte pour permettre des investigations efficientes sur les auteurs de la mise en circulation et de l’encaissement de ces moyens de paiement. Le salarié qui ne justifie pas d’un préjudice, distinct de la perte d’emploi, en lien avec une attitude fautive de l’employeur, sera donc débouté de ce poste de demande par ajout au jugement.

Sur la remise des documents sociaux

Il y a lieu d’ordonner à l’employeur de délivrer à M.[B] les documents sociaux rectifiés conformément aux termes du présent arrêt.

Sur les demandes accessoires

L’employeur qui perd au principal assumera les entiers dépens de première instance et d’appel. Il sera condamné à verser à M.[B] la somme de 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel et conservera la charge des frais irrépétibles exposés en première instance par confirmation de la décision du conseil.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision du conseil des prud’hommes de Toulouse du 11 avril 2023 sauf en ce qu’il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M.[S] [B] et lui a accordé des dommages-intérêts à ce titre,

Statuant des chefs infirmés et à nouveau,

Dit que le licenciement de M.[S] [B] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [B] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant,

Déboute M.[B] de sa demande au titre de l’indemnité pour licenciement vexatoire,

Ordonne la remise par la société Milca à M.[S] [B] des documents sociaux conformément aux termes du présent arrêt,

Condamne la société Milca à payer à M.[S] [B] la somme de 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

La condamne aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C.DELVER C. BRISSET

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