Licenciement contesté : évaluation des motifs et conséquences financières

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Licenciement contesté : évaluation des motifs et conséquences financières

L’Essentiel : Monsieur [B] [M] a été recruté par la société APSYS, aujourd’hui SAS Airbus Protect, en tant que cadre technique le 1er octobre 2017. Après un arrêt de travail entre juin et octobre 2018, il a été licencié le 19 novembre 2018 pour insatisfaction liée à ses absences. Contestant ce licenciement, Monsieur [B] [M] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a jugé le licenciement fondé. En appel, la cour a infirmé cette décision, considérant que le licenciement n’était pas justifié. La SAS Airbus Protect a été condamnée à verser une indemnité de 4 455 euros à Monsieur [B] [M].

Embauche et Fonction de Monsieur [B] [M]

Monsieur [B] [M] a été recruté par la société APSYS, maintenant SAS Airbus Protect, en tant que cadre technique à partir du 1er octobre 2017. Il occupait le poste d’ingénieur d’études avec une rémunération mensuelle brute de 4 455 euros pour 218 jours de travail par an.

Arrêt de Travail et Licenciement

Entre le 26 juin et le 30 octobre 2018, Monsieur [B] [M] a été en arrêt de travail, et il a été déclaré apte lors de la visite de reprise le 6 novembre 2018. Cependant, le 19 octobre 2018, l’employeur a convoqué Monsieur [B] [M] à un entretien préalable, qui a eu lieu le 6 novembre 2018. Le licenciement a été notifié par lettre recommandée le 19 novembre 2018, invoquant des motifs liés à une insatisfaction concernant sa collaboration et à des perturbations causées par ses absences.

Motifs du Licenciement

Les motifs de licenciement mentionnés incluent l’absence prolongée de Monsieur [B] [M], qui a entraîné une surcharge de travail pour ses collègues, ainsi que des réserves exprimées par son manager concernant sa performance. L’employeur a également souligné la nécessité de réorganiser le service en raison de ces absences.

Décision du Conseil de Prud’hommes

Monsieur [B] [M] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Martigues, qui a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse. Le jugement a débouté Monsieur [B] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Appel de Monsieur [B] [M]

Monsieur [B] [M] a interjeté appel de cette décision, demandant la requalification de son licenciement comme nul ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de dommages et intérêts. Il a soutenu que son état de santé ne justifiait pas son licenciement et que les motifs avancés par l’employeur n’étaient pas fondés.

Arguments de la SAS Airbus Protect

La SAS Airbus Protect a défendu sa position en affirmant que le licenciement était justifié par la nécessité de maintenir le bon fonctionnement de l’entreprise, en raison des absences répétées de Monsieur [B] [M]. L’employeur a également souligné que le poste occupé par Monsieur [B] [M] nécessitait un niveau d’expertise spécifique, et que son absence avait perturbé le traitement des dossiers.

Décision de la Cour

La cour a examiné les motifs du licenciement et a conclu que, bien que des perturbations aient été causées par les absences de Monsieur [B] [M], son remplacement définitif n’était pas justifié au moment du licenciement. La cour a donc infirmé le jugement du conseil de prud’hommes, déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Conséquences Financières

En raison de l’absence de cause réelle et sérieuse, la cour a condamné la SAS Airbus Protect à verser à Monsieur [B] [M] une indemnité de 4 455 euros, correspondant à un mois de salaire brut. De plus, la cour a accordé à Monsieur [B] [M] 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir ses frais d’avocat.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de validité d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse ?

Le licenciement pour cause réelle et sérieuse doit être justifié par des motifs objectifs, vérifiables et suffisamment précis. Selon l’article L.1232-1 du Code du travail :

« Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. »

L’article L.1235-1 précise que :

« En cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Il est également important que la lettre de licenciement fixe les limites des débats et que tous les griefs énoncés soient examinés. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause du licenciement, suffisamment pertinents pour justifier cette décision.

Ainsi, le juge doit vérifier la réalité des faits reprochés et décider s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article précité. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Comment le juge apprécie-t-il la désorganisation de l’entreprise liée à l’absence d’un salarié ?

L’article L.1132-1 du Code du travail interdit de licencier un salarié en raison de son état de santé, mais il permet un licenciement motivé par la désorganisation de l’entreprise due à des absences prolongées. Cet article stipule :

« Il est interdit de licencier un salarié en raison de son état de santé. »

Pour apprécier la désorganisation, le juge prend en compte plusieurs éléments, notamment :

– Le nombre et la durée des absences,
– La taille de l’entreprise,
– La nature des fonctions exercées par le salarié,
– La spécificité du poste de travail.

Le licenciement ne peut être justifié que si les perturbations entraînent la nécessité de procéder à un remplacement définitif du salarié. Ce remplacement doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement.

Le juge doit également vérifier si l’employeur a procédé à une nouvelle embauche pour occuper le poste du remplaçant, car un licenciement sans cette condition est considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Quelles sont les conséquences financières d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Selon l’article L.1235-3 du Code du travail, si le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge doit octroyer au salarié une indemnité dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l’ancienneté du salarié et du nombre de salariés dans l’entreprise.

Pour une ancienneté d’une année complète dans une entreprise de 11 salariés ou plus, l’article précise :

« L’indemnité est comprise entre un et deux mois de salaire brut. »

Dans le cas de Monsieur [B] [M], avec un salaire de référence de 4 455 euros et une ancienneté de 14 mois, le juge a décidé de lui allouer la somme de 4 455 euros, considérant son profil et son employabilité.

Les créances indemnitaires sont productives d’intérêt au taux légal, conformément à l’article 1231-7 du Code civil, et leur capitalisation est ordonnée selon l’article 1343-2 du même code.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 17 JANVIER 2025

N° 2024/008

Rôle N° RG 21/05602 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHI3M

[B] [M]

C/

S.A.S. APSYS

Copie exécutoire délivrée

le : 17/01/2025

à :

Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Hervé DUPONT, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARTIGUES en date du 19 Mars 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00487.

APPELANT

Monsieur [B] [M], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Stéphanie BESSET-LE CESNE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.S. APSYS (AIRBUS PROTECT), demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Hervé DUPONT, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me France LENAIN, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 18 Novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Muriel GUILLET, Conseillère, chargée du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller

Madame Muriel GUILLET, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025

Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Monsieur [B] [M] a été embauché par la société APSYS, devenue SAS Airbus Protect, par contrat à durée indéterminée, à compter du 1er octobre 2017, en qualité de cadre technique, assurant les fonctions d’ingénieur d’études, position 3.1, coefficient 170 de la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseils, moyennant une rémunération mensuelle brute forfaitaire de 4 455 euros pour 218 jours de travail par an.

Il a été placé en arrêt de travail entre le 26 juin et le 30 octobre 2018 et déclaré apte lors de la visite de reprise du 6 novembre 2018.

Le 19 octobre 2018, l’employeur a convoqué Monsieur [B] [M] à un entretien préalable, qui s’est déroulé le 6 novembre 2018, et lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 novembre 2018 son licenciement en ces termes : «  Nous faisons suite à l’entretien préalable du 6 novembre dernier, auquel vous avez été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 octobre 2018, et auquel vous vous êtes présenté accompagné de Mr [Y] [N], membre du comité d’entreprise et Délégué Syndical de l’entreprise.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs nous conduisant à envisager votre licenciement. Les explications et observations que vous avez formulées lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Nous sommes en conséquence au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, justifié par les faits exposés ci-après :

1.Au début du mois de juillet 2018, nous avons souhaité vous rencontrer afin de faire état de votre collaboration, laquelle ne donnait pas pleinement satisfaction à votre hiérarchie. Vous n’avez pas donné suite à cette demande, exposant que votre état de santé et la prise d’un traitement médicamenteux ne vous permettait pas d’être présent au rendez-vous fixé.

Par suite, vous nous avez fait parvenir plusieurs arrêts de travail pour maladie. Dans ce cadre, afin d’assurer une continuité de service au cours de vos absences répétées, la charge de travail afférente à vos fonctions a été supportée et répartie sur des collaborateurs de votre service, en sus de leurs propres missions.

Si cette solution d’attente a pu perdurer pendant quelques mois, elle ne pouvait toutefois être que provisoire eu égard au trouble ainsi causé au bon fonctionnement de l’entreprise.

Indépendamment du retard pris dans le traitement des dossiers dont vous aviez la charge, votre absence prolongée s’est en effet avérée d’autant plus préjudiciable pour APSYS qu’elle a privé notre société de votre profil expérimenté, pour lequel nous vous avons recruté.

La spécificité de votre poste de travail qui requiert, dans ce domaine technique précis, un niveau d’expertise renforcé ne nous a en outre pas permis d’envisager un remplacement temporaire vous concernant.

Ces difficultés avérées, ajouté au fait que votre manager avait initialement émis certaines réserves à votre égard, nous ont amené à prendre la décision d’initier un nouveau processus de recrutement en vue de pourvoir à votre remplacement définitif.

Il devenait en effet impératif de pouvoir retrouver, au sein d’APSYS, et plus particulièrement au sein du service auquel vous appartenez, une organisation optimale et stabilisée.

Votre reprise récente d’activité, le 30 octobre 2018, n’est pas de nature à modifier notre appréciation des faits. Nous nous voyons en conséquence contraints, pour les raisons précitées, de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

2. Votre préavis d’une durée de trois mois, que nous vous dispensons d’effectuer, débutera à la date de la première présentation de la présente lettre à votre domicile. Il vous sera intégralement rémunéré. »

Contestant ce licenciement, Monsieur [B] [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Martigues, lequel par jugement du 19 mars 2021 :

CONSTATE que la cause réelle et sérieuse à l’appui de la mesure de licenciement repose sur des éléments concrets, vérifiables et imputables à Monsieur [B] [M].

DIT et JUGE que le licenciement notifié à Monsieur [B] [M] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

DEBOUTE Monsieur [B] [M] de sa demande de condamnation de la société APSYS au paiement de la somme de 27 300 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

DEBOUTE Monsieur [B] [M] de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

DEBOUTE Monsieur [B] [M] de ses demandes plus amples ou contraires,

DEBOUTE la société APSYS de sa demande de paiement de la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [B] [M] aux entiers dépens de l’instance.

Monsieur [B] [M] a, par déclaration électronique du 15 avril 2021, interjeté appel de cette décision, en ce qu’elle l’a débouté de ses demandes en paiement d’une somme au titre du licenciement nul à tout le moins sans cause réelle et sérieuse et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 12 octobre 2024, Monsieur [B] [M] demande à la cour de :

REFORMER le jugement rendu par le Conseil des Prud’hommes de Martigues.

JUGER que le licenciement prononcé est nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNER la société AIRBBUS PROTECT (nom commercial APSYS) au paiement de la somme de 27 330 euros à titre de dommages et intérêt pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNER AIRBUS PROTECT (nom commercial APSYS) au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.

ASSORTIR les condamnations des intérêts et prononcer leur capitalisation.

CONDAMNER la société aux entiers dépens.

Il soutient :

qu’au jour du licenciement, il avait repris son poste de travail et qu’il n’y avait donc plus de conséquence à son absence ; que le motif du licenciement n’existait plus au jour de son prononcé

que l’employeur ne verse aucun élément justifiant la réalité du trouble causé au bon fonctionnement de l’entreprise ; qu’il n’est pas démontré qu’il était le seul à avoir un niveau d’expertise renforcé en cyber sécurité, alors que Monsieur [I] a un niveau de séniorité équivalent au sien et que Monsieur [H] a obtenu la certification ISO 27001 dès son arrivée au sein de l’entreprise

que la Business Unit dans laquelle il était affecté a été créée en 2017 ; que la mission était jusque là exercée par des consultants du siège à [Localité 2], qui effectuaient ponctuellement des déplacements sur [Localité 3] ; que l’employeur aurait pu poursuivre cette organisation pendant la période de son arrêt de travail

qu’il est faux de prétendre qu’il n’avait pas envoyé la prolongation de son arrêt de travail ; que, de plus, les avis du médecin du travail sont transmis à l’employeur et que le médecin du travail ne l’a pas déclaré apte à la reprise lors de la visite du 24 septembre 2018

qu’il est surprenant que l’employeur invoque de grosses perturbations et de surcharge de travail à cause de son absence à son poste alors qu’il le dispense d’effectuer son préavis

que l’employeur ne démontre pas la nécessité de procéder à son remplacement définitif; que la société APSYS n’a procédé à aucune embauche en contrat à durée indéterminée pour le remplacer ; que les offres de poste communiquées ne portent pas toutes sur le site géographique du salarié ou son domaine de compétence et ont été effectuées près de deux mois après son licenciement ; que Monsieur [H] avait en réalité pris son relais avant même qu’il soit en arrêt maladie en juin 2018

que l’employeur ne démontre pas que l’état de la collaboration n’était pas satisfaisant et que ce motif n’a pas été évoqué lors de l’entretien

que le vrai motif du licenciement est l’état de santé du salarié ; que le licenciement est donc nul pour motif discriminatoire

que la dégradation de son état de santé est lié à ses conditions de travail.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 4 novembre 2024, la SAS Airbus Protect demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [B] [M] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens, et de condamner Monsieur [B] [M] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient :

que Monsieur [B] [M] occupait un poste d’ingénieur technique expert en système de sécurité/ cyber sécurité, qui nécessitait un savoir-faire précis et des compétences spécialisées ; que des missions très spécifiques lui avaient été attribuées

que ses missions et responsabilités ne pouvaient être absorbées que par un salarié expérimenté doté d’un niveau d’expertise équivalent à celui dont il bénéficiait ; qu’il était le seul au sein de l’entreprise, avec ses responsables directs Messieurs [I] et [J], à avoir un niveau d’expertise renforcé en cyber sécurité/ mise en ‘uvre de système de management de la sécurité ( norme ISO 27001)

que l’employeur n’a pas eu d’autre choix que de répartir sa charge de travail sur d’autres collaborateurs de son service, ceux-ci ayant déjà bon nombre de missions à gérer et n’étant pas dotés du même niveau de compétence que l’intéressé ; qu’alors que Monsieur [B] [M] bénéficiait d’une séniorité en la matière, Monsieur [H] a eu un premier emploi dans la sécurité en 2017 ; que Monsieur [I] ne pouvait absorber seul la charge de travail de Monsieur [B] [M], exerçant d’autres missions et manageant plusieurs salariés

que le recrutement de Monsieur [B] [M] répondait à un besoin urgent de la société, à l’aune d’une digitalisation grandissante, auquel les autres salariés ne pouvaient pas répondre

que l’absence de Monsieur [B] [M] a fortement ralenti le traitement des dossiers dont il était chargé, notamment quant au projet PSMS ( Product Security Management System)

que la société n’avait pas de visibilité sur les absences du salarié, ce qui perturbait d’autant plus son fonctionnement ; que notamment, à la suite de la contre-visite médicale du 17 septembre 2018, il avait été indiqué que Monsieur [B] [M] devait reprendre son poste le 22 septembre 2018 ; qu’il n’a pas été apte à la reprise lors de la visite du 24 septembre 2018 et qu’il n’a pas adressé son nouvel arrêt de travail à l’employeur, qui a dû le relancer le 2 octobre 2018

que malgré le retour du salarié à son poste de travail le 30 octobre 2018, l’employeur n’avait aucune assurance qu’il ne serait pas confronté à de nouveaux arrêts

que le remplacement définitif de Monsieur [B] [M] s’avérait impératif

que la société a procédé à de nombreuses recherches de recrutement externe, qui se sont révélées infructueuses, les compétences étant rares sur le marché de la cyber sécurité

que faute de candidats externes au profil senior, la société n’a pas eu d’autre choix que de repositionner en interne Monsieur [H], doté d’un profil « intermédiaire », sur les missions qui avaient été confiées à Monsieur [B] [M], et de remplacer Monsieur [H] par le recrutement sous contrat à durée indéterminée d’un salarié au profil plus junior, Monsieur [E] ; que si Monsieur [H] travaillait déjà sur le projet PSMS, il est inexact d’affirmer qu’il avait pris le relais de Monsieur [B] [M] avant l’arrêt de travail de ce dernier, chaque salarié ayant ses propres tâches

que la société avait aussi fait le constat d’une exécution de ses fonctions par Monsieur [B] [M] qui ne correspondait pas à ses attentes ; que ces carences ne sont pas le motif du licenciement du salarié, fondé sur les conséquences de ses absences prolongées qui ont désorganisé l’entreprise, ce ajouté au fait que son manager avait initialement émis des réserves à son égard

que Monsieur [B] [M] ne peut affirmer que son état de santé serait lié à ses conditions de travail.

L’ordonnance de clôture de la procédure est en date du 5 novembre 2024.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I-Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. L’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites des débats et doivent être examinés tous les griefs qui y sont énoncés, lesquels doivent être précis, objectifs et matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause du licenciement. Ils doivent par ailleurs être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Il appartient au juge, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article précité.

La notion de motif précis et vérifiable s’entend d’un motif suffisamment explicite pour pouvoir être précisé et discuté lors du débat probatoire.

La lecture de la lettre de licenciement, comportant les mentions « Au début du mois de juillet 2018, nous avons souhaité vous rencontrer afin de faire état de votre collaboration, laquelle ne donnait pas pleinement satisfaction à votre hiérarchie » et «ajouté au fait que votre manager avait initialement émis certaines réserves à votre égard », montre que, contrairement à ce que soutient l’employeur dans ses écritures, il n’a pas entendu fonder la rupture du contrat du contrat sur la seule désorganisation de l’entreprise liée aux arrêts maladie du salarié, mais également sur le caractère insatisfaisant de la collaboration, sans spécifier s’il se plaçait sur le registre disciplinaire ou celui de l’insuffisance professionnelle.

L’employeur peut, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, invoquer dans la lettre de licenciement des motifs de rupture différents, inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.

La cour examinera ainsi les deux motifs évoqués dans la lettre de licenciement.

-Sur le caractère insatisfaisant de la collaboration :

Si la SAS Airbus Protect développe dans ses écritures le « manque d’implication » de Monsieur [B] [M] dans le projet PSMS, « induisant des impacts forts sur l’avancement global du projet et sur l’atteinte des objectifs fixés », avec des remontées négatives du client, « une prestation de mauvaise qualité pour assurer les activités de biseau », « l’expression d’une insatisfaction constante » et la persistance dans une attitude réfractaire,  la cour retient que la généralité et l’imprécision des termes employés dans la lettre de licenciement ( collaboration ne donnant pas pleinement satisfaction, certaines réserves du manager ) ne répondent pas aux exigences d’un motif objectif, précis et suffisamment explicite pour pouvoir être discuté et vérifié.

La cour retient en conséquence que ce motif ne pouvait pas fonder le licenciement de Monsieur [B] [M].

-Sur la désorganisation de l’entreprise liée à la maladie

L’article L1132-1 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié, notamment en raison de son état de santé, ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié.

Pour apprécier la désorganisation, le juge tient compte notamment du nombre et de la durée des absences, de la taille de l’entreprise, de la nature des fonctions exercées par le salarié et de la spécificité du poste de travail.

Le salarié ne peut être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié, lequel doit intervenir dans un délai proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci. Ce délai est apprécié par les juges du fond en tenant compte des spécificités de l’entreprise et de l’emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l’employeur en vue d’un recrutement.

Lorsque le salarié absent pour cause de maladie a été remplacé par un autre salarié de l’entreprise, son licencient n’est légitime que si l’employeur a procédé à une nouvelle embauche répondant aux mêmes conditions pour occuper le poste du remplaçant.

Un licenciement qui ne répond pas à ces conditions est considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La réalité et le sérieux du jour du licenciement s’apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l’employeur.

Il est constant qu’après plusieurs arrêts maladie successifs, Monsieur [B] [M] a repris le travail le 30 octobre 2018 (attestation de reprise émanant du service ressources humaines de la société) et que le médecin du travail a établi le 6 novembre 2018 une « attestation de suivi individuel de l’état de santé » dans le cadre d’une visite de reprise, sans retenir d’inaptitude.

Il s’ensuit qu’à la date du licenciement, intervenu le 19 novembre 2018, le salarié avait repris son emploi depuis près de 3 semaines et que le médecin du travail l’y avait déclaré apte.

La cour retient que son remplacement définitif n’était en conséquence plus nécessaire à la date de son licenciement, et infirme en conséquence le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé le licenciement pourvu d’une cause réelle et sérieuse.

L’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ne laisse pas à elle seule présumer l’existence d’une discrimination prohibée, en l’occurrence liée à l’état de santé du salarié.

La cour considère que les perturbations dans le fonctionnement de l’entreprise résultant des absences durant 4 mois de Monsieur [B] [M] sont avérées, au vu de la grande technicité de son poste d’expert en cyber-sécurité, de son profil de senior, de la nécessité de répartir ses fonctions entre d’autres salariés de l’entreprise, dont seuls deux disposaient de son niveau d’expertise, du retard pris dans le traitement du projet PSMS, qui devait initialement être présenté au client le 3 juillet 2018 ( pièces 3 et 12 de la société). Dès lors, la cour retient que le licenciement, bien que non fondé du fait de l’absence de nécessité de remplacement définitif du salarié lors de son prononcé, trouvait sa véritable cause dans ces perturbations et non dans une discrimination liée à l’état de santé du salarié.

Le licenciement n’est donc pas nul mais dépourvu de cause réelle et sérieuse.

II-Sur les conséquences financières

Selon les dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté d’une année complète, et dans une entreprise de 11 salariés ou plus, l’article précité prévoit une indemnité comprise entre un et deux mois de salaire brut.

Sur la base d’un salaire de référence de 4 455 euros, compte tenu notamment de l’ancienneté de Monsieur [B] [M] (14 mois), de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (54 ans), de sa haute technicité et employabilité étant précisé qu’il a retrouvé un emploi comme consultant de sécurité des SI dès la fin de sa période de préavis, selon son profil LinkedIn communiqué par l’employeur, il convient, par infirmation du jugement du conseil de prud’hommes, de lui allouer la somme de 4 455 euros, laquelle offre une indemnisation adéquate du préjudice.

Les créances indemnitaires sont productives d’intérêt au taux légal, à compter du présent arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil et leur capitalisation sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du même code.

Les dépens d’appel seront mis à la charge de la SAS Airbus Protect. Le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [B] [M] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour alloue à ce titre à Monsieur [B] [M] la somme de 2 000 euros, montant de sa demande.

La cour confirme le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté la SAS Airbus Protect de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe et contradictoirement ,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Martigues du 19 mars 2021, en ce qu’il a débouté la SAS Airbus Protect de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Monsieur [B] [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Airbus Protect à payer à Monsieur [B] [M] la somme de 4 455 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Dit que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SAS Airbus Protect à payer à Monsieur [B] [M] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Airbus Protect aux dépens et d’appel.

Le greffier Le président


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