L’Essentiel : Mme [N], vendeuse chez SFR distribution depuis 2010, a participé à une croisière en Floride en mars 2015, organisée par l’entreprise. Un incident survenu lors de ce voyage a conduit à son licenciement le 29 avril, l’employeur lui reprochant d’avoir fumé le narguilé dans sa cabine, en présence d’une collègue enceinte. La cour d’appel a cependant estimé que les faits s’étaient déroulés en dehors du lien de subordination et n’avaient pas causé de trouble à l’entreprise. Ainsi, le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, et l’employeur a été condamné à verser des dommages-intérêts.
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Engagement et croisière organiséeMme [N] a été engagée par la société SFR distribution en tant que vendeuse le 15 novembre 2010. Dans le cadre d’un concours interne, elle a participé à une croisière en Floride du 26 au 31 mars 2015, organisée par l’entreprise pour récompenser les lauréats. Incident et licenciementUn incident s’est produit lors de la croisière, entraînant le rapatriement de Mme [N] le 30 mars 2015. Le 29 avril suivant, elle a été licenciée, l’employeur lui reprochant d’avoir fumé le narguilé dans sa cabine, en présence d’une collègue enceinte, et d’avoir obstrué le détecteur de fumée, ce qui violait les règles de sécurité à bord. Arguments de l’employeurL’employeur a contesté la décision de la cour d’appel qui l’a condamné à verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a soutenu que les actes de la salariée, bien qu’ayant eu lieu en dehors du lieu de travail, étaient liés à sa vie professionnelle et avaient mis en danger d’autres employés, justifiant ainsi le licenciement. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a jugé que Mme [N] ne se trouvait pas sous un lien de subordination au moment des faits, car ceux-ci avaient eu lieu lors d’un voyage organisé par l’employeur. Elle a également noté que l’employeur n’avait pas prouvé qu’un trouble caractérisé avait été causé à l’entreprise par les actions de la salariée. Conclusion de la courLa cour a conclu que les faits reprochés relevaient de la vie personnelle de la salariée et ne constituaient pas un manquement à ses obligations contractuelles. Par conséquent, le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, et le moyen de l’employeur a été déclaré non fondé. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le cadre juridique du licenciement pour des faits commis hors du temps et du lieu de travail ?Le licenciement d’un salarié pour des faits commis hors du temps et du lieu de travail est encadré par l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui stipule que : « Le licenciement d’un salarié est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’employeur ne justifie pas d’une cause réelle et sérieuse. » En principe, un fait tiré de la vie personnelle d’un salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Dans le cas présent, la cour d’appel a jugé que les faits reprochés à la salariée, bien qu’ils aient eu lieu lors d’un voyage organisé par l’employeur, relevaient de sa vie personnelle. Elle a constaté que la salariée ne se trouvait pas au temps de travail et n’était pas soumise à un lien de subordination, ce qui a conduit à la conclusion que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse. Quelles sont les obligations de sécurité du salarié en milieu professionnel ?L’article L. 4122-1 du Code du travail précise que : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » Cela implique que chaque salarié a également des obligations en matière de sécurité. En effet, le salarié doit veiller à sa propre sécurité ainsi qu’à celle de ses collègues. Dans cette affaire, la salariée a reconnu avoir fumé un narguilé et obstrué un détecteur de fumée, ce qui constitue un manquement aux obligations de sécurité. Cependant, la cour d’appel a estimé que ces faits, bien qu’inappropriés, ne constituaient pas un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, car ils se rattachaient à sa vie personnelle et avaient eu lieu en dehors du cadre professionnel. Comment évaluer le trouble caractérisé au sein de l’entreprise en cas de licenciement ?La notion de trouble caractérisé au sein de l’entreprise est essentielle pour justifier un licenciement. La cour d’appel a rappelé que : « Un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise résultant d’un fait tiré de la vie personnelle d’un salarié ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire. » Dans cette affaire, l’employeur a tenté de démontrer que le comportement de la salariée avait causé un trouble à l’image de l’entreprise et avait entraîné des frais pour son rapatriement. Cependant, la cour a jugé que la société ne prouvait pas l’existence d’un trouble caractérisé, car le fonctionnement de l’entreprise n’était pas significativement affecté par l’incident. Ainsi, l’absence de perturbation du fonctionnement de l’entreprise a conduit à la conclusion que le licenciement était injustifié. |
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 63 F-B
Pourvoi n° K 23-10.888
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025
La société SFR distribution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-10.888 contre l’arrêt rendu le 23 novembre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [L] [N], domiciliée chez M. [N], [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, direction régionale Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société SFR distribution, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [N], après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2022), Mme [N], engagée en qualité de vendeuse par la société SFR distribution (la société) le 15 novembre 2010, a participé à une croisière en Floride organisée du 26 au 31 mars 2015 par la société pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise.
2. A la suite d’un incident survenu lors de cette croisière, elle a été rapatriée le 30 mars 2015 et a été licenciée par lettre du 29 avril suivant, son employeur lui reprochant d’avoir, au mépris des règles de sécurité applicables à bord du bateau, fumé le narguilé dans sa cabine, en présence d’une autre salariée de l’entreprise enceinte, et obstrué le détecteur de fumée.
Enoncé du moyen
3. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée la somme de 18 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à celle-ci à compter du licenciement dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ qu’un fait commis hors du temps et du lieu de travail peut justifier un licenciement s’il se rattache à la vie professionnelle du salarié ; que tel est notamment le cas d’un manquement aux règles de sécurité commis à l’égard notamment de collègues à l’occasion d’un séjour organisé par l’employeur dans le but de récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un voyage organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise et durant lequel ces derniers étaient rémunérés, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée enceinte, et avoir obstrué le détecteur incendie ; que l’employeur faisait valoir qu’il avait été informé de ces manquements aux règles de sécurité, mettant en danger les 130 autres salariés présents et l’ensemble des passagers, par le commandant de bord qui avait ordonné le débarquement anticipé de la salariée, la société étant alors contrainte de prendre des mesures d’urgence et à exposer des frais pour loger et rapatrier la salariée et ayant subi une atteinte à son image ; que pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a énoncé que la salariée ne se trouvait pas au moment des faits au temps du travail et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination, qu’elle ne se trouvait pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise puisque les faits avaient eu lieu en dehors du lieu de travail, que si, en principe, il ne pouvait être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en était autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, avait créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière, que la société SFR distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage ayant pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage ; qu’en statuant de la sorte, par des motifs inopérants, quand les faits litigieux se rattachaient à la vie professionnelle de la salariée et qu’elle relevait elle-même le sérieux des fautes commises par la salariée au regard de la sécurité, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l’article L. 4122-1 du même code ;
2°/ qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier son licenciement s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation résultant de son contrat de travail ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un séjour organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée, enceinte, et avoir obstrué le détecteur incendie qui l’était ensuite resté une partie de la matinée, jusqu’à la découverte des faits par l’équipe de nettoyage ; que l’employeur faisait valoir que la salariée avait ainsi manqué à plusieurs obligations résultant de son contrat de travail, à savoir son obligation de sécurité et les principes de préséance et savoir-être s’imposant à elle au regard de la nature de ses fonctions de vendeuse, rappelés dans sa fiche de poste ; que pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a énoncé que la salariée ne se trouvait pas au moment des faits au temps du travail et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination, qu’elle ne se trouvait même pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise puisque les faits avaient eu lieu en dehors du lieu de travail, si, en principe, il ne pouvait être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en était autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, avait créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière, que la société SFR distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage ; qu’en statuant de la sorte, par des motifs inopérants, quand les faits litigieux constituaient une violation par la salariée d’obligations résultant de son contrat de travail et qu’elle relevait elle-même le sérieux des fautes commises par la salariée au regard de la sécurité, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l’article L. 4122-1 du même code ;
3°/ que si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en est autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière ; qu’un tel trouble peut être retenu en l’absence de perturbation du fonctionnement de l’entreprise, et peut notamment se déduire des frais exposés par l’employeur du fait du comportement du salarié et de l’atteinte portée à l’image de l’entreprise par ce comportement ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un séjour organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée enceinte, et obstrué le détecteur incendie qui l’était ensuite resté une partie de la matinée, jusqu’à la découverte des faits par l’équipe de nettoyage, faits ayant justifié le débarquement anticipé de l’intéressée ; que l’employeur faisait valoir, d’une part, qu’il avait dû, en raison de ce débarquement anticipé, prendre des mesures d’urgence et engager des frais pour loger et rapatrier la salariée et d’autre part, qu’à l’occasion de ce voyage d’entreprise, censé fédérer les salariés de la société et récompenser l’exemplarité des lauréats, la société avait vu son image nécessairement dégradée par cet événement, à l’égard notamment des 130 autres salariés de l’entreprise présents et de l’équipage dont une partie au moins était francophone, la société étant clairement identifiée à bord notamment en raison d’espaces identifiés comme lui étant réservés ; qu’en se bornant, pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, à affirmer que la société SFR distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage, sans s’expliquer sur les frais exposés par l’entreprise du fait du débarquement anticipé de la salariée, ni de l’atteinte à l’image de celle-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »
4. D’abord, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
5. Ensuite, un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise résultant d’un fait tiré de la vie personnelle d’un salarié ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu.
6. La cour d’appel, après avoir constaté que le licenciement avait été prononcé pour faute, a d’abord, retenu que, s’agissant d’un voyage touristique quoique payé par l’entreprise à titre de récompense, la salariée ne se trouvait pas au temps du travail lorsqu’elle a commis les agissements dont elle ne conteste d’ailleurs pas la réalité et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination et n’était même pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise, puisque les faits s’étaient déroulés en dehors du lieu de travail.
7. Elle a, ensuite, relevé que la société ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers et qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narghilé sur la santé de la personne qui partageait la cabine de la salariée, ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage.
8. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que les faits reprochés à la salariée relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient constituer un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, la cour d’appel, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, a exactement déduit que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse.
9. Le moyen n’est donc pas fondé.
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