Liberté d’expression des syndicats : affaire Manpower

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Liberté d’expression des syndicats : affaire Manpower

L’Essentiel : L’affaire Manpower soulève des questions cruciales sur la liberté d’expression des syndicats et la diffamation. La société Manpower France a contesté un tract syndical jugé diffamatoire, contenant des accusations graves à son encontre. Malgré une demande de retrait des passages litigieux, le juge des référés a annulé l’assignation, invoquant un délai de 10 jours pour prouver la véracité des affirmations. Cette situation pourrait priver l’employeur d’un recours effectif, remettant en question la constitutionnalité de ces délais, notamment en période électorale, où la protection du scrutin est essentielle. La Cour de cassation pourrait bientôt se prononcer sur cette légalité.

L’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 en ce qu’il impose, pour permettre à l’auteur d’une diffamation d’apporter la vérité des affirmations contenues dans ses écrits dans un délai de 10 jours, pourrait être déclaré inconstitutionnel en période d’élection d’entreprises. En effet, l’employeur  qui s’estime diffamé, à la veille d’élections professionnelles, pourrait dans ce cas, être privé d’un recours juridictionnel effectif devant le juge des référés seul compétent pour prévenir en temps utile par des mesures conservatoires, le dommage imminent qui résulterait d’une publication d’un document à contenu infamant et diffamatoire.

Tract syndical diffamatoire

L’Union des syndicats anti-précarité a transmis pour
diffusion, un tract à la société Manpower France comportant, selon l’employeur,
des affirmations et une image jugés diffamatoires au vu des formules suivantes
: « ne vous laissez plus berner par des
discours vides de ces syndicalistes de pacotille, leur but n’est pas de vous
défendre mais de s’enrichir sur votre dos peu importe s’il faut trahir vos
droits en laissant Manpower vous voler ! !»….. depuis des années Manpower vous
escroque en enlevant vos primes, 13e mois prime de vacances et autres, de vos
indemnités de congés payés et de fin de mission ». Le tract comportait en
outre l’image d’une personne avec un pistolet à la main venant de se tirer une
balle dans le pied ainsi que le logo Manpower France.

Action en référé

Après avoir demandé sans succès, au syndicat et à
son rédacteur de supprimer les passages diffamatoires et de lui adresser un
nouveau tract avant diffusion, la société Manpower France a saisi le président
du TGI de Perpignan statuant en référé de référé d’heure à heure sur le
fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile afin d’obtenir
des mesures conservatoires effectives de nature à faire cesser le dommage
imminent, à savoir le retrait des propos et images diffamatoires avant toute
diffusion.

Le juge des référés a annulé l’assignation au motif
qu’un délai de 10 jours était imposé par l’article 55 du de la loi du 29
juillet 1881 pour permettre aux parties citées de faire la preuve de la vérité
de leurs affirmations et que l’abrègement dudit délai visé par l’article 54 de
la loi du 29 juillet 1881 en période électorale était réservé aux seuls
candidats à une fonction électorale.

QPC en vue

La société Manpower France a obtenu que la Cour de cassation
se prononce sur la légalité de ce délai de 10 jours. En effet, ces dispositions
pourraient constituer une impossibilité d’un recours juridictionnel effectif
devant le juge garanti par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, alors même que le juge des référés est seul compétent pour
prévenir un dommage imminent et que d’autre part en tant qu’autorité chargée de
veiller au bon déroulement du scrutin, l’employeur devrait bénéficier de l’abrègement
des délais au regard du principe de sincérité du scrutin également garanti par
la Constitution dans son article 3 alinéa 3.

Les articles 54 et 55 de la loi du 29 juillet 1881
sont applicables y compris dans le cadre de procédures d’urgence. Ces
dispositions législatives n’ont pas à ce jour été déclarées conformes à la
constitution par une décision du conseil constitutionnel. Ces questions posées
présentent un caractère sérieux, en ce qu’elles conduisent à se demander si les
personnes ayant qualité et intérêt à agir en ce qu’elle s’estiment diffamées
peuvent être privées, du fait de l’application de ces dispositions, de leur droit
d’accès au juge en temps utile notamment dans une procédure d’heure à heure,
pour faire cesser, sous réserve de l’appréciation du magistrat, un trouble
manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent.

En effet ces dispositions légales en ce qu’elles
imposent, pour ce qui est de l’article 55 un délai de 10 jours, pour permettre
la partie citée de rapporter en défense une preuve des affirmations contenues
dans ses écrits, pourraient être de nature à priver toute personne, et en
l’occurrence l’employeur, qui s’estime diffamée, d’un recours juridictionnel
effectif devant le juge des référés seul compétent pour prévenir en temps utile
par des mesures conservatoires le dommage imminent qui résulterait d’une
publication d’un document à contenu infamant et diffamatoire.

Par ailleurs, l’abrégement en période électorale du délai de dix jours réservé selon la formulation littérale de l’article 54 à un candidat à une fonction électorale, serait également de nature à priver tout autre intéressé, et notamment en l’espèce l’autorité chargée de veiller au bon déroulement du scrutin, de la possibilité d’empêcher la diffusion de documents paraissant à l’évidence diffamatoires, cette aspect de la question relevant de l’appréciation du juge, sous peine de s’exposer au délit d’entrave si elle s’abstenait, de son propre chef, de diffuser les documents ainsi qu’elle s’y était engagée dans le cadre du protocole préélectoral. Pour rappel, lorsqu’une question est transmise, la juridiction doit surseoir à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation, ou s’il a été saisi, du conseil constitutionnel. Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quel est l’objet de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ?

L’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 impose un délai de 10 jours à l’auteur d’une diffamation pour prouver la véracité des affirmations contenues dans ses écrits. Ce délai est crucial car il permet à la partie diffamée de se défendre en apportant des preuves de la véracité de ses propos.

Ce mécanisme vise à équilibrer les droits des parties en conflit, mais en période d’élections professionnelles, il pourrait poser des problèmes. En effet, un employeur qui se sent diffamé pourrait se voir privé d’un recours rapide devant le juge des référés, ce qui pourrait aggraver le préjudice subi.

Quelles sont les accusations portées dans le tract syndical ?

Le tract syndical diffusé par l’Union des syndicats anti-précarité contient des accusations graves à l’encontre de Manpower France. Il dépeint les syndicalistes comme des « syndicalistes de pacotille » dont le but serait de s’enrichir aux dépens des travailleurs, en trahissant leurs droits.

Les affirmations incluent des allégations selon lesquelles Manpower aurait escroqué ses employés en supprimant des primes, comme le 13e mois et la prime de vacances, ainsi que des indemnités de congés payés. De plus, le tract est illustré par une image provocante d’une personne se tirant une balle dans le pied, ce qui renforce le caractère diffamatoire du message.

Quelle action a été entreprise par Manpower France ?

Face à la diffusion du tract, Manpower France a tenté de résoudre le problème à l’amiable en demandant au syndicat de retirer les passages jugés diffamatoires. Après l’échec de cette démarche, la société a saisi le président du TGI de Perpignan.

Cette action a été fondée sur les articles 808 et 809 du code de procédure civile, visant à obtenir des mesures conservatoires pour faire cesser le dommage imminent. Manpower cherchait à obtenir le retrait des propos et images diffamatoires avant toute diffusion, afin de protéger son image et ses intérêts.

Quel a été le jugement du juge des référés ?

Le juge des référés a annulé l’assignation de Manpower France, invoquant le délai de 10 jours imposé par l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881. Ce délai est destiné à permettre aux parties citées de prouver la véracité de leurs affirmations.

Le juge a également précisé que l’abrègement de ce délai, prévu par l’article 54, ne s’applique qu’aux candidats à une fonction électorale. Ainsi, Manpower n’a pas pu bénéficier d’une procédure accélérée pour faire cesser la diffusion des propos diffamatoires.

Quelles sont les implications de la QPC soulevée par Manpower France ?

Manpower France a demandé à la Cour de cassation de se prononcer sur la légalité du délai de 10 jours imposé par la loi. Cette question soulève des préoccupations quant à l’accès effectif à la justice, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La société argue que ce délai pourrait priver les employeurs d’un recours juridictionnel effectif, surtout en période électorale, où la protection de l’intégrité du scrutin est primordiale. La question de savoir si ces dispositions législatives sont conformes à la Constitution est donc cruciale pour garantir les droits des parties en cas de diffamation.

Quels sont les enjeux liés à la diffusion de documents diffamatoires en période électorale ?

La diffusion de documents diffamatoires en période électorale pose des enjeux importants, notamment en ce qui concerne la sincérité du scrutin. L’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit un abrègement du délai de 10 jours, mais uniquement pour les candidats à une fonction électorale.

Cela signifie que d’autres parties, comme les employeurs, pourraient être désavantagées et incapables d’agir rapidement pour prévenir la diffusion de contenus diffamatoires. Cette situation pourrait nuire à l’intégrité du processus électoral et à la protection des droits des individus concernés.


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