L’Essentiel : La société BLAST a assigné l’écrivain [K] [S] pour obtenir la cessation de la publication d’un article jugé diffamatoire, intitulé « Blast : 30 M€ de cashout déguisé en levée de fonds ». BLAST soutient que cet article nuit à son image et à celle de ses dirigeants. En réponse, [K] [S] conteste la qualification diffamatoire et soulève une exception d’incompétence, arguant que la procédure appropriée relève de la loi sur la confiance dans l’économie numérique. Le tribunal a rejeté cette exception, mais a déclaré l’assignation de BLAST nulle en raison d’imprécisions, condamnant ainsi BLAST aux dépens.
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Contexte de l’affaireLa société BLAST, spécialisée dans le financement participatif, a assigné [K] [S], un écrivain et blogueur, pour obtenir la cessation de la publication d’un article jugé diffamatoire. Cet article, intitulé « Blast : 30 M€ de cashout déguisé en levée de fonds », a été publié sur le blog de [K] [S] le 4 juillet 2024. BLAST soutient que cet article nuit à son image et à celle de ses dirigeants, en insinuant des pratiques douteuses lors de levées de fonds. Demandes de la société BLASTDans son assignation, BLAST demande au tribunal de reconnaître un trouble manifestement illicite causé par [K] [S]. Elle sollicite également la suppression de l’article et d’un post sur LinkedIn, ainsi que la publication de l’ordonnance à intervenir. En outre, BLAST réclame des dommages-intérêts et le remboursement des frais de justice. Réponse de [K] [S]En réponse, [K] [S] soulève une exception d’incompétence, arguant que la demande de retrait de contenu devrait être traitée selon une procédure accélérée au fond, conformément à la loi sur la confiance dans l’économie numérique. Il conteste également la qualification diffamatoire des propos tenus dans son article, affirmant qu’ils relèvent de la bonne foi et ne constituent pas un trouble manifestement illicite. Arguments des partiesBLAST soutient que son action est fondée sur la loi du 29 juillet 1881, qui permet au juge des référés de statuer sur des cas de diffamation. [K] [S], de son côté, insiste sur le fait que la procédure appropriée est celle prévue par la loi sur la confiance dans l’économie numérique, qui impose des conditions spécifiques pour les demandes de cessation de contenu en ligne. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par [K] [S], affirmant que la loi du 29 juillet 1881 s’applique dans ce cas. Cependant, il a déclaré l’assignation de BLAST nulle en raison d’imprécisions et d’ambiguïtés dans la formulation des faits reprochés, ce qui a empêché [K] [S] de comprendre clairement les accusations portées contre lui. En conséquence, le juge a condamné BLAST aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article 835 du code de procédure civile dans le cadre d’une demande en référé ?L’article 835 du code de procédure civile stipule que « le président du tribunal judiciaire peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Cet article permet donc au juge des référés d’intervenir rapidement pour protéger les droits des parties lorsque des troubles manifestement illicites sont constatés. Il est important de noter que le juge peut agir même si la contestation est sérieuse, ce qui signifie que la procédure en référé est accessible même en cas de litige sur le fond. Ainsi, dans le cas présent, la société BLAST invoque cet article pour demander la cessation d’un trouble qu’elle considère comme manifestement illicite, en raison de la publication d’un article jugé diffamatoire. Quelles sont les implications de l’article 6-3 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ?L’article 6-3 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) énonce que « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes les mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Cet article est déterminant car il établit une procédure spécifique pour les demandes visant à faire cesser un dommage causé par un contenu en ligne. Il impose que ces demandes soient traitées selon une procédure accélérée, ce qui permet une réponse rapide aux situations où un contenu en ligne pourrait causer un préjudice. Dans le contexte de l’affaire, le défendeur [K] [S] soutient que la demande de retrait de contenu devrait être traitée sous cette procédure, tandis que la société BLAST argue que son action est fondée sur des éléments de diffamation, relevant ainsi de la loi du 29 juillet 1881. Comment l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 encadre-t-il la citation en matière de diffamation ?L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que « la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite ». Cet article est fondamental car il garantit le droit à la défense en permettant au défendeur de connaître précisément les faits qui lui sont reprochés. La citation doit donc être claire et sans ambiguïté, afin que le défendeur puisse préparer sa défense de manière adéquate. Dans le cas présent, le conseil du défendeur a soulevé une exception de nullité, arguant que l’assignation était entachée d’imprécisions et d’ambiguïtés, ce qui pourrait nuire à ses droits de défense. Quelles sont les conséquences d’une assignation jugée nulle par le juge des référés ?Lorsqu’une assignation est déclarée nulle, comme cela a été le cas dans cette affaire, cela signifie que le juge des référés n’est pas valablement saisi. La nullité de l’assignation entraîne l’irrecevabilité des demandes formulées, ce qui empêche le juge de statuer sur le fond du litige. En conséquence, la société BLAST ne peut pas obtenir les mesures qu’elle avait sollicitées, telles que la cessation de la publication de l’article litigieux ou la condamnation de [K] [S] à des dommages-intérêts. Cela souligne l’importance de respecter les exigences formelles lors de la rédaction d’une assignation, afin d’assurer la validité de la procédure engagée. Dans cette affaire, le juge a donc rejeté l’exception d’incompétence tout en déclarant nulle l’assignation, condamnant la société BLAST aux dépens. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/55226 – N° Portalis 352J-W-B7I-C5NUO
N° : 1/MM
Assignation du :
23 Juillet 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 10 janvier 2025
par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE
Société BLAST
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Maître Frank MARTIN LAPRADE de l’AARPI JEANTET, avocats au barreau de PARIS – #T0004 et Me Marie ROBIN, avocat au barreau de PARIS – #T0004
DEFENDEUR
Monsieur [K] [S]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Maître Yoël ABITBOL de la SELAS SELAS ABITBOL DANA NATAF AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #D072 et Me Yaron EDERY, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE -NAN #231
DÉBATS
A l’audience du 08 Novembre 2024, tenue publiquement, présidée par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation en référé délivrée le 23 juillet 2024 à [K] [S], à la requête de la société BLAST représentée par son président [C] [T], qui nous demande, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 29, 32, 42, 53 et suivants de la loi du 29 juillet 1881, de :
– juger que [K] [S] cause un trouble manifestement illicite,
– ordonner de faire cesser sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et ce, dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la présente décision, la mise en ligne de l’article intitulé « Blast : 30 M€ de cashout déguisé en levée de fonds », publié pour la première fois le 4 juillet 2024 sur le site www.zero-bullshit.fr et accessible à l’adresse URL mentionnée dans l’assignation,
– ordonner de faire cesser sous astreinte 1.000 euros par jour de retard et ce, dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la présente décision, la mise en ligne du post Linkedin accessible à l’adresse URL mentionnée dans l’assignation,
– ordonner la publication sur le site précité de l’intégralité de l’ordonnance à intervenir,
– ordonner que l’exécution de l’ordonnance de référé aura lieu au seul vu de la minute,
– condamner [K] [S] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
Vu la dénonciation de ladite assignation au ministère public par acte de commissaire de justice du 24 juillet 2024 ;
Vu les conclusions en défense de [K] [S], déposées à l’audience du 8 novembre 2024, qui nous demande, au visa des articles L.213-2 du code de l’organisation judiciaire, 6-3 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa rédaction issue de la loi n°2024-449 du 21 mai 2024, 23, 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 32-1 du code de procédure civile et 1382 du code civil, de :
– In limine litis,
o juger bien fondée l’exception d’incompétence soulevée par [K] [S],
o déclarer irrecevables les demandes formulées par la société BLAST, le juge des référés étant incompétent pour statuer sur une demande de retrait de contenu en ligne considéré comme illicite,
o déclarer nulle et de nul effet la poursuite engagée par la société BLAST à l’encontre de [K] [S],
– A titre subsidiaire, débouter la société BLAST de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions pour absence de trouble manifestement illicite résultant de l’absence de caractère diffamatoire des propos poursuivis,
– A titre très subsidiaire, débouter la société BLAST de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions pour absence de trouble manifestement illicite résultant de la bonne foi de [K] [S],
– A titre reconventionnel, condamner la société BLAST à verser à [K] [S] la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– En tout état de cause, condamner la société BLAST aux entiers dépens de l’instance et à verser à [K] [S] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions en réplique de la société BLAST, déposées à l’audience du 8 novembre 2024, qui nous demande, au visa des articles précédemment cités, outre les articles 1-1 et 6 et suivants de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, de rejeter les moyens de nullité soulevés par [K] [S], et maintient pour le surplus les demandes de son assignation ;
Lors de l’audience du 8 novembre 2024, les parties ont oralement soutenu leurs écritures et le défendeur a précisé qu’il renonçait à son moyen de nullité tiré de l’absence de dénonciation de l’assignation au ministère public.
A l’issue de l’audience, il a été indiqué aux parties que la présente décision serait rendue le 10 janvier 2025 par mise à disposition au greffe.
Sur les faits
[K] [S] se présente comme écrivain et blogueur français, consultant en communication depuis 17 ans, principalement auprès des entreprises dans le domaine de la finance, de l’immobilier et du web3.
Il publie un blog et une newsletter dénommés « Zéro bullshit » ainsi qu’une chronique quotidienne sur le réseau social Linkedin, au sein desquels il partage ses analyses et opinions. Il se dit coutumier des révélations à sensations fortes dans le domaine de la finance et de l’immobilier.
La société BLAST expose être une plateforme de financement participatif régulée par l’Autorité des Marchés Financiers (ci-après l’AMF) spécialisée dans le financement des petites et moyennes entreprises. Elle indique rencontrer un indéniable succès et que l’un de ses deux associés fondateurs, [C] [T], jouit d’une certaine visibilité médiatique. Elle précise que pour répondre aux sollicitations de ses investisseurs, membres du « Blast.club », elle a accepté de leur céder jusqu’à 40% du capital social, via des augmentations de capital par les véhicules dédiés BlastArmy1 et BlastArmy2, à hauteur de 10 millions d’euros en décembre 2023 et de 30 millions d’euros en juillet 2023.
Le 4 juillet 2024, [K] [S] a mis en ligne sur son blog un article intitulé « Blast : 30M€ de cashout déguisé en levée de fonds », traitant de la personnalité et du parcours d’[C] [T], cofondateur de la société BLAST, de l’historique et du modèle économique de cette société, et de l’opération de levée de fonds d’un montant de 30 millions d’euros annoncée par ladite société (pièce n°1 en demande).
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
Sur l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur
Le conseil du défendeur fait valoir que la demande de retrait de contenu dirigée à son encontre, introduite sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, relève exclusivement des dispositions de l’article 6-3 de la loi du 21 juin 2004 dans sa version issue de la loi du 21 mai 2024, imposant qu’une telle demande soit traitée selon la voie de la procédure accélérée au fond, dès lors qu’elle a pour finalité de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.
La demanderesse soutient quant à elle que, dans la mesure où son action est dirigée à l’encontre de l’auteur intellectuel de l’article, et non d’un prestataire technique de services intermédiaires, et qu’elle se fonde sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en ce que le contenu de l’article litigieux est estimé diffamatoire, la procédure applicable est la procédure spéciale visée aux chapitres IV et V de ladite loi, le juge des référés conservant toute sa compétence pour trancher les litiges relatifs à la violation des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.
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L’article 6-3 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa version issue de la loi du 21 mai 2024 (ci-après la LCEN), énonce que « Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes les mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Il résulte des termes de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il est constant que l’action engagée à l’encontre d’une des personnes listées à l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 et tendant à faire cesser un trouble manifestement illicite résultant de la publication de propos considérés comme diffamatoires à l’égard du demandeur, est soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, lesquelles, tendant à protéger la liberté d’expression tout en sanctionnant ses abus, s’imposent à tout demandeur intentant une action tendant à voir réparer les conséquences dommageables de l’une des infractions prévues en son sein, ou à faire cesser un trouble en résultant, y compris en référé.
Dès lors que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sont expressément invoquées par la demanderesse au soutien de ses prétentions, et qu’il est constant que ces dispositions permettent la saisine du juge des référés, il ne saurait être fait abstraction de cet élément pour considérer, à l’instar du défendeur, que la seule circonstance que le dommage allégué résulte du contenu d’un service de communication en ligne, lui impose de recourir à la procédure accélérée au fond prévue par l’article 6-3 de la LCEN.
Il est exact qu’en application de l’article L.213-2 du code de l’organisation judiciaire, en toutes matières, le président du tribunal judiciaire statue en référé ou sur requête, et que, dans les cas prévus par la loi ou le règlement, il statue selon la procédure accélérée au fond. Il sera cependant relevé que cette dernière voie procédurale, dérogatoire du droit commun en ce qu’elle permet d’obtenir à court délai un jugement rendu au fond, n’a vocation à intervenir que dans des hypothèses précisément circonscrites et qu’en l’état, aucune disposition de la loi du 29 juillet 1881 ne prévoit que les demandes formées en application de ses chapitres IV et V, doivent être formées selon cette voie procédurale.
En conséquence, il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur.
Sur l’exception de nullité
L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exige que la citation précise et qualifie le fait incriminé et qu’elle indique le texte de loi applicable à la poursuite.
Cet acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite, afin que le défendeur puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont il aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’il peut y opposer.
Les formalités prescrites par ce texte sont substantielles aux droits de la défense et leur inobservation entraîne la nullité à la fois de la citation et de la poursuite elle-même.
Ce texte n’exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue, la nullité ne pouvant être prononcée que si l’acte introductif d’instance a pour effet de créer une incertitude dans l’esprit des personnes poursuivies quant à l’étendue des faits dont elles ont à répondre.
Ces dispositions sont applicables devant la juridiction civile, en ce compris la juridiction des référés.
En l’espèce, le conseil du défendeur soulève une exception de nullité de l’assignation en faisant valoir qu’elle est entachée de multiples imprécisions et ambiguïtés générant une incompréhension totale quant aux faits poursuivis.
La demanderesse fait valoir en réplique que les faits poursuivis sont parfaitement articulés et qu’il résulte des écritures du défendeur qu’il a nécessairement été en mesure de comprendre sur quoi il devait défendre à la lecture de l’assignation.
L’assignation est composée d’une introduction, d’un « I. Présentation des faits », d’un « II. Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite » et d’un dispositif introduit par la mention «
Dans l’introduction et le I, il est mentionné que l’article intitulé « Blast : 30 M€ de cashout déguisé en levée de fonds », mis en ligne par [K] [S] sur le blog « Zero bullshit » le 4 juillet 2024, jette le discrédit sur la société BLAST. Il est encore indiqué que l’article contient des propos diffamatoires envers la société et ses dirigeants, et des précisions sont données quant au contexte dans lequel cette publication est intervenue, ainsi que sur ses effets délétères à l’égard de la demanderesse.
Ces deux premières parties qui évoquent l’article litigieux par la seule mention de son titre, ne comportent pas davantage de précisions quant aux propos poursuivis.
Il est ensuite procédé à l’articulation des faits dans la partie II de l’assignation (pages 5 à 13).
Dans le troisième paragraphe de la page 7, la demanderesse indique que l’article « m[et] le lecteur en condition de douter de l’honorabilité des dirigeants de la société Blast, à savoir Messieurs [C] [T] et [U] [L] », puis qu’il jette le discrédit sur le « business model » de la société qu’ils ont créée ensemble. Elle énonce ensuite en ces termes l’imputation diffamatoire qu’elle décèle : « en laissant entendre qu’ils ont cherché à dissimuler le fait qu’ils profitaient de l’engouement des investisseurs pour liquider une partie de leurs propos investissements » et poursuit par : « Le titre de l’article est en effet suivi d’un commentaire de l’auteur », qu’elle reproduit entre guillemets, en en graissant les trois derniers mots (page 7).
La demanderesse indique ensuite que son président, [C] [T], est présenté sous les traits d’un « mythomane », affirmation qu’elle illustre immédiatement par un encadré dans lequel sont reproduites trois phrases entre guillemets, comportant chacune une partie en gras.
Elle fait de même s’agissant de [U] [L], son directeur général, dont elle affirme qu’il est présenté comme un « affairiste sans scrupules » : un encadré vient illustrer cette énonciation en reproduisant un paragraphe entre guillemets, dont la première partie de l’avant-dernière phrase est graissée.
Intervient ensuite la phrase suivante : « A ce stade, le lecteur est donc psychologiquement préparé à recevoir l’opinion négative que le rédacteur de l’article diffamatoire nourrit à l’égard de la société Blast qu’[C] [T] et [U] [L] ont construite ensemble, Monsieur [K] [S] relevant notamment que : » (page 8), suivie d’un encadré construit de la même façon que les deux précédents, reproduisant entre guillemets des phrases ou portions de phrases dont certaines parties sont graissées.
Un quatrième encadré intervient ensuite sous un paragraphe dédié aux contre-vérités contenues dans l’article selon la demanderesse. Cet encadré reproduit deux phrases entre guillemets, dont certaines parties sont mentionnées en gras, et vient illustrer la phrase suivante : « (..) l’article litigieux contient de nombreuses contre-vérités, telles que par exemple les modalités de l’intéressement de certaines personnalités qui ont souhaité associer leur image à Blast : ainsi, les chiffres mentionnés sur la rémunération de Messieurs [I] [R] et [F] [Z] sont faux et cette publicité mensongère est donc susceptible de causer un préjudice à Blast (…) ». (page 9).
L’assignation poursuit sur le thème des affirmations mensongères qu’elle décèle dans l’article, sans citer précisément de propos, jusqu’au dernier paragraphe de la page 9, dans laquelle elle évoque le chapitre « un intérêts, des conflits » de l’article, lequel contient selon la demanderesse des confusions volontairement opérées par l’auteur entre les contraintes règlementaires propres à l’activité régulée de BLAST, et la réglementation Prospectus applicable à l’offre au public réalisée par Blast Army2 sur ses titres financiers. Un encadré intervient immédiatement après cette phrase, reproduisant entre guillemets de nombreux propos, dont certains sont graissés, et l’un est souligné. (pages 10-11).
Un paragraphe est ensuite consacré au fait que l’auteur de l’article remettrait en cause la qualité des diligences mises en œuvre par les services de l’AMF dans le cadre de l’opération décrite, parce qu’il soutiendrait que l’opération est légale « à quelques détails près (carried via PSFP, chiffres en peu différents dans le prospectus et dans la documentation contractuelle », intégrant ainsi une partie des propos de l’article en les reproduisant entre guillemets, et en graissant la formule « à quelques détails près ». (page 11).
Ce paragraphe est suivi de la phrase conclusive suivante : « Au final, l’objectif poursuivi par Monsieur [K] [S] en publiant son article diffamatoire (…) a été atteint, comme le révèlent les commentaires de son post Linkedin relayant l’article litigieux (…) » et poursuit en commentant certains de ces commentaires.
Le dispositif de l’assignation, qui demande au juge des référés de « dire et juger que Monsieur [K] [S] cause un trouble manifestement illicite » et sollicite le retrait de l’article litigieux du site « zéro bullshit » et du post Linkedin précité, n’apporte pas de précisions supplémentaires sur les propos poursuivis.
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Il apparaît ainsi à la lecture de l’assignation, en premier lieu, que son introduction et son I désignent l’article qui en est l’objet tantôt par son titre, tantôt par la formule « l’article litigieux », utilisée à deux reprises, sans qu’il soit donné davantage de précisions sur les propos exacts que la demanderesse entend poursuivre.
Il sera relevé, en second lieu, que la partie II met en valeur certains propos de l’article par des encadrés qui les reproduisent entre guillemets, ces encadrés venant chacun illustrer l’idée contenue dans la phrase ou le paragraphe qui le précède. Cette mise en exergue est cependant faite selon une typographie particulière, selon laquelle certaines phrases ou membres de phrases sont graissés, sans que soit explicité quel sens doit être donné à ce graissage.
Cette typographie comporte également des soulignements non explicités. Ainsi, le troisième encadré (page 8) contient une partie de phrase tout à la fois graissée et soulignée (« dans la ribambelle de frais. Ni sur la structuration parfois cavalière des deals »), tandis que le cinquième encadré comporte une partie de phrase soulignée, mais non graissée (« Blast veut lever 30M€, et que ça n’est pas possible via son agrément PSFP »), sans qu’il soit davantage donné de précisions quant au sens à donner à cette mise en valeur particulière des propos concernés.
Il n’est ainsi pas possible de déterminer à ce stade de l’assignation, si l’ensemble de l’article est poursuivi – comme pourraient le laisser entendre la rédaction de l’introduction et de la première partie – ou si les seuls propos reproduits dans les encadrés sont poursuivis, ou encore si ce sont uniquement les propos graissés et/ou soulignés, parmi ceux reproduits dans les encadrés, qui font l’objet des poursuites, ce qui génère à l’évidence, une équivocité sur l’étendue des poursuites.
Cette incertitude est confortée par l’utilisation, dans les phrases précédant certains encadrés, des mentions « notamment » (page 8, précédant le troisième encadré) et « par exemple » (page 9, précédant le quatrième encadré), également génératrices d’une équivoque sur l’étendue des poursuites, en ce qu’elle laisse entendre que leur périmètre pourrait être plus large que celui des propos reproduits dans l’encadré s’y rapportant.
Cette équivoque est encore accentuée par le fait d’intégrer, en page 7, ce qui est présenté comme un commentaire de l’auteur de l’article suivant immédiatement son titre, et en page 11, une partie de phrase issue de l’article, chacun dans le corps d’un paragraphe, en graissant une partie des propos ainsi reproduits, sans toutefois les mettre en évidence dans un encadré comme il est procédé pour les autres propos cités, ni expliciter le sens à donner à leur graissage partiel.
La partie conclusive de la partie II évoque quant à elle tantôt « l’article diffamatoire » et « l’article litigieux », ce qui laisse à nouveau entendre qu’il serait poursuivi dans son intégralité.
Enfin, le dispositif de l’assignation, qui se limite à invoquer l’existence d’un trouble manifestement illicite et à solliciter le retrait de l’entier article, n’apporte aucune précision quant aux propos exacts poursuivis, laissant ainsi perdurer l’équivocité relevée sur l’étendue des propos dont le défendeur aura à répondre.
Cette incertitude sur le périmètre des poursuites est nécessairement génératrice d’un grief pour le défendeur, lequel n’a pas pu, à la seule lecture de l’assignation, déterminer les moyens de défense à mettre en œuvre.
Au regard de ces éléments, l’assignation du 23 juillet 2024 est nulle et, par conséquent, le juge des référés n’est pas valablement saisi.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Rejetons l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur,
Déclarons nulle l’assignation délivrée le 23 juillet 2024 à [K] [S] à la demande de la société BLAST,
Condamnons la société BLAST aux dépens.
Fait à Paris le 10 janvier 2025
Le Greffier, Le Président,
Minas MAKRIS Emmanuelle DELERIS
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