L’Essentiel : L’ADAGP a assigné plusieurs librairies devant le tribunal judiciaire de Paris, les accusant de ne pas respecter le droit de suite sur la revente d’œuvres graphiques et plastiques intégrées dans des livres. Le litige soulève des questions sur la qualité de professionnel du marché de l’art des libraires et l’applicabilité du droit de suite à ces œuvres. Les défenderesses contestent la compétence du tribunal et la légitimité des demandes d’expertise de l’ADAGP. L’audience a eu lieu le 26 juin 2024, et la décision finale a été rendue le 7 août 2024, rejetant les demandes d’expertise et condamnant l’ADAGP aux dépens.
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L’application du droit de suite aux œuvres incorporées dans un livre pourrait se justifier en raison du fait qu’il s’agit d’œuvres des arts graphiques et plastiques, quel que soit le support qui les incorpore.
Toutefois, la qualité de professionnel du marché de l’art des libraires au sens de l’article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle et de la directive qu’il transpose en droit français et sur l’assujettissement des reventes de livres contenant des illustrations originales au droit de suite n’est pas de la compétence du juge des référés. Le litige en germe motivant la demande de l’ADAGP – au moins en ce qu’il porte sur la déclaration et le paiement d’un droit de suite sur la revente d’illustrations de livres incluant des illustrations originales – pose un sérieux problème de principe qui ne relève pas du référé. En la cause, l’ADAGP a assigné la Société Galerie Pinault, la société Librairie [O] [E] et la Société Librairie Pinault devant le tribunal judiciaire de Paris en référé, les accusant de ne pas respecter leurs obligations légales en matière de droit de suite pour la vente d’œuvres d’art graphiques ou plastiques. L’ADAGP a demandé la désignation d’un expert judiciaire pour inventorier les transactions et réclamé des dommages-intérêts. Les défenderesses ont demandé le rejet des demandes et des dommages-intérêts en retour. Le Syndicat national de la librairie ancienne est intervenu dans l’affaire. L’audience a eu lieu le 26 juin 2024. Affaire au fond à suivre … REPUBLIQUE FRANÇAISE 7 août 2024
Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/59160 TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE PARIS ■ N° RG 23/59160 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3JSP N° : 7/MC Assignation du : [1] [1] 2 Copies exécutoires ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ par Irène BENAC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assistée de Marion COBOS, Greffier. SOCIETE DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES – ADAGP représentée par Maître Jean-marc MOJICA de la SELEURL MoRe AvocaTs, avocat au barreau de PARIS – #E0457 DEFENDERESSES Société LIBRAIRIE [O] [E] représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696 Société LIBRAIRIE PINAULT représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696 Société GALERIE PINAULT représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696 INTERVENANT VOLONTAIRE SYNDICAT NATIONAL DE LA LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE DIT SLAM représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696 DÉBATS A l’audience du 26 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Irène BENAC, Vice-Présidente, assistée de Marion COBOS, Greffier, Nous, Président, Après avoir entendu les conseils des parties comparantes, EXPOSÉ DU LITIGE
La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ci-après ADAGP) est un organisme de gestion collective dont le principal objet est de percevoir et répartir les redevances de droit d’auteur dues au titre de l’utilisation et de la vente des œuvres d’auteurs lui ayant donné mandat, et notamment de percevoir et de répartir le droit de suite qui est le droit pour l’auteur d’une œuvre d’art graphique ou plastique de percevoir une rémunération sur le prix de revente de son œuvre lorsqu’intervient un professionnel du marché de l’art. Exposant que la Société Galerie Pinault, la société Librairie [O] [E] et la Société Librairie Pinault vendent des oeuvres d’art graphiques ou plastiques, dont certaines bénéficient du droit de suite, sans respecter leurs obligations légales, notamment déclaratives au titre du droit de suite, elle les a fait assigner par actes des 24 novembre et 5 décembre 2023 devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé aux fins de :- voir désigner un expert judiciaire pour procéder à un inventaire de la totalité des transactions (achats et ventes) dans lesquelles les défenderesses sont intervenues depuis le 1er avril 2018 pour la société Librairie [O] [E], le 1er juin 2007 pour ce qui concerne la société Librairie Pinault et le 16 octobre 2020 pour ce qui concerne la société Galerie Pinault, et se faire remettre les pièces afférentes, Elle a maintenu ses demandes dans ses conclusions signifiées le 24 juin 2024, soutenues oralement à l’audience, augmentant seulement sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 15.000 euros. MOTIVATION
I . Sur l’intervention volontaire du SLAM Le SLAM expose que l’action intentée par l’ADAGP contre les sociétés Librairie [O] [E] et Librairie Pinault, qui sont ses adhérentes, soulève une question de principe intéressant les intérêts collectifs de la librairie, justifiant son intervention au soutien de celles-ci. L’article 330 du code de procédure civile prévoit que l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et qu’elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie. La société Galerie Pinault fait valoir que :- les mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile peuvent être ordonnées par le président du tribunal du tribunal du lieu où la mesure dit être exécutée de l’expertise comme celui de l’instance au fond, qui est dans les deux cas celui de Nanterre de sorte que la demande la concernant est de la compétence exclusive du juge des référés de Nanterre ; L’ADAGP oppose que :- deux défenderesses ayant leur siège à [Localité 7], la circonstance que la troisième ait son siège à [Localité 8] ne rend pas le juge des référés parisien incompétent, dès lors que ses demandes sont communes aux trois défenderesses et portant sur des faits similaires dont dépend la solution d’un même litige ; Sur ce, L’article 42 du code de procédure civile prévoit notamment :“La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. Il n’est pas discuté que le domicile de la société Galerie Pinault se trouve à [Localité 8], dans le ressort du tribunal judiciaire de Nanterre et que la mesure demandée la concernant devrait être exécutée à son siège et, s’agissant d’un litige relatif aux droits d’auteur, l’examen au fond relève de la compétence d’attribution du tribunal judiciaire de Nanterre. Si l’ADAGP reproche aux trois sociétés défenderesses de ne pas déclarer, ni régler le droit de suite sur leurs reventes et acquisitions d’œuvres graphiques sur le fondement des mêmes textes, il s’agit de transactions et de manquements distincts de chacune réalisées dans l’exercice de leurs activités respectives au titre desquelles elles ne sont pas liées entre elles et dont il n’est pas allégué qu’elles auraient contribué au même dommage.L’ADAGP ne saurait donc être suivie lorsqu’elle soutient qu’il s’agit du même litige. En revanche, les sociétés Librairie [O] [E] et Galerie Pinault ont le même président, M. [L] [E], qui est également celui de la société représentant la société Librairie Pinault. Il est par ailleurs établi par les pièces du dossier que la société Galerie Pinault vend également des livres, de sorte que la question portant sur l’applicabilité du droit de suite et la qualité d’intermédiaire du marché de l’art la concerne également. Enfin, il n’apparaît aucunement que l’ADAGP ait assigné la société Galerie Pinault devant la présente juridiction pour échapper artificiellement à la compétence du lieu de son domicile. Les défenderesses font valoir que : – les huit constats que l’ADAGP a fait dresser sur l’activité de la société Librairie [O] [E] entre le 12 avril 2019 et le 10 mars 2023 sont affectés de vices rédhibitoires (pièces 40 à 47 et p 52 à 56 des conclusions) en ce qu’ils lui ont été communiqués le 5 décembre 2023 dans une version non signés et sans justification de l’agrément de l’agent assermenté puis signés mais modifiés (ajout de mentions et d’annexes pièces 40 et 42) le 29 février 2024 ; L’ADAGP oppose que :- ses procès-verbaux de constat (ses pièces 40 à 49) sont paraphés, signés et accompagnés des arrêtés de nomination et des justificatifs du serment des agents concernés, Sur ce, Les procès-verbaux litigieux (pièces 40 à 49 de l’ADAGP) ont été versés en copie papier paraphés, signés et assortis d’une copie de leur arrêté d’agrément par le ministère de la culture et de la communication et le procès-verbal de leur prestation de serment. Ils ont donc force probante.Le fait que l’ADAGP ait fourni dans un premier temps une version numérique de ces pièces sans annexes et, pour la pièce n°48, avec une phrase ajoutée à plusieurs reprises légèrement différente, démontre que les pièces objets de cette première communication étaient sans valeur mais n’entache ces procès-verbaux d’aucune vice justifiant qu’ils soient écartés des débats. De la même façon, le temps écoulé entre les constatations et l’établissement des procès-verbaux du 19 août 2020 et du 15 décembre 2020 n’est pas de nature à en altérer la sincérité. Dont le premier porte sur le catalogue et l’autre sur des photographies pris sur le stand de la société Librairie [O] [E]; L’ADAGP soutient en substance que :- de 2008 à 2018, la société Librairie [E] a procédé à des déclarations et paiements et son activité se poursuit dans les mêmes conditions, mais depuis 2018 elle se heurte au refus de principe des défenderesses, qui sont dirigées directement ou indirectement par la même personne, de déclarer au titre du droit de suite les transactions relatives aux œuvres graphiques et plastiques incorporées dans des livres, et à ne pas déclarer des transactions dont elles ne contestent pas qu’elles soient soumises au droit de suite ; La société Librairie [O] [E] fait valoir que : – le droit de suite n’est pas applicable au domaine du livre et elle n’est pas un professionnel du marché de l’art au sens de la loi sur le droit de suite, de sorte que c’est à tort qu’elle a fait par le passé des déclarations de vente et payé des sommes au titre du droit de suite et l’a signifié officiellement à l’ADAGP le 25 octobre 2018, La société Librairie Pinault fait valoir que : – elle a été assignée sans aucune démarche amiable préalable, La société Galerie Pinault fait valoir que : – elle a été assignée sans aucune démarche amiable préalable, la mise en demeure du 14 novembre 2023 invoquée en demande ne lui ayant jamais été distribuée, Sur ce, L’article 145 du code de procédure civile prévoit “S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.” S’agissant de la société Librairie [O] [E] Les huit constats dressés sur 5 ans par l’ADAGP sur tous ses catalogues et publications depuis 2016, son site Internet, les vitrines et l’intérieur de sa boutique et sur son stand lors des différentes éditions du Salon international du livre rare depuis avril 2019 n’ont révélé la vente que de 16 œuvres graphiques dont 2 (peut-être 3) relèvent du droit de suite. Il résulte du dossier que l’ADAGP a fait dresser un procès-verbal de 189 pages le 8 février 2023 des œuvres graphiques offertes à la vente sur le site internet , mais n’identifie parmi toutes ces oeuvres que 17 dessins relevant du droit de suite dont 10 d’auteurs membres de l’ADAGP (page 18 de ses conclusions). Elle a mis en demeure la société Librairie Pinault de procéder aux déclarations de ses oeuvres vendues par ses soins et soumises au droit de suite sous 8 jours, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 16 novembre 2023, mais l’a assignée avant même l’expiration du délai imparti. La société Librairie Pinault a versé au dossier 13 factures de ventes d’œuvres graphiques de 2020 à 2022. Il résulte du dossier que l’ADAGP a fait dresser un procès-verbal de 200 pages le 10 mars 2023 des oeuvres graphiques offertes à la vente sur le site internet , mais n’identifie parmi toutes ces œuvres que quatre dessins (page 19 de ses conclusions) relevant du droit de suite et n’en mentionne aucune autre malgré la défense articulée sur ce point par la société Galerie Pinault. Dans ces conditions, les éléments de fait versés aux débats ne justifient pas d’un motif légitime pour faire ordonner une expertise de la totalité des ventes et acquisitions intervenues depuis la création de la société Galerie Pinault, qui serait en toute hypothèse disproportionnée au regard des éléments versés. L’ADAGP, qui succombe, est condamnée aux dépens de l’instance. PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort , Déclarons recevable l’intervention volontaire du Syndicat national de la librairie ancienne ; Rejetons l’exception d’incompétence soulevée par la société Galerie Pinault ; Disons n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP ; Rejetons les demandes d’expertise judiciaire formées par l’ADAGP ; Condamnons l’ADAGP aux dépens de l’instance ; Condamnons l’ADAGP à payer à chacune des défenderesses la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Fait à Paris le 07 août 2024 Le Greffier, Le Président, Marion COBOS Irène BENAC |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le contexte de l’affaire entre l’ADAGP et les librairies ?L’affaire concerne la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), qui a assigné plusieurs librairies, dont la Société Librairie [O] [E] et la Société Librairie Pinault, devant le tribunal judiciaire de Paris. L’ADAGP accuse ces librairies de ne pas respecter leurs obligations légales en matière de droit de suite, qui est le droit pour un auteur de percevoir une rémunération sur le prix de revente de son œuvre. Le litige porte sur la vente d’œuvres d’art graphiques ou plastiques incorporées dans des livres, et l’ADAGP a demandé la désignation d’un expert judiciaire pour inventorier les transactions effectuées par les librairies depuis plusieurs années. Quelles sont les principales demandes de l’ADAGP dans cette affaire ?L’ADAGP a formulé plusieurs demandes dans le cadre de son assignation. Elle a demandé la désignation d’un expert judiciaire pour procéder à un inventaire des transactions réalisées par les librairies depuis des dates spécifiques, allant de 2007 à 2023, selon la société concernée. Elle a également demandé que les défenderesses soient condamnées à lui verser des dommages-intérêts, ainsi qu’à supporter les frais de la mesure d’expertise. L’ADAGP a initialement demandé 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, montant qu’elle a ensuite augmenté à 15 000 euros dans ses conclusions. Comment les défenderesses ont-elles réagi aux accusations de l’ADAGP ?Les défenderesses, à savoir la Société Librairie [O] [E], la Société Librairie Pinault et la Société Galerie Pinault, ont contesté les accusations de l’ADAGP. Elles ont demandé le rejet des demandes de l’ADAGP et ont également formulé des demandes reconventionnelles pour obtenir des dommages-intérêts. Chaque librairie a avancé des arguments spécifiques, notamment en affirmant qu’elles ne sont pas des professionnelles du marché de l’art au sens de la loi sur le droit de suite et que les reventes de livres contenant des illustrations originales ne sont pas assujetties à ce droit. Elles ont également contesté la validité des pièces présentées par l’ADAGP, arguant qu’elles étaient affectées de vices rédhibitoires. Quelle a été la décision du tribunal judiciaire de Paris ?Le tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance le 7 août 2024, déclarant recevable l’intervention volontaire du Syndicat national de la librairie ancienne (SLAM) et rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la société Galerie Pinault. Il a également décidé de ne pas écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP et a rejeté les demandes d’expertise judiciaire formulées par l’ADAGP. Enfin, l’ADAGP a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser 2 000 euros à chacune des défenderesses au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Quels sont les enjeux juridiques soulevés par cette affaire ?Cette affaire soulève plusieurs enjeux juridiques importants, notamment la question de l’application du droit de suite aux œuvres d’art graphiques et plastiques incorporées dans des livres. Le tribunal a noté que le litige pose un sérieux problème de principe concernant la qualité de professionnel du marché de l’art des libraires et l’assujettissement des reventes de livres contenant des illustrations originales au droit de suite. De plus, la décision du tribunal met en lumière les conditions nécessaires pour ordonner une mesure d’instruction, en vérifiant l’existence d’un motif légitime et la proportionnalité des mesures demandées par l’ADAGP. Ces éléments pourraient avoir des implications significatives pour la gestion des droits d’auteur dans le secteur de l’édition et de la librairie. |
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