L’Essentiel : Le deeplinking, ou liens profonds, soulève des questions juridiques complexes. Dans le cadre d’un litige impliquant le site de streaming playtv.fr et la SA France Télévisions, les juges ont affirmé que l’utilisation de ces liens, permettant un accès direct aux programmes de Pluzz, était illicite. Bien que certains arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne aient évoqué la légalité de liens vers des œuvres librement accessibles, ils ne s’appliquent pas aux droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle. Ainsi, la France Télévisions détient le droit exclusif d’autoriser la mise à disposition de ses programmes en ligne.
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Caractère illégal des liens profondsConcernant la mise en place sur un site internet de streaming de liens dits ‘profonds’ pointant vers le site Pluzz de la SA France Télévisions et permettant l’accès direct et automatiques aux programmes du service public, les juges ont rappelé le caractère illicite de cette pratique. Le caractère ‘profond’ de ces liens relève de la technique dite de ‘transclusion’ consistant à diviser une page d’un site Internet en plusieurs cadres et à afficher dans l’un d’eux, au moyen d’un lien Internet incorporé (dit ‘in line linking’), un élément provenant d’un autre site en dissimulant l’environnement d’origine auquel appartient cet élément, de telle sorte que ces liens ne renvoient pas vers le site Pluzz sur lequel les émissions peuvent être visionnées, mais permettent au public se trouvant sur le site en cause (playtv.fr) d’accéder directement à des oeuvres déterminées et de les visionner sur ce site après affichage d’une publicité insérée en ‘play-roll’. En l’espèce, le site poursuivi se prévalait i) de la licéité de ces mises à disposition d‘œuvres de tiers au regard du droit d’auteur et des droits voisins en invoquant l’arrêt rendu le 13 février 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans son arrêt Nils Svensson a dit pour droit que la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 doit être interprété en ce sens que ne constitue pas un acte de communication au public, la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des oeuvres librement disponibles sur un autre site Internet ; ii) de l’ordonnance de la Cour de justice de l’Union dite BestWater International GmbH du 21 octobre 2014, selon laquelle « le seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur un site Internet, est insérée sur un autre site Internet au moyen d’un lien utilisant la technique de la «transclusion» («framing»), telle que celle utilisée dans l’affaire au principal, ne peut pas être qualifié de «communication au public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 dans la mesure où l’oeuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine. Si l’article 280 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que ‘les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne ont force exécutoire dans les conditions fixées à l’article 299″, il convient de relever que dans ces deux décisions la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est prononcée que sur l’interprétation du premier paragraphe de l’article 3 de la directive, lequel ne concerne que le droit d’auteur et que c’est d’ailleurs dans le seul cadre d’actions en revendications de droits d’auteur que la juridiction européenne a été saisie. En l’espèce, le site victime des liens profonds (la SA France Télévision) agissait en contrefaçon de ses droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle, lesquels relèvent du deuxième paragraphe de l’article 3 de la directive et non pas en contrefaçon de droits d’auteur, de telle sorte que l’arrêt Nils Svensson et l’ordonnance BestWater International GmbH n’étaient pas applicables. La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt C-More Entertainment AB du 26 mars 2015 a dit pour droit que ‘l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale étendant le droit exclusif des organismes de radiodiffusion visés à cet article 3, paragraphe 2, sous d), à l’égard d’actes de communication au public que pourraient constituer des transmissions de rencontres sportives réalisées en direct sur Internet, tels que ceux en cause au principal, à condition qu’une telle extension n’affecte pas la protection du droit d’auteur’. Si le législateur de l’Union a souhaité harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public et supprimer l’insécurité juridique qui entoure la nature et le niveau de protection des actes de transmission à la demande ainsi que mettre en place une protection harmonisée au niveau de l’Union européenne pour ce type d’acte, aucune disposition n’indiquent que le législateur de l’Union ait souhaité harmoniser et, par conséquent, prévenir ou supprimer d’éventuelles disparités entre les législations nationales, s’agissant de la nature et de l’ampleur de la protection que les États membres pourraient reconnaître aux titulaires de droits visés à cet article 3, paragraphe 2, sous d), à l’égard de certains actes, tels ceux en cause au principal, qui ne sont pas expressément visés à cette dernière disposition’. Il s’ensuit d’une part que la notion de ‘communication à un public nouveau’ par le biais de liens profonds telle que définie par l’arrêt Nils Svensson et l’ordonnance BestWater International GmbH ne s’applique pas à la protection des droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle et d’autre part que le législateur français peut reconnaître aux titulaires de ces droits voisins, une protection non expressément visée par la directive 2001/29/CE. Ainsi en vertu des dispositions de l’article L 216-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3, § 2 de la directive 2001/29/CE, la SA France Télévision, en sa qualité d’entreprise de communication audiovisuelle, bénéficie du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public en ligne et à la demande de ses programmes, y compris par le recours à des liens profonds par la technique de la ‘transclusion’. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le caractère illégal des liens profonds selon les juges ?Les juges ont affirmé que la mise en place de liens profonds sur un site de streaming, pointant vers le site Pluzz de la SA France Télévisions, est illégale. Cette illégalité découle de la technique de ‘transclusion’, qui permet d’afficher un contenu d’un autre site tout en dissimulant son environnement d’origine. Ainsi, ces liens ne redirigent pas vers le site Pluzz, mais permettent aux utilisateurs d’accéder directement à des œuvres sur le site en question, ce qui constitue une violation des droits d’auteur et des droits voisins. Quelles justifications a avancées le site poursuivi pour défendre sa pratique ?Le site poursuivi a tenté de justifier ses actions en se basant sur deux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. Premièrement, il a cité l’arrêt Nils Svensson du 13 février 2014, qui stipule que fournir des liens vers des œuvres librement disponibles sur un autre site ne constitue pas une communication au public. Deuxièmement, il a mentionné l’ordonnance BestWater International GmbH du 21 octobre 2014, qui affirme que l’insertion d’une œuvre protégée via un lien utilisant la technique de ‘transclusion’ ne peut pas être qualifiée de communication au public. Pourquoi les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’appliquent-elles pas dans ce cas ?Les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’appliquent pas dans ce cas car elles concernent uniquement le droit d’auteur, spécifiquement le premier paragraphe de l’article 3 de la directive 2001/29/CE. Dans cette affaire, la SA France Télévisions a agi en contrefaçon de ses droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle, qui relèvent du deuxième paragraphe de l’article 3. Ainsi, les arrêts Nils Svensson et BestWater International GmbH ne sont pas pertinents pour la protection des droits voisins en question. Quel est le droit exclusif de la SA France Télévisions concernant ses programmes ?La SA France Télévisions, en tant qu’entreprise de communication audiovisuelle, bénéficie d’un droit exclusif d’autoriser la mise à disposition de ses programmes en ligne. Ce droit est en vertu de l’article L 216-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3, § 2 de la directive 2001/29/CE. Cela signifie qu’elle peut contrôler l’accès à ses contenus, y compris par le biais de liens profonds utilisant la technique de ‘transclusion’, ce qui renforce la protection de ses droits voisins. Quelles implications cela a-t-il pour la législation nationale et européenne ?Cette situation souligne que le législateur français peut offrir une protection plus étendue aux titulaires de droits voisins que celle prévue par la directive 2001/29/CE. Il n’existe pas de disposition dans la directive qui impose une harmonisation stricte des protections accordées aux droits voisins au niveau européen. Cela signifie que les États membres peuvent établir des protections spécifiques pour les entreprises de communication audiovisuelle, ce qui peut entraîner des disparités entre les législations nationales. |
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