Pour éviter la levée automatique de la mesure de séquestre provisoire et la transmission des pièces au requérant, le juge doit être saisi, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision, d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance ; dans ce cas, il est compétent pour statuer sur la levée de la mesure de séquestre et cela dans les conditions prévues notamment à l’article R. 153-3 du code de commerce, c’est-à-dire la remise au juge, dans le délai que celui-ci fixe, et à peine d’irrecevabilité, des versions confidentielles et non confidentielles ainsi que d’un mémoire précisant les motifs qui confèrent à chaque information ou pièce le caractère d’un secret des affaires.
Il s’ensuit que toute demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance du juge pour éviter la levée du séquestre n’est assujettie à aucune autre condition de saisine du juge que celle du délai prévu à l’article R. 153-1, alinéa 2, cependant qu’en application de l’article R. 153-1, alinéa 3, le juge qui statue sur la levée du séquestre et devant lequel la partie qui s’oppose à la communication d’une pièce invoque la protection du secret des affaires, fixe un délai dans lequel celle-ci doit accomplir les formalités prescrites par l’article R. 153-3 du même code.
Cet article ne conditionne donc pas la recevabilité de la demande de modification de l’ordonnance ou de celle tendant au maintien du séquestre sans invoquer un secret des affaires, à l’accomplissement préalable des formalités qu’il énumère, mais uniquement la recevabilité de la demande de protection du secret des affaires invoquée par la partie qui s’oppose à la communication d’une pièce.
La société BioMérieux a acquis la société américaine BioFire Diagnostics Inc en 2014, qui développe des instruments de diagnostic. La société Labrador Diagnostics LLC, filiale de Fortress Investment Group, détient un brevet européen concernant des systèmes fluidiques pour lieux de soins. Suite à une procédure d’opposition, la société Labrador a obtenu l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon sur les campus de BioMérieux. En réponse, BioMérieux a été assignée en contrefaçon de brevet par Labrador. Les deux parties ont formulé des demandes contradictoires devant le tribunal judiciaire de Paris, notamment concernant la modification des ordonnances de saisie-contrefaçon et la constitution de garanties. Les parties ont également demandé la mise en place de cercles de confidentialité pour protéger leurs informations.
Sur la demande de constitution de garantie
La société BioMérieux demande une consignation significative de 2.000.000 euros de la part de la société Labrador, arguant que cette dernière est un patent troll sans activité économique réelle et qu’il existe un risque de détournement de secret d’affaires. La société Labrador réplique en soutenant que la demande de consignation est infondée et discriminatoire, et qu’elle ne démontre pas l’insolvabilité de la société Labrador ni le risque de détournement de secret d’affaires. Le juge des référés décide d’ordonner une consignation de 350.000 euros, jugeant que le montant demandé par la société BioMérieux n’est pas suffisamment justifié.
Sur les autres demandes de la société BioMérieux
La société Labrador conteste l’irrecevabilité des demandes de modification des ordonnances en se fondant sur la protection du secret des affaires. La société BioMérieux soutient que ses demandes sont recevables et que le juge des référés est compétent pour statuer sur ces demandes. Le juge des référés apprécie les arguments des parties et conclut que les demandes de la société BioMérieux sont recevables, rejetant ainsi la fin de non-recevoir soulevée par la société Labrador.
Sur la demande de modification des points 18 à 20 des ordonnances
La société BioMérieux demande la modification des points 18 à 20 des ordonnances pour limiter l’usage des éléments saisis par la société Labrador. La société Labrador s’oppose à ces demandes, arguant que les éléments saisis sont nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée. Le juge des référés analyse les arguments des parties et décide de ne pas modifier les ordonnances sur ces points, jugeant que les éléments saisis sont pertinents pour la résolution du litige.
Sur les demandes de protection de la confidentialité
La société BioMérieux demande la protection du secret des affaires pour certains documents saisis, tandis que la société Labrador conteste cette demande. Le juge des référés examine les arguments des parties et décide de remettre certains documents à la société Labrador sous une version occultée, jugeant qu’ils sont nécessaires à la résolution du litige. Les données comptables ne sont pas considérées comme nécessaires à ce stade. La demande de mise en place d’un cercle de confidentialité est devenue sans objet.
– M. [S] et M. [R]:
– Déboutés de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamnés aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Réglementation applicable
Aux termes de l’article R. 153-1 du code de commerce, « Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire [ordonnée par le juge pour assurer la protection du secret des affaires] est levée et les pièces sont transmises au requérant. Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. », l’article R. 153-3 de ce code précisant que « A peine d’irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci : 1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;2° Une version non confidentielle ou un résumé ;
3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.
(…)».
L’article R. 615-4 du code de la propriété intellectuelle étend ces dispositions aux mesures de saisie-contrefaçon en ces termes : « Afin d’assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies dans les conditions prévues à l’article R. 153-1 du Code de commerce ».
L’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant.
L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants
(…) ».
Aux termes des articles 496 deuxième alinéa et 497 du code de procédure civile, “S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance” et “Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.”
L’objet de la demande fondée sur ces dispositions est de permettre au juge ayant statué sur la requête d’apprécier si, au regard des éléments fournis dans le cadre du débat contradictoire, il aurait rendu la même décision ou au contraire aurait limité la mission autorisée, voire refusé d’autoriser la mesure.
L’article L. 151-1 du code de commerce dispose qu’ « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
L’article L.153-1 de ce code dispose : « Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil;
4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires ».
Selon l’article R.615-2 du code de la propriété intellectuelle, afin d’assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l’article R. 153-1 du code de commerce.
Aux termes des articles R. 153-1 et R. 153-3 du code de commerce, « le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. A peine d’irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :
1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ; 2° Une version non confidentielle ou un résumé ; 3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce ». Les articles R. 153-5, R. 153-6 et R. 153-7 du code de commerce prévoient respectivement que le juge « refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige », qu’il « ordonne cette communication ou production de la pièce en cause dans sa version intégrale lorsque celle-ci à l’inverse est nécessaire à la solution du litige, alors même qu’elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires » et que « Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, [il] ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d’un résumé, selon les modalités qu’il fixe ».
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Thomas BOUVET
– Me Cyrille AMAR
Mots clefs associés
– Liquidation judiciaire de la société Wellness
– Date de cessation des paiements reportée au 14 novembre 2016
– Publicité judiciaire selon l’article 220 de la délibération 352 du 18 janvier 2008
– Dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire
– Dirigeant de fait : M. [S]
– Condamnation solidaire de M. [R] et M. [S] pour insuffisance d’actif
– Interdiction de gérer pour 15 ans pour M. [R] et M. [S]
– Appel du jugement par M. [R] et M. [S]
– Demande de révocation du jugement du 7 novembre 2022
– Confirmation des fautes de gestion et des sanctions pécuniaires
– Avis du ministère public pour confirmation du jugement
– Ordonnance de clôture et examen de l’affaire fixé au 20 novembre 2023
– Liquidation judiciaire de la société Wellness : procédure judiciaire visant à mettre fin à l’activité de la société et à liquider ses actifs pour rembourser ses créanciers
– Date de cessation des paiements reportée au 14 novembre 2016 : date à laquelle la société a été considérée comme incapable de faire face à ses dettes
– Publicité judiciaire selon l’article 220 de la délibération 352 du 18 janvier 2008 : publication légale de la liquidation judiciaire de la société
– Dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire : frais engagés pour la liquidation judiciaire qui sont prioritaires dans le remboursement des créanciers
– Dirigeant de fait : personne exerçant de facto le pouvoir de direction au sein de la société
– Condamnation solidaire de M. [R] et M. [S] pour insuffisance d’actif : responsabilité conjointe des deux dirigeants pour le défaut de paiement des dettes de la société
– Interdiction de gérer pour 15 ans pour M. [R] et M. [S] : interdiction d’exercer des fonctions de direction au sein d’une société pendant une durée de 15 ans
– Appel du jugement par M. [R] et M. [S] : recours formé par les dirigeants contre la décision du tribunal
– Demande de révocation du jugement du 7 novembre 2022 : demande visant à annuler la décision rendue par le tribunal
– Confirmation des fautes de gestion et des sanctions pécuniaires : validation des erreurs commises par les dirigeants et des amendes qui leur sont imposées
– Avis du ministère public pour confirmation du jugement : opinion du représentant du ministère public sur la décision rendue par le tribunal
– Ordonnance de clôture et examen de l’affaire fixé au 20 novembre 2023 : décision de mettre fin à la procédure de liquidation judiciaire et de fixer une date pour l’examen final de l’affaire.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Le :
Copie exécutoire délivrée à :Me BOUVET #J1
Copie certifiée conforme délivrée à : Me AMAR #P515
■
3ème chambre
1ère section
N° RG 23/10347
N° Portalis 352J-W-B7H-C2SOP
N° MINUTE :
Assignation du :
11 août 2023
ORDONNANCE DE REFERE RETRACTATION
rendue le 29 février 2024
DEMANDERESSE
Société BIOMERIEUX
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Thomas BOUVET du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0001
DEFENDERESSE
Société LABRADOR DIAGNOSTICS LLC
[Adresse 3]
[Localité 4], NEVADA [Localité 4] (USA)
représentée par Me Cyrille AMAR de la SELAS AMAR GOUSSU STAUB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0515
MAGISTRAT
Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière
DEBATS
A l’audience du 24 octobre 2023, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 11 janvier 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 29 février 2024.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société BioMérieux conçoit et commercialise des solutions de diagnostics essentielles aux professionnels de santé (activité clinique) et de l’industrie (activité industrielle) pour leur permettre de prendre des décisions avisées, améliorer la prise en charge de leurs patients et assurer la sécurité des consommateurs.
Cette société a fait l’acquisition en 2014 de la société américaine BioFire Diagnostics Inc qui exerce une activité de développement d’instrument de diagnostic, notamment un instrument dénommé FilmArray, commercialisé en Europe par la société bioMérieux et les filiales du groupe uniquement auprès des professisonnels de santé.
La société Labrador Diagnostics LLC (la société Labrador) est une société de droit américain, filiale de la société américaine Fortress Investment Group, fond de private equity spécialisé dans les hedge funds, elle-même filiale du groupe japonais SoftBank Group Corp.
Elle est titulaire de la partie française d’un brevet européen EP 1 883 341 (EP’341) intitulé « systèmes fluidiques pour lieux de soins et leurs utilisations », issu d’une demande déposée le 24 mars 2006 et publié le 16 novembre 2016 sous le n° WO 2006/121510, revendiquant la priorité de plusieurs demandes de brevet américain US 678801 P, US 7055489, US 717192 P, US 72 097 P.
Le 12 mai 2021, une procédure d’opposition a été engagée devant l’Office européen des brevets (OEB), lequel a déclaré nulle la revendication n°1 du brevet et a maintenu celui-ci sous une forme modifiée par une décision du 9 décembre 2022 dont les parties ont fait appel devant la Chambre des recours.
Estimant que les produits de la société BioMérieux portaient atteinte aux droits issus du brevet EP’341, la société Labrador a, par deux requêtes en date du 7 juillet 2023, sollicité et obtenu l’autorisation, qui lui a été délivrée par ordonnances du délégataire du président du Tribunal judiciaire de Paris en date du 11 juillet 2023, de faire pratiquer une saisie-contrefaçon sur les campus de la société BioMérieux à Marcy l’Etoile. Les opérations se sont déroulées les 13 et 20 juillet 2023 au siège social et sur le campus de la société BioMérieux.
Par acte d’huissier du 10 août 2023, la société Labrador a fait assigner la société BioMérieux en contrefaçon de la partie française du brevet EP’341 devant le tribunal judiciaire de Paris, sollicitant des mesures d’interdiction de vente et de rappel, sous astreinte, concernant les produits FilmArray 2.0., FilmArray V2.0, FilmArray Torch et Spotfire, des mesures de publication, une provision à titre de dommages-intérêts et la somme de 300.000 euros pour comportement dolosif de la société BioMérieux lors des opérations de saisie-contrefaçon.
Par acte d’huissier du 11 août 2023, la société BioMérieux a fait assigner en référé la société Labrador afin d’obtenir la modification des ordonnances de saisie-contrefaçon et le maintien du séquestre.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2023 et soutenues oralement à l’audience, la société bioMérieux demande au juge des référés, au visa des articles 496 et 497 du code de procédure civile, L. 615-5 et R. 615-2 et -4 et -7 du code de la propriété intellectuelle, R. 153-1 et suivants du code de commerce, de :Sur les demandes de la société bioMérieux
– Déclarer recevable l’ensemble des demandes de la société bioMérieux
– Modifier l’ordonnance aux fins de saisie-contrefaçon n° 23/01691 du 11 juillet 2023 et l’ordonnance aux fins de saisie-contrefaçon n°23/01693 du 11 juillet 2023, comme suit :
o remplacer les points 18 à 20 des ordonnances par les points suivants :
18. Disons que les éléments saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon seront remis à la requérante uniquement pour faire valoir ses droits au titre de la contrefaçon alléguée du brevet européen EP 1 883 341 ou de tout brevet étranger correspondant dont elle serait titulaire ;
19. Disons que la requérante pourra effectuer uniquement, sur le territoire français, tous tests et/ou mesures sur les produits saisis (instruments et panels commandés), pour démontrer la contrefaçon alléguée du brevet européen EP 1 883 341, par quelque personne de son choix inscrite en qualité d’expert judiciaire sur les listes de l’une quelconque des juridictions françaises, une fois ceux-ci remis par le commissaire de justice instrumentaire ;
20. Disons que les éléments saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon pourront être transmis et utilisés par la requérante et ses conseils, y compris étrangers, dans le cadre de procédures parallèles pour contrefaçon du brevet EP 1 883 341 ou de tout brevet correspondant dont la société Labrador Diagnostics LLC serait titulaire, sous réserve de la protection des secrets d’affaires du saisi et notamment du cercle de confidentialité ordonné ci-dessous.
o Ajouter les points suivants 26 et 27 rédigés comme suit :
26. Ordonnons la consignation par la société Labrador auprès de la Caisse des dépôts et consignations de la somme de 2.000.000 euros à valoir en garantie sur toute indemnité que la société Labrador Diagnostics LLC pourrait être condamnée à payer à la société bioMérieux en lien avec l’action envisagée sur le fondement du brevet EP 1 883 341 ;
27. Disons que cette consignation, valant pour l’ensemble des ordonnances aux fins de saisie-contrefaçon, devra être versée dans le délai de deux mois suivant la décision à intervenir de modification des ordonnances du 11 juillet 2023, sous peine de nullité des opérations de saisie-contrefaçon et qu’elle sera le préalable à la remise à la société Labrador Diagnostics LLC, de toute pièce provenant des opérations de saisie-contrefaçon.
– Ordonner à Me [X] [M] de la SELARL JURIKALIS, commissaire de justice ayant réalisé les opérations de saisie-contrefaçon des 13 et 20 juillet 2023 à l’encontre de la société bioMérieux :
o de remettre à la requérante les seules parties listées ci-dessous des pièces saisies et placées sous séquestre provisoire :
– les manuels d’utilisation saisis sans occultation,
– les photographies,
– les instruments et panels commandés à fin de saisie, sous réserve du respect des conditions d’accès prévues.
o de conserver sous séquestre jusqu’à l’issue de la procédure, les autres documents saisis, en particulier :
– les manuels d’entretien des instruments de la société bioMérieux ; à titre subsidiaire de remettre uniquement la version occultée correspondant à la pièce n° 7.2 communiquée par la société bioMérieux ;
– les données de ventes, en chiffre d’affaires et unités ;
– l’état des stocks ;
– le logiciel, la notice d’installation et l’adresse d’accès à ces documents sur le serveur de la société bioMérieux ;
– la copie non occultée des manuels d’entretien.
Subsidiairement,
– fixer à la société bioMérieux un délai pour la communication au Président des mémoires et pièces en application de l’article R. 153-3 du code de commerce ;
– Ordonner que l’accès aux documents, instruments et panels provenant de la saisie-contrefaçon sera limité aux avocats et conseils en propriété industrielle de la société Labrador, français ou étrangers, et à une personne physique salariée de la société Labrador Diagnostics (n’appartenant pas à son service de R&D et/ou qui s’engagera à ne pas travailler dans un service de R&D au profit de cette société ou une société émanant de celle-ci), après signature d’un engagement de confidentialité au terme duquel chaque membre du cercle de confidentialité s’engage à préserver la confidentialité des documents, instruments et panels et à discuter des informations qu’ils contiennent, uniquement entre eux et uniquement pour les besoins de la présente affaire ;
– Dire que les avocats, conseils, experts et représentant de la société Labrador qui auront accès aux documents saisis ne devront pas être impliqués ni donner des instructions dans des procédures de dépôt, de délivrance ou d’opposition de brevets de la société Labrador ;
– Dire que la composition du cercle de confidentialité pourra être modifiée par accord entre les parties ou par décision de tout juge compétent ;
Sur les demandes reconventionnelles de production forcée de pièces de la société Labrador
– Ecarter des débats le point 145 des conclusions de la société Labrador et l’image qu’il comprend ;
– Déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de production forcée de pièces de la société Labrador devant le juge de la rétractation ;
– subsidiairement déclarer mal fondée la demande reconventionnelle de production forcée de pièces de la société Labrador et l’en débouter ;
– encore plus subsidiairement si le Président devait faire droit à une demande de production forcée de pièces, déclarer que les pièces seront couvertes par le Cercle de confidentialité visés ci-dessus ;
En tout état de cause :
– Condamner la société Labrador à payer à la société bioMérieux la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Labrador aux entiers dépens de l’instance ;
– Rappeler que la décision à intervenir est exécutoire par provision.
Par conclusions n°2 en réponse notifiées le 23 octobre 2024 et soutenues oralement à l’audience, la société Labrador demande au juge des référés, au visa des articles L.615-5 et R.615-7 du code de la propriété intellectuelle, L.151-1, L.153-1, L. 153-2 et R.153-1, R 153-3 du code de commerce, 10 du code civil, 11, 122 et 699 du code de procédure civile, de : 1. Sur la demande de constitution de garanties
– Débouter la société BioMérieux de sa demande d’ajout des points 26 et 27 aux
ordonnances de saisie-contrefaçon du 11 juillet 2023 (RG n°23/01691 et 23/01693)
– Rejeter la demande de BioMérieux de constitution de garantie, préalable à toute levée de séquestre, par Labrador Diagnostics LLC à hauteur de 2.000.000 euros.
2. Sur les demandes liées au secret des affaires
A titre principal
– Juger irrecevables les demandes de BioMérieux de modifications des points 18 à 20 des ordonnances de saisie-contrefaçon du 11 juillet 2023 (RG n°23/01691 et 23/01693), ses demandes de maintien sous séquestre des documents saisis, et sa demande de cercle de confidentialité, pour défaut de production dans les délais impartis des justificatifs prévus à l’article R.153-3 du code de commerce
A titre subsidiaire
– Débouter BioMérieux de sa demande de modification des points 18 à 20 des ordonnances de saisie-contrefaçon du 11 juillet 2023 (RG n°23/01691 et 23/01693)
– Débouter BioMérieux de ses demandes de maintien sous séquestre
– Débouter BioMérieux de sa demande de cercle de confidentialité
A titre très subsidiaire
– Ordonner la mise en place d’un cercle de confidentialité limité, pour chaque partie :
o aux avocats et conseils en propriété industrielle français et étrangers et leurs collaborateurs ou salariés et experts désignés par eux, tenus envers eux d’obligations de confidentialité et à deux personnes physiques employés ou représentants légaux ou statutaires de chaque Partie informés des obligations découlant de l’article L. 153-2 du code de commerce ;
o aux documents fournis autres que ceux pour lesquels les demandes de protection de BioMérieux seront jugées irrecevables et pour lesquels la partie détentrice apporte la preuve de leur éligibilité à la protection du secret des affaires au moyen des mémoires prévus à l’article R.153-3 du code de commerce.
– Dire que pour chaque document qu’elle entendra verser aux débats, la Partie communicante préparera :
o une version confidentielle, dans laquelle toutes les informations confidentielles qu’elle contient seront visibles et identifiées et sur laquelle sera apposée la mention de confidentialité, cette version confidentielle bénéficiant alors automatiquement et immédiatement des mesures de protection prévues ;
o une version non-confidentielle dans laquelle toutes les informations confidentielles qu’elle contient auront été masquées ou biffées, et qui sera dépourvue de toute mention de confidentialité, cette version non confidentielle étant considérée comme une pièce non confidentielle dès sa communication.
– Dire que la composition de ce cercle pourra être modifiée uniquement par un accord écrit entre les parties ou par décision de tout juge compétent.
En tout état de cause
– Ordonner à Me [X] [M], Commissaire de justice de la SELARL JURIKALIS, ayant diligenté les opérations de saisie-contrefaçon des 13 et 20 juillet 2023 de lever le séquestre de l’intégralité des pièces et produits placés sous séquestre et de les remettre immédiatement à la société Labrador,
– Juger que les documents saisis sont utiles à la démonstration de la contrefaçon ;
– Condamner la société BioMérieux à payer à la société Labrador la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société BioMérieux aux entiers dépens, et dire que ceux-ci pourront être recouvrés par Me Cyrille AMAR, avocat au Barreau de Paris, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile ;
A l’audience du 24 octobre 2023, les parties ont confirmé les termes de leurs écritures.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de constitution de garantie
Moyens des parties
La société BioMérieux soutient en premier lieu que la société Labrador est un patent troll qui n’exerce aucune activité économique et qui ne semble posséder aucun autre actif que les brevets opposés à la société BioMérieux. Elle fait valoir que la société Labrador s’apparente à une coquille vide, sans activité, qui a des dettes vis-à-vis de ses associés et qui bénéficie du soutien de la société Fortress Investment group, laquelle n’encourt pas les risques afférents à une instance judiciaire. Elle prétend ensuite qu’il existe un risque sérieux de détournement de secret d’affaires par la société Labrador qui pourrait être tentée d’acquérir des informations sur le fonctionnement des instruments argués de contrefaçon. Elle expose encore que l’accès à des informations confidentielles concernant ses produits procure un avantage indu en matière d’instruction des brevets. Ces circonstances justifient que soit ordonné le versement d’une consignation significative qu’elle évalue à la somme de 2.000.000 euros au regard des frais d’avocat et de conseils en propriété industrielle, en ce compris les frais engendrés par un appel, et au regard de la communication abondante à laquelle se livrera la défenderesse ce qui pourrait être de nature à engendrer une baisse du cours des actions de la société BioMérieux et une baisse de son chiffre d’affaires.
La société Labrador réplique en substance que la demande de consignation est infondée en son principe aux motifs que la consignation est une mesure ordonnée pour protéger le saisi contre une forme d’espionnage industriel de la part du demandeur qui profiterait de la saisie pour obtenir l’accès au secret commercial d’un concurrent ; qu’une garantie financière crée une discrimination entre justiciables en fonction de leurs moyens ; que depuis l’introduction en droit français des dispositions permettant la protection du secret des affaires, le juge peut protéger les droits du saisi de manière efficace sans avoir à imposer une garantie financière ; que la demanderesse ne démontre pas que la société Labrador est insolvable ; que le risque de détournement du secret des affaires ne repose sur aucun élément tangible ; que la société BioMérieux ne justifie pas d’un secret des affaires contenus dans les documents saisis ; que les produits dans le commerce, la documentation technique associée et tous les logiciels qui leur permettent de fonctionner sont librement accessibles et ne sauraient constituer un secret d’affaires. Elle ajoute qu’en tout état de cause, le montant requis est fantaisiste ; qu’il ne s’agit pas d’une provision destinée à garantir les frais de justice, lesquels ne peuvent inclure la procédure d’appel ; que la raison d’être de la garantie n’est pas de protéger contre une éventuelle divulgation de l’existence de l’action en contrefaçon, mais d’être un garde-fou contre les abus qui pourraient être commis lors de la saisie-contrefaçon ; qu’en l’occurrence la demanderesse ne démontre pas que la société Labrador ait communiqué sur l’action en contrefaçon, ni les conséquences négatives pour la société BioMérieux, ni le montant de son préjudice allégué.
Appréciation du juge des référés
Aux termes de l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, « (…) [La juridiction] peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée ».
Il résulte de ce texte que la consignation ne se limite pas à des cas avérés d’espionnage industriel, mais est attachée à l’échec de l’action en contrefaçon au fond.
En l’espèce, la société BioMérieux justifie aux débats que ses recherches sur les principales bases de données n’ont pas permis de se procurer les rapports annuels et bilans de la société Labrador, laquelle ne les produit pas davantage. En outre, alors que la société Labrador ne semble posséder par ailleurs aucun autre actif que des brevets, notamment celui en litige, la société BioMérieux établit que la défenderesse ne dispose pas davantage de salariés ni de représentants qui lui soient propres, ces derniers étant les salariés de la société Fortress Investment group, de même que les salariés qui ont conclu les contrats pour son compte sont des « managing director » ou des employés de cette même société. Elle produit également des extraits de Google Maps de chacune des adresses tant dans le Delaware où elle était initialement immatriculée, que dans le Nevada où elle s’est installée courant juillet 2023, dont il résulte que le siège social de cette société n’est qu’une domiciliation, ce qui souligne derrière la formalité banale que s’attache à décrire la défenderesse, la facilité avec laquelle elle change d’adresse de siège social. Enfin, elle justifie que les brevets américains de la société Labrador ont été cédés le 10 juillet 2023 à une société Golden Diagnostics Top Corp, puis à une société Golden Diagnostics Corp, également immatriculées dans l’état du Nevada et ayant pour dirigeants les mêmes que ceux de la société Fortress Investment Group, diminuant ainsi le patrimoine de la société Labrador. Les capacités financières de la société Labrador à régler à la société BioMérieux des dommages-intérêts si la saisie-contrefaçon venait à être annulée ou n’était pas jugée fondée apparaissent ainsi insuffisamment établies.
La société BioMérieux se prévaut du risque que la saisie contrefaçon entraîne la divulgation à la société Labrador du fonctionnement des instruments saisis argués de contrefaçon, en ce que cette dernière demande à avoir accès à ces instruments et aux documents saisis réellement tels que le manuel d’entretien ou des données comptables cependant qu’elle demande reconventionnellement la production des plans et des documents de fabrication des instruments et des cassettes. Si la faculté qu’a la juridiction de mettre en place des mesures de protection de ce secret des affaires ne saurait faire obstacle à la faculté dont elle dispose, en vertu de l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, de subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur, la société Labrador démontre, sans être contestée par la société BioMérieux, par un constat d’huissier sur internet daté du 23 août 2023, qu’il suffit de se rendre sur le site utilisé par BioMérieux pour offrir des mises à jour de ses produits, de saisir un numéro de produit pour télécharger le logiciel correspondant sous la forme d’un fichier « .dll », accompagné d’instructions d’installations, ce dont il résulte que les logiciels et la documentation technique associée qui permettent aux produits de la société BioMérieux de fonctionner, sont accessibles au public. Il en résulte que le risque allégué de détournement d’un secret des affaires n’est, en revanche, pas suffisamment avéré.
En l’état de ces éléments, il y a lieu de faire droit à la demande de consignation, et d’ordonner à la société Labrador, dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision, de consigner à la Caisse des dépôts et consignation la somme de 350.000 euros, le montant de 2.000.000 euros demandé étant insuffisamment justifié.
Sur les autres demandes de la société BioMérieux
* Sur l’irrecevabilité des demandes
Moyen des parties
La société Labrador soutient que les demandes de modification des points 18 à 20 des ordonnances en litige, de maintien sous séquestre et d’un cercle de confidentialité sont irrecevables en ce qu’elles se fondent sur la protection du secret des affaires sans remplir les conditions posées par les articles R.153-1 et R 153-3 du code de commerce. Elle fait valoir que la société BioMérieux était tenue en tant que partie invoquant la protection du secret des affaires de fournir au juge saisi par elle les versions confidentielles, non confidentielles et un mémoire précisant les motifs conférant aux documents le caractère de secret des affaires dans le délai fixé par le juge, en l’occurrence celui d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance de saisie-contrefaçon, ce qu’elle n’a pas fait. Elle estime que les demandes destinées à éviter la levée automatique du séquestre provisoire en application de l’article R 153-1 du code de commerce sont soumises au respect de l’article R. 153-3 du même code, le juge saisi en référé d’une demande de modification de l’ordonnance étant compétent à la condition qu’il soit saisi dans les conditions de ce dernier texte. Elle ajoute que le délai fixé par le juge dans son ordonnance de saisie-contrefaçon est celui fixé par l’article R.153-1 précité et conteste que l’article R. 153-3 ne pourrait s’appliquer alors que les pièces demandées sont clairement identifiées dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon. Elle rapporte enfin que la société BioMérieux aurait dû remettre au juge une version non confidentielle de l’intégralité des documents saisis, ce qu’elle n’a pas fait. Elle en déduit que le Président du Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur les demandes de BioMérieux puisqu’elle ne lui a pas fourni la totalité des documents visés à cet article.
La société BioMérieux oppose en substance que la demande de modification des points 18 à 20 des ordonnances est recevable en tout état de cause s’agissant d’une demande de modification des ordonnances et non de levée du séquestre. Elle soutient que les demandes destinées à éviter la levée automatique du séquestre provisoire ne sont pas soumises à l’article R. 153-3 du code de commerce, mais doivent être formées dans les seules formes de l’article 497 du code de procédure civile et il appartient ensuite au juge de faire usage s’il le souhaite des dispositions des articles R.153-3 à R.153-10 précitées et donc de fixer un délai à la partie invoquant la protection du secret des affaires pour fournir la version confidentielle de la pièce et un mémoire explicatif. Elle conteste que l’ordonnance de saisie-contrefaçon fixerait par avance un délai à la partie saisie pour déposer un mémoire en application de l’article R. 153-3 du code de commerce, le juge s’étant seulement borné au rappel des dispositions de l’article R. 153-1 du code de commercequi imposent de le saisir dans le mois suivant la saisie. Elle en déduit que ses demandes ne sont pas irrecevables. Elle ajoute que l’article R. 153-3 du code de commerce ne recevant application que dans le cas où la communication ou la production d’un pièce couverte par le secret des affaires est demandée, il ne peut s’agir de la simple appréhension des pièces dans le cadre d’une saisie-contrefaçon. En outre, le juge peut écarter la remise d’une pièce appréhendée lors de la saisie-contrefaçon si elle n’a pas de rapport avec le brevet ou si elle n’est pas utile à la solution du litige sans qu’il soit nécessaire d’en passer par la procédure de l’article R. 153-3 précité.
Appréciation du juge
Aux termes de l’article R. 153-1 du code de commerce, « Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire [ordonnée par le juge pour assurer la protection du secret des affaires] est levée et les pièces sont transmises au requérant. Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. », l’article R. 153-3 de ce code précisant que « A peine d’irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci : 1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;2° Une version non confidentielle ou un résumé ;
3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.
(…)».
L’article R. 615-4 du code de la propriété intellectuelle étend ces dispositions aux mesures de saisie-contrefaçon en ces termes : « Afin d’assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies dans les conditions prévues à l’article R. 153-1 du Code de commerce ».
Il résulte de ces dispositions que pour éviter la levée automatique de la mesure de séquestre provisoire et la transmission des pièces au requérant, le juge doit être saisi, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision, d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance ; que dans ce cas, il est compétent pour statuer sur la levée de la mesure de séquestre et cela dans les conditions prévues notamment à l’article R. 153-3 du code de commerce, c’est-à-dire la remise au juge, dans le délai que celui-ci fixe, et à peine d’irrecevabilité, des versions confidentielles et non confidentielles ainsi que d’un mémoire précisant les motifs qui confèrent à chaque information ou pièce le caractère d’un secret des affaires. Il s’ensuit que toute demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance du juge pour éviter la levée du séquestre n’est assujettie à aucune autre condition de saisine du juge que celle du délai prévu à l’article R. 153-1, alinéa 2, cependant qu’en application de l’article R. 153-1, alinéa 3, le juge qui statue sur la levée du séquestre et devant lequel la partie qui s’oppose à la communication d’une pièce invoque la protection du secret des affaires, fixe un délai dans lequel celle-ci doit accomplir les formalités prescrites par l’article R. 153-3 du même code. Cet article ne conditionne donc pas la recevabilité de la demande de modification de l’ordonnance ou de celle tendant au maintien du séquestre sans invoquer un secret des affaires, à l’accomplissement préalable des formalités qu’il énumère, mais uniquement la recevabilité de la demande de protection du secret des affaires invoquée par la partie qui s’oppose à la communication d’une pièce.
En l’espèce, il est constant et non contesté par la société Labrador que la société BioMérieux l’ayant assignée par acte d’huissier du 11 août 2023 devant le juge ayant rendu les deux ordonnances de saisie-contrefaçon aux fins de la modification de celles-ci, la demande de modification des ordonnances a été faite dans le délai d’un mois à compter de leur signification survenue le 13 juillet 2023. La demande de modification de l’ordonnance en ses points 18 à 20, qui ne constitue pas une demande de levée du séquestre, est donc en toute hypothèse recevable. S’agissant des demandes de maintien sous séquestre portant sur le logiciel et sa notice et sur les données comptables, la société BioMérieux n’invoque pas la protection du secret des affaires pour s’opposer à leur communication, de sorte qu’elles ne sont pas assujetties au délai de l’article R 153-3 du code de commerce et sont donc recevables, elles aussi. Enfin, s’agissant de la demande de maintien sous séquestre portant sur les manuels d’entretien pour lesquels la société BioMérieux invoque la protection du secret des affaires, il importe peu que la société BioMérieux n’ait pas produit dans le délai d’un mois qui courait à compter de la date de signification des ordonnances de saisie-contrefaçon, les documents énumérées à l’article R. 153-3 du code de commerce, dès lors que ces ordonnances ne lui ont fixé aucun délai pour les produire, mais se sont bornées à rappeler le délai d’un mois de l’article R. 153-1 de ce code pour saisir le juge et qu’en tout état de cause, la société BioMérieux a remis au juge la copie confidentielle intégrale de la pièce dont elle demande le maintien du séquestre, ainsi que le mémoire explicatif.
Les demandes de la société BioMérieux de maintien sous séquestre et, partant, celle tendant à la mise en place d’un cercle de confidentialité, étant recevables, ainsi qu’en toute hypothèse, celle de modification des points 18 à 20 des ordonnances, la fin de non-recevoir soulevée par la société Labrador sera donc rejetée.
Sur la demande de modification des points 18 à 20 des ordonnances
Moyens des parties
La société BioMérieux fait valoir au soutien de sa demande de modification du point 18 que la saisie-contrefaçon étant une mesure accordée au visa d’un titre donné, les mesures autorisées ne peuvent être utilisées pour des procédures fondées sur d’autres droits, notamment des procédures couvrant d’autres éventuelles inventions, sauf à permettre un détournement de procédure de saisie-contrefaçon. Elle soutient s’agissant du point 19 que les appareils commandés et saisis réellement ne peuvent être utilisés pour autre chose que rechercher la preuve de la saisie-contrefaçon, exposant que ces instruments et panels ne sont pas en vente libre mais réservés aux professionnels de santé et ne peuvent être revendus par les acquéreurs à des tiers sans l’autorisation de BioMérieux, en application des conditions générales de vente qu’elle produit. Quant au point 20, elle fait valoir que la société Labrador a déjà cédé les brevets américains correspondant au brevet européen EP’341 aux sociétés Golden Diagnostics dont elle ignore tout de l’actionnariat, en sorte qu’elle est fondée à s’opposer à ce que la société Labrador leur transmette le procès-verbal de saisie-contrefaçon, les instruments saisis, pour qu’elles s’en servent au soutien d’actions portant sur d’autres droits qu’elles détiennent.
La société Labrador réplique qu’il n’est pas nécessaire de limiter le point 18 à un brevet particulier puisqu’il est déjà indiqué qu’elle n’utilisera ces éléments que pour faire valoir ses droits, EP’341 ou autres droits qu’elle détient. Elle s’oppose à ce que le point 19 soit modifié pour imposer l’examen des produits acquis par elle exclusivement en France et par un expert judiciaire, aux motifs qu’elle a passé commande de l’instrument Torch et des cassettes de réactifs, qu’elle en est propriétaire et peut conduire les tests de son choix, par la personne de son choix et de la manière qu’elle souhaite, que les accusations de la société BioMérieux d’un possible « reverse engineering » sont injustifiées, d’autant que le protocole a déjà été mis à la disposition du public par cette dernière, qui ne vend pas tous ses produits exclusivement à des professionnels, peu important les conditions géérales de vente qui lui sont opposées pour limiter l’usage et la revente de produits dont elle est devenue propriétaire en ce qu’elles sont abusives et ne peuvent être formulées que dans le cadre d’un réseau de distribution sélective ou exclusive, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. S’agissant du point 20, elle invoque l’absence de preuve apportée par la société BioMérieux qui ne démontre pas non plus que les ordonnances telles que rendues seraient insuffisantes pour protéger ses informations confidentielles.
Appréciation du juge
L’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants
(…) ».
Aux termes des articles 496 deuxième alinéa et 497 du code de procédure civile, “S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance” et “Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.”
L’objet de la demande fondée sur ces dispositions est de permettre au juge ayant statué sur la requête d’apprécier si, au regard des éléments fournis dans le cadre du débat contradictoire, il aurait rendu la même décision ou au contraire aurait limité la mission autorisée, voire refusé d’autoriser la mesure.
En l’espèce, les ordonnances de saisie-contrefaçon du 11 juillet 2023 prévoient l’usage des pièces saisies en ces termes :« 18 – Disons que les éléments saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon seront remis à la requérante pour faire valoir ses droits »
« 19 – Disons que la requérante sera libre d’effectuer tous tests et/ou mesures sur les produits saisis, par quelque personne de son choix, une fois ceux-ci remis par le commissaire de justice instrumentaire »
« 20 – Disons que les éléments saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon pourront être transmis et utilisés par la requérante et ses conseils, y compris étrangers, dans le cadre de procédures parallèles, notamment en France et aux Etats-Unis, sous réserve de la protection des secrets d’affaires du saisi. »
La saisie-contrefaçon, comme le rappelle à juste titre la société BioMérieux, ne permet pas d’utiliser les pièces saisies dans des procédures fondées sur d’autres droits que ceux détenus au titre d’un brevet et visant à prouver la contrefaçon alléguée. La société BioMérieux cependant se borne à opposer, s’agissant de l’usage des éléments saisis pour des procédures qui couvriraient d’autres éventuelles inventions, le risque que la société Labrador utilise ces éléments saisis en rapport avec d’ « autres droits qu’elle détient » qui ne soient ni ceux issus du brevet EP’341, ni ceux au titre des brevets étrangers correspondant à ce brevet, et de détourner ainsi la procédure de saisie-contrefaçon, alors qu’il est déjà prévu que les éléments saisis dans le cadre de la saisie-contrefaçon accordée au visa du brevet EP’341 seront remis à Labrador « pour faire valoir ses droits », soit ceux qu’elle détient au titre du brevet précité et les « autres droits qu’elle détient » c’est-à-dire au titre des brevets étrangers correspondants.
Par ailleurs, si la société BioMérieux entend imposer que les produits saisis, acquis par la société Labrador dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, soient examinés exclusivement en France et par un expert judiciaire, elle ne justifie pas que ces produits ou les informations saisies seront utilisés par la défenderesse pour du « reverse engineering », lequel est d’autant moins nécessaire qu’il est établi que les logiciels qui équipent les machines Biofire sont accessibles au public. En outre, il importe peu que les conditions générales de vente stipulent que les acquéreurs de ses produits ne peuvent les revendre à des tiers sans son autorisation préalable et qu’ils sont tenus de préserver la confidentialité des informations qui leur seraient communiquées, dès lors que la société BioMérieux indique elle-même qu’elle aurait refusé de vendre ces produits, qui ne sont pas en vente libre mais réservés aux professionnels de santé, à la société Labrador, laquelle, en tout état de cause, n’est pas sa cliente, ainsi qu’elle le reconnaît, et n’a fait l’achat desdits instruments et panels que dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, étant ajouté que la défenderesse justifie aux débats que les produits de la gamme Biofire, en ce compris le Torch acquis par cette dernière lors de la saisie-contrefaçon, sont disponibles en vente libre sur le site internet d’occasion en ligne de la société e-bay. Ainsi les conditions générales de vente de la société BioMérieux ne sauraient justifier la limitation de l’usage et la revente des produits achetés par la société Labrador.
Enfin, nonobstant la cession par la société Labrador des brevets américains correspondants au brevet EP’341 aux sociétés Diagnostics, la société BioMérieux ne démontre pas que le point 20 des ordonnances de saisie-contrefaçon, lequel précise à quelles fins et par qui les éléments et informations saisis par la société Labrador pourront être transmis et utilisés et avec qui elle est autorisée à les partager, n’est pas suffisant pour protéger ses informations confidentielles.
Les griefs étant tous écartés, il n’y a pas lieu à modification des ordonnances de ces chefs.
* Sur les demandes de protection de la confidentialité
Moyens des parties
La société BioMérieux fait valoir que :- les manuels d’entretien des instruments argués de contrefaçon ne doivent pas être remis à la société Labrador ou doivent être remis uniquement après occultation des passages qui ne sont pas nécessaires pour apporter la preuve de la contrefaçon alléguée, exposant que ces manuels ne sont pas disponibles au public, ni aux clients, mais réservés au personnel chargé de l’entretien et contiennent certaines informations étrangères à la contrefaçon alléguée et qu’il convient de conserver confidentielles, en sorte qu’un tri doit être opéré pour déterminer les passages pertinents qui présentent un intérêt pour la preuve de la contrefaçon alléguée et ceux qui ne le sont pas.
– le fichier exécutable destiné à corriger le logiciel équipant l’instrument FilmArray Torch et la notice de ce fichier exécutable doivent être conservés sous séquestre et ne doivent pas être remis à la société Labrador aux motifs, d’une part, qu’elles ne peuvent servir à rapporter la preuve de la contrefaçon alléguée, en ce que ces pièces ont été trouvées sur le serveur de la filiale britannique de BioMérieux et ne concernent donc pas les activités de la société BioMérieux SA qui distribue les instruments BioFire uniquement en France, que le fichier exécutable est antérieur au 12 août 2020 date à laquelle le brevet EP’341 est devenu opposable en France et le logiciel ayant été modifié depuis, l’exécutable n’est pas utile à établir la contrefaçon, d’autre part, que les commissaires de justice ont reçu livraison des instruments et kits commandés et équipés d’une version à jour du logiciel, sur lesquels ils pourront réaliser les tests demandés.
– les données comptables et l’état des stocks doivent être placés sous séquestre, rien ne justifiant que la société Labrador, qui n’a pas d’activité commerciale, ait accès à ces données qui ne sont pas nécessaires à la preuve de la contrefaçon alléguée.
La société Labrador prend acte de ce que la société BioMérieux ne s’oppose plus à la remise des photographies du procès-verbal de saisie-contrefaçon et des manuels d’utilisation et qu’elle accepte la levée du séquestre des produits commandés uniquement après versement de la consignation et selon les conditions qu’elle a fixées dans ses demandes de modification des ordonnances. Elle demande également la levée du séquestre sur les manuels d’entretien, le fichier exécutable et sa notice ainsi que les données comptables, soutenant que :- la société BioMérieux ne démontre pas en quoi les manuels d’entretien qui détaillent comment les instruments fonctionnent et permettent de mettre en lumière la contrefaçon, répondent aux critères de la protection du secret des affaires de l’article L. 151-1 du code de commerce ;
– le fichier exécutable du logiciel présent dans les instruments de BioMérieux et sa notice, a été récupéré, pendant la saisie en France, dans un espace de stockage attribué à Biomérieux UK, en sorte que ce document d’origine étrangère étant disponible sur le territoire français, entre dans le cadre des ordonnances. La société BioMérieux dispose en outre en France d’un centre de distribution logistique international et elle est importateur dans l’union européenne des produits BioFire. Ces documents sont utiles à la preuve de la contrefaçon ;
– les données comptables doivent lui permettre de calculer son préjudice au regard de la contrefaçon qu’elle subit.
Appréciation du juge
L’article L. 151-1 du code de commerce dispose qu’ « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ».
L’article L.153-1 de ce code dispose : « Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil;
4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires ».
Selon l’article R.615-2 du code de la propriété intellectuelle, afin d’assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l’article R. 153-1 du code de commerce.
Aux termes des articles R. 153-1 et R. 153-3 du code de commerce, « le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. A peine d’irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci : 1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ; 2° Une version non confidentielle ou un résumé ; 3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.Le juge peut entendre séparément le détenteur de la pièce, assisté ou représenté par toute personne habilitée, et la partie qui demande la communication ou la production de cette pièce ».
Les articles R. 153-5, R. 153-6 et R. 153-7 du code de commerce prévoient respectivement que le juge « refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige », qu’il « ordonne cette communication ou production de la pièce en cause dans sa version intégrale lorsque celle-ci à l’inverse est nécessaire à la solution du litige, alors même qu’elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires » et que « Lorsque seuls certains éléments de la pièce sont de nature à porter atteinte à un secret des affaires sans être nécessaires à la solution du litige, [il] ordonne la communication ou la production de la pièce dans une version non confidentielle ou sous forme d’un résumé, selon les modalités qu’il fixe ».
Préalablement, il convient de constater que la société BioMérieux ne s’oppose plus à la remise des instruments et panels commandés, ainsi que des manuels d’utilisation de ces produits et des photographies prises pendant les opérations de saisie-contrefaçon.
La société BioMérieux invoque la protection du secret des affaires pour les manuels d’entretien saisis, sans prouver en quoi ils satisfont aux trois critères requis par l’article L. 151-1 du code de commerce, se bornant à alléguer de ce qu’ils ne sont pas disponibles au public, ni aux clients et seulement réservés au personnel de la société BioMérieux et contiennent des informations qui seraient confidentielles et étrangères à la preuve de la contrefaçon. Toutefois, ces manuels n’apparaissent pas utiles à la solution du présent litige dans leur totalité au regard du brevet en litige. Aussi, il y a lieu d’ordonner leur remise à la société Labrador dans sa version expurgée selon les modalités proposées par la société BioMérieux, c’est à dire sous la forme de sa pièce n° 7-2 annexée à son mémoire établi conformément aux dispositions de l’article R.153-3 du code de commerce (hors cercle de confidentialité).
La société BioMérieux ne démontre pas que le fichier exécutable trouvé sur le serveur de la filiale britannique de la société BioMérieux et destiné à corriger le logiciel équipant l’instrument FilmArray Torch, ainsi que la notice de ce fichier ne puissent servir à rapporter la preuve de la contrefaçon alléguée. D’une part, il importe peu que le fichier ait été trouvé sur le serveur de la filiale britannique alors qu’un document d’origine étrangère disponible sur le territoire français entre dans le cadre de saisies-contrefaçons, qui ne prévoient pas, comme en l’espèce, de limitations aux seules filiales en France, et qu’en tout état de cause, ce fichier ne concerne pas les seules activités de la filiale britannique, mais bien celles de la société BioMérieux SA, laquelle, société mère du groupe, ne se borne pas à la distribution, uniquement en France, des produits BioFire équipés du logiciel dont le fichier exécutable de correction est en cause, mais dispose sur le territoire français d’un Centre de distribution logistique à caractère international et dont la société Labrador justifie de l’existence par un procès-verbal de constat du 18 octobre 2023 dressé sur la chaîne you tube « BioMérieux TV ». En outre, si les instruments commandés sont équipés d’une version à jour du logiciel, ce qui n’est pas contesté par la société Labrador, laquelle peut faire les tests et mesures qu’elle juge nécessaires pour rechercher la preuve de la contrefaçon qu’elle allègue, elle ne démontre pas en quoi « seuls le fonctionnement de l’appareil et les échanges intervenant entre la base et les modules sont utiles à l’appréciation de la contrefaçon alléguée » alors qu’il est constant que l’appareil est piloté par un logiciel et n’établit pas davantage que le fichier exécutable de correction de celui-ci dont elle soutient qu’il a été créé en 2018, n’était plus valable et utilisé à la date à laquelle le brevet EP’341 est devenu opposable, le 12 août 2020.
En revanche, les données comptables, n’apparaissent nullement nécessaires, à ce stade, à la résolution du litige.
Il y a donc lieu d’ordonner, à l’exclusion des données comptables, la remise à la société Labrador du fichier exécutable du logiciel et sa notice, ainsi que des manuels d’entretien, lesquels seront communiqués sous une version occultée.
Toutefois et conformément aux dispositions de l’article R.153-8 du code de commerce, les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir si un appel est interjeté.
En l’absence de protection du secret des affaires pour les documents séquestrés, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société BioMérieux d’ordonner la remise de ces pièces saisies en limitant leur accès aux membres d’un cercle restreint de personne tenues à une obligation de confidentialité.
La demande de la société Labrador de mise en place d’un cercle de confidentialité limité aux « documents fournis autres que ceux pour lesquels la demande de protection de BioMérieux seront jugées irrecevables et pour lesquels la partie détentrice apporte la preuve de leur éligibilité à la protection du secret des affaires » présentée à titre subsidiaire par la société Labrador est devenue sans objet.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la société Labrador supportera les dépens et sera condamnée à payer à la société BioMérieux la somme totale de 10.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, cependant que la société Labrador sera déboutée de sa demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
Le juge des référés, statuant par mise à disposition de la décision au greffe, contradictoire et en premier ressort,
– ORDONNE la consignation par la société Labrador Diagnostics LLC de la somme de 350.000 euros à la Caisse des dépôts et consignations dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance ;
– AJOUTE les points suivants 26 et 27 rédigés comme suit :
26. Ordonnons la consignation par la société Labrador Diagnostics LLC auprès de la Caisse des dépôts et consignations de la somme de 350.000 euros à valoir en garantie sur toute indemnité que la société Labrador Diagnostics LLC pourrait être condamnée à payer à la société BioMérieux en lien avec l’action envisagée sur le fondement du brevet EP 1 883 341 ;
27. Disons que cette consignation, valant pour l’ensemble des ordonnances aux fins de saisie-contrefaçon, devra être versée dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente ordonnnance et qu’elle sera le préalable à la remise à la société Labrador Diagnostics LLC, de toute pièce provenant des opérations de saisie-contrefaçon.
– REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Labrador Diagnostics LLC ;
– DIT n’y avoir lieu à modifications des points 18, 19 et 20 des ordonnances rendues le 11 juillet 2023;
– ORDONNE la main-levée du séquestre provisoire et la remise par la SELARL Jurikalis, prise en la personne de Maître [X] [M], commissaire de justice, à la société Labrador Diagnostics LLC, des manuels d’utilisation saisis, des photographies, des instruments et panels commandés à fin de saisie, du logiciel et sa notice ainsi que des manuels d’entretien, ces derniers étant communiqués sous une version occultée correspondant à la pièce n°7.2 de la société BioMérieux ;
– DIT que conformément aux dispositions de l’article R.153-8 du code de commerce, les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir si un appel est interjeté ;
– DÉBOUTE la société BioMérieux SA de sa demande de mise en place d’un cercle de confidentialité ;
– CONDAMNE la société Labrador Diagnostics LLC aux dépens ;
– CONDAMNE la société Labrador Diagnostics LLC à payer à la société BioMérieux SA la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– DÉBOUTE la société Labrador Diagnostics LLC de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– REJETTE le surplus des demandes ;
– RAPPELLE que la présente décision n’est exécutoire qu’à l’expiration du délai d’appel ou après la décision de cette cour si un tel recours est exercé en ce qui concerne la mainlevée du séquestre.
Faite et rendue à Paris le 29 février 2024
LA GREFFIERE LA JUGE DES REFERES