L’Argus, marque ou terme libre de droits ?

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L’Argus, marque ou terme libre de droits ?

L’Essentiel : L’usage du terme « argus » dans le contexte de la contrefaçon de marque soulève des questions sur son caractère distinctif. La CJUE précise que l’usage d’une marque doit permettre d’identifier un produit ou service d’une entreprise spécifique. Dans l’affaire opposant la SNEEP à un concurrent, le juge des référés a conclu que le terme « argus » était utilisé comme un terme courant, désignant une cote ou une estimation de valeur, et non comme une marque. Les recherches sur internet montrent que le public assimile « argus » à « cote », renforçant l’idée que son usage ne constitue pas une contrefaçon.

Le critère pivot

Pour déterminer si le risque de contrefaçon de marque existe sur un terme présentant un caractère commun (« argus »), il convient de rechercher si son usage par le tiers mis en cause est fait à titre de marque ou comme simple utilisation d’un terme de langage courant.  Selon la CJUE, l’usage de la marque en tant que marque doit être compris comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée.

Affaire l’Argus  c/ La centrale

La Société Nouvelle d’Études d’Edition et de Publicité (SNEEP) qui a pour nom commercial ARGUS, est la société éditrice du journal automobile  L’ARGUS, qui fournit une cotation des véhicules d’occasion. Elle est titulaire de plusieurs marques dont « côte argus », « L’Argus » et « Argus » pour désigner des magazines de presse et des services de cotation.  Ayant constaté qu’un concurrent, éditeur de petites d’annonces autos / bateaux (lacentrale.fr) utilisait les marques « argus » pour permettre à son site d’être référencé naturellement par Google,  la SNEEP a fait assigner l’éditeur en référé.

L’action en référé contrefaçon

Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon (article L 716-6 du CPI). La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente. Il revient à la juridiction, saisie en référé, d’apprécier la vraisemblance d’une atteinte aux droits conférés par les titres invoqués.

S’il appartient à la juridiction saisie au fond de statuer sur la validité des marques en cause, au regard notamment de l’appréciation de leur caractère distinctif, un tel débat ne pouvant prospérer devant le juge des référés, celui-ci examine néanmoins si les moyens susceptibles d’être soulevés devant le juge du fond, notamment s’agissant de la validité des marques, sont de nature à établir que l’atteinte alléguée par le titulaire de la marque est ou non vraisemblable.

Pas d’usage à titre de marque

Le juge des référés a retenu qu’il n’était pas démontré que les usages par le site, du signe « argus » étaient effectués à titre de marque.  Le dictionnaire de l’académie française définit le terme ‘argus’ comme une publication qui fournit des informations dans des domaines particuliers. L’Argus de l’immobilier. Le dictionnaire Robert propose notamment comme définition : « Publication qui fournit des renseignements spécialisés. L’Argus de l’automobile, périodique qui fixe les cotes des voitures d’occasion… » . « Publication qui fournit des renseignements spécialisés. L’Argus de l’automobile, qui fournit la cote des voitures de moins de huit ans. Voiture qui n’est plus cotée à l’Argus. L’Argus de la presse… ». Le grand dictionnaire Larousse de 1982 précise, parmi les différents sens du mot ‘argus’ : « Presse : Publication qui fournit certaines informations spécialisées à ses lecteurs. (L’argus des automobiles fixe le prix des voitures d’occasion). » Le site reverso dictionnaire définit enfin l’argus comme un « recueil de données chiffrées sur le prix des transactions ». Le terme argus peut donc être couramment utilisé sur internet pour désigner une cote, ou une estimation de valeur, dans les domaines de l’assurance, des vins ou des jeux vidéo.

La pratique des internautes

L’importance des recherches engagées sur internet sur les signes « argus gratuit », alors que le service de cotation de véhicules proposé par la  SNEEP sur son site est payant a révélé que le public utilise alors le signe ‘argus’ comme synonyme de ‘cote’, et a recours aux deux termes de manière indistincte ; le nombre conséquent de recherches engagées sur les moteurs de recherche avec comme signe ‘argus la centrale’ ou ‘la centrale argus’ démontre aussi l’utilisation du terme argus comme ayant le sens de ‘cote’. Le concurrent a fait usage sur son site internet du signe ‘argus’ au sens de cote et désigne un service de cotation de la valeur des véhicules et le public concerné, soit celui cherchant à acquérir ou à vendre un véhicule automobile et désireux de connaître la valeur du modèle envisagé, comprendra cet usage comme désignant un service de cotation auquel il a recours, et non comme une référence aux marques dont la société SNEEP est titulaire. A noter que la SNEEP avait déjà, il y a près de 10 ans, été déboutée d’une action en revendication sur un nom de domaine incluant le terme « argus ».  

Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le critère pivot pour déterminer le risque de contrefaçon de marque ?

Le critère pivot pour évaluer le risque de contrefaçon de marque repose sur la distinction entre l’usage d’un terme à titre de marque et son utilisation comme simple terme de langage courant.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) précise que l’usage d’une marque doit être compris comme un usage destiné à identifier un produit ou un service comme provenant d’une entreprise déterminée.

Ainsi, il est essentiel d’analyser le contexte dans lequel le terme est utilisé pour déterminer s’il s’agit d’une contrefaçon ou d’une utilisation légitime.

Cette analyse est cruciale, notamment lorsque le terme en question possède un caractère commun, comme « argus », qui peut être utilisé dans divers contextes sans nécessairement faire référence à une marque spécifique.

Quelles sont les circonstances de l’affaire l’Argus c/ La centrale ?

Dans l’affaire l’Argus c/ La centrale, la Société Nouvelle d’Études d’Edition et de Publicité (SNEEP), titulaire de plusieurs marques liées à « argus », a constaté que son concurrent, éditeur de petites annonces, utilisait le terme « argus » pour améliorer son référencement sur Google.

La SNEEP, qui édite le journal automobile L’ARGUS, a donc décidé d’agir en justice en assignant l’éditeur en référé pour contrefaçon.

Cette action visait à protéger ses droits de propriété intellectuelle en raison de l’utilisation du terme « argus » par un tiers, qui pourrait induire en erreur les consommateurs sur l’origine des services proposés.

L’affaire soulève des questions sur l’usage des marques et la protection des droits des titulaires face à des pratiques concurrentielles.

Quelles sont les conditions pour saisir la juridiction en référé pour contrefaçon ?

Pour saisir la juridiction en référé pour contrefaçon, plusieurs conditions doivent être remplies.

Tout d’abord, la personne qui souhaite agir doit avoir la qualité pour le faire, c’est-à-dire être titulaire des droits de propriété intellectuelle concernés.

Ensuite, il est nécessaire de démontrer qu’il existe une atteinte imminente aux droits conférés par le titre, ou que des actes de contrefaçon sont en cours.

La juridiction peut ordonner des mesures urgentes si les circonstances l’exigent, notamment si un retard pourrait causer un préjudice irréparable au demandeur.

Il est également essentiel que les éléments de preuve présentés rendent vraisemblable l’atteinte aux droits du demandeur, ce qui implique une appréciation de la vraisemblance par le juge des référés.

Pourquoi le juge des référés a-t-il conclu qu’il n’y avait pas d’usage à titre de marque ?

Le juge des référés a conclu qu’il n’était pas prouvé que l’usage du terme « argus » par le site concurrent était effectué à titre de marque.

En effet, les définitions du terme « argus » dans divers dictionnaires montrent qu’il est couramment utilisé pour désigner des publications fournissant des informations spécialisées, notamment dans le domaine automobile.

Cette utilisation du terme comme synonyme de « cote » ou d’« estimation de valeur » est largement reconnue et acceptée.

Ainsi, le juge a estimé que le public percevait le terme « argus » dans ce contexte, et non comme une référence directe aux marques détenues par la SNEEP.

Cette interprétation a été renforcée par l’analyse des pratiques des internautes, qui utilisent le terme de manière interchangeable avec d’autres termes liés à la cotation.

Comment les internautes utilisent-ils le terme « argus » ?

Les recherches effectuées par les internautes montrent que le terme « argus » est souvent utilisé comme synonyme de « cote ».

Des expressions telles que « argus gratuit » révèlent que le public cherche des informations sur la valeur des véhicules sans nécessairement se référer aux services payants proposés par la SNEEP.

De plus, les requêtes fréquentes sur des termes comme « argus la centrale » ou « la centrale argus » indiquent que les utilisateurs associent le terme à des services de cotation, plutôt qu’à une marque spécifique.

Cette utilisation généralisée du terme « argus » dans le langage courant renforce l’idée qu’il ne s’agit pas d’une contrefaçon, mais d’un usage légitime dans le cadre de la recherche d’informations sur la valeur des véhicules.

Il est également important de noter que la SNEEP avait déjà été déboutée dans une affaire similaire concernant un nom de domaine incluant le terme « argus », ce qui souligne la complexité de la protection des marques dans un contexte où les termes peuvent avoir des significations variées.


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