KOH-LANTA : Qualification de contrat de travail en téléréalité

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KOH-LANTA : Qualification de contrat de travail en téléréalité

L’Essentiel : Dans l’affaire KOH-LANTA, la participation d’un candidat a été requalifiée en contrat de travail, soulignant que la qualification dépend des conditions réelles d’exercice de l’activité, et non de la volonté des parties. L’émission, bien qu’incluant des éléments de jeu, est principalement une production audiovisuelle organisée par la société ALP, impliquant un lien de subordination. Les participants, soumis à des règles strictes et à des restrictions de liberté, ont droit à une indemnité pour atteinte à leurs droits. La société a échappé à des accusations de travail dissimulé, mais a été condamnée pour des atteintes disproportionnées aux libertés individuelles.

1ère espèce

Conditions du contrat de travail

Dans cette affaire, la participation d’un candidat à l’émission KOH-LANTA a été requalifiée en contrat de travail. En droit, la qualification de contrat de travail implique qu’une personne s’engage à fournir une prestation de travail au profit d’une autre personne, en se plaçant dans un état de subordination juridique vis à vis de cette dernière, moyennant une rémunération. L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination de la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de la personne concernée.

KOH-LANTA : un jeu ?

KOH-LANTA n’a pas été qualifié de jeu. S’agissant de la qualification de contrat de jeu, l’objet du contrat ne peut pas se réduire à l’organisation d’un jeu. Il apparaît en effet que le document comporte à titre accessoire des éléments de jeu, en ce qu’il organise des épreuves d’élimination, à l’issue desquelles un Vainqueur sera désigné. Toutefois, le contrat organise pour l’essentiel la participation des candidats à une émission de divertissement, qui suppose le tournage de l’émission, sous différents aspects (tournage de portraits et tournage sur site), en vue d’être diffusée sur une chaîne de télévision.

L’émission KOH-LANTA appartient au genre déterminé des émissions de télé-réalité et ALP est une société de production qui vise à réaliser un bien audiovisuel ayant une forte valeur économique. Le versement d’un prix au “gagnant”, constitue une part des frais engagés pour la production de l’émission. La qualification de contrat aléatoire est exclue puisque l’engagement de ces frais est certain.

Du point de vue des participants, la participation à un jeu supposerait une sélection selon des critères objectifs appliqués à des compétences attendues dans un domaine déterminé. Or, les participants, sélectionnés parmi 10.000 à 14.000 candidatures, sont choisis suivant des critères subjectifs, totalement déterminés par la société de production.

En outre, du point de vue du contenu de l’émission, le jeu constitue seulement une partie de ce contenu puisque l’émission comporte d’une part des scènes de tournage des “épreuves” qui correspondent à la part du jeu, mais d’autre part des “interviews” sur le ressenti des candidats, des scènes de tournage de portraits réalisées en France et à l’étranger, et enfin le tournage de “Conseils” au cours desquels il est demandé aux participants, d’éliminer l’un d’entre eux suivant des règles purement subjectives, ne relevant pas de la catégorie du jeu. Il s’ensuit que la qualification du contrat de jeu doit être écartée.

Téléréalité et contrat de travail

S’agissant de la qualification de contrat de travail, la réalisation de la prestation de travail résulte de facteurs multiples : la société de production attend des candidats qu’ils participent activement aux différentes scènes de tournage, ce qui suppose non seulement un effort physique mais également un effort psychologique certain. Les participants versent aux débats plusieurs articles de presse qui relatent les conséquences psychologiques négatives ayant affecté certains d’entre eux.

S’agissant de l’existence du lien de subordination, caractérisé par le pouvoir de l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements, il ressort des dispositions du Règlement des Candidats qui place les participants sous l’autorité du producteur qui disposait d’un pouvoir de sanction :
– article 3.1 Participation : Le Candidat s’engage à participer au Jeu pendant toute la durée où sa présence sera nécessaire à la production pour le Tournage et pour tous les besoins du Programme.
– article 3.2 Disponibilité : disponibilité pendant toute la durée du tournage de 50 jours environ ; le Candidat garantit que son engagement ne contrevient pas à un autre engagement vis à vis d’un tiers quelconque ;

Le déroulement du tournage à l’étranger, dans un lieu clos (une île), sans pouvoir maintenir de contacts avec les proches, l’organisation du voyage par la société de production qui a souscrit les assurances nécessaires, contribuent également à caractériser le lien de subordination.

De même, la société de production a sélectionné les participants au vu de lettres de motivation qu’elle a sollicitées par voie de presse, et d’entretiens préalables. S’agissant de la rémunération, le Règlement prévoit, outre la prise en charge par la société ALP des frais (billet d’avion aller-retour, visa, logement et repas) le versement d’autres sommes :
– dédommagement forfaitaire de 23€ par jour de présence sur le lieu de Tournage, destinés à compenser la destruction des effets personnels dans le cadre du Jeu, et l’organisation matérielle de l’absence (gardiennage d’animaux, frais de parking, surveillance du courrier, surveillance du logement par un tiers) payable sur justificatifs ;
– 4.575 € versés au titre de l’obligation de confidentialité ;
– 100.000 euros versés au vainqueur et 10.000 euros versés au finaliste.

Il en résulte que les éléments constitutifs du contrat de travail sont réunis.

Absence de prescription de l’action

Le conseil de prud’hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT a rejeté les demandes du candidat KOH-LANTA qu’il a considérées comme étant prescrites en application de l’article L.3245-1 du code du travail, s’agissant des demandes présentées au titre des salaires, des heures supplémentaires, du repos compensateur, du dépassement de la durée maximale de travail, du travail dissimulé et l’astreinte pour la remise de documents conformes. Or, la prescription quinquennale, avant la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, concernait uniquement les demandes en paiement de salaires.

L’action ayant été introduite le 16 juin 2011 et le tournage de l’émission s’étant déroulé du 1er février au 17 mars 2001, les demandes en paiement de rappels de salaires, y compris le préavis, et celles relatives aux heures supplémentaires, au repos compensateur, et au dépassement de la durée maximale de travail sont donc irrecevables, ainsi que la demande de remise de documents conformes afférents à ces seules sommes.

En revanche, les demandes en paiement de dommages-intérêts, dont celle présentée au titre du travail dissimulé, sont soumises à la prescription de droit commun, ainsi que la demande concernant la remise des documents relatifs à ces indemnités.

Absence de travail dissimulé

Aux termes de l’article L. 8 221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à la déclaration préalable d’embauche ou à la délivrance d’un bulletin de paie, de mentionner intentionnellement sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ou de ne pas accomplir, auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L. 8221-5 n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur s’est, de manière intentionnelle, soustrait à l’accomplissement des formalités prévues par l’article L. 1221-10 du même code relatif à la déclaration préalable d’embauche ou par l’article L. 3243-2 relatif à la délivrance d’un bulletin de paie. Or, le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié.

En l’espèce, le tournage de l’émission s’est déroulé en 2002 et compte tenu de la mise en oeuvre d’une émission d’un nouveau genre, la société ALP a pu considérer que la signature du Règlement Candidats suffisait à encadrer la relation contractuelle. Les éléments sont donc insuffisants pour caractériser son intention de faire travailler les personnes qu’elle sélectionnait, sans respecter les dispositions du code du travail relatives au salariat.

Dommages et intérêts complémentaires

Le candidat KOH-LANTA a également obtenu des dommages et intérêts complémentaires : il ressort des dispositions du Règlement des Candidats, que la société ALP a imposé des restrictions aux libertés individuelles, résultant du retrait du passeport et du téléphone portable, de l’interdiction de communiquer avec l’extérieur, de modifier son apparence physique entre le casting et le tournage et de l’obligation de rester sur le site pendant toute la durée du tournage. La société ALP soutient qu’il s’agissait d’une simple préconisation pour éviter la détérioration du passeport et du téléphone, les autres restrictions étant imposées par la participation au jeu et proportionnées.

Toutefois, l’employeur est tenu de mettre à la disposition des salariés des locaux et des vestiaires adéquats, leur permettant notamment de conserver leurs effets personnels, de sorte qu’ALP ne peut pas soutenir que la seule solution consistait à se faire remettre ces objets en raison du déroulement du tournage sur une île, la société ne précisant pas d’ailleurs les conditions dans lesquelles ces objets étaient détenus, et alors qu’elle doit garantir aux candidats d’y avoir accès.

En outre, l’impossibilité de quitter le site, résultant de la remise du passeport, et l’impossibilité de communiquer avec l’extérieur, constituent des atteintes graves aux libertés individuelles qui ne peuvent être justifiées par les circonstances de tournage, lequel s’il était difficile selon les propres déclarations de la société, justifient au contraire des mesures adaptées permettant au candidat de décider de mettre fin au contrat, aucune garantie n’étant prévue à ce titre par le

En l’absence de toute garantie organisée par la société ALP, et portée à la connaissance des participants, il apparaît que les mesures matérielles qui leur étaient imposées, ont constitué une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles qui a justifié l’octroi d’une indemnité complémentaire de 3.000 €.

Absence de violation du droit à l’image

Sur le terrain du droit à l’image, la société de production a échappé à toute condamnation. Les dispositions du règlement de participation concernaient de manière précise, l’exploitation de l’image, du nom et de la voix du participant, pour le programme spécifique auquel il a participé. La condition de spécialité est donc respectée.

Mots clés : Téléréalité

Thème : Téléréalité

A propos de cette jurisprudence : juridiction :  Cour d’appel de Versailles | Date. : 29 avril 2014 | Pays : France

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions qui ont conduit à la requalification de la participation à KOH-LANTA en contrat de travail ?

La requalification de la participation à KOH-LANTA en contrat de travail repose sur plusieurs éléments juridiques fondamentaux. En droit, un contrat de travail est caractérisé par l’engagement d’une personne à fournir une prestation de travail au profit d’une autre, dans un état de subordination juridique, et moyennant une rémunération.

Dans le cas de KOH-LANTA, il a été établi que les participants étaient soumis à un lien de subordination, notamment à travers le pouvoir de la société de production de donner des ordres, de contrôler l’exécution des tâches et de sanctionner les manquements.

Les règlements imposés aux candidats, tels que la disponibilité pendant environ 50 jours et l’engagement à participer à toutes les activités de tournage, renforcent cette notion de subordination. De plus, la société de production a pris en charge divers frais liés à la participation, ce qui est également un indicateur de la relation de travail.

Pourquoi KOH-LANTA n’est-il pas considéré comme un simple jeu ?

KOH-LANTA n’a pas été qualifié de jeu en raison de la nature de l’émission et des conditions de participation. Bien que l’émission comporte des éléments de jeu, tels que des épreuves d’élimination, elle est principalement axée sur la production d’un contenu audiovisuel destiné à être diffusé à la télévision.

Le contrat ne se limite pas à l’organisation d’un jeu, mais inclut des aspects tels que le tournage de portraits et des interviews des candidats, ce qui en fait une émission de télé-réalité.

De plus, la sélection des participants ne repose pas sur des critères objectifs liés à des compétences spécifiques, mais sur des critères subjectifs déterminés par la société de production, ce qui exclut la qualification de contrat de jeu.

Quels sont les éléments qui caractérisent le lien de subordination dans le cadre de KOH-LANTA ?

Le lien de subordination dans le cadre de KOH-LANTA est caractérisé par plusieurs éléments. Tout d’abord, la société de production, ALP, a un pouvoir de contrôle sur les participants, comme le montre le Règlement des Candidats.

Les articles du règlement stipulent que les candidats doivent participer activement au tournage et être disponibles pendant toute la durée de l’émission. Cela implique un engagement qui va au-delà d’une simple participation volontaire.

De plus, le tournage se déroule dans un lieu clos, sans possibilité de contact avec l’extérieur, ce qui renforce l’idée de subordination. La société de production organise également le voyage et prend en charge les assurances nécessaires, ce qui montre un contrôle supplémentaire sur les participants.

Quelles sont les conséquences de l’absence de prescription de l’action pour le candidat ?

L’absence de prescription de l’action a des conséquences significatives pour le candidat de KOH-LANTA. Le conseil de prud’hommes a rejeté certaines demandes du candidat, les considérant comme prescrites en vertu de l’article L.3245-1 du code du travail, qui stipule que les demandes en paiement de salaires sont soumises à une prescription quinquennale.

Cependant, les demandes en paiement de dommages-intérêts, notamment celles liées au travail dissimulé, sont soumises à la prescription de droit commun, ce qui signifie qu’elles peuvent être examinées même si les demandes de salaires sont irrecevables.

Cela permet au candidat de poursuivre des réclamations pour des dommages-intérêts, ce qui pourrait compenser les pertes subies en raison de la relation de travail non déclarée.

Comment la société ALP a-t-elle justifié les restrictions imposées aux candidats ?

La société ALP a justifié les restrictions imposées aux candidats en affirmant qu’elles étaient nécessaires pour protéger les effets personnels des participants et pour garantir le bon déroulement du tournage. Par exemple, le retrait des passeports et des téléphones portables était présenté comme une mesure pour éviter leur détérioration.

Cependant, ces justifications ont été contestées, car l’employeur a l’obligation de fournir des conditions de travail adéquates, y compris des locaux pour conserver les effets personnels.

De plus, l’impossibilité de quitter le site et de communiquer avec l’extérieur a été considérée comme une atteinte grave aux libertés individuelles, ce qui a conduit à l’octroi d’une indemnité complémentaire au candidat.

Quelles sont les implications de la décision concernant le droit à l’image des participants ?

Concernant le droit à l’image, la société de production a échappé à toute condamnation, car les dispositions du règlement de participation étaient claires sur l’exploitation de l’image, du nom et de la voix des participants.

La condition de spécialité, qui stipule que l’exploitation doit être limitée au programme spécifique, a été respectée. Cela signifie que les participants avaient consenti à l’utilisation de leur image dans le cadre de l’émission, ce qui protège la société de production contre d’éventuelles réclamations.

Cette décision souligne l’importance pour les participants de bien comprendre les termes des règlements de participation, notamment en ce qui concerne leurs droits d’image, avant de s’engager dans de telles émissions.


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