Journaliste audiovisuel : sévère requalification

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Journaliste audiovisuel : sévère requalification

L’Essentiel : Une société de production a été condamnée à verser plus de 55 000 euros de dommages et intérêts pour avoir requalifié des CDD d’usage d’une journaliste en CDI. Selon la convention collective des journalistes, un CDD ne peut être utilisé que pour des missions temporaires clairement définies. Dans ce cas, les contrats ne précisaient pas la nature des tâches, laissant entendre que la journaliste était engagée pour des fonctions permanentes. La rupture de son contrat a été assimilée à un licenciement sans cause réelle, entraînant des indemnités conséquentes, y compris le remboursement des allocations chômage perçues.

Condamnation d’un producteur

Une société de production de reportages (pour les diffuseurs) a été sévèrement condamnée à plus de 55 000 euros de dommages et intérêts au titre de la requalification en CDI des CDD d’usage d’une journaliste audiovisuel (grand reporter) placée chez France 5.

CDD des journalistes

La convention collective nationale de travail des Journalistes précise en son article 17 qu’un journaliste professionnel ne peut être embauché avec un CDD que pour une mission temporaire dont la nature et la durée doivent être définies lors de l’embauche.

S’il résulte de la combinaison de ces textes, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des CDD lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un CDI  en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 impose de vérifier que le recours à l’utilisation de ces contrats est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

La détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au CDDU ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de ces raisons objectives.

Formalisme des CDDU

Les CDDU ne portaient aucune précision sur la nature du travail confié à la journaliste. Les contrats se limitaient en effet à indiquer que la salariée « serait affectée à la réalisation d’une tâche temporaire et ponctuelle  pour le compte de l’émission ‘C Politique’ diffusée sur FRANCE 5 ».

La généralité des termes du contrat permettait ainsi de considérer que la journaliste était polyvalente dans ses fonctions, et non spécifiquement affectée à la réalisation d’une séquence audiovisuelle (elle avait réalisé, pour le compte de son employeur, de nombreux autres reportages).  La salariée n’avait donc pas été engagée pour réaliser une tâche journalistique précise et ponctuelle mais pour réaliser des reportages que son employeur proposait à son diffuseur exclusif (France 5). Cet emploi relevait sans aucun doute de l’activité normale et permanente de la Société, laquelle n’est d’ailleurs créée que pour proposer des reportages diffusés dans les émissions.

Emploi répondant à un besoin permanent

Il n’était donc pas démontré l’existence d’éléments concrets et objectifs rendant nécessaire le recours à des contrats de travail à durée déterminée d’usage pour l’emploi de la journaliste, lequel n’apparaissait pas ponctuel et temporaire, même si les besoins du diffuseur étaient susceptibles d’évoluer, comme c’est le cas des commandes de tout client, quel que soit le secteur d’activité.

Enfin, l’employeur ne démontrait pas qu’il était d’usage, dans son entreprise, d’avoir recours aux contrats de travail à durée déterminée d’usage pour l’emploi des journalistes grand reporter, le registre du personnel mettant en évidence que seuls les cameramen étaient embauchés sous cette forme.

Indemnisation de la journaliste

L’employeur n’ayant plus fait appel à la journaliste, la rupture des relations entre les parties a été assimilée à un licenciement. Aux termes de l’article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l’employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la journaliste, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, celle-ci a obtenu la somme de i) 30.000,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; ii) 10 000 euros car la salariée bénéficiait d’une ancienneté supérieure à 2 ans ; iii) 1.000 euros à titre de congés payés afférents et iv) une indemnité conventionnelle de licenciement de 15.000 euros.

Sur le volet de l’indemnité, l’article L.7112-3 du Code du travail dispose que si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze.

L’indemnité de licenciement est calculée pour les journalistes professionnels employés à plein temps ou à temps partiel sur le dernier salaire perçu ou, pour les journalistes salariés ne percevant pas un salaire mensuel régulier, sur la base de 1/12e des salaires perçus au cours des douze mois précédant le licenciement ou de 1/24e des salaires perçus au cours des vingt-quatre derniers mois précédant le licenciement, au choix du salarié (article 44 de la Convention collective des Journalistes). Cette somme est augmentée d’un douzième pour tenir compte du treizième mois conventionnel.

L’employeur a également été condamné au remboursement à Pôle emploi, des indemnités de chômage perçues par la salariée dans les 6 derniers mois.

Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quelle a été la décision prise à l’encontre de la société de production ?

La société de production a été condamnée à verser plus de 55 000 euros de dommages et intérêts. Cette décision a été prise suite à la requalification des contrats à durée déterminée d’usage (CDD d’usage) d’une journaliste audiovisuelle en contrats à durée indéterminée (CDI).

Cette requalification a été motivée par le fait que la journaliste, engagée pour travailler chez France 5, n’était pas employée pour une mission temporaire précise, mais pour des tâches qui relevaient de l’activité normale et permanente de la société.

Ainsi, la justice a considéré que les CDD d’usage n’étaient pas justifiés dans ce cas, entraînant la condamnation de l’employeur à indemniser la salariée.

Quelles sont les conditions d’embauche d’un journaliste en CDD selon la convention collective ?

Selon l’article 17 de la convention collective nationale de travail des journalistes, un journaliste professionnel ne peut être embauché en CDD que pour une mission temporaire. Cette mission doit être clairement définie en termes de nature et de durée au moment de l’embauche.

Il est également stipulé que dans certains secteurs d’activité, des CDD peuvent être utilisés lorsque l’usage constant ne recourt pas à des CDI en raison de la nature temporaire de l’emploi. Cependant, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée impose que le recours à ces contrats soit justifié par des raisons objectives, c’est-à-dire des éléments concrets établissant le caractère temporaire de l’emploi.

Le juge doit donc vérifier, en cas de litige, l’existence de ces raisons objectives, même si un accord collectif a déterminé une liste d’emplois pouvant être pourvus par des CDD.

Quels étaient les manquements dans les CDD de la journaliste ?

Les CDD de la journaliste ne comportaient aucune précision sur la nature du travail qui lui était confié. Les contrats se limitaient à indiquer qu’elle serait affectée à une tâche temporaire pour l’émission « C Politique » diffusée sur France 5.

Cette généralité des termes a permis de considérer que la journaliste était polyvalente dans ses fonctions, sans être spécifiquement affectée à une tâche précise. En réalité, elle avait réalisé de nombreux reportages pour son employeur, ce qui indiquait que son emploi relevait de l’activité normale et permanente de la société.

Ainsi, il a été établi que la journaliste n’avait pas été engagée pour une tâche ponctuelle, mais pour des reportages réguliers, ce qui contredisait la nature temporaire requise pour les CDD d’usage.

Comment a été justifié le recours aux CDD d’usage pour la journaliste ?

Il n’a pas été démontré que le recours aux CDD d’usage pour l’emploi de la journaliste était justifié par des éléments concrets et objectifs. En effet, son emploi n’apparaissait pas comme ponctuel et temporaire, même si les besoins du diffuseur pouvaient évoluer.

L’employeur n’a pas réussi à prouver qu’il était d’usage dans son entreprise d’utiliser des CDD d’usage pour les journalistes grand reporter. Le registre du personnel a montré que seuls les cameramen étaient embauchés sous cette forme, ce qui a renforcé l’argument selon lequel la journaliste aurait dû être engagée sous un CDI.

Quelle indemnisation a été accordée à la journaliste suite à son licenciement ?

La journaliste a obtenu une indemnisation conséquente suite à la rupture de son contrat, qui a été assimilée à un licenciement. Selon l’article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité.

Dans ce cas, la journaliste a reçu 30 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 10 000 euros pour son ancienneté de plus de deux ans, 1 000 euros pour les congés payés, et 15 000 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

De plus, l’employeur a été condamné à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage perçues par la salariée dans les six mois précédents.


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