Interruption et péremption : enjeux de notification dans le cadre d’une instance suspendue

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Interruption et péremption : enjeux de notification dans le cadre d’une instance suspendue

L’Essentiel : Le 22 juin 2018, [K] [H] a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d’appel de Paris, qui avait annulé son mariage avec [U] [J]. Suite au décès de ce dernier en 2012, une interruption d’instance a été constatée. Le 31 mars 2021, la Cour de cassation a radié le pourvoi, faute de diligences. En 2023, des héritiers ont demandé la péremption de l’instance, arguant du délai écoulé. Cependant, la Deuxième chambre civile a précisé que le délai de péremption ne commence qu’après notification de l’ordonnance de radiation, qui n’avait pas eu lieu.

Contexte du pourvoi

Le 22 juin 2018, [K] [H] a introduit un pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d’appel de Paris, daté du 27 mars 2018, qui avait déclaré nul le mariage qu’elle avait contracté avec [U] [J] en 1979. Ce dernier est décédé le 5 juin 2012, et son décès a été notifié par l’avocat de [K] [H] aux Conseils le 9 mars 2020, entraînant un mémoire en interruption d’instance.

Interruption et radiation de l’instance

Le 4 novembre 2020, la Cour de cassation a constaté l’interruption de l’instance et a accordé aux héritiers de [K] [H] un délai de trois mois pour reprendre l’instance, sous peine de radiation. Le 31 mars 2021, la Cour a prononcé la radiation du pourvoi, constatant que les diligences nécessaires n’avaient pas été effectuées.

Demande de péremption

Le 14 avril 2023, puis de nouveau le 6 décembre 2023, Mme [C] [J] et les héritiers de [W] [J] ont demandé la constatation de la péremption de l’instance, arguant que plus de deux ans s’étaient écoulés depuis l’arrêt de radiation.

Examen de la requête

La deuxième chambre civile a précisé que le délai de péremption recommence à courir uniquement après notification ou signification de l’ordonnance de radiation. En l’absence de preuve de cette notification, le délai ne redémarre pas et aucune péremption ne peut être prononcée.

Absence de notification

Il a été établi que l’ordonnance de radiation du 31 mars 2021 n’avait pas été notifiée ni signifiée, ce qui a des implications sur le délai de péremption. Les requérants ont soutenu que l’identification des ayants droit de la partie décédée était à la discrétion de ces derniers ou de leur avocat, et que cela ne devait pas entraîner de conséquences négatives pour eux.

Questions à la Deuxième chambre civile

La Première chambre civile a décidé de transmettre des questions à la Deuxième chambre civile concernant les modalités de notification de la décision de radiation, la validité de la notification faite à l’avocat de la partie décédée, et les conditions dans lesquelles la péremption peut être prononcée si les héritiers ne sont pas identifiés.

Renvoi de l’affaire

L’affaire a été renvoyée à l’audience de formation de section du 11 juin 2025 de la première chambre civile pour examen des questions soulevées.

Q/R juridiques soulevées :

1°/ Quelles sont les parties à notifier ou signifier la décision de radiation après l’interruption de l’instance suite au décès d’une partie ?

La question de la notification ou de la signification de la décision de radiation après l’interruption de l’instance est régie par l’article 378 du Code de procédure civile, qui stipule que :

« L’instance est interrompue par le décès d’une partie.

Les héritiers ou ayants droit de la partie décédée doivent être informés de cette interruption. »

Dans le cas présent, il est essentiel de déterminer qui, parmi les héritiers, doit être notifié de la décision de radiation.

En effet, selon l’arrêt du 21 décembre 2023, la notification doit être faite aux héritiers identifiés de la partie décédée.

Si ces héritiers ne sont pas identifiés, la notification à l’avocat de la partie décédée pourrait être considérée comme suffisante, mais cela dépend des circonstances spécifiques de chaque affaire.

2°/ La notification ou la signification de l’ordonnance de radiation faite à l’avocat de la partie décédée fait-elle courir le délai de péremption ?

L’article 2224 du Code civil précise que :

« Le délai de péremption est de deux ans.

Il court à compter de la date à laquelle la partie a eu connaissance de la décision qui lui est opposée. »

Dans le contexte de la radiation, la notification ou la signification de l’ordonnance de radiation à l’avocat de la partie décédée peut être considérée comme une notification valide, à condition que cet avocat soit en mesure de transmettre l’information aux héritiers.

Cependant, l’enregistrement de l’ordonnance de radiation sur le bureau virtuel accessible aux avocats ne constitue pas, à lui seul, une notification suffisante pour faire courir le délai de péremption, sauf si cela est expressément prévu par la loi ou les règlements.

3°/ Peut-on déroger à la règle de notification aux héritiers si ceux-ci ne sont pas identifiés ?

L’article 1015-1 du Code de procédure civile stipule que :

« La péremption d’instance peut être prononcée lorsque les parties n’ont pas accompli les diligences nécessaires. »

Dans le cas où les héritiers de la partie décédée ne sont pas identifiés, il est possible de déroger à la règle de notification, mais cela nécessite que la partie invoquant la péremption prouve qu’elle a effectué des diligences raisonnables pour identifier ces héritiers.

Cela pourrait inclure des recherches auprès des registres publics ou des demandes d’informations auprès de l’avocat de la partie décédée.

Si ces diligences ont été menées sans succès, la péremption pourrait ne pas être prononcée.

4°/ À partir de quand le délai de péremption recommence-t-il à courir ?

Selon l’article 2224 du Code civil, le délai de péremption recommence à courir à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance de radiation.

Si cette notification n’a pas été effectuée, comme dans le cas présent où l’ordonnance de radiation n’a pas été notifiée ni signifiée, le délai de péremption ne commence pas à courir.

Ainsi, tant que les héritiers n’ont pas été informés de la radiation, la péremption ne peut être invoquée, et les parties peuvent continuer à agir en justice pour faire valoir leurs droits.

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 janvier 2025

Transmission pour consultation deuxième chambre civile (arrêt)

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 75 FS-D

Pourvoi n° E 18-18.706

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025

[K] [H], ayant été domiciliée [Adresse 1], décédée le 9 février 2020, a formé le pourvoi n° E 18-18.706 contre l’arrêt rendu le 27 mars 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à [W] [J], ayant été domiciliée [Adresse 3], décédée,

2°/ à Mme [C] [J], épouse [O], domiciliée [Adresse 4],

3°/ à M. [A] [N],

4°/ à Mme [R] [N], représentée par ses parents, Mme [P] et M. [I] [N],

5°/ à M. [T] [N],

tous trois domiciliés [Adresse 2],

6°/ à Mme [F] [O], domiciliée [Adresse 5] (Italie),

pris tous quatre en qualité d’héritiers de [W] [J], décédée,

défendeurs à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de [K] [H], de la SCP Alain Bénabent, avocat de [W] [J], de MM. [A] et [T] [N], de Mme [R] [N] et de Mme [O], et l’avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, Mmes Marilly, Azar, M. Buat-Ménard, Mmes Lion, Daniel, Vanoni-Thiery, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Sara, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Le 22 juin 2018, [K] [H] a formé un pourvoi en cassation contre un arrêt rendu le 27 mars 2018 par la cour d’appel de Paris ayant déclaré nul et de nul effet le mariage qu’elle avait contracté le 7 août 1979 avec [U] [J], décédé le 5 juin 2012. Son décès, survenu le 9 février 2020 a été notifié par son avocat aux Conseils le 9 mars suivant, lequel a déposé un mémoire en interruption d’instance.

2. Par arrêt du 4 novembre 2020, n° 657 F-D, la première chambre civile de la Cour de cassation a constaté l’interruption d’instance, imparti aux héritiers de [K] [H] un délai de trois mois pour effectuer les diligences nécessaires à la reprise de l’instance et dit qu’à défaut de leur accomplissement dans ce délai, la radiation serait prononcée.

3. Par arrêt du 31 mars 2021, n° 267 F-D, la Cour a prononcé la radiation du pourvoi n° E 18-18.706, ces diligences n’ayant pas été accomplies.

4. Par requête du 14 avril 2023, réitérée le 6 décembre 2023, Mme [C] [J], épouse [O], et les héritiers de [W] [J], MM. [A] et [T] [N], [R] [N] représentée par ses parents Mme [P] [N] et M. [I] [N], et Mme [F] [O] (les consorts [J], [N] et [O]) ont demandé que soit constatée la péremption de l’instance, plus de deux ans s’étant écoulés depuis l’arrêt de radiation du 31 mars 2021.

Examen de la requête

5. La deuxième chambre civile juge que lorsqu’à défaut de reprise d’instance après l’interruption de celle-ci par la notification du décès d’une partie, une ordonnance de radiation est rendue par le juge, le délai de péremption recommence à courir à compter de la notification, par le greffe, ou de la signification, à la diligence d’une partie, de cette ordonnance de radiation, qui informe les parties des conséquences du défaut de diligences de leur part dans le délai de deux ans imparti. A défaut de justification de la notification ou de la signification de l’ordonnance de radiation, le délai de péremption ne recommence pas à courir et aucune péremption n’est dès lors encourue (2e Civ., 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-20.034, publié).

6. Il résulte des pièces de la procédure que l’ordonnance de radiation du 31 mars 2021, enregistrée sur le bureau virtuel accessible aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation n’a été ni notifiée ni signifiée.

7. Les requérants font valoir que l’information sur l’identité des ayants droit de la demanderesse au pourvoi décédée étant à la seule discrétion de ces derniers ou de l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de la partie décédée, son défaut ne peut produire de telles conséquences, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le pourvoi étant suspensif, il rendrait la liquidation de la succession de leur auteur impossible. Ils justifient par ailleurs avoir sollicité une copie de l’acte de notoriété auprès du notaire chargé de la succession, lequel a indiqué que, tenu au secret professionnel, il ne pouvait la délivrer sans l’accord des signataires.

8. La réponse à donner à la présente requête implique de préciser les conditions dans lesquelles la péremption d’instance peut être prononcée lorsque les héritiers de la partie demanderesse au pourvoi décédée ne sont pas identifiés par l’autre partie.

9. Il y a lieu de saisir la Deuxième chambre civile pour avis en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Première chambre civile :

TRANSMET pour avis à la Deuxième chambre civile les questions suivantes :

« 1°/ Dans une situation dans laquelle l’interruption de l’instance a été constatée à la suite de la notification du décès d’une partie demanderesse au pourvoi, quelles sont les parties, au sens de la règle énoncée par l’arrêt du 21 décembre 2023 précité, auxquelles doit être notifiée ou signifiée la décision de radiation ?

2°/ Lorsque la notification du décès a été faite par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de la partie décédée, peut-on considérer que la notification ou la signification de l’ordonnance de radiation faite à cet avocat fait courir le délai de péremption ? Le cas échéant, l’enregistrement de l’ordonnance de radiation sur le bureau virtuel accessible aux avocats constitués suffit-il pour constituer une telle notification ?

3°/ Si la notification ou la signification doit être faite aux héritiers de la partie décédée et que ceux-ci ne sont pas identifiés par l’autre partie, peut-il être dérogé à la règle énoncée par l’arrêt du 21 décembre 2023 précité, notamment lorsque la partie qui invoque la péremption établit qu’elle a vainement effectué les diligences raisonnables de nature à permettre leur identification afin d’assurer la signification de l’ordonnance de radiation ?

4°/ Dans l’affirmative, à partir de quand le délai de péremption recommence-t-il à courir ? »

Renvoie l’affaire à l’audience de formation de section du 11 juin 2025 de la première chambre civile.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.


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