L’Essentiel : Le 17 janvier 2018, M. [W] [F], salarié de la société [3], a subi un grave accident du travail, entraînant l’écrasement de sa main droite. Un certificat médical a confirmé la nécessité d’une intervention chirurgicale et un arrêt de travail jusqu’au 30 juin 2018. En janvier 2021, la caisse primaire d’assurance maladie a fixé un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 60%, contesté par la société, qui a saisi la commission médicale de recours amiable. Celle-ci a finalement établi l’IPP à 50%. La société a interjeté appel, mais la cour a confirmé le jugement initial, déboutant les parties de leurs demandes.
|
Exposé du litigeLe 17 janvier 2018, M. [W] [F], salarié de la société [3], a subi un accident du travail en passant ses mains dans une presse, entraînant un écrasement de sa main droite. Un certificat médical établi le 2 février 2018 a confirmé l’écrasement et une intervention chirurgicale, avec un arrêt de travail prescrit jusqu’au 30 juin 2018. En janvier 2021, la caisse primaire d’assurance maladie a fixé la date de consolidation au 19 octobre 2020, attribuant un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 60% pour une amputation partielle de la main droite. La société a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable (CMRA), qui a finalement fixé l’IPP à 50%. Procédures judiciairesLa société a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny pour contester la décision de la CMRA et le taux d’IPP. Par jugement du 29 mars 2022, le tribunal a débouté la société de ses demandes et l’a condamnée aux dépens. La société a interjeté appel de ce jugement. En novembre 2023, la caisse a transmis le rapport médical à la société, et l’affaire a été mise en délibéré pour une audience en mai 2024, prorogée jusqu’en janvier 2025. Prétentions des partiesLa société demande à la cour d’infirmer le jugement du tribunal et de déclarer inopposable la décision de la caisse concernant le taux d’IPP, arguant que le rapport de la CMRA n’a pas été correctement communiqué à son médecin-conseil. Elle conteste également le taux d’IPP, demandant sa réduction à 35% ou, à défaut, la mise en œuvre d’une expertise médicale. La caisse, de son côté, demande la confirmation du jugement et le déboutement de la société, affirmant que la communication du rapport a été effectuée conformément aux exigences légales. Exposé des motifsLa cour a jugé que l’appel de la société était recevable. Elle a examiné les obligations de la caisse concernant la transmission des rapports médicaux et a constaté que la société avait effectivement demandé la communication du rapport motivé de la CMRA. Cependant, la cour a noté que la décision de la CMRA, qui a fixé le taux d’IPP à 50%, était opposable à la société, car les dispositions légales avaient été respectées. Concernant le taux d’IPP, la cour a confirmé le taux de 50% en se basant sur les éléments médicaux fournis, considérant que les séquelles de l’accident justifiaient ce taux. Décision finaleLa cour a confirmé le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny, sauf en ce qui concerne les dépens, stipulant que chaque partie supporterait ses propres frais. La cour a débouté les parties de toute autre demande. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est l’opposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP à M. [F] ?La question de l’opposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) à M. [F] est régie par les articles L. 142-6 et R. 142-8-3 du Code de la sécurité sociale. Selon l’article L. 142-6 du Code de la sécurité sociale : « Pour les contestations de nature médicale, hors celles formées au titre du 8° de l’article L. 142-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puisse lui être opposé l’article 226-13 du code pénal, à l’attention exclusive de l’autorité compétente pour examiner le recours préalable, lorsqu’il s’agit d’une autorité médicale, l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision. À la demande de l’employeur, ce rapport est notifié au médecin qu’il mandate à cet effet. La victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle est informée de cette notification. » Cet article impose à la Caisse de transmettre l’intégralité du rapport médical au médecin désigné par l’employeur, ce qui est essentiel pour garantir le droit de l’employeur à contester la décision. L’article R. 142-8-3 précise que : « Lorsque le recours préalable est formé par l’employeur, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l’introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l’article L. 142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet. Le secrétariat informe l’assuré ou le bénéficiaire de cette notification. » Il en découle que la Caisse a l’obligation de notifier le rapport médical à l’employeur dans un délai déterminé. Dans le cas présent, la Société a contesté l’absence de communication du rapport motivé de la CMRA à son médecin-conseil, ce qui soulève la question de l’opposabilité de la décision de la Caisse. La cour a constaté que la Caisse a effectivement notifié le rapport médical au médecin-conseil de la Société, ce qui rend la décision de la CMRA opposable à la Société. Ainsi, la cour a jugé que la décision de la CMRA, qui fixe le taux d’IPP à 50%, est opposable à la Société, malgré les arguments de celle-ci concernant la communication des documents. Comment est déterminé le taux d’IPP selon le Code de la sécurité sociale ?Le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) est déterminé selon les dispositions de l’article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale, qui stipule : « Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. » Cet article souligne que le taux d’IPP doit être évalué en tenant compte de plusieurs facteurs, notamment la nature de l’infirmité et les capacités de la victime. De plus, le barème indicatif d’invalidité, annexé au livre IV du Code de la sécurité sociale, précise que : « Les séquelles d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne sont pas toujours en rapport avec l’importance des lésions initiales. » Cela signifie que l’évaluation du taux d’IPP ne se limite pas à la gravité des lésions, mais doit également prendre en compte l’impact fonctionnel sur la vie quotidienne de la victime. La cour a noté que, dans le cas de M. [F], l’amputation de l’index de sa main dominante et les séquelles fonctionnelles associées justifient un taux d’IPP. Le barème prévoit que l’amputation de l’index correspond à un taux d’IPP de 14%, mais la cour a également pris en compte d’autres facteurs, tels que l’incapacité à serrer et la fonctionnalité réduite de la main. Ainsi, la cour a confirmé le taux d’IPP de 50% fixé par la CMRA, considérant que les éléments médicaux présentés justifiaient ce taux, en dépit des arguments de la Société pour une réduction à 35% ou 0%. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 10 Janvier 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/06449 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGASK
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Mars 2022 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 21/01267
APPELANTE
Société [3] SAS
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0881
INTIMEE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Annabelle HUBERT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, conseiller
Monsieur Christophe LATIL, conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, intitialement prévu le 21 juin 2024, prorogé au 20 septembre 2024 puis au 15 novembre 2024, au 20 décembre 2024 et au 10 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, présidente de chambre et par Madame Agnès Allardi, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 17 janvier 2018, M. [W] [F], salarié en qualité de conducteur de machines et d’installations fixes, opérateur de moulage, au sein de la société [3] (ci-après, la ‘Société’) sise à [Localité 5] (50), et alors âgé de 29 ans, a été victime d’un accident du travail.
Selon la déclaration d’accident établie le 18 janvier 2018, le salarié a passé ses mains dans une presse alors que son collègue en déclenchait la commande, ce qui provoquait un écrasement de la main droite.
Le certificat médical initial (‘CMI’) établi le 2 février 2018 fait état d’un écrasement de la main droite et d’une intervention chirurgicale, et prescrit un arrêt de travail jusqu’au
30 juin 2018.
Le 14 janvier 2021, la caisse primaire d’assurance maladie de la Manche (ci-après, la ‘Caisse’ ou la ‘CPAM50) a informé la Société de ce que la date de consolidation était fixée au 19 octobre 2020, avec un taux d’incapacité permanente partielle (‘IPP’) de 60%, pour « amputation partielle de la main droite chez un droitier, avec non fonctionnalité séquellaire de la main, côté dominant ».
Le 12 mars 2021, la Société a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable de la Caisse (‘CMRA’)
Par courrier en date du 14 avril 2021, la Caisse a transmis au médecin mandaté par la Société, le docteur [O] [Y], « copie de l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale accompagné de l’avis du praticien ».
Le 23 avril 2021, le docteur [Y] A adressé à la Caisse son « mémoire concernant le dossier » en cause.
La CMRA, en sa séance du 11 juin 2021, a considéré qu’il y avait lieu de fixer le taux d’IPP à 50%, dont 0% au titre de l’incidence professionnelle.
Cette décision a été notifiée à la Société par courrier en date du 6 août 2021.
La Société a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny en contestation tant de l’opposabilité de la décision de la CMRA que du taux d’IPP fixé.
Par jugement du 29 mars 2022, ce tribunal a notamment :
– débouté la Société de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné la Société aux dépens.
Le jugement a été notifié par lettre recommandée datée 5 avril 2021.
Le 3 mai 2021, la Société a relevé appel de ce jugement.
Par courrier du 14 novembre 2023, la Caisse a transmis au docteur [Y] « l’intégralité du rapport médical établi par la (CMRA) » et l’a également adressé au docteur [N], mandaté par la Société.
Le 1er février 2024, le médecin-conseil de la Caisse a établi une note médico-administrative en réponse à la note du 18 novembre 2021 du docteur [N]
L’affaire a été appelée à l’audience de la cour du 7 mai 2024 puis mise en délibéré, finalement prorogée au 10 janvier 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions déposées, visées par le greffe et soutenues à l’audience, la Société demande à la cour de :
– la dire et juger recevable son recours ;
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
Sur l’inopposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP, en l’absence de transmission du rapport de la CMRA au médecin mandaté par elle :
– juger que la Société a sollicité la communication du rapport motivé de la CMRA à son médecin conseil dès la saisine de cette commission ;
– juger que la Caisse est mal fondée à exiger de l’employeur, sans aucun fondement textuel, une nouvelle demande de communication du rapport motivé de la CMRA lorsqu’elle notifie à l’employeur l’avis de la CMRA ;
– juger que ni le tribunal, ni la Caisse, ni les membres du secrétariat de la commission placés sous la responsabilité d’un médecin-conseil de la Caisse ne peuvent imposer à l’employeur de formuler une nouvelle demande pour obtenir la communication de l’avis médical motivé de la CMRA ;
– juger que le médecin conseil de la Caisse est destinataire d’une copie du rapport de la CMRA ;
– juger que le médecin conseil de la Société n’a pas été destinataire du rapport motivé de la CMRA, laquelle commission a pourtant considéré que le taux d’IPP de 60% retenu par la Caisse n’était pas justifié ;
– juger que c’est à la Caisse dans ses rapports avec l’employeur de justifier que l’obligation de communication du rapport motivé de la CMRA résultant des dispositions de l’article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale a été respecté à l’égard du médecin de l’employeur ;
– juger en tout état de cause qu’en l’absence de communication au médecin mandaté par la Société du rapport médical motivé de la CMRA, la Caisse ne peut établir à l’égard de l’employeur le bien-fondé de sa décision d’attribuer à M. [F] un taux d’IPP de 60% ramené à 50% ;
En conséquence,
-juger que la décision d’attribuer à M. [F] un taux d’incapacité de 60% ramené à 50% lui est inopposable ;
Sur l’inopposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP, les séquelles présentées par M. [F] ne pouvant être appréciées objectivement au vu du seul rapport d’évaluation des séquelles ;
– juger que selon l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale le médecin conseil de la Caisse doit communiquer au médecin conseil de l’employeur l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien conseil justifiant sa décision ;
– juger que selon l’article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale, le rapport médical « rapport médical mentionné aux articles L. 142-6 et L. 142-10 comprend :
1° L’exposé des constatations faites, sur pièces ou suite à l’examen clinique de l’assuré, par le praticien-conseil à l’origine de la décision contestée et ses éléments d’appréciation ;
2° Ses conclusions motivées ;
3° Les certificats médicaux, détenus par le praticien-conseil du service du contrôle médical et, le cas échéant, par la caisse, lorsque la contestation porte sur l’imputabilité des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle » ;
– juger que le service médical de la Caisse n’a pas transmis au médecin désigné par la Société l’ensemble des éléments ayant justifié la fixation d’un taux d’IPP, notamment les comptes rendus opératoires, et ce dès la phase amiable devant la CMRA ;
– juger que le rapport communiqué par le médecin conseil de la Caisse est incomplet puisqu’il fait référence à ces comptes rendus opératoires réalisés à la suite de l’accident du travail de l’assuré sans que les lésions de M. [F] soient clairement identifiées ;
– juger que le rapport établir par le médecin conseil de la Caisse ne permet pas d’apprécier objectivement les séquelles présentées par M. [F] à la consolidation ;
– juger qu’aucune preuve du bien-fondé du taux d’IPP n’est rapportée par la Caisse et son médecin conseil en l’absence de l’entier dossier ayant contribué à la fixation d’un taux d’IPP ;
– juger que le taux d’IPP attribué par la Caisse lui est inopposable puisqu’il n’est pas évaluable ;
A tout le moins,
– fixer le taux d’IPP à 0% dans les rapports Caisse-employeur ;
A titre subsidiaire,
Sur la réduction du taux d’IPP
– juger que le taux d’IPP attribué par la CPAM50 a été surévalué ;
– juger que la CMRA ne justifie pas le taux d’IPP de 50% en l’absence d’étude du déficit fonctionnel de la main de M. [F] ;
En conséquence,
– réduire le taux d’IPP à 35% conformément aux préconisations du médecin conseil de la Société ;
A titre infiniment subsidiaire,
Sur la mise en oeuvre d’une expertise médicale sur pièces en présence d’une difficulté d’ordre médical
– juger que le service médical de la Caisse n’a pas transmis l’entier dossier ayant justifié l’attribution d’un taux d’IPP à M. [F] ;
– juger que la mesure d’expertise judiciaire est le seul moyen dont dispose la Société afin d’enjoindre le service médical de la Caisse à communiquer l’entier dossier ayant servi à la fixation du taux d’IPP ;
En conséquence,
– ordonner la mise en oeuvre d’une expertise médicale judiciaire et désigner un expert judiciaire, selon mission détaillée aux conclusions, auxquelles la cour renvoie ici expressément pour plus ample précision.
La Caisse demande à la cour, pour sa part, de :
– confirmer le jugement entrepris ;
– débouter la Société de son appel et de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre principal,
Sur l’opposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP et la communication du rapport d’évaluation des séquelles,
– juger que la seule obligation légale de la Caisse est la transmission du rapport IPP à l’exclusion de toute autre pièce médicale ;
– déclarer opposable à la Société la notification de rente et la décision de la CMRA ;
Sur l’opposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP et la communication du rapport de la commission médicale de recours amiable,
– juger que la Société n’a jamais sollicité la communication du rapport motivé de la CMRA postérieurement à l’avis de ladite commission ;
– juger que la Société n’est pas en mesure de produire le courrier sollicitant la communication dudit rapport ;
– constater que la CMRA a régulièrement communiqué son rapport au docteur [N] ;
– déclarer opposable à l’employeur la notification de rente et la décision de la CMRA ;
A titre subsidiaire,
Sur le maintien du taux anatomique d’IPP de 50%
– confirmer le taux d’IPP de 50% fixé par les experts de la CMRA ;
– constater que l’absence d’éléments médicaux nouveaux produits par l’employeur à l’appui de sa demande de réduction du taux d’IPP à 35% ;
– rejeter toute demande d’expertise médicale en l’absence d’éléments médicaux nouveaux ;
– condamner l’employeur aux entiers dépens.
EXPOSE DES MOTIFS
L’appel de la Société est régulier et recevable.
La Société soutient, en particulier que:
– ainsi qu’il ressort des termes de son recours du 12 mars 2021, dès la saisine de la CMRA, elle a demandé la communication à son médecin conseil du rapport motivé de la CMRA. Le tribunal ne pouvait donc juger que la Caisse était fondée à exiger une nouvelle demande de l’employeur, outre que le « médecin conseil a automatiquement une copie du rapport motivé de la (CMRA) ».
– le médecin désigné par la Société n’a « pas été destinataire des documents médicaux concernant l’affaire et notamment les certificats médicaux descriptifs, les comptes-rendus d’examens médicaux, les comptes-rendus d’intervention chirurgicale ». Le rapport d’évaluation des séquelles est insuffisant à justifier le taux d’IPP.
– s’agissant du taux d’IPP retenu, dans les rapports Caisse-employeur, c’est à la première qu’incombe la charge de la preuve du bien-fondé de la décision de viser un taux d’IPP. Or, le rapport du médecin-conseil de la Caisse et l’examen clinique, « tel qu’il est retranscrit, ne permettent pas de vérifier que le taux d’IPP de 60% ramené à 50% par la CMRA, correspond aux séquelles de (M. [F]) ». Le médecin conseil de la Société a détaillé, dans son rapport, les éléments manquants du rapport transmis. La Société avait pourtant, d’emblée, sollicité la communication à son médecin conseil des documents concernant l’affaire, certificats médicaux et autres. En « l’absence du dossier médical complet de l’assuré, il est impossible de connaître le déficit fonctionnel de la main de l’assuré ». Le taux d’IPP de 50% déterminé par la CMRA n’est donc pas opposable à la Société, à tout le moins il devrait être fixé à 0% dans les rapports Caisse-employeur.
A titre subsidiaire, la Société plaide la réduction du taux d’IPP à 35% dans les rapports Caisse-employeur. Le médecin conseil de la Société a expliqué en détail pourquoi, en l’absence de précisions fournies par la Caisse et alors que les motifs de la CMRA pour fixer l’IPP à 50% restent inconnus, il considérait « qu’il existe une perte de la moitié de la fonction de la main dominante justifiant un taux d’incapacité de 35% ».
A titre infiniment subsidiaire, la Société sollicite une expertise judiciaire afin qu’un expert, qui aurait communication de l’entier dossier de la Caisse, puisse fournir « un avis sur le taux d’incapacité permanente présenté par (M. [F]) au regard des lésions et des séquelles objectivement identifiées ».
La Caisse fait notamment valoir, pour sa part que :
– il n’est pas sérieusement contestable que le docteur [Y] A bien été rendu destinataire du rapport d’IPP, ainsi qu’il le mentionne dans sa note médicale. Le docteur [N], quant à lui, a bien eu connaissance de l’entier rapport médical et au rapport d’évaluation des séquelles par le médecin-conseil, ainsi qu’il le reconnaît également dans sa note.
– La seule obligation de la Caisse est la transmission de ce rapport du médecin-conseil, par dérogation légale au secret médical, mais elle ne peut transmettre les pièces médicales présentées par l’assuré au médecin-conseil, puisqu’elle ne les possède pas.
– S’agissant du rapport de la CMRA, la société n’en a jamais sollicité la communication, alors que la possibilité de le faire lui avait été notifiée le 6 août 2021. Ainsi qu’il résulte des termes de l’article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale, ce rapport ne peut au demeurant être communiqué que postérieurement à la décision rendue par la CMRA. Faute d’avoir demandé cette communication, le rapport n’a pas été communiqué au docteur [Y], observation faite que la Société tend à entretenir la confusion entre les médecins conseils auxquels elle a eu recours. Dans le cadre de la requête devant le pôle social du tribunal judiciaire, c’est le docteur [Y] qui était désigné pour assister la Société. Mais dans le cadre de la première instance et en vue de l’audience du 3 février 2022, c’est le docteur [N] qui produira un rapport médical, en date du 18 novembre 2021. En tout état de cause, le rapport de la CMRA de Normandie a finalement été transmis tant au docteur [Y] qu’au docteur [N], ainsi qu’en justifient les accusés de réception qu’ils ont signés. La Cour de cassation retient que les textes ne prévoient aucune sanction à l’absence de communication du rapport de la CMRA.
– Le taux d’IPP de 50% doit être maintenu. La Caisse rappelle le mécanisme et les barèmes permettant de déterminer un taux d’IPP. L’employeur n’apporte aucun élément nouveau à l’appui de son recours susceptible de remettre en cause la position de la CPAM et de son médecin-conseil ou la décision de la CMRA. Le docteur [N] « s’est contenté de produire sa précédente note à l’identique sans apporter aucun élément nouveau par rapport à la décision des experts de la CMRA ». Le médecin-conseil de la Caisse, qui a eu connaissance des arguments du docteur [N] « ne peut que maintenir sa position » (en gras dans les conclusions).
Le jugement entrepris doit donc être confirmé et l’employeur condamné aux dépens.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe le 7 mai 2024.
Réponse de la cour
Il convient de rappeler d’emblée que les rapports entre la Caisse et un assuré sont indépendants des rapports entre la Caisse et l’employeur de cet assuré, seuls en cause ici. En d’autres termes, la décision que la cour entreprendra ici est sans conséquence sur les rapports Caisse-salarié, ainsi quelle qu’elle soit, la présente décision est sans effet, à l’égard de M. [F], quant à la décision de la Caisse de retenir un taux d’IPP de 60%, lequel reste acquis à l’intéressé.
Par ailleurs, il n’appartient pas à la cour de répondre à des demandes de ‘juger’, ‘déclarer’ ou ‘constater’ qui ne constituent pas des prétentions au sens du code de procédure civile.
Enfin, il importe de mentionner que le recours de la Société en date du 12 mars 2021, portait également sur l’imputabilité des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge par la Caisse au titre de l’accident du 17 janvier 2018 ainsi que sur la date de consolidation fixée par la Caisse. Mais, suite au rejet par la Caisse du recours formé par la Société à cet égard, ce point, qui n’a pas été contesté devant le tribunal et n’est pas soulevé devant la cour, ne fait pas partie du débat.
La cour se trouve ainsi saisie de la seule question de savoir si la décision de fixer le taux d’IPP de M. [F] (en l’occurrence, suite à la décision de la CMRA) à 50% est opposable à la Société et, dans l’affirmative, si c’est le taux de 50% qui doit être retenu ou un taux inférieur.
Sur l’opposabilité de la décision de la Caisse d’attribuer un taux d’IPP à M. [F]
Aux termes de l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale :
Pour les contestations de nature médicale, hors celles formées au titre du 8° de l’article L. 142-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puisse lui être opposé l’article 226-13 du code pénal, à l’attention exclusive de l’autorité compétente pour examiner le recours préalable, lorsqu’il s’agit d’une autorité médicale, l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision. A la demande de l’employeur, ce rapport est notifié au médecin qu’il mandate à cet effet. La victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle est informée de cette notification. (souligné par la cour)
L’article R. 142-8-3 du même code dispose quant à lui :
Lorsque le recours préalable est formé par l’employeur, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l’introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l’article L. 142-6 accompagné de l’avis au médecin mandaté par l’employeur à cet effet. Le secrétariat informe l’assuré ou le bénéficiaire de cette notification.
(…)
Dans un délai de vingt jours à compter de la réception du rapport mentionné à l’article L. 142-6 accompagné de l’avis ou, si ces documents ont été notifiés avant l’introduction du recours, dans un délai de vingt jours à compter de l’introduction du recours, l’assuré ou le médecin mandaté par l’employeur peut, par tout moyen conférant date certaine, faire valoir ses observations. Il en est informé par le secrétariat de la commission par tout moyen conférant date certaine.
Il résulte directement de ces dispositions que la Caisse se trouve dans l’obligation de transmettre à la CMRA l’intégralité du rapport médical reprenant tant les constats de l’examen clinique que le médecin conseil a effectué que les constats résultant des examens qu’il a consultés. En d’autres termes, ce sont les constats, tels que repris dans le rapport médical, qui doivent être transmis et non pas les examens médicaux, chirurgicaux ou autres en tant que tels.
Il en va de même dans l’hypothèse d’une demande effectuée par l’employeur. Le rapport médical établi par la Caisse doit alors être notifié tant à l’employeur qu’au médecin-conseil que celui-ci a désigné.
Il résulte également de ces dispositions que le seul rapport médical en cause est celui visé à l’article L. 142-6 du code de la sécurité sociale, précité, c’est à dire le rapport établi par le médecin-conseil de la Caisse et non un rapport qui pourrait être établi ensuite dans le cadre de la CMRA, ainsi que le suggère la Société.
Par ailleurs, l’emploi de l’indicatif dans les textes susvisés indique que les dispositions relatives à la transmission ou à la notification du rapport sont impératives. En d’autres termes, en cas de demande formulée par l’employeur, la CMRA se trouve dans l’obligation de notifier à ce dernier le rapport médical.
En l’occurrence, il est constant que, dans le recours qu’elle a effectué par lettre recommandée avec avis de réception (‘AR’), le 12 mars 2021, la Société a indiqué à la CMRA qu’elle avait désigné le docteur [Y] en qualité de médecin pour l’assister sur le plan médical et que « cette désignation (valait) demande de transmission au médecin désigné en application de l’article R. 142-8-3 du (code de la sécurité sociale) des documents médicaux concernant l’affaire et notamment les certificats médicaux descriptifs, les comptes-rendus d’examens médicaux, les comptes-rendus d’intervention chirurgicale ainsi que l’entier rapport ayant contribué à la fixation du taux d’incapacité, au sens des dispositions précitées ».
Il appartient donc à la Caisse de démontrer qu’elle a effectivement notifié au
médecin-conseil de la Société le rapport médical en cause.
En l’espèce, la Caisse produit la copie de la lettre adressée au docteur [Y], que la Société avait désigné comme son médecin-conseil, avec la mention qu’y est jointe ‘l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision accompagné de l’avis transmis à la CPAM’.
La Caisse produit également la copie de la lettre que lui a adressée le docteur [Y], à laquelle était jointe le « mémoire concernant le dossier » de M. [F].
La cour ne peut que constater que la Société ne produit pas ce mémoire mais que, dans son courrier, le docteur [Y] ne fait état d’aucune difficulté particulière qu’il aurait rencontrée pour l’établir.
Il est, certes, exact, qu’aux termes de l’article R. 142-8-5 :
La commission médicale de recours amiable établit, pour chaque cas examiné, un rapport comportant son analyse du dossier, ses constatations et ses conclusions motivées. Elle rend un avis, qui s’impose à l’organisme de prise en charge.
Le secrétariat transmet sans délai son avis à l’organisme de prise en charge et une copie du rapport au service médical compétent et, à la demande de l’assuré ou de l’employeur, à l’assuré ou au médecin mandaté par l’employeur lorsque celui-ci est à l’origine du recours. (souligné par la cour)
Les dispositions de ce texte doivent s’interpréter comme signifiant que l’avis motivé de la CMRA ainsi que le rapport comportant son analyse du dossier ne sont transmis à l’employeur que pour autant que celui-ci en ait fait la demande et soit à l’origine du recours devant la CMRA.
En l’espèce, si la présentation du recours formé par la Société devant la CMRA peut prêter à une certaine confusion, tant elle ne vise d’abord, lorsqu’elle fait mention du médecin qu’elle mandate pour l’assister sur le plan médical, qu’aux dispositions de l’article R. 148-8-3 du code de la sécurité sociale, force est de constater que, après avoir exposé les motifs de sa contestation, la Société précise, en fin de page 3 de son recours, qu’elle souhaite que soit transmise à son médecin-conseil une « copie du rapport établi par la Commission en application des dispositions de l’article R 142-8-5 du Code de la Sécurité Sociale ».
Certes, l’avis médical du docteur [N], en date du 18 novembre 2021, soumis au tribunal, fait expressément référence à un « second examen, effectué le 4 décembre 2020 » par le médecin-conseil de la Caisse, lequel conclut à une IPP de 60%.
Mais, contrairement à ce que soutient la Caisse, cette note du docteur [N] ne fait aucune mention de l’avis de la CMRA, pourtant pris en sa séance du 11 juin 2021 et notifié à la Société le 6 août 2021.
Dès lors, rien ne permet à la cour de vérifier que les dispositions de l’article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale avaient été respectées au moment où le tribunal a pris sa décision, alors que c’est à la Caisse qu’il appartient d’en rapporter la preuve.
Le jugement, qui a retenu que l’employeur « ne démontre par avoir sollicité ce rapport auprès de la commission » mérite donc d’être infirmé sur ce point.
La question qui se pose est, dés lors, de savoir si la décision en cause peut néanmoins être considérée comme opposable à la Société.
Dans cette perspective, la cour note que, si aux termes de l’article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale, précité, la transmission de l’avis de la CMRA et d’une copie du rapport aurait dû être effectuée « sans délai », cette disposition n’est pas prévue à peine de nullité.
Certes, il est constant que la lettre de transmission par la Caisse au docteur [N], nouveau médecin mandaté par la Société, de l’ « Intégralité du rapport de la Commission Médicale de Recours Amiable » est datée du 14 novembre 2023, soit postérieurement au jugement dont appel.
Mais le second mémoire établi par le docteur [N], le 20 novembre 2023, démontre à la lecture que cette transmission a bien été effectuée.
Enfin, rien n’oblige la Caisse ou le secrétariat de la CMRA à communiquer à l’employeur, via son médecin-conseil, d’autres documents que ceux expressément mentionnés par les textes précités, quand bien même il en aurait fait la demande.
Dans ces conditions, la cour doit décider que, pour regrettable que puisse être la façon dont ont procédé la CPAM50 et la CMRA, l’ensemble des dispositions des articles précités du code de la sécurité sociale a été respecté par la CPAM50 et la CMRA.
La décision de la CMRA, en tant qu’elle fixe un taux d’IPP pour M. [F] suite à l’accident du travail du 17 janvier 2018, ne peut être déclarée inopposable à la Société.
Sur le taux d’IPP
L’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale dispose :
Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.
Lorsque l’incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d’incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
(…)
Lorsque l’état d’invalidité apprécié conformément aux dispositions du présent article est susceptible d’ouvrir droit, si cet état relève de l’assurance invalidité, à une pension dans les conditions prévues par les articles L. 341-1 et suivants, la rente accordée à la victime en vertu du présent titre dans le cas où elle est inférieure à ladite pension d’invalidité, est portée au montant de celle-ci. Toutefois, cette disposition n’est pas applicable si la victime est déjà titulaire d’une pension d’invalidité des assurances sociales.
Il sera rappelé par ailleurs que les séquelles d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne sont pas toujours en rapport avec l’importance des lésions initiales. De même, les lésions qui demeurent au moment de la date de consolidation (laquelle ne correspond ni à la guérison ni à la reprise de l’activité professionnelle) sont proposées à partir du barème moyen indicatif, éventuellement modifiée par des estimations en plus ou en moins en fonction de l’examen médical pratiqué par le médecin.
Le barème indicatif d’invalidité relatif aux accidents de travail, prévoit que, pour l’estimation médicale de l’incapacité, il doit être fait la part de ce qui revient à l’état antérieur et de ce qui revient à l’accident. Les séquelles rattachables à ce dernier sont seules en principe indemnisables. Mais il peut se produire des actions réciproques qui doivent faire l’objet d’une estimation particulière.
a) il peut arriver qu’un état pathologique antérieur absolument muet soit révélé à l’occasion de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle mais qu’il ne soit pas aggravé par les séquelles. Il n’y a aucune raison d’en tenir compte dans l’estimation du taux d’incapacité,
b) l’accident ou la maladie professionnelle peut révéler un état pathologique antérieur et l’aggraver. Il convient alors d’indemniser totalement l’aggravation résultant du traumatisme,
c) un état pathologique antérieur connu avant l’accident se trouve aggravé par celui-ci. Etant donné que cet état était connu, il est possible d’en faire l’estimation. L’aggravation indemnisable résultant de l’accident ou de la maladie professionnelle sera évaluée en fonction des séquelles présentées qui peuvent être beaucoup plus importantes que celles survenant chez un sujet sain. Un équilibre physiologique précaire, compatible avec une activité donnée, peut se trouver détruit par l’accident ou la maladie professionnelle.
Afin d’évaluer équitablement l’incapacité permanente dont reste atteinte la victime présentant un état pathologique antérieur, le médecin devra se poser trois questions :
1° L’accident a-t-il été sans influence sur l’état antérieur ‘
2° Les conséquences de l’accident sont-elles plus graves du fait de l’état antérieur ‘
3° L’accident a-t-il aggravé l’état antérieur ‘
Pour le calcul de cette incapacité finale, il n’y a pas lieu, d’une manière générale, de faire application de la formule de Gabrielli. Toutefois, la formule peut être, dans certains cas, un moyen commode de déterminer le taux d’incapacité et l’expert pourra l’utiliser si elle lui paraît constituer le moyen d’appréciation le plus fiable.
Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente, en matière d’accidents du travail d’une part et, d’autre part, en matière de maladies professionnelles, sont annexés au livre IV du code de la sécurité sociale. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d’invalidité en matière d’accidents du travail.
Il résulte de la combinaison de ces textes que le taux d’incapacité permanente partielle, objet de la contestation, doit être évalué tel qu’il existait à la date de consolidation de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle suite à la décision de la caisse à l’origine de la procédure, les situations postérieures à cette date de consolidation ne pouvant pas être prises en considération par les juridictions du contentieux technique.
Par ailleurs, seules les réparations dues au titre des séquelles définitives d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle peuvent faire l’objet d’une contestation devant les juridictions, les séquelles imputables à un accident de travail ou une maladie professionnelle non encore consolidé ne pouvant pas être contestées devant ces juridictions.
Lorsque les juridictions sont saisies d’une contestation du taux d’incapacité permanente partielle attribué à un salarié victime d’accident de travail ou d’une maladie professionnelle, seules les séquelles imputables à l’accident ou à la maladie peuvent être prises en considération par ces juridictions pour apprécier l’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle.
Par ailleurs, la cour rappellera que l’appréciation du taux d’incapacité permanente partielle relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (2ème Civ., 21 juin 2012, n°11-20.323 ; 9 juillet 2020, n°19-11.856).
En l’occurrence, il est constant que, à la suite de l’accident en cause, M. [F] a eu la main droite, main dominante, écrasée par une presse, qu’il a dû subir une amputation de l’index.
Selon la Caisse, un « certificat médical final » a été établi le 18 octobre 2020. Le
médecin-conseil de la Caisse le mentionne expressément dans sa note
médico-administrative en date du 1er février 2024 (ci-après, la ‘NoteCPAM’), en réponse à la note du 18 novembre 2021 du docteur [N]
La cour doit ici faire deux observations :
– la Note CPAM ne fait aucune mention à la seconde note du docteur [N], en date du 20 novembre 2023, pourtant régulièrement communiquée ;
– surtout, la NoteCPAM exprime une contre-vérité, au regard des pièces versées par la Caisse, puisqu’elle fait état d’un « certificat médical final » alors que, tant le
médecin-conseil de celle-ci que la CMRA font état d’une rechute au 19 octobre 2020, ce qui ne fait, juridiquement ou médicalement aucun sens.
La question est dès lors de savoir si, en l’état des pièces communiquées à la cour, celle-ci peut déterminer le taux d’IPP qu’il convient de retenir, dans les relations entre la Caisse et la Société.
Il est constant que le barème indicatif d’invalidité, que cite d’ailleurs la Société, envisage que la main, qui « n’est pas seulement un segment de membre, lui-même additionné de segments digitaux, mais un organe global unique, organe de la préhension et du tact », lorsqu’elle est atteinte d’une incapacité totale, doit conduire à attribuer un taux d’IPP de 70%.
Ce barème prévoit par ailleurs que l’amputation de l’index, comme M. [F] a dû la subir, correspond à une IPP de 14% à elle seule.
La cour observe que le barème indicatif envisage que le taux d’IPP est déterminé sur la base d’un bilan anatomique et d’un bilan fonctionnel, réalisé à partir de divers matériels. Si rien ne permet de constater que le médecin-conseil de la Caisse puis la CMRA ont réalisé les bilans dans les conditions recommandées, il demeure que le barème constitue une recommandation et non une obligation.
Le docteur [N] est donc fondé à déplorer l’absence relative de précisions dans les documents soumis par la Caisse et a pu, à juste titre, relever que l’emploi d’un conditionnel dans la discussion sur les séquelles de l’accident n’est pas de nature à conforter l’affirmation selon laquelle c’est un taux d’IPP de 50% qui doit être retenu.
Pour autant, les éléments soumis par la Caisse et les notes du docteur [N] permettent de considérer que :
– la main droite de M. [F] a été écrasée ;
– il a fallu amputer l’index de cette main ;
– cette main ne peut procéder à aucun serrage ;
– les trois derniers doigts (donc, medium, annulaire et auriculaire) sont en crochet (voir également ci-après) ;
– l’extension du poignet est nulle ;
– la flexion interne du poignet est quasi normale ;
– la flexion latérale externe du poignet est nulle ;
– la flexion est normale (cette dernière mention est quelque peu contradictoire avec ce qui précède mais c’est ce qui est écrit dans le rapport du médecin-conseil et repris dans la Note CPAM) ;
Le docteur [N] a relevé, certes, que M. [F] avait continué à bénéficier de séances de kinésithérapie après la consolidation. Il n’en résulte aucunement qu’il faille considérer que la fonction de la main « n’est pas nulle », comme il l’écrit.
En effet, d’une part, il n’est pas question d’une fonctionnalité nulle, puisque celle-ci obligerait à fixer un taux d’IPP de 70% ; d’autre part, la kinésithérapie peut avoir pour fonction non pas tant l’amélioration d’un état existant que la préservation de cet état.
Le docteur [N] remarque également avec justesse que M. [F] a pu reprendre son activité professionnelle sur un poste adapté, ce qui, selon lui, « suppose la persistance d’une fonction, supérieure à celle qui a été évaluée, et le rapport d’évaluation des séquelles ne fait état d’aucun traitement antalgique suivi à la date de consolidation ».
Mais la Société, il faut le souligner, ne soumet aucun élément de nature à déterminer précisément comment le poste de M. [F] a été adapté et, notamment, s’il requiert ou non l’usage de la main droite.
Par ailleurs, l’absence de prise d’un traitement antalgique ne signe pas la possibilité d’utiliser, même partiellement, la main.
De plus, comme le docteur [N] le relève lui-même dans sa discussion sur la décision de la CMRA (page 4 de sa seconde note), l’existence d’une rechute correspondrait à un « état évolutif aggravé », ce qui ne milite pas en faveur du taux d’IPP de 0% que la Société va jusqu’à plaider.
En tout état de cause, rien dans les notes du docteur [N] ne permet de remettre en cause les constatations selon lesquelles M. [F] ne peut rien serrer, que son pouce est raide, qu’il peut seulement procéder à des opérations ‘en crochet’. Dans la Note CPAM, le
médecin-conseil de la Caisse va ainsi jusqu’à considérer que le taux d’IPP dans ce dossier aurait dû être, en fait, fixé entre 61% et 66,5%.
Enfin, il est constant que la main atteinte est la main dominante de M. [F].
De l’ensemble de ce qui précède, il résulte que la cour dispose des éléments lui permettant de déterminer que le taux d’IPP de 50% retenu par la CMRA doit être confirmé, sans qu’il soit besoin de recourir à une mesure d’expertise, laquelle n’est au demeurant pas destinée à pallier la carence de l’une comme de l’autre des parties.
Le jugement entrepris sera donc, même si pour d’autres motifs, confirmés, sauf en ce qui concerne les dépens.
Sur les dépens
Chacune des parties supportera les dépens exposés par elle tant en première instance qu’en cause d’appel.
LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny en date du 29 mars 2022 (RG 21/01267), sauf en ce qui concerne les dépens ;
Statuant à nouveau sur ce point,
DÉCIDE que chacune des parties supportera la charge des dépens exposés par elle ;
DÉBOUTE les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire,
La greffière La présidente
Laisser un commentaire