L’Essentiel : Le 26 novembre 2009, Mme [D] [T] a donné à bail à la SAS Belfort Hôtel des locaux pour une durée de neuf ans, renouvelée tacitement jusqu’au 30 juin 2018. Le 17 juillet 2018, la SCI Sermi a délivré un congé, refusant le renouvellement et proposant une indemnité d’éviction. Après une expertise, l’indemnité a été fixée à 853.000 euros. En septembre 2021, la société Belfort Hôtel a assigné la SCI Sermi pour une indemnité plus élevée. Le tribunal a finalement accordé une indemnité d’éviction de 969.543 euros, ainsi qu’une indemnité d’occupation, condamnant la SCI Sermi à des frais d’expertise.
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Contexte du bailLe 26 novembre 2009, Mme [D] [T] a donné à bail à la SAS Belfort Hôtel divers locaux à usage d’hôtel pour une durée de neuf ans, prenant effet le 1er juillet 2009. Ce bail a été renouvelé tacitement jusqu’à son terme prévu le 30 juin 2018. Congé et indemnité d’évictionLe 17 juillet 2018, la SCI Sermi a délivré un congé à la société Belfort Hôtel, refusant le renouvellement du bail et offrant une indemnité d’éviction. En septembre 2019, un juge des référés a ordonné une expertise pour évaluer cette indemnité, qui a été fixée à 853.000 euros par l’expert en janvier 2020. Assignation et rapport d’expertiseLe 17 septembre 2021, la société Belfort Hôtel a assigné la SCI Sermi pour obtenir une indemnité d’éviction de 1.246.250 euros. L’expert a finalement évalué l’indemnité d’éviction à 612.900 euros dans son rapport déposé le 13 décembre 2021. Demandes des partiesLa société Belfort Hôtel a demandé la nullité du rapport d’expertise et a réclamé une indemnité d’éviction plus élevée, ainsi que des indemnités accessoires. De son côté, la SCI Sermi a contesté la demande d’indemnité, arguant qu’aucun préjudice n’avait été causé par le non-renouvellement du bail. Évaluation de l’indemnité d’évictionLe tribunal a examiné les arguments des deux parties concernant l’indemnité d’éviction. Il a constaté que la SCI Sermi n’avait pas prouvé que le préjudice subi par la société Belfort Hôtel était moindre que celui prévu par la loi. L’indemnité principale a été fixée à 874.221 euros, avec des indemnités accessoires totalisant 95.322 euros. Indemnité d’occupationLa SCI Sermi a été condamnée à verser une indemnité d’occupation à la société Belfort Hôtel, calculée sur la base de la valeur locative de renouvellement, fixée à 68.400 euros par an, indexée annuellement. Décision finaleLe tribunal a statué en faveur de la société Belfort Hôtel, lui accordant une indemnité d’éviction totale de 969.543 euros, ainsi qu’une indemnité d’occupation. La SCI Sermi a été condamnée à payer des frais d’expertise et des dépens, tout en rejetant ses demandes de compensation. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de l’indemnité d’éviction selon l’article L.145-14 du Code de commerce ?L’article L.145-14 du Code de commerce stipule que l’indemnité d’éviction due par le bailleur au locataire évincé doit être égale au préjudice causé à ce dernier par le défaut de renouvellement du bail. Cette indemnité comprend notamment : – La valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession. – Les frais normaux de déménagement et de réinstallation. – Les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. Il est important de noter que, sauf preuve du propriétaire que le préjudice est moindre, l’indemnité doit couvrir l’intégralité du préjudice subi par le locataire. En cas où le fonds de commerce n’est pas transférable, l’indemnité principale est dite de remplacement et doit inclure la valeur marchande du fonds, qui ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail. Comment le tribunal a-t-il évalué l’indemnité d’éviction dans cette affaire ?Le tribunal a évalué l’indemnité d’éviction en prenant en compte plusieurs éléments. Tout d’abord, il a constaté que l’éviction entraînerait la perte du fonds de commerce, ce qui confère à l’indemnité d’éviction une valeur de remplacement. L’expert judiciaire a déterminé la valeur marchande du fonds de commerce à 550.000 euros, en se basant sur un chiffre d’affaires moyen de 243.206 euros et en appliquant un coefficient multiplicateur de 2,25. Cependant, le tribunal a décidé de prendre en compte les chiffres d’affaires des années 2022, 2023 et 2024, qui ont montré une reprise de l’activité hôtelière. La moyenne du chiffre d’affaires a été calculée à 291.407 euros. Le tribunal a finalement retenu un coefficient multiplicateur de 3, fixant ainsi l’indemnité principale à 874.221 euros. En ajoutant les indemnités accessoires, le montant total de l’indemnité d’éviction a été fixé à 969.543 euros. Quelles sont les indemnités accessoires prévues par l’article L.145-14 du Code de commerce ?L’article L.145-14 du Code de commerce prévoit que l’indemnité d’éviction peut être augmentée des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. Dans cette affaire, les indemnités accessoires ont été évaluées comme suit : – Frais de remploi : 87.422 euros, correspondant aux droits de mutation dus pour l’acquisition d’un fonds de commerce. – Trouble commercial : 3.400 euros, évalué sur la base de l’excédent brut d’exploitation moyen. – Frais de déménagement : 3.000 euros, pour libérer les locaux. – Frais divers : 1.500 euros, pour couvrir les formalités administratives. Le total des indemnités accessoires s’élève donc à 95.322 euros, qui s’ajoutent à l’indemnité principale pour un total de 969.543 euros. Comment est calculée l’indemnité d’occupation selon l’article L.145-28 du Code de commerce ?L’article L.145-28 du Code de commerce stipule que le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d’une indemnité d’occupation, jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction. Cette indemnité est égale à la valeur locative de renouvellement, à laquelle peut être appliqué un abattement de précarité. Dans cette affaire, l’indemnité d’occupation a été fixée à 68.400 euros par an, hors taxes et charges, et sera indexée annuellement sur l’indice ILC à compter du 1er avril 2020. Le tribunal a précisé que l’indemnité d’occupation doit être calculée sur la base de la valeur de renouvellement déplafonnée, conformément aux articles L.145-36 et R.145-10 du Code de commerce, qui ne soumettent pas les établissements hôteliers à la règle du plafonnement. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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18° chambre
1ère section
N° RG 21/11758
N° Portalis 352J-W-B7F-CVFQE
N° MINUTE : 2
Assignation du :
17 Septembre 2021
contradictoire
JUGEMENT
rendu le 16 Janvier 2025
DEMANDERESSE
Société BELFORT HOTEL
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #C1050,
et par Maître Laurent MASCARAS de l’Association d’Avocats « MASCARAS –
CERESIANI – LES AVOCATS ASSOCIES », avocat plaidant,
DÉFENDERESSE
S.C.I. SERMI
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Eric-Olivier BLUMENTHAL de la SELEURL BLUMENTHAL AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #G0681
Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 1ère section
N° RG 21/11758 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVFQE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,
Monsieur Jean-Christophe DUTON, Vice-président,
Madame Diana SANTOS CHAVES, Juge,
assistés de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,
DEBATS
A l’audience du 08 Octobre 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats des parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2025.
JUGEMENT
Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Suivant acte sous seing privé en date du 26 novembre 2009, Mme [D] [T], aux droits de laquelle est venue la SCI Sermi selon acte authentique reçu par-devant Maître [V], notaire à [Localité 7], le 17 novembre 2017, a donné à bail renouvelé à la SAS Belfort Hôtel, divers locaux à usage d’hôtel de tourisme ou meublé dépendant d’un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 8] pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 2009 pour se terminer le 30 juin 2018.
Le bail s’est ensuite poursuivi par tacite reconduction.
Par exploit d’huissier en date du 17 juillet 2018, la SCI Sermi a délivré à la société Belfort Hôtel un congé pour le 31 mars 2019 avec refus de nouvellement et offre de payer une indemnité d’éviction en application des dispositions de l’article L.145-14 du code de commerce.
Par ordonnance en date du 18 septembre 2019, le juge des référés, saisi par la société Belfort Hôtel, a ordonné une mesure d’expertise aux fins de réunir les éléments d’appréciation utiles permettant de fixer l’indemnité d’éviction et l’indemnité au titre d’occupation des lieux à compter du 1er juillet 2019, et a désigné M. [W] [F] en qualité d’expert judiciaire.
Dans une note de synthèse du 21 janvier 2020, l’expert a fixé l’indemnité d’éviction à 853.000 euros et l’indemnité d’occupation à 68.400 euros HC et HT par an.
Par acte d’huissier de justice du 17 septembre 2021, la société Belfort Hôtel a fait assigner la SCI Sermi devant le tribunal judiciaire de Paris afin de demander la fixation de l’indemnité d’éviction à la somme de 1.246.250 euros.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 13 décembre 2021 ; il évalue l’indemnité d’éviction à la somme de 612.900 euros après avoir fixé la valeur du fonds à 550.000 euros, et l’indemnité d’occupation à la somme de 68.400 euros HC et HT par an.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 novembre 2022, la société Belfort Hôtel demande au tribunal de :
– prononcer la nullité du rapport d’expertise rendu par M. [F] le 13 décembre 2021,
– dire et juger qu’elle a droit au paiement de l’indemnité d’éviction dans la mesure où elle n’a pas cessé son activité, et en conséquence fixer l’indemnité d’éviction à :
* une indemnité principale de 1.275.550 euros
* des indemnités accessoires de 266.622,52 euros sauf mémoire des indemnités de licenciement à parfaire au jour du licenciement,
– à titre subsidiaire, si le tribunal ne retenait pas sa demande principale, dire et juger que l’indemnité d’éviction devra être fixée selon la note du 21 janvier 2021, à savoir sans tenir compte des chiffres de 2020 ou de l’incidence de la pandémie, soit une indemnité principale de 765.000 euros et des indemnités accessoires de 88.000 euros sauf mémoire des indemnités de licenciement à parfaire dont il a été justifié ;
– fixer l’indemnité d’occupation à 58.500 euros HT HC par an après abattement pour précarité, sauf pour les années 2020 et 2021, période de pandémie, pendant lesquelles un abattement supplémentaire de 28,11% sera appliqué, soit une indemnité d’occupation à 42.050 euros après abattement pour précarité HT HC par an ;
– débouter la SCI Sermi de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner la SCI Sermi au paiement de la somme de 10.000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que des dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise ;
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir pour toutes les condamnations prononcées à l’encontre de la SCI Sermi ;
– dire n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de la décision à intervenir pour toutes les condamnations prononcées à l’encontre de la société Belfort Hôtel.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 juin 2022, la SCI Sermi demande au tribunal de :
In limine litis :
– dire et juger la société Belfort Hôtel mal-fondée à solliciter la nullité du rapport d’expertise établi et déposé le 13 décembre 2021 par M. [F], et l’en débouter ;
A titre principal :
– dire et juger que le refus de renouvellement du bail consenti le 26 novembre 2009 à la société Belfort Hôtel portant sur l’immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 1], n’a causé aucun préjudice à cette dernière, qui a décidé de son propre chef de cesser l’exploitation de son fonds d’hôtellerie à compter du 21 mars 2020 et ce pendant de nombreux mois, et en conséquence dire et juger qu’il n’y a pas lieu d’allouer à la société Belfort Hôtel une indemnité d’éviction, et débouter la demanderesse de ses demandes, fins et prétentions à ce titre ;
A titre subsidiaire :
– fixer l’indemnité d’éviction visant à réparer le préjudice causé à la société Belfort Hôtel par le défaut de renouvellement du bail commercial en date du 26 novembre 2009, à la somme de 96.102,25 euros, composée :
* d’une indemnité principale d’un montant de 91 202,25 euros ;
* d’indemnités accessoires d’un montant de 4 900 euros ;
A titre reconventionnel :
– fixer le montant de l’indemnité d’occupation qui lui est due par la société Belfort Hôtel à la somme de 68.400 euros par an, taxes et charges en sus, à compter du 1er avril 2019 jusqu’au délaissement effectif des lieux et remise des clefs au bailleur ;
– augmenter le montant de l’indemnité d’occupation due à compter du 1er avril 2019 et jusqu’au délaissement effectif des locaux concernés, d’une somme égale au montant des charges, impôts, taxes et accessoires, conformément aux termes et conditions du bail ;
– dire et juger que l’indemnité d’occupation susvisée sera indexée automatiquement et de plein droit, le 1er avril de chaque année et pour la première fois le 1er avril 2020, en fonction de la variation de l’indice des loyers commerciaux publié trimestriellement par l’INSEE, en cas d’évolution à la hausse dudit indice, la première indexation devant se faire en prenant pour indice de référence le dernier indice publié par l’INSEE au 1er avril 2019 et pour indice de comparaison l’indice du même trimestre de l’année suivante publié par l’INSEE, et les indexations suivantes devant se faire en prenant pour indice de référence l’indice de comparaison de la précédente indexation et pour indice de comparaison l’indice du même trimestre de l’année suivante publié par l’INSEE ;
– dire et juger la différence entre le montant de l’indemnité d’occupation fixé par le tribunal et dû par la société Belfort Hôtel à compter du 1er avril 2019 jusqu’au délaissement effectif des locaux, et le montant des provisions à valoir sur l’indemnité d’occupation d’ores et déjà réglées par la société Belfort Hôtel depuis le 1er avril 2019, portera intérêt de plein droit au taux légal en vigueur à compter du 1er avril 2019 ;
– ordonner la capitalisation des intérêts ;
– condamner la société Belfort Hôtel à lui payer le montant de l’indemnité d’occupation, soit la somme de 68 400 euros par an, taxes et charges en sus, à compter du 1er avril 2019 inclus et jusqu’au délaissement effectif des lieux et remise des clefs au bailleur, dûment indexée, ainsi que les intérêts susvisés et le montant des charges, impôts, taxes et accessoires, dans les termes et conditions du bail ;
– dire que l’indemnité d’éviction éventuellement due par elle à la société Belfort Hôtel sera payée, à due concurrence, par voie de compensation avec la créance d’indemnité d’occupation qu’elle détient sur la société Belfort Hôtel ;
En tout état de cause :
– débouter la société Belfort Hôtel de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société Belfort Hôtel à lui payer une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Belfort Hôtel aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SELARL Blumenthal Avocats, représentée par Maître Eric Olivier Blumenthal, avocat constitué, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières conclusions récapitulatives figurant à leur dossier et régulièrement notifiées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2023 et l’affaire plaidée à l’audience collégiale du 8 octobre 2024 lors de laquelle le tribunal a invité l’avocat de la société Belfort Hôtel à produire en cours de délibéré les bilans comptables des années 2022 et 2023 et tout élément utile concernant les données comptables de 2024.
Par note en délibéré du 11 octobre 2024, la société Belfort Hôtel a produit les bilans 2022 et 2023 et l’attestation comptable sur le chiffre d’affaires des 9 premiers mois de l’année 2024.
Sur la demande de nullité du rapport d’expertise
Au soutien de sa demande de nullité du rapport d’expertise, la société Belfort Hôtel fait valoir que l’expert judiciaire a déposé son rapport final le 13 décembre 2021 en opérant une réduction de la valeur du fonds à hauteur de 215.000 euros par rapport à celle fixée dans sa note du 21 janvier 2021, pour la ramener à 550.000 euros, au seul motif de l’impact de la crise sanitaire sur l’activité hôtelière et le marché des transactions. Elle indique que pourtant la situation endémique n’avait pas évolué si ce n’est un troisième confinement de mars à avril 2021, et soutient que l’expert n’a pas respecté le principe du contradictoire à défaut d’avoir établi une nouvelle note et laissé aux parties le soin de déposer leurs observations dans un délai imparti.
Elle ajoute que l’expert a manqué à son obligation d’entretenir ses compétences techniques et procédurales en application du code de déontologie en ce que :
– il n’a pas exercé sa mission avec diligences en faisant référence à des ouvrages de Francis Lefebvre « Evaluation » de 2012 alors que les éditions de 2015 et 2018 étaient disponibles.
– il n’a pas tenu compte de la jurisprudence du tribunal judiciaire de Paris et des cours d’appel sur le fait qu’il n’y a pas lieu de retenir l’interruption d’activité pendant les périodes de confinement.
La SCI Sermi réplique que la société Belfort Hôtel soulève ce moyen de mauvaise foi, alors même qu’elle a empêché le bon déroulement des opérations d’expertise en refusant de communiquer spontanément à l’expert les documents qu’il réclamait et en ne respectant pas les délais fixés par ce dernier pour lui faire part de ses observations, le tout en violation des articles 160 et 275 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle ajoute que la société Belfort Hôtel est mal fondée à solliciter la nullité du rapport d’expertise au visa du code de déontologie des experts et que seules les dispositions du code de procédure civile ont vocation à s’appliquer ; elle indique à ce titre que la nullité d’un rapport d’expertise au motif que l’expert judiciaire aurait modifié son évaluation dans son rapport définitif (par rapport à l’évaluation provisoire mentionnée dans sa note de synthèse et précisément pour tenir compte des dires et observations des parties) n’est expressément prévue par aucun texte et que la société Belfort Hôtel ne rapporte la preuve de l’existence d’un grief, conditions exigées par l’article 114 du code de procédure civile.
La SCI Sermi fait valoir en outre que l’expert judiciaire a scrupuleusement respecté le principe du contradictoire ainsi que l’ensemble des règles et obligations prévues par le code de procédure civile applicables en matière d’exécution des opérations d’expertise, et notamment les obligations prévues par l’article 276 du code de procédure civile.
Il est constant que les éventuelles irrégularités affectant le déroulement des opérations d’expertise, s’agissant notamment de la violation alléguée du principe du contradictoire, sont sanctionnées selon les dispositions de l’article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure et qui constituent des nullités de forme car n’étant pas énumérées par l’article 117 dudit code relatif aux irrégularités de fond ; que dès lors, l’inobservation de ce principe n’entraîne la nullité du rapport d’expertise qu’à charge de prouver le grief qui en résulte, conformément aux dispositions de l’article 114 du code de procédure civile.
En l’espèce, il ressort de la procédure que l’expert judiciaire a, avant le dépôt de son rapport définitif et pour faire suite à la première réunion d’expertise s’étant tenue contradictoirement le 4 décembre 2019, établi et communiqué aux parties et à leurs conseils respectifs, le 6 décembre 2019, une note aux parties n°1 comprenant la liste des documents à lui adresser nécessaires à l’accomplissement de sa mission ; il a ensuite rédigé et adressé aux parties et à leurs conseils respectifs, le 21 janvier 2021, lors de la seconde réunion d’expertise, ses conclusions provisoires sous forme d’une note de synthèse, conformément aux préconisations prévues par la convention du 8 juin 2009 entre la cour d’appel de Paris, l’ordre des avocats à la cour d’appel de Paris et d’autres barreaux, et l’union des compagnies d’experts de la cour d’appel de Paris concernant l’étape conclusive du rapport d’expertise en matière de procédure civile.
M. [F] a, à la suite, demandé aux parties, par courrier électronique du 22 janvier 2021, de lui faire parvenir leurs observations au plus tard le 21 février suivant, en rappelant qu’il attendait la communication de deux pièces de la part de la société Belfort Hôtel.
Si la SCI Sermi a adressé ses observations sous la forme de dire le 19 février 2021, dans le délai imparti, la société Belfort Hôtel a adressé les siennes à l’expert par courrier électronique du 23 septembre 2021, soit plus de sept mois après.
Malgré cette communication tardive, l’analyse du rapport d’expertise en litige révèle que l’expert a pris en considération l’ensemble des observations des parties conformément aux dispositions de l’article 276 alinéa 3 du code de procédure civile, en répondant notamment à celles formulées par la société Belfort Hôtel en pages 41 à 45 de son rapport.
Il en résulte que l’expert judiciaire a respecté le principe du contradictoire, étant précisé qu’aucune disposition légale ne lui fait obligation de soumettre son rapport définitif aux nouvelles observations des parties, et que dès lors la société Belfort Hôtel ne peut en tirer l’existence d’aucun grief, l’expert étant libre de modifier ses conclusions contenues dans sa note de synthèses, lesquelles sont par nature des conclusions provisoires susceptibles d’être modifiées au vu des observations des parties.
Etant relevé au surplus que la méthodologie décrite et utilisée par l’expert aux termes de sa note de synthèse pour évaluer l’indemnité d’éviction, sur laquelle chacune des parties a pu faire part de ses observations, est strictement identique à celle décrite aux termes du rapport d’expertise définitif et que seules ont été modifiées les données financières du fonds, au regard des observations de la SCI Sermi portées au contradictoire de la société Belfort Hôtel.
Pas plus la société Belfort Hôtel n’est fondée à exciper, au soutien de sa demande de nullité du rapport d’expertise, des autres manquements qu’elle impute à l’expert (référence à l’ouvrage de Francis Lefebvre « Evaluation » de 2012 et absence de prise en compte de la jurisprudence relative à l’interruption d’activité pendant les périodes de confinement), à défaut d’erreur manifeste lui causant un grief et alors que l’expert est libre de fonder son avis sur des éléments qui lui semble pertinents, que les parties demeurent libres d’analyser, vérifier et critiquer , le tribunal disposant quant à lui d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Sous le bénéfice de l’ensemble de ses considérations, la société Belfort Hôtel sera déboutée de sa demande de nullité du rapport d’expertise déposé le 13 décembre 2021.
Sur le fond
Sur l’indemnité d’éviction
Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, l’indemnité d’éviction due par le bailleur au locataire évincé doit être égale au préjudice causé à ce dernier par le défaut de renouvellement du bail et comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Si le fonds de commerce n’est pas transférable, l’indemnité principale est dite de remplacement et comprend la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession, qui ne peut être inférieure à la valeur du droit au bail.
La SCI Sermi conteste la demande en paiement d’une indemnité au titre de l’éviction formée par la société Belfort Hôtel, à défaut de préjudice en lien avec le non-renouvellement du bail. Elle fait exposer que la société Belfort Hôtel a décidé de cesser d’exploiter son fonds d’hôtellerie dans les lieux considérés à compter du 21 mars 2020, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, ce qui a entraîné la disparition de sa clientèle et partant celle de son fonds, perte qui n’est donc pas la conséquence du non-renouvellement du bail.
La société Belfort Hôtel réplique qu’à l’instar de la plupart des fonds similaires, elle a effectivement fermé son hôtel en l’absence de toute clientèle pendant la période de pandémie, mais que le fonds n’a pas disparu, qu’elle est à l’heure actuelle toujours dans les lieux et poursuit son exploitation.
L’expert judiciaire a déclaré à juste titre s’en rapporter au tribunal sur ce point, s’agissant d’une question de pur droit.
Les pièces versées aux débats par la SCI Sermi, à savoir la photographie de l’affiche placardée sur la porte de l’hôtel prise le 22 septembre 2020 et le procès verbal de constat d’huissier établi le 19 février 2021, démontrent uniquement que l’établissement a subi une période de fermeture en lien avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid 2019.
Elles sont à mettre en perspective avec d’autres pièces versées aux débats et notamment les documents comptables produits à la demande du tribunal en cours de délibéré, qui justifient que le fonds est toujours exploité par la société Belfort Hôtel, l’hôtel ayant rouvert le 17 septembre 2021, son chiffre d’affaires hors taxes pour 2021 étant de 15.438,85 euros, pour l’année 2022 de 257.025 euros, pour l’année 2023 de 326.556 euros et pour la période du 1er janvier 2024 au 30 septembre 2024 de 217.980 euros.
Dès lors, la SCI Sermi sur laquelle incombe la charge de la preuve de prouver que le préjudice subi par la société Belfort Hôtel est moindre que celui évoqué à l’article L.145-14 du code de commerce, ne peut valablement soutenir que l’éviction subie par le preneur ne va pas lui causer un préjudice.
Le moyen qu’elle soulève de ce chef sera donc rejeté.
Sur l’indemnité principale
Il est usuel de mesurer les conséquences de l’éviction sur l’activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l’indemnité d’éviction prend le caractère d’une indemnité de transfert ou si l’éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l’indemnité d’éviction une valeur de remplacement.
En l’espèce, l’éviction entraînera la perte du fonds de commerce, comme l’a, à juste titre, retenu l’expert judiciaire, s’agissant de locaux monovalents à usage d’hôtel meublé, de sorte que l’indemnité principale est une indemnité de remplacement, laquelle correspond à la valeur marchande du fonds et ne saurait en tout état de cause être inférieure à la valeur du droit au bail.
Sur la valeur du fonds de commerce
Il est constant qu’aucune règle impérative ne s’impose au tribunal pour le calcul de l’indemnité d’éviction, les juges du fond disposant d’un pouvoir souverain pour apprécier cette indemnité selon la méthode qui leur paraît la plus juste.
Il est néanmoins d’usage que la valeur vénale d’un fonds de commerce hôtelier soit appréciée en appliquant au chiffre d’affaires hors taxes moyen, un coefficient multiplicateur qui dépend notamment de la catégorie de l’hôtel, de la situation géographique, de la capacité d’accueil de l’établissement, de la qualité et de l’état des aménagements et de la capacité bénéficiaire de l’établissement.
L’évaluation de la valeur marchande du fonds de commerce se fait à la date la plus proche du départ du locataire.
L’expert, non contredit par les parties à ce sujet, relève que les locaux, situés [Adresse 2], au niveau de la [Adresse 9] dans le [Localité 1], bénéficient d’une bonne situation pour l’activité de d’hôtel non classé sans confort qui y est exercée, dans un quartier relativement central, animé et principalement résidentiel populaire, à un emplacement correctement desservi par les transports en commun, peu aisé d’accès par le réseau routier, mais situé non loin de la Gare [5] et bénéficiant de toutes commodités à proximité (cafés, restaurants, commerces de proximité, services(…)
Les locaux sont desservis par la stations de métro Château d’Eau (ligne 4), dont l’accès est situé à proximité immédiate (200m), ainsi que par plusieurs lignes de bus.
L’expert relève que l’offre hôtelière du secteur est assez fournie, notamment aux abords de la Gare [5] et des [Adresse 6] et partagée entre les segments “économiques” (14 établissements 1 et 2 étoiles) et “moyenne gamme” (22 établissements 3 à 4 étoiles) ; dans un rayon de 450 m se trouvent 36 établissements (3 hôtels 1 étoile, 11 hôtels 2 étoiles, 15 hôtels 3 étoiles et 7 hôtels 4 étoiles) ; quelques hôtels non classés se trouvent également dans le secteur étudié.
Selon le rapport d’expertise, l’immeuble, dont dépendent les lieux loués, est ancien, de facture modeste, avec façade en maçonnerie sous enduit peint, élevé sur sous-sol d’un rez-de-chaussée (avec un café-restaurant sur la droite et l’entrée de l’hôtel à gauche), de quatre étages droits et d’un cinquième en retrait sous combles, et organisé autour d’une courette intérieure couverte.
La couverture est en zinc et le ravalement et le gros œuvre sont en état d’usage apparent.
L’hôtel – qui occupe la totalité de l’immeuble à l’exception de la majeure partie des RDC et R-1 (occupés par le café-restaurant) – bénéficie d’une visibilité correcte, malgré un accès (simple porte vitrée en retrait sous corniche à l’enseigne « Belfort Hôtel ») masqué par les terrasses des cafés l’encadrant, grâce à une large enseigne lumineuse en drapeau, outre des bandeaux en toile à l’enseigne « Belfort Hôtel » aux fenêtres de la façade sur la rue.
L’hôtel se développe sur sept niveaux (R-1 au R+5) reliés entre eux par un escalier intérieur en bois, tournant et assez raide pour accéder aux étages et en pierre tournant, raide et irrégulier pour accéder au R-1 à savoir :
Au rez-de-chaussée :
Etroit dégagement avec comptoir de réception, départ de l’escalier desservant les étages, WC, local poubelles et départ de l’escalier desservant le sous-sol.
Au R+1:
Dégagement desservant cinq chambres (trois sur rue et deux sur cour) ; les deux sur cour, reliées entre elles par un petit balcon, étant aménagées en logement pour l’exploitant (chambre, salon et salle de bains avec WC, puis cuisine commandant chambre puis salle de bains et WC).
Du R+2 au R+4 :
Trois niveaux identiques comprenant un palier central avec un escalier intérieur desservant un petit dégagement sur cour desservant un WC commun et deux chambres sur cour, puis un dégagement aveugle desservant cinq chambres (trois sur rue et deux sur cour).
Au R+5:
Un niveau partiel avec un accès depuis l’escalier à des combles (mansardés, non isolés et de très faible hauteur, à usage de débarras) et un étroit dégagement desservant un WC commun, un débarras (côté cour, avec fenêtre de toit sur cour) et trois chambres sur rue.
Au R-1:
Niveau partiel et de faible hauteur, avec plusieurs compartiments de caves sous voûtains aménagés en locaux annexes (vestiaire/débarras) et techniques (chaufferie [chaudière à gaz], compteur gaz).
L’expert indique que l’établissement est peu fonctionnel (absence d’ascenseur ; pas d’accessibilité PMR ; réception sommaire et très exiguë ; absence de salle de petit déjeuner), de faible capacité puisque exploitant 27 chambres mais dont la capacité autorisée serait de seulement 25 chambres, dont 17 chambres (soit 68%) à titre dérogatoire. Il recense 14 chambres simples (dont 11 à titre dérogatoire), 7 doubles (dont 5 à titre dérogatoire), 3 triples (dont 1 à titre dérogatoire) et 1 quadruple pour un accueil maximal de 41 personnes, soit un faible coefficient de capacité, de seulement 1,64, nettement inférieur au seuil de rentabilité usuel de 40 chambres.
Les chambres de petite taille sont équipées de façon sommaire: eau courante (lavabo+ bidet) ou salle d’eau (lavabo+ douche) ou salle d’eau avec WC ou salle de bains (lavabo+ baignoire) avec WC ; il existe un WC commun par niveau ; 8 chambres sont sans salle d’eau ni WC et 4 chambres sans WC. Le tout est présumé aux normes (à l’exception de diverses prescriptions à réaliser), en état d’usage et avec un bâti insusceptible de permettre une montée en gammée (sauf restructuration lourde et coûteuse, avec une diminution significative de la capacité de l’hôtel (pourtant déjà faible).
Pour déterminer la valeur du fonds, l’expert a tout d’abord déterminé le chiffre d’affaires hors taxes moyen, en retenant la moyenne des chiffres d’affaires hors taxes pour les années 2016, 2017, 2018, et 2019. Il conclut ainsi à un chiffre d’affaires net moyen de 243.206 euros. L’expert a choisi de ne pas tenir compte des exercices 2020 et 2021 dont au demeurant les liasses fiscales ne lui ont pas été communiquées au moment des opérations d’expertise, expliquant qu’il y a lieu de tenir compte de l’impact de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid 19.
L’expert propose cependant de modérer le coefficient multiplicateur appliqué à cette moyenne, estimant notamment que le retour de l’activité hôtelière à la normale n’est pas attendu à court terme.
L’expert a ensuite procédé à une analyse de l’EBE moyen retraité, qu’il estime à 13.463 euros, et qui fait ressortir un ratio de 5,5 % par rapport au chiffre d’affaires HT moyen retenu (243 206 euros), soit une très faible rentabilité du fonds de commerce.
M. [F] a finalement retenu un coefficient de 2,25 fois le chiffre d’affaires moyen HT pour en conclure à une valeur du fonds de commerce arrondie à 550.000 euros (243.206 x 2,25).
L’expert a confirmé son évaluation en procédant à un recoupement par le prix de chambre qui ressort à une moyenne de 20.000 euros annuelle pour 27 chambres, ce qui selon lui apparaît pleinement justifié au regard des éléments objectifs qu’il retient (bonne situation, catégorie d’hôtel non classé, faible capacité, caractéristiques des locaux).
Les parties ne contestent pas la méthode retenue par l’expert judiciaire pour évaluer le fonds de commerce, qui a fait usage de la méthode des usages professionnels puis a procédé à un recoupement par le prix par chambre.
Elles s’opposent cependant sur les années de référence à prendre en compte pour apprécier le chiffre d’affaires moyen et sur le coefficient multiplicateur à retenir.
La SCI Sermi reproche à l’expert d’avoir uniquement retenu la moyenne des chiffres d’affaires hors taxes pour les années 2016, 2017, 2018, et 2019 et d’avoir exclu les données comptables des années 2020 et 2021 faisant exposer :
– que l’expert ne s’est pas interrogé sur les raisons “troublantes voire suspectes” qui expliquent l’augmentation soudaine du chiffre d’affaires entre 2017, date à laquelle le gérant a été informé par la bailleresse de sa volonté de ne pas renouveler le bail, et 2019 ;
– que l’indemnité d’éviction doit s’apprécier à la date la plus proche du jour de l’éviction ;
– que ce n’est pas la crise sanitaire qui a conduit la preneuse à cesser d’exploiter le fonds en 2020 et 2021, mais la décision arbitraire de son représentant légal, aucune mesure de fermeture administrative n’ayant été instaurée à l’encontre des hôtels, et l’établissement s’adressant à une clientèle de passage et sédentaire, non concernée par la mesure de fermeture aux frontières ;
Elle en conclut, en reprenant la méthode des usages professionnels utilisée par l’expert, et en prenant en considération le chiffre d’affaires annuel moyen réalisé par la société Belfort Hôtel depuis 2016 fixé à 40.534 euros HT, à une indemnité d’éviction de 91.202,25 euros selon le calcul suivant : [(207 490 + 226 795 + 245 826 + 292 711 + 0 + 0) ÷ 6] x 2,25.
La société Belfort Hôtel applique le taux de chiffre d’affaires moyen retenu par l’expert en faisant une moyenne des chiffres d’affaires réalisés en 2017, 2018 et 2019 mais conteste le coefficient de 2,25 retenu par M. [F], réclamant l’application d’un coefficient de 5 en invoquant la croissance du chiffre d’affaires (hormis les années 2020 et 2021) et le bon emplacement des locaux ; elle chiffre ainsi l’indemnité principale à 1 224 528 euros ( 226.795 + 245.826 + 292.711):3 x 5.
S’agissant de la moyenne du chiffre d’affaires, le montant de l’indemnité d’éviction devant être calculée au plus proche de la date d’éviction, compte tenu du temps écoulé depuis les opérations d’expertise, il y a lieu de prendre en considération les chiffres d’affaires réalisés en 2022, 2023 et 2024 ; ceux-ci apparaissent pour les années 2022 et 2023 sur les comptes de résultat simplifiés versés aux débats en cours de délibéré comme suit :
– pour l’année 2022 : 257.025 ;
– pour l’année 2023 : 326.556 euros ;
– pour l’année 2024, l’attestation du commissaire aux comptes fait état d’un chiffre d’affaires de 217.980 du 1er janvier 2024 au 30 septembre 2024, soit une moyenne rapportée sur 12 mois de 290.640 euros.
Aucun élément versé aux débats ne permet de remettre en cause la teneur de ces documents comptables, pas plus d’ailleurs que celle des années 2017 à 2019, avec lesquels ils apparaissent en parfaite cohérence.
Dès lors, en tenant compte, comme il est d’usage, des trois exercices les plus proches de la date d’éviction, la moyenne du chiffre d’affaires ressort à 291.407 euros [(257.025 + 326.556 + 217. 980) : 3]
S’agissant du coefficient multiplicateur à retenir, l’expert a retenu des références concernant des hôtels 2 étoiles et a mentionné :
– une fixation judiciaire intervenue en 2020, au coefficient de 2,5 ;
– 7 cessions amiables entre 2010 et 2018, avec des coefficients allant de 2,21 à 4,1% du chiffre d’affaires ;
L’expert s’est également fondé sur la cote annuelle des valeurs vénales au 1er janvier 2008 (Lefebvre, Blatter, Callon) pour les hôtels classés d’une à trois étoiles, prévoyant des coefficients de 80 à 400% du chiffre d’affaires hors taxes, et celle (Lefevbre) de 2012 mentionnant un coefficient de 200 à 400 %.
Au regard de l’emplacement très adapté du fonds de commerce et des caractéristiques des locaux sa situation (bonne au regard de sa clientèle), de sa catégorie (non classé, sans aucun confort), de sa capacité (faible), de ses caractéristiques – peu fonctionnel et avec une l’impossibilité de monter en gamme- des charges favorables imposées au preneur qui ne supporte ni l’impôt foncier, ni l’assurance de l’immeuble, ni les travaux de mise en conformité), de la capacité du fonds à dégager des bénéfices de façon récurrente mais de sa très faible rentabilité, des bases de valorisation des fonds hôteliers non classés à niveaux très inférieurs à ceux des établissements classés) et de l’impact de la crise sanitaire tant sur l’activité hôtelière parisienne, l’expert a retenu un coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires hors taxes de 2,25.
La SCI Sermi est d’accord avec l’application de ce coefficient.
La société Belfort Hôtel critique les conclusions de l’expert sur ce point, faisant exposer qu’il n’a pas tiré les conséquences de ses constatations, que le marché hôtelier est actif et que les transactions amiables se réalisent sur des bases élevées, que le chiffre d’affaires avant la crise sanitaire était en pleine croissance, que l’hôtel est très bien placé dans un quartier en plein essor et que les locaux bénéficient d’un salon qui permet de faire des petits déjeuners si on le souhaite. Elle préconise donc d’appliquer un coefficient de 4,5.
S’agissant de la crise sanitaire, le tribunal écartera celle-ci comme élément minoration puisque l’indemnité principale est fondée sur des éléments comptables des exercices postérieurs (années 2022, 2023 et 2024), que l’activité hôtelière a repris et qu’il ne peut être tenu compte d’arguments purement prospectifs sur l’évolution du marché de l’hôtellerie.
Ainsi, au regard de l’ensemble des éléments rappelés supra et notamment de l’emplacement géographique des locaux adapté à l’activité exercée, mais aussi de l’état sommaire des équipements de l’hôtel, non classé, des caractéristiques de l’exploitation avec une capacité d’accueil limitée et non susceptible d’évolution et l’absence de conformité aux normes PMR, de la faible rentabilité du fonds, des clauses et conditions du bail favorables au locataire principal, et des références proposées par l’expert judiciaire M. [F], le tribunal retiendra un coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires de 3.
L’indemnité principale sera donc fixée à la somme de 874.221 euros.
Sur les indemnités accessoires
L’article L. 145-14 du code de commerce prévoit que l’indemnité d’éviction doit compenser l’entier préjudice subi par le preneur du fait de l’éviction et que l’indemnité principale peut être augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et des droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur.
Sur les frais de remploi
L’indemnité de remploi est destinée à compenser les droits de mutation définis à l’article 719 du code général des impôts dus pour l’acquisition d’un fonds de commerce ou un droit au bail de valeur équivalente, outre les frais d’acte et les frais de transaction.
L’expert judiciaire a évalué forfaitairement ces frais à 10% de la valeur du fonds, taux retenu également par la société Belfort Hôtel.
La SCI Sermi conteste devoir une indemnité à ce titre, faisant exposer que la société Belfort Hôtel n’a aucune intention de se réinstaller, compte tenu notamment de l’âge (81 ans) et de l’état de santé de son président et associé unique M. [E] [U]. Elle précise que la société Belfort Hôtel à qui incombe de rapporter la preuve de son préjudice, n’a d’ailleurs jamais fait état au cours des opérations d’expertise d’une quelconque velléité de réinstallation.
La SCI Sermi procède cependant par simple allégation et son moyen, qui tend à inverser la charge de la preuve est inopérant.
Il sera alloué à ce titre à la société Belfort Hôtel à la somme de 87 422 euros (874 221 euros x 10 %).
Sur le trouble commercial
L’indemnité fondée sur le trouble commercial est destinée à compenser la perte de temps générée par l’éviction et le moindre investissement dans le commerce.
L’expert estime que ce trouble commercial peut être évalué à trois mois d’excédent brut d’exploitation moyen retraité, soit pour les exercices 2016 à 2019 dont il disposait des informations comptables nécessaires, une évaluation de 3 400 euros selon le calcul suivant :
81.052 € (EBE moyen non retraité) – 30.000 € (rémunération gérance) – 37.589 € (charge locatives) = 13.463 € /4= 3.400 euros)
Le droit à cette indemnité n’est pas contesté par la SCI Sermi qui acquiesce également au quantum retenu par l’expert.
La société Belfort Hôtel réclame une indemnité à ce titre de 84.590 euros en retenant une moyenne de l’EBE sur 3 ans (de 2017 à 2019) de 88.736,33 euros, à un EBE retraité de la gérance et des charges locatives de 21 147,33 euros (88.736,33 – 30.000 – 37.589) soit “un trouble commercial de 21.147,33 x 4 = 84.590 euros)”
La méthode de calcul proposée par l’expert correspondant à l’usage, le tribunal retiendra donc cette méthode, étant relevé que la preneuse commet, quant à elle, une erreur en multipliant la moyenne annuelle de l’EBE par 4 au lieu de la diviser par ce même chiffre, pour parvenir à une estimation de 3 mois d’EBE.
Les éléments comptables produits en cours de délibéré ne permettent pas au tribunal de retraiter l’excédent brut d’exploitation sur les trois exercices 2022 à 2024.
Le tribunal retiendra, en conséquence, l’estimation de l’expert basée sur les exercices 2016 à 2019, soit un excédent brut d’exploitation moyen retraité sur une période de trois mois, soit 3 400 euros.
Sur les frais de déménagement
Ces indemnités accessoires ont pour objet d’indemniser le preneur des frais exposés pour libérer entièrement les locaux dont il est évincé lorsqu’il se réinstalle.
L’expert judiciaire a évalué cette indemnité à hauteur de la somme de 3.000 euros, en l’absence de devis et sur une base forfaitaire, dans la mesure où l’exploitant occupe une partie des lieux loués pour se louer.
Le preneur Sollicite l’octroi de cette somme de 3.000 euros.
Le bailleur s’oppose à l’octroi d’une telle indemnité, faisant exposer que le logement privatif occupé par M. [U] n’est pas inclus dans l’assiette du bail, ni même prévu au bail.
Le locataire évincé ne produit aucun devis à l’appui de sa demande. En l’absence de preuve de la réinstallation du fonds de commerce dans un nouveau local, seul le déménagement des effets personnels sera considéré.
Il résulte du rapport d’expertise que l’exploitant occupe une partie des locaux loués, lesquels ne peuvent pas être exploités en leur totalité à usage d’hôtel, au vu du dernier rapport de la commission de sécurité, le nombre autorisé de chambres étant limité.
Dès lors, il sera alloué à la société Belfort Hôtel des frais de déménagement des effets personnels à hauteur de 3.000 euros, cette somme ne paraissant nullement excessive en l’espèce.
Sur les frais divers
Cette indemnité vise à couvrir notamment les frais relatifs aux formalités auprès du greffe, à l’information des clients et fournisseurs, à la résiliation anticipée ou au transfert de contrats de fournitures et de ligne téléphonique, ainsi qu’éventuellement à la dissolution de la société.
L’expert propose une indemnité forfaitaire de 1.500 euros qui n’est pas contestée par les parties. En conséquence, le tribunal retiendra une indemnité pour frais divers à hauteur de 1.500 euros.
Sur les frais de licenciement
La société Belfort Hôtel produit des bulletins de salaires justifiant qu’elle compte trois salariés, ce qui n’est pas contesté par la SCI Sermi.
La disparition du fonds de commerce pourra entraîner la rupture des contrats de travail. En conséquence, les frais de licenciement seront remboursables sur justificatifs de la société Belfort Hôtel.
En conséquence, il y a lieu de fixer les indemnités accessoires aux montants suivants :
Frais de remploi : 87.422 eurosTrouble commercial : 3.400 eurosFrais de déménagement : 3.000 eurosFrais divers : 1.500 euros
Soit un total de 95.322 euros, outre les frais de licenciement sur justificatifs.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’indemnité d’éviction à laquelle a droit la société Belfort Hôtel sera fixée à la somme globale de 969.543 euros (874.221 + 95.322).
Sur l’indemnité d’occupation
En vertu de l’article L.145-28 du code de commerce, le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d’une indemnité d’occupation, jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, égale à la valeur locative de renouvellement à laquelle peut être appliqué un abattement de précarité. En application des articles L.145-36 et R. 145-10 du code de commerce, le loyer des établissements hôteliers n’est pas soumis à la règle du plafonnement.
Pour ces établissements, l’indemnité d’occupation doit être calculée sur la base de la valeur de renouvellement déplafonnée en l’espèce au 1er avril 2019.
Pour déterminer la valeur locative de la partie “hébergement”, l’expert s’est à juste titre référé à la méthode hôtelière actualisée qui préconise que la valeur locative d’un établissement hôtelier soit déterminée par l’application d’un taux de prélèvement actualisé (TSR) sur une recette annuelle théorique encaissable – déterminée, non
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
Dit que par l’effet du refus de renouvellement signifié par la SCI Sermi le 17 juillet 2018, le bail commercial la liant à la SARL Belfort Hôtel concernant les locaux situés [Adresse 2] à [Localité 1], a pris fin le 31 mars 2019 à 24h00,
Dit que le refus de renouvellement signifié par la SCI Sermi a ouvert droit pour la société Belfort Hôtel au paiement d’une indemnité en réparation du préjudice subi à raison de l’éviction,
Rejette la demande de la SARL Belfort Hôtel visant à voir prononcer la nullité du rapport d’expertise judiciaire établi par M. [W] [F],
Fixe à la somme globale de neuf cent soixante-neuf mille cinq cent quarante-trois euros (969. 543 euros) l’indemnité d’éviction du par la SCI Sermi à la SARL Belfort Hôtel, qui se décompose ainsi :
– indemnité principale : 874.221 euros ;
– indemnités accessoires :
Frais de remploi : 87.422 euros ;Trouble commercial : 3.400 euros ;Frais de déménagement : 3.000 euros ;Frais divers : 1.500 euros ;Frais de licenciement : sur justificatifs ;
Fixe le montant de l’indemnité d’occupation statutaire due par la SARL Belfort Hôtel à la SCI Sermi à compter du 1er avril 2019 à la somme annuelle de soixante-huit mille quatre cent euros (68.400 euros), hors taxes et charges, cette somme étant indexée annuellement sur l’indice ILC le 1er janvier de chaque année à compter du 1er avril 2020, l’indice de référence étant le dernier indice publié avant le 1er avril 2019, charges et taxes en sus,
Condamne la SARL Belfort Hôtel à payer à la SCI Sermi les rappels d’indemnité d’occupation due depuis le 1er avril 2019, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement qui en fixe le montant, et capitalisation des intérêts,
Rejette la demande de compensation formée par la SCI Sermi,
Déboute la SCI Sermi de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI Sermi à payer à la société Belfort Hôtel la somme de cinq mille euros (5.000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI Sermi aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise,
Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 16 Janvier 2025.
Le Greffier Le Président
Christian GUINAND Sophie GUILLARME
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