L’Essentiel : Monsieur [V] [Y], acquitté après 1759 jours de détention provisoire, a déposé une requête pour obtenir réparation de son préjudice. La cour a jugé sa demande recevable, reconnaissant l’impact psychologique de son incarcération, aggravé par la pandémie. Bien que l’agent judiciaire de l’État ait contesté certains préjudices, la cour a accordé 170.000 euros pour le préjudice moral et 288 euros pour le préjudice matériel, tout en rejetant les demandes de préjudice corporel. La décision finale a été rendue le 18 novembre 2024, laissant les dépens à la charge de l’État.
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Contexte de la requêteMonsieur [V] [Y], de nationalité algérienne, a été mis en examen pour assassinat le 23 décembre 2017 et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Fresnes. Il a été acquitté par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis le 17 octobre 2022, et a retrouvé sa liberté le 18 octobre 2022. La décision d’acquittement est devenue définitive, comme l’atteste un certificat de non-appel. Demande d’indemnisationLe 11 mars 2023, M. [Y] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d’appel de Paris, demandant réparation pour sa détention provisoire de 1759 jours. Il sollicite des indemnités pour préjudice matériel, corporel et moral, ainsi qu’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Conclusions des partiesDans ses conclusions, l’agent judiciaire de l’État demande le rejet de la demande de préjudice matériel et propose de réduire le préjudice moral à 158.500 euros. Le Ministère Public conclut à la recevabilité de la requête et à la réparation du préjudice moral, tout en rejetant les demandes de préjudice corporel et matériel. Recevabilité de la requêteLa requête de M. [Y] est jugée recevable, car elle a été déposée dans le délai de six mois suivant la décision d’acquittement. Les conditions de la détention et les éléments de la requête sont conformes aux exigences du Code de Procédure Pénale. Évaluation du préjudice moralM. [Y] évoque des souffrances psychiques et des conditions de détention difficiles, aggravées par la pandémie de Covid-19. L’agent judiciaire de l’État reconnaît l’impact de l’incarcération, mais conteste l’argument d’erreur judiciaire. Le Ministère Public souligne que le choc carcéral a eu des conséquences sur la vie personnelle de M. [Y]. Évaluation du préjudice corporelConcernant le préjudice corporel, M. [Y] affirme que sa détention a affecté son traitement de substitution et sa santé buccale. Cependant, ni l’agent judiciaire de l’État ni le Ministère Public ne reconnaissent de lien direct entre la détention et les problèmes de santé évoqués, entraînant le rejet de ces demandes. Évaluation du préjudice matérielM. [Y] demande réparation pour la perte de son logement et des frais de transport liés à sa détention. Seuls les frais d’hôtel sont retenus, car il ne justifie pas les autres dépenses. La somme de 288 euros est allouée pour le préjudice matériel. Décision finaleLa cour déclare la requête de M. [Y] recevable et lui accorde 170.000 euros pour le préjudice moral, 288 euros pour le préjudice matériel, et 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes sont rejetées, et les dépens sont laissés à la charge de l’État. La décision est rendue le 18 novembre 2024. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la recevabilité de la requête de M. [Y] concernant la réparation de sa détention provisoire ?La recevabilité de la requête de M. [Y] est régie par les articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du Code de Procédure Pénale. Selon l’article 149, « la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. » Il est précisé que le requérant doit saisir le premier président de la cour d’appel dans un délai de six mois à compter de la décision définitive. Ce délai ne court que si la personne a été informée de son droit à réparation. En l’espèce, M. [Y] a présenté sa requête le 11 mars 2023, soit dans le délai imparti, et a fourni les éléments requis, tels que le certificat de non-appel. Ainsi, la requête est jugée recevable pour une détention de 1759 jours, soit 4 ans, 9 mois et 25 jours. Quels sont les critères d’indemnisation du préjudice moral dans le cadre de la détention provisoire ?L’indemnisation du préjudice moral est encadrée par la jurisprudence et les articles du Code de Procédure Pénale. L’article 149 stipule que la réparation doit être intégrale et prendre en compte les souffrances psychiques et les conditions de détention. Le requérant doit démontrer les circonstances particulières de sa détention qui aggravent son préjudice. Dans le cas de M. [Y], il a évoqué des conditions de détention difficiles, un choc carcéral, et des souffrances psychiques. Les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté ont confirmé les mauvaises conditions de détention, ce qui a été retenu comme un facteur aggravant. De plus, l’importance de la peine encourue pour des faits criminels a également été considérée comme un élément aggravant du préjudice moral. En conséquence, la somme de 170.000 euros a été allouée à M. [Y] en réparation de son préjudice moral. Comment est évalué le préjudice matériel dans le cadre de la détention provisoire ?L’évaluation du préjudice matériel est également régie par les articles du Code de Procédure Pénale et par la jurisprudence. Le préjudice matériel doit être directement lié à la détention et prouvé par le requérant. M. [Y] a demandé une indemnisation pour la perte de son logement et des frais de transport. Il a produit une facture d’hôtel pour un montant de 288 euros, qui a été acceptée comme preuve de son préjudice matériel. Cependant, il n’a pas pu justifier les frais de transport, ce qui a conduit à un rejet de cette partie de sa demande. Ainsi, la somme de 288 euros a été allouée à M. [Y] en réparation de son préjudice matériel. Quelles sont les conditions pour obtenir une indemnisation au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ?L’article 700 du Code de Procédure Civile prévoit que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. » Pour obtenir une indemnisation sur ce fondement, il faut démontrer que les frais engagés sont inévitables et liés à la procédure. Dans le cas de M. [Y], il a sollicité 6.000 euros au titre de l’article 700, mais le tribunal a jugé qu’une somme de 1.500 euros était plus appropriée. Cette décision a été fondée sur le principe d’équité, considérant que laisser les frais à la charge du requérant serait inéquitable. Ainsi, M. [Y] a été alloué 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 20 Janvier 2025
(n° , 7 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/05820 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLVP
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de [Z] [N], Greffière stagiaire, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
né en à , demeurant [Adresse 4] ;
Comparant
Assisté par Maître Julia KATLAMA, avocate au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 07 Octobre 2024 ;
Entendu Maître Julia KATLAMA assistant Monsieur [V] [Y],
Entendu Maître Célia DUGUES, avocate au barreau de PARIS, substituant Maître Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de PARIS, représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Laure DE CHOISEUL, Magistrate honoraire,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [V] [Y], né le [Date naissance 1] 1979, de nationalité algérienne, a été mis en examen le 23 décembre 2017 du chef d’assassinat par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny, puis placé en détention provisoire le même jour à la maison d’arrêt de Fresnes.
Par arrêt du 17 octobre 2022, la cour d’assises de Seine-Saint-Denis a été acquitté M. [Y] des faits reprochés. Ce dernier a été remis en liberté dans la nuit du 18 octobre 2022. Cette décision est devenue définitive à son égard, comme en atteste le certificat de non appel du 23 novembre 2022.
Par requête du 11 mars 2023, adressée au premier président de la cour d’appel de Paris, M. [Y] sollicite par l’intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire effectuée du 23 décembre 2017 au 18 octobre 2022.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiée le 04 octobre 2024, reprise oralement à l’audience du 07 octobre 2024, le requérant sollicite du premier président de la cour d’appel de Paris de :
– Condamner l’Etat à lui payer, les sommes suivantes :
‘ 66.801 euros en réparation de son préjudice matériel ;
‘ 7.000 euros en réparation de son préjudice corporel ;
‘560.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
‘ 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 22 juillet 2024 et développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de la cour d’appel de Paris de :
– Rejeter la demande au titre du préjudice matériel ;
– Ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder la somme de 158.500 euros ;
– Statuer ce que de droit s’agissant de la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 15 juillet 2024, reprises oralement à l’audience, conclut :
– A la recevabilité de la requête pour une détention de 1759 jours ;
– A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;
– Au rejet de la demande de réparation du préjudice corporel ;
– A la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.
Sur la recevabilité,
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. En l’absence d’information du requérant potentiel sur son droit à recours, le délai de court pas et le recours reste donc recevable, au-delà du délai de 6 mois précité.
En l’espèce, M. [Y] a présenté sa requête en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire le 11 mars 2023, soit dans le délai de six mois à compter de la décision définitive rendue le 17 octobre 2022.
Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non-appel, est signée par son avocat et la décision d’acquittement n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure pénale.
Il convient de rappeler que M. [Y] a été placé en détention provisoire le 23 décembre 2017 et a été remis en liberté le 18 octobre 2022.
Par conséquent, la requête est recevable pour une détention de 1759 jours, soit 4 ans, 9 mois et 25 jours.
Sur l’indemnisation
– Sur le préjudice moral
Le requérant dit avoir mal vécu sa détention provisoire à cause des mauvaises conditions de la détention à la maison d’arrêt de [Localité 2]. Il indique avoir vécu un choc carcéral et des souffrances psychiques durant les 5 années de détention. Il considère avoir été privé de sa liberté de manière injuste, dû à un dysfonctionnement de la justice. Il dit avoir souffert d’angoisse liée à la gravité des faits qui lui étaient reprochés et de l’importance de la peine encourue. Il précise que son incarcération a dégradé sa vie personnelle et professionnelle. Il ajoute avoir été maltraité à la suite de sa sortie de prison. C’est pourquoi, il sollicite une somme de 560 000 euros en réparation de son préjudice moral.
L’agent judiciaire de l’Etat considère qu’il n’est pas contestable que l’incarcération injustifiée ait bouleversé l’équilibre nouvellement établi du requérant. Il ajoute que le requérant a été isolé et empêché de mener une vie familiale normale pendant son incarcération.
Concernant l’erreur judiciaire, l’agent judiciaire de l’Etat considère que le requérant n’a fait l’objet d’une quelconque condamnation par une juridiction répressive et que son argument est inopérant.
Il considère aussi qu’une partie de la détention ayant eu lieu pendant la période de crise sanitaire, il ne saurait être contesté que M. [Y] a souffert des conditions de détention particulièrement difficiles.
Concernant les événements qui ont eu lieu à la suite de la sortie de la détention, l’agent judiciaire de l’Etat soutient que le requérant n’apporte pas la preuve des faits présentés. C’est ainsi qu’il propose une somme de 158 500 euros en réparation du préjudice moral du requérant.
Le Ministère Public fait valoir que l’article 149 du code de procédure pénale ne prend pas en compte les prolongations de détention, les retards dans l’exécution d’une peine d’emprisonnement ou le déroulement de procédure judiciaire et que l’argument tiré de l’erreur judiciaire ne peut être accueilli.
Il soutient que le requérant n’avait pas été confronté à l’univers carcéral et que le choc carcéral est certain. Il ajoute qu’il existe un lien direct et certain entre la précarité actuelle du requérant et son placement en détention, pourtant il s’agit d’un poste de préjudice matériel plutôt qu’une circonstance qui aggrave le préjudice moral.
Le Ministère Public fait valoir que le requérant a subi les mauvaises conditions de détention entre 2017 et 2019, décrites dans les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il ajoute que la séparation famille n’est pas liée à l’incarcération mais résulte d’un choix personnel. Il dit que les rapports psychiatriques faisant état de sa stabilité psychique, il n’y a pas lieu de prendre en considération cet élément dans l’aggravation du préjudice moral.
En l’espèce, au moment de son incarcération, M. [Y] avait 38 ans, n’était pas marié et n’avait pas d’enfants. Il ressort des éléments versés au débat qu’il entretenait des liens étroits avec sa famille. Il s’agissait de sa première incarcération, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire ne portait trace d’aucune condamnation. Le choc carcéral initial a donc été important et il a souffert de l’éloignement avec sa famille.
La jurisprudence de la Commission National de Réparation des Détentions (CNRD) précise qu’il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert desdites conditions qu’il dénonce.
En l’espèce M. [Y] a été incarcéré durant la pandémie de Covid-19 et le rapport d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l’année 2019 fait état de mauvaises conditions de la détention de la maison d’arrêt de [Localité 2] (la présence de puces, de punaises de lit, de cafards, d’odeurs nauséabondes). Il est également précisé que la maison d’arrêt connait des difficultés d’approvisionnement de chauffage et d’eau chaude. Les mauvaises conditions de la détention seront donc retenues comme critères d’aggravation du préjudice moral.
Concernant la perturbation de la stabilité personnelle causée par l’incarcération, le requérant produit l’attestation de Mme [L] [C], éducatrice spécialisée qui indique que M. [Y] a été suivi par l’association [5] et qu’il était en train de finaliser son dossier pour une demande de titre de séjour. Le requérant ayant perdu sa chance de déposer son dossier afin de régulariser sa situation sur le sol français, cet élément sera retenu comme critère d’aggravation du préjudice moral.
Concernant son état psychique, le requérant produit un certificat du 30 septembre 2024 signé par le Dr [W] [P] qui atteste notamment qu’il a suivi M. [Y] dès sa sortie de détention en novembre 2022. Il indique qu «il présentait à l’époque un épisode dépressif majeur caractérisé par une anxiété intense, un trouble du sommeil sévère et réfractaire aux traitements ‘ ». M. [Y] produit également une ordonnance médicale daté du 02 novembre 2023, mentionnant les médicaments tels que le Valium, la Sertraline ou encore le Théralène qui sont prescrits pour les épisodes dépressifs majeurs et sévères. Ainsi l’état de santé psychique sera pris en considération dans l’appréciation du préjudice moral.
Concernant le choc psychologique en raison de l’importance de la peine encourue, la Commission Nationale de Réparation des Détentions admet que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence d’aggraver le préjudice moral.
En l’espèce M. [Y] a été mise en examen pour des faits de nature criminelle et plus précisément du chef d’assassinat et encourait à ce titre 30 ans de réclusion criminelle. Son préjudice moral a donc été aggravé par la nature criminelle des faits et l’importance de la peine encourue.
Il convient de rappeler aussi que la réparation n’a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention. Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d’injustice qu’a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire.
Par conséquent sa demande au titre de l’erreur judiciaire sera rejetée.
Concernant les faits qui se seraient déroulés le 18 octobre 2022, le requérant ne démontrant pas avoir été victime des agissements décrits, la demande au titre du préjudice subi à la sortie du centre pénitentiaire sera rejetée, d’autant plus que les éléments mentionnés n’ont aucun lien avec la détention provisoire.
Au vu de ces différents éléments, la somme de 170.000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et de la prise en compte des facteurs d’aggravation et sera allouée à M. [Y].
– Sur le préjudice corporel
‘ Sur le traitement de substitution
Le requérant fait valoir qu’il suivait un traitement de substitution avant son placement en détention provisoire et que la mise en place d’un traitement au sein du centre pénitentiaire n’a pas été immédiate. Il ajoute que sa détention injustifiée a ralenti le processus de sevrage et a laissé des séquelles sur son état de santé.
Le Ministère Public considère qu’il n’appartient pas à la cour de se prononcer sur l’opportunité et la posologie d’un traitement médical. Il indique que le requérant ne démontre pas que son traitement n’a pas été pris en charge immédiatement lors de son incarcération.
L’agent judiciaire de l’Etat fait valoir que le requérant ne démontre pas en quoi la détention aurait ralenti le processus de sevrage alors même qu’il poursuivait le traitement en détention.
En l’espèce M [Y] n’apporte aucun élément tangible démontrant le ralentissement du processus de sevrage et la demande à ce titre sera rejetée.
‘ Sur le préjudice lié à la perte de sa prothèse
Le requérant soutient qu’il a connu d’importants problèmes relatifs à sa santé buccale, qu’il se trouve aujourd’hui dépourvu de l’une de ses incisives centrales qui empêche l’utilisation normale de sa prothèse et lui cause un préjudice esthétique important. Il ajoute qu’il a dû subir trois interventions chirurgicales depuis le début de l’année 2024.
Le Ministère public soutient que le requérant ne démontre pas que le déchaussement de la prothèse du requérant est en raison d’un manque de soins. Il ajoute que l’absence de la dent était préexistante à sa détention et que la perte d’une prothèse est réversible.
L’agent judiciaire de l’Etat soutient que le requérant n’explique pas les raisons de la perte de cette prothèse et ne démontre pas le lien entre la perte et la détention.
En l’espèce le requérant produit une attestation ayant pour objet « Compte des soins dentaires pour M. [Y] » daté du 4 octobre 2024 et signé par le Dr [O]. Ce dernier précise qu’il a reçu le patient pour la première fois le 09 janvier 2024 et qui a constaté que les prothèses dentaires n’étaient pas adaptées et étaient responsable « d’hyperplasies gingivales importantes ». Il convient de rappeler que M. [Y] a été remis en liberté le 18 octobre 2022. Le requérant ne démontre pas le lien de causalité entre l’aggravation de son état de santé buccal et son incarcération. Par conséquent cet élément ne sera pas retenu comme critère d’aggravation du préjudice corporel et la demande en ce sens sera rejetée.
– Sur le préjudice matériel
‘ Sur les frais de logement et de transport
Le requérant fait valoir que son placement en détention provisoire lui a causé la perte de son logement qu’il occupait depuis novembre 2017. Il précise que n’ayant plus de logement, il a été obligé de passer quelques jours à l’hôtel. Remis en liberté pendant le procès, il a par ailleurs exposé des frais de transports afin de se rendre quotidiennement à la cour d’assises jusqu’au terme du procès le 21 septembre 2022. Il indique qu’il est bien fondé à demander la somme de 504 euros au titre de la perte de sa place en foyer, des frais de transport et d’hôtel.
Le Ministère public indique que le requérant ne justifie pas les frais de transport et seul doit être pris en compte les frais de l’hôtel au titre de l’indemnisation du préjudice matériel.
L’Agent judiciaire de l’Etat fait valoir que cette demande ne découle pas directement et exclusivement de la détention.
En l’espèce, le requérant produit une facture d’un montant de 288 euros de l’hôtel d'[Localité 3]. Cependant il n’apporte aucun élément justifiant les frais de transport. Par conséquent, seuls les frais de logement seront pris en compte dans l’appréciation du préjudice matériel et la somme de 288 euros lui sera allouée à ce titre.
‘ Sur la perte de chance d’exercer un emploi stable
Le requérant soutient avoir toujours travaillé depuis son arrivé en France. Il fait valoir que son incarcération a été un frein considérable à la stabilisation de sa situation professionnelle. Il ajoute que dès 2019, il a été auxiliaire d’étage au sein du centre pénitentiaire de [Localité 2] et a touché 250 euros par mois. Il soutient qu’il aurait perçu un salaire équivalent au SMIC s’il avait obtenu un certificat de résidence en 2017 et que son incarcération lui a causé un préjudice matériel de 66.801 euros.
Le Ministère public considère que le préjudice avancé par le requérant est hypothétique car n’ayant pas encore déposé son dossier en préfecture en 2017, rien ne laisse penser avec certitude qu’il aurait obtenu un titre de séjour dans l’année. Cependant il soutient que doivent être pris en considération les efforts d’insertion professionnel du requérant.
L’Agent judiciaire de l’Etat indique que le requérant ne justifie pas avoir exercé un emploi avant son incarcération, qu’il ne justifie pas non plus avoir entrepris des démarches afin de trouver un emploi.
Il convient de rappeler que la perte de chance, qui doit être sérieuse, se mesure à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’elle aurait procuré si elle s’était réalisée. Elle doit être directement liée à la détention provisoire.
La détention, en tant que cause première et déterminante de la perte de l’emploi du requérant ouvre droit à réparation en ce qu’elle constitue une perte de chance de conserver son emploi. Seule la privation de revenus résultant de la perte d’un emploi ayant pour origine des activités licites et déclarées peut-être indemnisé.
En l’espèce, M. [Y] ne démontre pas avoir travaillé avant son incarcération. Le requérant ne bénéficiant pas de titre de séjour, n’avait pas le droit de travailler en France. Il n’avait pas déposé sa demande de régularisation au moment de son incarcération. Sa demande au titre de la perte de chance d’exercer un emploi n’est qu’hypothétique et sera donc rejetée.
M. [Y] sollicite également la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur ce fondement.
Déclarons la requête de M. [V] [Y] recevable ;
Allouons à M. [V] [Y] les sommes suivantes :
– 170.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
– 288 euros en réparation du préjudice matériel ;
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [Y] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens à la charge de l’Etat ;
Décision rendue le 18 Novembre 2024, prorogée au 20 janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ
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