Imputabilité des soins et arrêts de travail : présomption et contestation

·

·

Imputabilité des soins et arrêts de travail : présomption et contestation

L’Essentiel : Madame [M] [B], aide-soignante à l’hôpital de [5], a subi un accident du travail le 5 mars 2014, entraînant des douleurs à l’épaule et au dos. Un certificat médical a confirmé des lésions, entraînant un arrêt de travail jusqu’au 20 mars 2014. L’hôpital a contesté la durée des soins, mais la CPAM a défendu la présomption d’imputabilité des arrêts. Le tribunal a statué en faveur de Madame [B], rappelant que l’employeur devait prouver une cause étrangère pour contester cette présomption. Le 22 janvier 2025, l’hôpital a été débouté de sa demande d’expertise et condamné aux dépens.

Embauche et Accident de Travail

Madame [M] [B] a été engagée par l’hôpital de [5] en tant qu’aide-soignante à partir du 1er janvier 2016. Un accident du travail a été déclaré le 5 mars 2014, concernant une douleur ressentie par Madame [B] au niveau de l’épaule et du dos lors de l’utilisation d’un lève-malade pour un patient.

Certificat Médical et Prise en Charge

Le certificat médical établi le 6 mars 2014 a révélé des lésions telles qu’une contracture para-cervicale droite et une limitation articulaire de l’épaule droite, entraînant un arrêt de travail jusqu’au 20 mars 2014. La CPAM de l’Ain a ensuite notifié la prise en charge de l’accident le 2 juin 2014, et la consolidation de l’état de Madame [B] a été fixée au 1er septembre 2016.

Contestation de l’Hôpital

L’hôpital de [5] a contesté la durée des soins et des arrêts de travail pris en charge par la CPAM en saisissant la commission de recours amiable le 13 avril 2020, qui a rejeté sa demande le 1er juillet 2020. L’hôpital a ensuite porté l’affaire devant le tribunal judiciaire de Lyon le 28 juillet 2020, demandant une expertise médicale pour vérifier l’imputabilité des soins.

Arguments de l’Hôpital

Lors de l’audience, l’hôpital a renoncé à sa demande principale et a soutenu que l’expertise était nécessaire pour prouver que la durée des arrêts de travail était disproportionnée par rapport aux lésions initiales. Il a également suggéré l’existence d’un état antérieur à l’accident, qui aurait pu influencer la durée des arrêts.

Position de la CPAM

La CPAM de l’Ain, bien que non présente à l’audience, a contesté la demande d’expertise par écrit, affirmant que les arrêts de travail bénéficiaient d’une présomption d’imputabilité à l’accident. Elle a souligné que l’employeur devait prouver l’existence d’une cause étrangère pour contester cette présomption.

Décision du Tribunal

Le tribunal a rappelé que la présomption d’imputabilité s’applique tant que les arrêts de travail sont justifiés par un certificat médical. Il a noté que l’employeur n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour contredire cette présomption, et que les doutes sur la durée des arrêts ne suffisaient pas à justifier une expertise.

Conclusion du Jugement

En conséquence, le tribunal a débouté l’hôpital de [5] de sa demande d’expertise médicale et l’a condamné aux dépens de l’instance. Le jugement a été rendu le 22 janvier 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la présomption d’imputabilité des accidents du travail selon le Code de la sécurité sociale ?

La présomption d’imputabilité des accidents du travail est régie par l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale. Cet article stipule que :

« Tout accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé imputable au travail. Cette présomption s’étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l’accident et pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime. »

Cette présomption s’applique dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail.

À défaut, cette présomption s’applique à la condition que la caisse justifie de la continuité des symptômes et des soins.

Il est également précisé que cette présomption s’applique y compris aux lésions qui apparaissent comme des conséquences ou des complications de la lésion initiale.

Quelles sont les obligations de l’employeur pour contester la prise en charge des arrêts de travail ?

Pour contester la prise en charge des arrêts de travail, l’employeur doit prouver, selon l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale, l’existence d’une cause totalement étrangère au travail à l’origine des arrêts contestés.

L’article précise que :

« Cette présomption ne fait toutefois pas obstacle à ce que l’employeur conteste l’imputabilité de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse ultérieurement à l’accident du travail, mais lui impose alors de rapporter, par tous moyens, la preuve que les arrêts de travail et les soins prescrits résultent d’une cause totalement étrangère au travail. »

Il est important de noter qu’une relation causale partielle suffit pour que l’arrêt de travail soit pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Quelles sont les conditions pour ordonner une expertise médicale dans le cadre d’un litige sur un accident du travail ?

L’article 146 du Code de procédure civile stipule que :

« Une mesure d’instruction ne peut avoir pour objet de pallier une carence probatoire d’une partie dans l’administration de la preuve. »

Ainsi, une mesure d’expertise n’a lieu d’être ordonnée que si l’employeur apporte des éléments de nature à accréditer l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui serait à l’origine exclusive des arrêts de travail contestés.

En l’absence de tels éléments, la demande d’expertise ne peut être justifiée, même si l’employeur soulève des doutes sur la durée des arrêts de travail ou la gravité des lésions initiales.

Comment la CPAM justifie-t-elle la prise en charge des soins et arrêts de travail ?

La CPAM justifie la prise en charge des soins et arrêts de travail par la présentation de certificats médicaux et de la consolidation de l’état de l’assurée.

Elle se réfère à l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale, qui établit la présomption d’imputabilité au travail des arrêts de travail et des soins prescrits à l’assurée à compter du 6 mars 2014 jusqu’au 1er septembre 2016, date de consolidation.

La CPAM a également effectué des contrôles médicaux qui ont confirmé la prise en charge des arrêts de travail au titre de la législation professionnelle.

Ces éléments permettent à la CPAM de se prévaloir de la présomption d’imputabilité, et l’employeur doit apporter des preuves contraires pour contester cette présomption.

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

22 Janvier 2025

Jérôme WITKOWSKI, président

Dominique DALBIES, assesseur collège employeur
Fouzia MOHAMED ROKBI, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Doriane SWIERC, greffiere

tenus en audience publique le 23 Octobre 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 22 Janvier 2025 par le même magistrat

Société HOPITAL DE [5] C/ CPAM DE L’AIN

N° RG 20/01460 – N° Portalis DB2H-W-B7E-VCZD

DEMANDERESSE

Société HOPITAL DE [5],
Siège social : [Adresse 3] – [Localité 4]
représentée par Me Rachid MEZIANI, avocat au barreau de PARIS,

DÉFENDERESSE

CPAM DE L’AIN,
Siège social : [Adresse 2] – [Localité 1]
non comparante, moyens exposés par écrit (art R 142-10-4 du code de la sécurité sociale)

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

Société HOPITAL DE [5]
CPAM DE L’AIN
Me Rachid MEZIANI, ([Localité 6])
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

CPAM DE L’AIN
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Madame [M] [B] a été embauchée le 1er janvier 2016 par l’hôpital de [5] en qualité d’aide-soignante.

Le 5 mars 2014, l’hôpital de [5] a déclaré auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Ain un accident du travail survenu le 4 mars 2014 à 11h00 et décrit de la manière suivante : « En utilisant le lève-malade pour assoir un patient, madame [M] [B] a ressenti une douleur au niveau de l’épaule et du dos ».

Le certificat médical initial établi le 6 mars 2014 fait état des lésions suivantes : « contracture para-cervicale droite, douleur bicipitale et limitation articulaire épaule droite en élévation et rotation interne » et prescrit un premier arrêt de travail jusqu’au 20 mars 2014 inclus.

Le 2 juin 2014, la CPAM de l’Ain a notifié à l’hôpital de [5] la prise en charge de l’accident du 4 mars 2014 au titre de la législation professionnelle.

La consolidation de madame [M] [B] a été fixée au 1er septembre 2016.

Au total, 377 jours d’arrêts de travail ont été imputés à cet accident du travail sur le compte de cotisations de l’employeur.

Le 13 avril 2020, l’hôpital de [5] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM de l’Ain afin de contester l’opposabilité à son égard de la durée des soins et arrêts de travail pris en charge au titre de cet accident du travail.

Le 1er juillet 2020, la commission de recours amiable de la CPAM de l’Ain a rejeté le recours de l’employeur.

L’hôpital de [5] a saisi du litige le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon par requête du 28 juillet 2020, réceptionnée par le greffe le 31 juillet 2020.

Aux termes de sa requête soutenue oralement lors de l’audience du 23 octobre 2024, l’hôpital de [5] demande au tribunal d’ordonner une expertise médicale judiciaire afin de vérifier l’imputabilité des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire au titre de l’accident du 4 mars 2014.

Il déclare oralement renoncer à la demande principale formulée dans sa requête, tendant à l’inopposabilité à son égard de la prise en charge des arrêts de travail et des soins prescrits à madame [B] suite à son accident du 4 mars 2014.

Au soutien de sa demande d’expertise, l’employeur indique que cette mesure d’instruction est le seul moyen pour lui d’exposer sa cause en justice dans des conditions qui ne le désavantagent pas par rapport à l’organisme, qui a seul assuré la liaison médico-administrative conditionnant la prise en charge. Il ajoute oralement que l’accident de la salariée ne présente aucun caractère de gravité et que la durée des arrêts et soins prescrits à l’assurée sont disproportionnés au regard des lésions initiales notamment au regard du référentiel de la Haute autorité de santé qui prévoit une incapacité temporaire de travail de 180 jours au maximum. Il indique au surplus que la disproportion des arrêts et soins prescrits à la salariée traduisent nécessairement l’existence d’un état antérieur évoluant pour son propre compte et indépendant de l’accident du 4 mars 2014.

Bien que régulièrement convoquée par le greffe, la CPAM de l’Ain n’était pas présente, ni représentée lors de l’audience du 23 octobre 2024.

Elle a cependant exposé ses moyens par lettre réceptionnée le 26 août 2024, laquelle a été transmise contradictoirement conformément à l’article R. 142-10-4 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

Le jugement sera donc contradictoire à son égard.

Aux termes de ses observations, la CPAM de l’Ain demande au tribunal de débouter l’hôpital de [5] de sa demande d’expertise.

Elle rappelle que les arrêts de travail et les soins prescrits jusqu’à la guérison ou la consolidation de l’assurée bénéficient d’une présomption d’imputabilité à l’accident et que l’employeur ne peut renverser cette présomption qu’à la condition de prouver l’existence d’une cause totalement étrangère au travail à l’origine des arrêts contestés, ce qu’il ne fait pas en l’espèce.

Elle ajoute que de simples doutes fondés sur la longueur des arrêts de travail ne sauraient suffire à justifier une mesure d’expertise, rappelant également que celle-ci n’a pas pour finalité de pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

L’article L.411-1 du code de la sécurité sociale édicte une présomption d’imputabilité au travail d’un accident survenu au temps et au lieu du travail, qui s’étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l’accident du travail et pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime.

Cette présomption d’imputabilité au travail s’applique dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail. A défaut, cette présomption s’applique à la condition que la caisse justifie de la continuité des symptômes et des soins.

Cette présomption s’applique y compris aux lésions qui apparaissent comme des conséquences ou des complications de la lésion initiale.

De même, la révélation ou l’aggravation, due entièrement à un accident du travail, d’un état pathologique antérieur n’occasionnant auparavant aucune incapacité, doit être indemnisée en totalité au titre de l’accident du travail.

Cette présomption ne fait toutefois pas obstacle à ce que l’employeur conteste l’imputabilité de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse ultérieurement à l’accident du travail, mais lui impose alors de rapporter, par tous moyens, la preuve que les arrêts de travail et les soins prescrits résultent d’une cause totalement étrangère au travail, étant précisé qu’une relation causale partielle suffit pour que l’arrêt de travail soit pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Il est rappelé à cet égard qu’aux termes de l’article 146 du code de procédure civile, une mesure d’instruction ne peut avoir pour objet de palier une carence probatoire d’une partie dans l’administration de la preuve. Ainsi, une mesure d’expertise n’a lieu d’être ordonnée que si l’employeur apporte des éléments de nature à accréditer l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui serait à l’origine exclusive des arrêts de travail contestés.

Enfin, la référence à la durée excessive des arrêts de travail, à la supposée bénignité de la lésion initialement constatée ou à l’existence supposée d’un état pathologique antérieur, n’est pas de nature à établir de manière suffisante l’existence d’un litige d’ordre médical susceptible de justifier une demande d’expertise.

En l’espèce, la CPAM de l’Ain verse aux débats le certificat médical initial établi le 6 mars 2014 par le docteur [W] [L], assorti d’un arrêt de travail jusqu’au 20 mars 2014 inclus.

Elle justifie également de la consolidation de l’état de l’assurée fixée au 1er septembre 2016.

Au surplus, la CPAM de l’Ain verse aux débats les différents certificats médicaux de prolongations, qui mentionnent tous la persistance des douleurs à l’épaule droite, siège des les lésions initiales.

La caisse primaire d’assurance maladie justifie ainsi d’éléments suffisants lui permettant de se prévaloir de la présomption d’imputabilité au travail des arrêts de travail et des soins prescrits à l’assurée à compter du 6 mars 2014 jusqu’au 1er septembre 2016, date de consolidation.

Pour tenter de contredire cette présomption, l’employeur invoque un état antérieur dont l’existence n’est pas démontrée, se fondant uniquement sur le taux d’incapacité partielle permanent attribué lors de la consolidation, indiquant que celui-ci est minoré du fait de l’existence d’un état antérieur, sans le qualifier médicalement ni expliquer la nature de celui-ci.

A cet égard, même à considérer que l’assuré était atteint d’une pathologie avant son accident, il est rappelé qu’en cas de dolorisation d’un état pathologique antérieur qui ne manifestait aucun symptôme avant l’accident du travail, la prise en charge au titre de la législation professionnelle est justifiée tant que la dolorisation persiste et nécessite la prescription de soins et d’arrêts de travail.

Enfin, la CPAM de l’Ain justifie que son service médical a procédé à deux contrôles les 14 octobre 2014 et le 24 février 2015 (pièce n° 14 et 18), aux termes desquels il a confirmé la prise en charge des arrêts de travail au titre de la législation professionnelle, tandis que l’employeur n’a, pour sa part, fait procéder à aucun contrôle.

Ainsi, en dehors de considérations insuffisantes tenant à la disproportion entre la lésion initiale et la durée des arrêts de travail par référence aux préconisations de la Haute Autorité de Santé, l’hôpital de [5] ne verse aux débats aucun commencement de preuve de nature à accréditer l’hypothèse qu’une cause totalement étrangère justifierait, de manière exclusive, les arrêts de travail et les soins prescrits à compter du 6 mars 2014 et jusqu’au 1er septembre 2016, date de guérison.

L’hôpital de [5] sera par conséquent débouté de sa demande d’expertise médicale sur pièces.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE l’hôpital de [5] de l’ensemble de sa demande ;

CONDAMNE l’hôpital de [5] aux dépens de l’instance ;

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 22 janvier 2025 et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon