L’Essentiel : Le 19 novembre 2024, le tribunal a statué que M. [H] et Mme [O] n’étaient pas les parents d'[X] et [A] [H]. Cette décision a été prise après une assignation en contestation de paternité et maternité, suivie d’une expertise génétique. Les enfants, signalées pour maltraitances, avaient affirmé ne pas être jumelles mais cousines. Le tribunal a ordonné la transcription du jugement sur les registres de l’état civil et a condamné les défendeurs à verser des dommages et intérêts, permettant ainsi aux enfants de régulariser leur situation administrative et d’établir leur identité.
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Inscription à l’état civilLe 27 mars 2019, [X] [H] et [A] [H] ont été inscrites sur les registres de l’état civil de [Localité 12] (Guinée) comme étant nées le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée), de [Y] [H] et d’[K] [O]. Assignation en contestation de paternité et maternitéEn janvier 2022, Mme [G] [J], administrateur ad hoc des enfants, a assigné M. [H] et Mme [O] en contestation de paternité et de maternité. Le tribunal a ordonné une expertise génétique et a écarté certaines pièces non signifiées. Rapport d’expertise et absence des défendeursLe 29 janvier 2024, l’expert a déposé un rapport indiquant que M. [H] et Mme [O] ne s’étaient pas présentés aux convocations pour les prélèvements d’ADN, ce qui a soulevé des doutes sur leur lien de parenté avec les enfants. Demandes des enfantsLe 10 mai 2024, [X] et [A] [H] ont demandé au tribunal de les reconnaître comme n’étant pas les enfants de M. [H] et de Mme [O], de leur accorder des dommages et intérêts, et de leur délivrer un jugement supplétif d’acte de naissance. Signalement et maltraitancesLes enfants avaient été signalées en 2016 pour maltraitances et conditions de vie précaires. Elles ont affirmé que M. [H] n’était pas leur père biologique et qu’elles n’étaient pas jumelles, mais cousines. Procédure d’assistance éducativeUn jugement en mars 2017 a prononcé leur placement à l’aide sociale à l’enfance, renouvelé depuis. Les enfants ont maintenu qu’elles avaient grandi dans des familles différentes en Guinée. Demande de jugement supplétif de naissanceLes enfants ont souligné qu’elles n’avaient pas d’acte de naissance valide et qu’elles étaient bloquées dans leurs démarches administratives. Elles ont demandé un jugement supplétif de naissance pour établir leur identité. Demande du ministère publicLe ministère public a demandé au tribunal de déclarer que M. [H] et Mme [O] n’étaient pas les parents des enfants et de leur délivrer un jugement déclaratif de naissance, en excluant le nom [H]. Décision du tribunalLe 19 novembre 2024, le tribunal a statué que M. [H] et Mme [O] n’étaient pas les parents d'[X] et [A] [H], a ordonné la transcription du jugement sur les registres de l’état civil, et a condamné les défendeurs à verser des dommages et intérêts aux enfants. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conséquences juridiques de la contestation de paternité et de maternité dans cette affaire ?La contestation de paternité et de maternité est régie par les dispositions du Code civil français, notamment les articles 311-1 et suivants. L’article 311-1 stipule que « la filiation est établie par la reconnaissance, par le mariage ou par la possession d’état ». En l’espèce, les demanderesses, [X] et [A] [H], ont contesté leur filiation à l’égard de M. [H] et Mme [O], ce qui a conduit à une décision du tribunal déclarant qu’ils ne sont pas leurs parents. De plus, l’article 332 du Code civil précise que « l’action en contestation de paternité ou de maternité est ouverte à toute personne qui a un intérêt légitime à agir ». Dans ce cas, les enfants, représentés par leur administrateur ad hoc, ont démontré un intérêt légitime à contester leur filiation, ce qui a été reconnu par le tribunal. Ainsi, la décision du tribunal de déclarer que M. [H] et Mme [O] ne sont pas les parents des enfants a des conséquences significatives sur leur état civil, leur permettant d’obtenir un jugement supplétif de naissance, comme le prévoit l’article 57 du Code civil. Comment le tribunal a-t-il justifié la délivrance d’un jugement supplétif de naissance ?Le tribunal a fondé sa décision sur l’article 57 du Code civil, qui stipule que « lorsque les parents ne sont pas connus, l’officier de l’état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l’enfant ». Dans cette affaire, les demanderesses ont été privées de leur filiation maternelle et paternelle, ce qui a conduit à l’absence d’actes de naissance valides. Le tribunal a donc jugé qu’il était dans l’intérêt des enfants de leur délivrer un jugement supplétif de naissance, afin de leur permettre d’avoir un état civil conforme à leur situation actuelle. Le tribunal a également pris en compte le fait que les demanderesses vivent en France et qu’il est essentiel pour toute personne, même de nationalité étrangère, de disposer d’un état civil. Cela est en accord avec les principes de droit international privé et les obligations de la France en matière de protection des droits des enfants. Quelles sont les implications des dommages et intérêts accordés aux demanderesses ?Les dommages et intérêts sont régis par l’article 1240 du Code civil, qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Dans cette affaire, le tribunal a condamné M. [H] et Mme [O] à verser à chacune des demanderesses la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts. Cette décision repose sur le préjudice moral subi par les enfants en raison de la fausse déclaration de filiation et des conséquences qui en ont découlé. Le tribunal a reconnu que le fait que les défendeurs aient prétendu être les parents biologiques des enfants, alors qu’ils ne l’étaient pas, a causé un préjudice important à leur identité et à leur développement personnel. Les demanderesses ont exprimé des souffrances psychologiques et des difficultés dans leur vie quotidienne, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à des opportunités professionnelles. Ainsi, la décision d’accorder des dommages et intérêts vise à réparer le préjudice moral subi par les demanderesses et à reconnaître la gravité de la situation dans laquelle elles se trouvaient. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
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Pôle famille
Etat des personnes
N° RG 22/32594 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CV4UE
ND
N° MINUTE :
AIDE JURIDICTIONNELLE
JUGEMENT
rendu le 19 Novembre 2024
DEMANDERESSE INITIALE
Madame [G] [J]
es qualité d’administrateur ad hoc des enfants [X] [H] et [A] [H], nées le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée)
[Adresse 13]
[Localité 8]
DEMANDERESSES APRES REPRISE D’INSTANCE
Madame [X] [H]
domiciliée chez Aide Sociale à l’Enfance de [Localité 16]
[Adresse 6]
[Localité 9]
comparante en personne et assistée de Me Léa BELINE substituant Me Carole SULLI, avocats au barreau de Paris #C2619
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007592 du 23/03/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
Madame [A] [H]
domiciliée chez Aide Sociale à l’Enfance de [Localité 16]
[Adresse 6]
[Localité 9]
comparante en personne et assistée de Me Léa BELINE substituant Me Carole SULLI, avocats au barreau de Paris #C2619
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007119 du 23/03/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DÉFENDEURS
Madame [K] [O]
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentée par Me Wassila LTAIEF, avocat au barreau de Paris#E1749
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/010427 du 30/03/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
Décision du 19 Novembre 2024
Pôle famille Etat des personnes
N° RG 22/32594 – N° Portalis 352J-W-B7G-CV4UE
Monsieur [Y] [H]
[Adresse 7]
[Localité 11]
non représenté
MINISTÈRE PUBLIC
Isabelle MULLER-HEYM
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN DU SAINT, Juge
assistées de Emeline LEJUSTE, Greffière lors des débats et de Karen VIEILLARD, Greffière lors du prononcé.
DÉBATS
A l’audience du 05 novembre 2024 tenue en chambre du conseil.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
JUGEMENT
Réputé contradictoire
en premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Nastasia DRAGIC, Présidente et par Karen VIEILLARD, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 27 mars 2019, [X] [H] a été inscrite sur les registres de l’état civil de [Localité 12] (Guinée) comme étant née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) de [Y] [H], né le [Date naissance 3] 1983 et d’[K] [O], née le [Date naissance 1] 1984.
Le 27 mars 2019, [A] [H] a été inscrite sur les registres de l’état civil de [Localité 12] (Guinée) comme étant née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) de [Y] [H], né le [Date naissance 3] 1983 et d’[K] [O], née le [Date naissance 1] 1984.
Par actes d’huissier de justice délivrés les 18 et 25 janvier 2022, Mme [G] [J], désignée ès qualités d’administrateur ad hoc d’[X] et de [A] [H] suivant ordonnance rendue le 21 janvier 2021 par le juge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire de Paris, a assigné M. [H] en contestation de paternité et Mme [O] en contestation de maternité à l’égard des enfants.
Par décision mixte en date du 5 septembre 2023, le tribunal a notamment :
– écarté des débats les conclusions et les pièces de Mme [O] non signifiées au défendeur non constitué ;
– faisant application de la loi française, déclaré Mme [J], ès qualités d’administrateur ad hoc des enfants [X] et [A] [H], recevable en son action en contestation de paternité et en son action en contestation de maternité ;
– avant-dire droit sur les demandes présentées, ordonné une expertise comparative des empreintes génétiques ;
– sursis à statuer sur les autres demandes ;
– réservé les dépens.
Le 29 janvier 2024, l’expert a déposé un rapport de carence aux termes duquel il a indiqué que si les prélèvements sur les enfants avaient bien pu être effectués, en revanche, Mme [O] et M. [H] ne s’étaient pas présentés aux convocations qui leur avaient été adressées par lettres simples et recommandées, les quatre accusés de réception étant revenus avec la mention « pli avisé et non réclamé ».
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mai 2024 et signifiées à M. [H] le 30 août 2024, Mmes [X] et [A] [H] demandent au tribunal de :
– les juger recevables en leur reprise d’instance ;
– les juger recevables et bien fondées en leur demandes ;
– juger qu’elles ne sont pas les enfants de Mme [O] et de M. [H] ;
– condamner solidairement M. [H] et Mme [O] à leur verser à chacune la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
– juger que le [Date naissance 2] 2005 est née à [Localité 14] (République de Guinée) [X] [H], de sexe féminin ;
– juger que le [Date naissance 2] 2005 est née à [Localité 14] (République de Guinée) [A] [H], de sexe féminin ;
– subsidiairement, juger que le [Date naissance 4] 2005 est née à [Localité 14] (République de Guinée) [X] [H], de sexe féminin ;
subsidiairement, juger que le [Date naissance 4] 2005 est née à [Localité 14] (République de Guinée) [A] [H], de sexe féminin ;
– juger que le jugement à intervenir leur tiendra lieu d’acte de naissance ;
– ordonner la transcription de ces dispositions du jugement à intervenir sur le registre spécial de l’état civil du ministère des affaires étrangères, registres du service central de l’état civil, et dire que mention en sera faite en marge desdits registres, à la date de la naissance ;
– condamner Mme [O] et M. [H] aux entiers dépens.
A l’appui de leurs prétentions, les demanderesses rappellent que le 20 décembre 2016, le service social d’un établissement scolaire a effectué un signalement concernant deux élèves, connues comme étant dénommées [X] et [A] [H], jumelles âgées de 11 ans, nées le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 12] (Guinée) ; qu’elles étaient alors hébergées par une famille de six personnes dans un logement exigu, et avaient rapporté au service social scolaire, d’une part, leurs conditions de vie précaires et, d’autre part, les maltraitances graves dont elles faisaient l’objet ; que le procureur de la République a ainsi saisi le juge des enfants afin qu’une procédure d’assistance éducative soit ouverte ; que par jugement en date du 1er mars 2017, leur placement à l’aide sociale à l’enfance (ASE) a été prononcé, ce placement ayant été depuis lors sans cesse renouvelé ; que dès l’audience du 1er mars 2017, elles ont réitéré les propos tenus à l’école en indiquant, en outre, au juge des enfants avoir été menacées de violences et d’un retour au pays si elles parlaient au juge ; qu’elles ont également indiqué que M. [H], qui se présentait comme leur père, n’était en réalité pas leur père biologique, qu’elles n’étaient pas jumelles mais cousines, et qu’elles n’étaient donc pas nées le même jour ; que M. [H], présent à l’audience contrairement à Mme [O], a contesté l’intégralité des faits énoncés ; que le rapport en date du 30 novembre 2017 du service éducatif en charge de la mesure judiciaire d’investigation éducative a mis en évidence la difficulté à croiser les propos des enfants et des adultes ; qu’il a été constaté que si elles avaient des souvenirs communs depuis leur arrivée en France, tel n’était pas le cas lorsqu’elles vivaient en Guinée et que Mme [O] et M. [H] tenaient des propos divergents des leurs ; que dans le cadre d’une seconde mesure judiciaire d’investigation éducative, elles ont maintenu qu’elles avaient grandi dans des familles différentes en Guinée ; qu’[X] a indiqué se nommer “[X] [M] [W]”, avoir pour père M. [V] [W] et pour mère une femme prénommée [P], et avoir cinq frères et sœurs ; que de son côté, [A] a indiqué se nommer “[C] [N] [P] [B]”, être appelée en Guinée sous le prénom “[P]” et avoir trois frères et sœurs ; qu’elles ont précisé qu’un jour, il leur avait été dit qu’elles partaient en France, que M. [H] et Mme [O] étaient leurs parents et qu’elles étaient jumelles ; que dans les premiers temps de leur arrivée en France en 2013, elles ont pu maintenir des contacts avec leurs familles biologiques, les relations ayant ensuite cessé ; que le rapport a également mis en évidence que M. [H] et Mme [O] se montraient fuyants ; qu’il a été produit, dans le cadre de la procédure d’assistance éducative, deux photocopies d’actes de naissance les concernant ; que par requête en date du 2 octobre 2020, Mme le président du Conseil de Paris, siégeant en formation du conseil départemental, a saisi le juge aux affaires familiales en charge des tutelles des mineurs du tribunal judiciaire de Paris, afin que soit désigné pour elles encore mineures, un administrateur ad hoc chargé d’engager une action en contestation de leurs filiations paternelles et maternelles ; que par ordonnance rendue le 21 janvier 2021, le juge des tutelles des mineurs a désigné Mme [J] en cette qualité ; que M. [H] et Mme [O] ont interjeté appel de cette décision ; que par arrêt en date du 7 décembre 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance ; que c’est dans ces conditions que Mme [J] a initialement saisi la présente juridiction, sans disposer des originaux de leurs actes de naissance ; que l’absence des défendeurs aux opérations d’expertise, lesquels ne cessent pourtant de revendiquer auprès des tiers leur prétendu lien de parenté, doit s’analyser en un aveu de leur non-maternité et non-paternité envers elles ; qu’elles sont donc fondées en leur action en contestation de paternité et de maternité.
Sur les conséquences de l’annulation des liens de filiation, elles font valoir qu’elles ne disposent plus de filiation ni maternelle, ni paternelle ; que par ailleurs, leurs actes de naissance ne sont pas conformes au sens de l’article 47 du code civil et doivent être considérés comme apocryphes ; qu’elle ne disposent ainsi d’aucun acte de naissance ; que si elles sont désormais prises en charge par l’ASE dans le cadre d’un contrat jeune majeur, il leur est impossible de se faire établir un quelconque document d’identité sans acte de naissance ; qu’elles ne peuvent pas davantage accomplir la moindre démarche scolaire ou administrative, étant bloquées dans tout ce qu’elles tentent d’entreprendre ; qu’un intérêt tant d’ordre public que personnel s’attache à ce que toute personne vivant en France, même si elle est de nationalité étrangère et née à l’étranger, dispose d’un état civil et puisse en justifier par la production, à défaut d’acte de naissance, d’un jugement supplétif de naissance, transcrit sur les registres de l’état civil ; que les juridictions françaises sont compétentes pour déclarer un évènement d’état civil survenu dans un Etat étranger, où il n’a pas été déclaré et qui concerne un étranger, dès lors que cet étranger vit habituellement en France, ce qui est leur cas ; qu’il y aura donc lieu de leur délivrer un jugement supplétif de naissance, sans filiation ; qu’il conviendra de retenir la date 2 octobre 2005 et la ville de [Localité 14] (République de Guinée) comme étant la date et le lieu de leur naissance, à défaut d’autre élément ; que si le ministère public sollicite que soit retenue la date du 1er janvier 2005, cette demande ne saurait aboutir ; qu’en effet, la date du 2 octobre 2005 et le lieu de naissance ([Localité 14]) correspondent à l’intégralité de leurs documents administratifs et scolaires ; que le juge des enfants, dans les décisions précitées et produites aux débats, a toujours retenu cette date ; que dans la mesure où tous leurs documents ont pris en compte cette date de naissance (documents scolaires, diplômes, inscriptions diverses, suivi par la sécurité sociale, contrat jeune majeur, etc…), en retenir une autre les conduirait à se retrouver dans une nouvelle situation inextricable, en ce qu’elles ne pourraient, dans les faits, jamais réussir à faire modifier tous leurs documents ; qu’en outre, cela reviendrait à nier ce qu’elles ont construit depuis leur placement et serait particulièrement douloureux et dommageable pour elles ; que leurs éducatrices référentes et plus généralement le service gardien n’ont jamais fait état d’une distorsion entre leur âge et leur maturité ; que cette date du 2 octobre 2005 correspond à leur classe d’âge et à leur cycle d’études scolaires poursuivies ; que subsidiairement, si le tribunal considérait ne pouvoir retenir cette date, il devra être retenu la date de naissance la plus conforme à leurs intérêts, à savoir celle du 31 décembre 2005 ; qu’en effet, elles viennent de conclure un contrat jeune majeur, qui est le seul cadre qui leur reste et sur lequel elles peuvent s’appuyer ; que cette date serait, par ailleurs, conforme au point 53 de la circulaire du 28 octobre 2011 ; qu’enfin, s’agissant de leur nom de famille, celui-ci ne devra pas être modifié ; qu’en l’absence d’autre filiation, elles ne peuvent porter un autre patronyme et sont par ailleurs connues sous ce seul nom, étant précisé que tous leurs documents portent ce nom ; qu’en outre, tout changement de nom nécessite l’accord de l’intéressé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; qu’enfin, le nom [H] serait en tout état de cause le nom de leur « vraie » mère – même si elles ne peuvent le prouver – et ce patronyme revêt donc du sens pour elles.
S’agissant des dommages et intérêts, elles font valoir que le fait que les défendeurs aient prétendu être leurs parents biologiques et les aient inscrites à l’état civil comme étant jumelles alors qu’elles sont en réalité cousines, leur a causé un préjudice important ; que ce préjudice est d’autant plus important qu’il concerne leur identité même, et ce dès l’âge de 11 ans, très jeune âge au cours duquel cette identité se trouve en pleine construction ; qu’elles ont exprimé beaucoup de souffrance et de tristesse, outre l’angoisse liée à l’issue de la procédure ; qu’elles ont également eu à subir l’impossibilité pour elles d’obtenir une bourse d’étude, de faire des jobs d’été, de participer à un voyage humanitaire à l’étranger prévu dans le cadre d’une formation ou encore de faire une formation professionnelle.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 12 août 2024 et signifiées au défendeur non constitué le 17 septembre 2024, Mme [O] demande au tribunal de :
– déclarer irrecevable comme prescrite en loi guinéenne la procédure diligentée par Mme [J], ès qualités d’administrateur ad hoc d’[X] et de [A] [H],
– subsidiairement, réserver ses droits.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que selon la loi guinéenne, l’action en contestation de paternité comme de maternité se trouve prescrite. Sur le fond, son conseil indique qu’il n’a plus de nouvelles de sa cliente depuis un certain temps, qu’il n’est pas impossible que celle-ci ait pu se trouver dans l’incapacité d’agir et de prendre attache avec le laboratoire ou avec lui-même ; que dans le doute, le tribunal doit prendre en considération le fait qu’il y a eu manifestement un empêchement qui n’a pas permis à Mme [O] de se présenter à l’expertise.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 12 août 2024 et signifiées à M. [H] le 22 août 2024, le ministère public demande au tribunal de :
– dire que Mme [O] et M. [H] ne sont pas les parents d’[X] et de [A] ;
– délivrer à ces dernières un jugement déclaratif de naissance mentionnant, pour chacune, leur prénom d’usage ainsi que deux autres prénoms, le dernier faisant office de nom patronymique ainsi qu’une date de naissance fixée au 31 décembre 2005 en Guinée ;
– condamner les défendeurs aux dépens.
A l’appui de ses demandes, le ministère public expose que l’opposition de Mme [O] à voir établie une vérité scientifique, ainsi que son absence et celle de M. [H] à l’expertise ordonnée, viennent confirmer les soupçons qui existent sur l’imposture des défendeurs, lesquels ont de toute évidence redouté de voir révélé leur recours à de faux documents d’état civil et leurs mensonges sur le contexte de leur arrivée en France comme sur leurs liens avec les demanderesses ; que le changement soudain d’adresse et de coordonnées de contact de Mme [O], tel que rapporté par son conseil par mail du 28 mai 2024, confirme sa volonté de fuir toute responsabilité à l’égard de la justice ; que le tribunal devra donc constater l’absence de filiation entre les défendeurs et les demanderesses ; que par ailleurs, il y aura lieu de délivrer à ces dernières un jugement déclaratif de naissance, aux termes duquel les prénoms d’usage [X] et [A] pourront être conservés ; qu’en revanche, le nom [H] devra être exclu ; que le fait que des documents administratifs aient été établis à ce nom n’est qu’une conséquence de la fraude des défendeurs et ne saurait être un argument pour en entretenir les effets ; qu’il paraît également cohérent de faire cesser toute ambigüité sur les liens qui ont uni les demanderesses avec le couple [H]-[O] ; qu’il ne paraît pas davantage opportun d’utiliser un nom reposant sur des souvenirs d’enfance incertains qui ne sont corroborés par aucun acte d’état civil probant ; que dans la mesure où les demanderesses ont été mises hors de danger et accueillies par la société, qu’elles envisagent très probablement de rester sur le territoire national, il apparaît cohérent et dans leur intérêt de les doter d’un état civil qui repose sur des principes nationaux et notamment l’article 57 alinéa 2 du code civil qui prévoit que « lorsque les parents ne sont pas connus, l’officier de l’état-civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l’enfant » ; que le choix des deux autres prénoms pourrait être fixé par le calendrier, en référence au jour du jugement déclaratif, ou au jour d’une audience ; qu’en outre, dans l’hypothèse où les intéressées retrouveraient leur véritable état civil, elles pourraient en obtenir la transcription par un nouveau jugement ; qu’enfin, la date du 2 octobre 2005 ayant été fixée par un acte frauduleux, il conviendra également de l’exclure ; que l’année 2005 pourra être retenue et il y aura lieu de fixer par défaut le jour et le mois au 31 décembre en application du point 53 de la circulaire du 28 novembre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation.
M. [H], assigné en l’étude de l’huissier de justice, n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 octobre 2024.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 5 novembre 2024 et mise en délibéré au 19 novembre 2024.
Décision du 19 Novembre 2024
Pôle famille Etat des personnes
N° RG 22/32594 – N° Portalis 352J-W-B7G-CV4UE
Le tribunal,
DIT que M. [Y] [H], né le [Date naissance 3] 1983, n’est pas le père d’[X] [H], née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que M. [Y] [H], né le [Date naissance 3] 1983, n’est pas le père de [A] [H], née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que Mme [K] [O], née le [Date naissance 1] 1984, n’est pas la mère d’[X] [H], née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que Mme [K] [O], née le [Date naissance 1] 1984, n’est pas la mère de [A] [H], née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que ces dispositions du jugement seront transcrites sur les registres du service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères établi à [Localité 15] ;
DIT que [X] [H], de sexe féminin, est née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que [A] [H], de sexe féminin, est née le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 14] (République de Guinée) ;
DIT que ce jugement leur tiendra lieu d’actes de naissance ;
ORDONNE la transcription de ce jugement supplétif d’actes de naissance sur les registres du service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères et dit que la mention en sera faite en marge desdits registres à la date de la naissance ;
CONDAMNE in solidum M. [Y] [H] et Mme [K] [O] à verser à Mmes [X] et [A] [H] chacune la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
REJETTE le surplus des demandes ;
CONDAMNE in solidum M. [Y] [H] et Mme [K] [O] aux dépens de la présente instance, en ce compris les frais de désignation de l’administrateur ad hoc et les frais d’expertise.
Fait et jugé à Paris le 19 novembre 2024.
La Greffière La Présidente
Karen VIEILLARD Nastasia DRAGIC
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