L’Essentiel : La société Synergee France, spécialisée dans le conseil en informatique, a engagé Mme [R] en tant que chargée de communication en 2015. Après un arrêt de travail pour maladie, elle a été déclarée inapte et licenciée en avril 2018. Contestant son licenciement pour inaptitude, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes, alléguant des faits de harcèlement sexuel. Le 18 janvier 2022, le conseil a reconnu le harcèlement et a condamné l’entreprise à verser des dommages et intérêts. En appel, la cour a confirmé la nullité du licenciement et a imposé des sanctions financières à Synergee France.
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Présentation de la société et du contrat de travailLa société Synergee France, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre, est une société par actions simplifiée spécialisée dans le conseil en informatique et l’organisation administrative, ainsi que dans la conception et la diffusion de logiciels. Mme [D] [R] a été engagée par la société AGT, qui a ensuite fusionné avec Synergee France, en tant que chargée de communication et marketing à partir du 1er septembre 2015, avec un salaire brut mensuel de 3 004,94 euros. Arrêt de travail et inaptitudeMme [R] a été en arrêt de travail pour maladie du 27 octobre 2017 au 12 avril 2018. À l’issue d’une visite médicale, elle a été déclarée inapte à tout poste de travail dans l’entreprise, avec dispense de reclassement. La société Synergee France a alors convoqué Mme [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 5 avril 2018. Licenciement et recours judiciaireLe 9 avril 2018, la société a notifié à Mme [R] son licenciement pour inaptitude. En janvier 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour contester la validité de son licenciement, invoquant des faits de harcèlement sexuel. L’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (AVFT) a également intervenu dans cette affaire. Jugement du conseil de prud’hommesLe 18 janvier 2022, le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement de Mme [R] n’était pas nul, mais a condamné la société Synergee France à verser des dommages et intérêts pour harcèlement sexuel, non-respect de l’obligation de prévention et de sécurité. La société a également été condamnée à afficher le jugement dans l’entreprise et à payer des frais à l’AVFT. Appel de la société Synergee FranceLa société Synergee France a interjeté appel du jugement, demandant l’infirmation de la décision, tout en maintenant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Elle a également contesté la recevabilité de l’intervention de l’AVFT. Arguments de Mme [R] et de l’AVFTMme [R] a demandé la confirmation du jugement initial, en insistant sur la reconnaissance de son licenciement comme nul et en sollicitant des dommages supplémentaires pour harcèlement. L’AVFT a également demandé la confirmation de sa recevabilité et une augmentation des dommages-intérêts. Analyse des faits de harcèlementMme [R] a décrit des comportements inappropriés de la part de collègues, notamment des blagues à connotation sexuelle et des messages déplacés. Elle a soutenu que ces agissements avaient contribué à sa dégradation de santé, entraînant son inaptitude. L’employeur a contesté ces allégations, arguant que les échanges étaient amicaux et que Mme [R] n’avait pas manifesté de malaise. Décision de la cour d’appelLa cour a confirmé que Mme [R] avait été victime de harcèlement sexuel, ce qui a conduit à sa dégradation de santé et à son licenciement. Elle a déclaré le licenciement nul et a condamné la société à verser des dommages-intérêts pour harcèlement, ainsi que pour non-respect des obligations de sécurité et de prévention. Conséquences financières et obligations de l’employeurLa société Synergee France a été condamnée à verser des indemnités à Mme [R] pour la nullité de son licenciement, ainsi que pour les préjudices liés à la violation de ses obligations de sécurité et de prévention. La cour a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [R] et a imposé des sanctions financières à la société pour ses manquements. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conséquences juridiques du harcèlement sexuel dans le cadre du contrat de travail ?Le harcèlement sexuel est strictement encadré par le Code du travail, notamment par l’article L. 1153-1 qui stipule que « aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». En cas de harcèlement, l’employeur a l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir ces faits, conformément à l’article L. 1153-5. Il est également important de noter que l’article L. 1154-1 impose au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, et il incombe à l’employeur de prouver que les faits ne sont pas constitutifs de harcèlement. Dans le cas de Mme [R], la cour a retenu que les agissements de harcèlement sexuel ont eu des conséquences directes sur sa santé, entraînant son inaptitude et, par conséquent, la nullité de son licenciement. Ainsi, la cour a condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi, en tenant compte de la dégradation de l’état de santé de la salariée, ce qui est en conformité avec les dispositions légales. Comment se caractérise la nullité d’un licenciement pour inaptitude en lien avec le harcèlement ?La nullité d’un licenciement pour inaptitude est régie par les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail, qui stipulent qu’« aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, sous peine de nullité de la mesure prise ». Le licenciement est considéré comme nul lorsque l’état de santé du salarié ayant justifié la déclaration d’inaptitude résulte de faits de harcèlement moral. La jurisprudence a établi que les juges du fond apprécient souverainement le lien de causalité entre les faits de harcèlement et l’inaptitude du salarié. Dans le cas présent, Mme [R] a démontré que son inaptitude était directement liée aux faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime. Les éléments médicaux versés aux débats ont confirmé une dégradation de son état de santé, ce qui a conduit à la déclaration d’inaptitude. La cour a donc déclaré nul le licenciement de Mme [R], en considérant que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations en matière de prévention et de sécurité, ce qui est en accord avec les dispositions légales. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de sécurité et de prévention des risques liés au harcèlement ?L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation inclut la prévention des risques liés au harcèlement. L’article L. 1153-5 précise que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les faits de harcèlement sexuel et y mettre fin. En cas de manquement à ces obligations, l’employeur peut être tenu responsable et condamné à verser des dommages et intérêts. Dans le cas de Mme [R], la cour a constaté que l’employeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour protéger la santé de la salariée, malgré les alertes qu’elle avait données. L’absence de réaction de la direction face aux comportements inappropriés de M. [N] a été jugée comme un manquement grave à l’obligation de sécurité. En conséquence, la cour a condamné la société Synergee France à verser des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention, ce qui souligne l’importance de ces obligations légales pour protéger les salariés. Quels sont les recours possibles pour un salarié victime de harcèlement sexuel ?Les recours possibles pour un salarié victime de harcèlement sexuel sont multiples et sont encadrés par le Code du travail. En premier lieu, l’article L. 1154-1 impose à l’employeur de prendre des mesures pour prévenir le harcèlement et de sanctionner les comportements inappropriés. Le salarié peut également saisir le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître la réalité du harcèlement et demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. L’article L. 1235-3-1 prévoit que le salarié victime d’un licenciement nul a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Dans le cas de Mme [R], elle a saisi le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître son licenciement comme nul et obtenir réparation pour le harcèlement sexuel dont elle a été victime. La cour a confirmé la recevabilité de sa demande et a condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts. Il est également possible pour le salarié de se faire accompagner par des associations, comme l’AVFT, qui peuvent intervenir en tant que partie dans le litige pour soutenir la victime et demander réparation pour le préjudice moral subi. Ainsi, les recours sont variés et permettent aux victimes de harcèlement sexuel de faire valoir leurs droits et d’obtenir réparation pour les préjudices subis. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-3
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 25 NOVEMBRE 2024
N° RG 22/00830 –
N° Portalis DBV3-V-B7G-VCBK
AFFAIRE :
S.A.S. SYNERGEE
C/
[D] [R]
ASSOCIATION CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES AU TRAVAIL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 19/00143
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Isabelle JOULLAIN
Me Maude BECKERS
Me Mylène HADJI
Expédition numérique délivrée à FRANCE TRAVAIL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. SYNERGEE
N° SIRET : 528 294 994
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Isabelle JOULLAIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1481
APPELANTE
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Madame [D] [R]
née le 15 Juin 1989 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentant : Me Maude BECKERS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 141
ASSOCIATION CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES AU TRAVAIL
N° SIRET : 340 096 528
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Mylène HADJI, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Mme Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
La société Synergee France est une société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n° 528 294 994. exploite des activités de conseil en informatique et organisation administrative, de conception, d’édition et de diffusion de logiciels.
Par contrat à durée indéterminée en date du 10 juillet 2015, Mme [D] [R] a été engagée par la société AGT, aux droits de laquelle est intervenue ensuite par l’effet d’une fusion la société Synergee France, en qualité de chargée de communication et marketing (marketing manager, statut cadre, coefficient 115, niveau 2.2) à compter du 1er septembre 2015.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [D] [R] exerçait ses fonctions à [Localité 6] (92) et percevait un salaire moyen brut de 3 004,94 euros par mois.
La relation de travail était régie par les dispositions de la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.
Du 27 octobre 2017 au 12 avril 2018, Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie.
A l’issue d’une visite médicale de reprise en date du 12 mars 2018, Mme [R] a été déclarée inapte à tout poste de travail au sein de l’entreprise, assortie d’une dispense de reclassement.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 27 mars 2018, la société Synergee France a convoqué Mme [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 avril 2018.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 avril 2018, la société Synergee France a notifié à Mme [D] [R] son licenciement pour inaptitude avec dispense de reclassement.
Par requête introductive reçue au greffe le 28 janvier 2019, Mme [D] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande tendant à ce que son licenciement pour inaptitude soit jugé nul et à obtenir la réparation de son préjudice subi du fait d’une situation de harcèlement sexuel.
L’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail (ci-après l’association AVFT) est intervenue volontairement à l’instance et a sollicité la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts.
Par jugement en date du 18 janvier 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– fixé le salaire mensuel brut moyen de Mme [R] sur les douze derniers mois à la somme de 3 004,94 euros ;
– dit que le licenciement de Mme [R] n’est pas nul ;
– condamné la société Synergee France à payer à Mme [R] les sommes de :
30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel ;
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de prévention ;
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.
– condamné la société Synergee France à payer à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail la somme de 2 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral ;
– ordonné à la société Synergee France d’afficher dans l’entreprise le présent jugement sous astreinte de 25 euros par jour de retard à compter de 8 jours après sa notification ;
– débouté Mme [R] de ses autres demandes ;
– débouté la société Synergee France de ses demandes reconventionnelles ;
– condamné la société Synergee France à payer à Mme [R] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Synergee France à payer à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Synergee France aux dépens.
Par déclaration remise au greffe le 14 mars 2022, la société Synergee France a interjeté appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 28 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Synergee France, appelante et intimée à titre incident, demande à la cour de :
– déclarer l’appel interjeté par la société Synergee France recevable ;
– le déclarer bien fondé.
En conséquence,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a :
dit que le licenciement de Mme [R] n’est pas nul ;
débouté Mme [R] de ses autres demandes.
Et statuant à nouveau :
A l’égard de Mme [R] :
– déclarer que le licenciement de Mme [R] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouter Mme [R] de son appel incident ainsi que de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
A l’égard de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail :
– au principal, se déclarer incompétent pour connaître de la demande et renvoyer la cause devant le tribunal judiciaire de Nanterre ;
– subsidiairement, dire l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail irrecevable en son intervention volontaire ;
– très subsidiairement, débouter l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail de ses demandes ;
– débouter l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail de son appel incident ainsi que de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail à payer à la société Synergee France la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
A l’égard de Mme [R] et de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail :
– condamner Mme [R] et l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, in solidum, à payer à la société Synergee France une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance ;
– condamner Mme [R] et l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, in solidum, aux entiers dépens d’instance.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 29 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [D] [R], intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :
Sur l’exécution du contrat de travail :
– confirmer le jugement du 18 janvier 2022 en ce qu’il a :
fixé sa rémunération mensuelle brute à la somme de 3 004,94 euros bruts ;
condamné la société Synergee France à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel ;
ordonné à la société Synergee France d’afficher dans l’entreprise le jugement de première instance sous astreinte de 25 euros par jour de retard à compter de 8 jours après sa notification ;
– confirmer sur le principe le jugement en ce qu’il a condamné la société au titre de ses obligations de sécurité et de prévention mais le réformer sur le quantum, et statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à lui verser les sommes suivantes :
30 000 euros au titre de l’obligation de sécurité ;
30 000 euros au titre de l’obligation de prévention ;
Sur la rupture du contrat de travail :
– constater que le conseil de prud’hommes n’a pas su caractériser ni tirer les conséquences de la nullité du licenciement de Mme [R].
En conséquence et statuant à nouveau,
– requalifier son licenciement pour inaptitude en licenciement nul.
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de ses demandes relatives au licenciement nul et, statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à lui verser les sommes suivantes :
50 000 euros nets au titre de la nullité de son licenciement ;
9 014,82 euros bruts au titre de son indemnité compensatrice de préavis en application des articles L. 1234-1 et L. 5213-9 du code du travail, outre 901,48 euros au titre des congés payés y afférent.
– confirmer sur le principe mais réformer sur le quantum le jugement en ce qu’il ne lui a alloué que la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, condamner la société Synergee France à hauteur de 3 000 euros à ce titre.
En tout état de cause,
– confirmer le jugement rendu le 18 janvier 2022 en ce qu’il a condamné la société Synergee France aux dépens.
A titre reconventionnel, condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 1er août 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’AVFT, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré l’AVFT recevable en son intervention volontaire et bien fondée ;
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a condamné la société Synergee France à réparer le préjudice moral de l’AVFT ;
– infirmer le jugement sur le quantum de la réparation octroyée à l’AVFT ;
– et condamner la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
– confirmer la condamnation de la société Synergee France au paiement de 1 500 euros à l’AVFT au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Synergee France à verser 2 000 euros à l’AVFT au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Synergee France de ses demandes reconventionnelles ;
– débouter la société Synergee France de sa demande de condamnation de l’AVFT pour procédure abusive ;
– faire droit aux demandes de Mme [R].
La clôture de l’instruction a été prononcée le 26 juin 2024.
Sur le harcèlement
Aux termes de l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
L’article L.1153-5 du même code prévoit que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires afin de prévenir les faits de harcèlement sexuel, y mettre fin et les sanctionner.
Conformément aux dispositions de l’article L. 1154-1 du même code il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles.
En l’espèce,
Mme [R] soutient que son inaptitude n’est que la conséquence du harcèlement sexuel dont elle a été victime. A l’appui de sa demande, elle fait valoir que dès son arrivée dans l’entreprise, et alors qu’elle n’avait que 26 ans, elle a ressenti un certain malaise à travailler avec le directeur commercial, M. [J] [N].
Elle invoque à ce titre :
« Une ambiance de travail dégradée et des mécanismes de défense »
Mme [R] expose avoir subi dès son embauche des « blagues de mauvais goût » à connotation sexistes ou sexuelles de la part d’un de ses collègues de travail en la personne de M. [N].
Alors qu’elle n’était pas encore au terme de sa période d’essai, elle indique avoir reçu des messages dans lesquels M. [N] et M. [T] lui rappelaient qu’elle avait tout intérêt à bien s’intégrer. Elle fait valoir qu’elle a dû composer avec cette situation et indique que lorsqu’elle ne répondait pas à ces échanges quotidiens, elle était relancée ou provoquée pour la contraindre à réagir et était qualifiée d’être dépressive.
La salariée ajoute qu’elle s’est vue affubler du prénom de [W] (en référence à l’ingénue de la bande-dessinée) et que, dans ce contexte, M. [J] [N] signait ses messages LSK (pour [J] [A], en référence à [H] [A]).
Elle précise que des photos d’elle et des vidéos ont également été prises à son insu, manifestement par M. [N] et ont été publiées sur la discussion de groupe de la société.
des « propos à connotation sexuelle » et le « comportement à connotation sexuelle »
Mme [R] fait ainsi état des propos écrits tenus par M. [N] à son égard en ces termes : « tu m’envoies des photos de toi en sudisette », « [D] gobe des trucs », « [W] vient de me fouetter avec sa queue de cheval, je ne m’étais jamais fait bifler par une femme », « [X], il faudra que tu expliques ‘Le dernier tango à Paris’ à [W] », « non je passe la nuit avec [W] », « tu veux le voir mon trait d’union ‘ si tu es sage tu le verras peut-être», « je t’invite à être très gentille avec moi les jours qui viennent », « retournes toi je suis certain que le monsieur collé derrière toi a le sourire » ou « j’aurai droit à deux bécos lundi matin avec mon café ‘ ».
Elle soutient que Messieurs [N] et [T] en lui adressant un message faisant expressément référence au site internet « service public.fr » sur le harcèlement sexuel, avaient donc parfaitement conscience de ce qu’ils lui faisaient subir.
Elle évoque les SMS dans lesquels M. [J] [N] commentait ses tenues vestimentaires, sa coupe de cheveux, ses mains, son décolleté ou son humeur en signant certains de ses messages par « Ton Roco ». elle considère que ses réponses exprimaient son malaise.
Elle ajoute avoir reçu de la part de M. [N] de nombreuses photos d’elle prises à son insu, et notamment lorsqu’elle était en tenue de sport pendant sa pause déjeuner. Elle précise que des photos d’elle ont été copiées à partir de ses réseaux sociaux et lui ont ensuite été envoyées et commentées par M. [N].
Il ressort des pièces ainsi produites que Mme [R] établit la matérialité des faits qu’elle dénonce.
En considération de ces faits, la salariée estime avoir alerté son employeur de la détérioration de ses conditions de travail. Elle fait valoir que la directrice des ressources humaines, qu’elle avait également alertée, ne l’a pas soutenue.
Elle verse aux débats des attestations de ses proches décrivant la manière dont elle a vécu cette période, notamment entre 2015-2016 et le choc psychologique qui a été le sien sur cette période.
Pour justifier de la dégradation de son état de santé, Mme [R] verse aux débats son avis d’inaptitude ainsi que plusieurs certificats médicaux (27 octobre 2017, 2 mars 2018, 5 mars 2018 et 28 mars 2018) et mentionne que ceux-ci font état d’un traumatisme psychologique important. Les nombreux arrêts de travail et l’inaptitude in fine de la salariée le démontrent.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptibles d’avoir eu pour effet une dégradation de l’état de santé de la salariée. Il revient dès lors à l’employeur de prouver que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement.
L’employeur conteste toute situation de harcèlement sexuel de la part de son directeur commercial sur la chargée de communication.
Il reproche aux premiers juges de ne pas avoir expliqué en quoi les agissements évoqués auraient porté de nature à porter atteinte à la dignité de la salariée en raison de leur caractère humiliant ou dégradant ou qu’ils auraient créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Il considère que la demande de reconnaissance d’une situation de harcèlement sexuel, qui avait dans un premier temps été présentée comme un harcèlement moral, n’a en réalité pour seul fondement qu’un différend professionnel sur un projet commercial qui a opposé Mme [R] à M. [N] fin octobre 2017.
Il ajoute que la relation entre M. [N] et Mme [R] s’inscrivait dans un cadre amical, avec une grande proximité. Il précise que l’enquête interne qui a été diligentée dès la révélation des faits a relevé que la salariée participait activement au groupe de discussion et au « jeu ambigu » entretenu avec M. [N].
Il concède que certains messages soient d’un « goût discutable » mais ajoute qu’ils étaient échangés sans que cela ne créé le moindre malaise chez Mme [R] qui poursuivait sans aucune gêne les discussions, répondant aux messages d’un ton léger. Elle ajoute que la salariée n’a d’ailleurs jamais déposé une plainte pénale contre l’intéressé.
Il relève que Mme [R], avec son niveau de diplôme (M2 en marketing), aurait parfaitement pu, si l’ambiance dans la société ne lui convenait pas, rompre de sa propre initiative sa période d’essai et démissionner, ce qu’elle n’a pas fait.
Il souligne que Mme [R] n’a jamais manifesté son souhait de prendre une distance avec M.[N].
Il précise que M. [N] produit aux débats un témoignage relatant sa version des faits et, que celui-ci, très affecté par les accusations de Mme [R], a sollicité une rupture conventionnelle et a quitté l’entreprise en mai 2018.
Il s’approprie les termes de l’attestation de la directrice des ressources humaines (Mme [M]) qui indique que dans ce groupe d’une trentaine de collaborateurs, régnait une bonne ambiance avec un « relationnel de proximité ».
Il souligne que lors de son entretien téléphonique en mars 2017 avec la DRH, Mme [R] n’a évoqué que sa fatigue liée à l’intensité de l’activité professionnelle, son temps de trajet et son souhait quant à la mise en place à son profit de télétravail.
Il ajoute que dès les premières doléances de la salariée, il a saisi un cabinet extérieur d’une enquête qui a conclu à l’absence de faits de harcèlement moral ou même sexuel. Il considère qu’il s’agit d’un mode de preuve valide qui ne permet pas de douter de la partialité de ses conclusions ou de la neutralité de son intervention.
La cour,
Au vu de l’ensemble de ces éléments, constate en premier lieu, qu’il ne peut être retenu, au regard des pièces communiquées tant par l’employeur que la salariée, que Mme [D] [R] ait orchestré cette situation pour, comme le prétend la société Synergie France, régler ses comptes dans le cadre d’un différend professionnel avec M. [N].
En second lieu, il est constant, au vu tant des écritures de la société appelante (page 3) et de l’attestation émanant de la directrice des ressources humaines, que la société Synergee France comptait une trentaine de salariés répartis géographiquement sur deux zones à [Localité 6] (Hauts de Seine), où travaillaient notamment Mme [R] et M. [N] au sein d’une équipe réduite et à [Localité 8] (Lozère) où se situaient les autres salariés et la direction des ressources humaines.
Il ressort ensuite de l’attestation de la directrice des ressources humaines que celle-ci reconnaît avoir eu une discussion téléphonique avec Mme [R] dès mars 2017, au cours de laquelle cette dernière avait évoqué sa fatigue et son stress. La salariée indique qu’elle avait alors contextualisé ses propos relativement à la situation de harcèlement répétée dont elle était victime depuis de nombreux mois.
Les éléments produits permettent de retenir ensuite que de très nombreux messages émanent de M. [J] [N] et ont été adressés à Mme [R] pendant son temps de travail.
Ces messages sont tous véhiculés tant via une conversation de groupe, ouvertes sur les téléphones portables de M. [N], de M. [X] [T] et de Mme [R], que via l’adresse mail professionnel de M. [N]. Ils émanent essentiellement de M. [N] qui lance des conversations, qui ne contiennent aucun objet professionnel, et qui ne mentionnent que des propos à connotation pornographiques et sexistes.
En copie de certains de ces mails à connotation sexuelle de M. [N], la directrice des ressources humaines n’a pas pris les mesures nécessaires dès le 24 mars 2017 lorsqu’elle est par exemple destinataire, comme Mme [R], d’un mail de M. [N]. Ce mail avait pour objet « Rions un peu », et dans lequel il mentionne « toujours faire attention aux logos ». Dans ce mail, le directeur commercial a occulté, d’une photographie représentant deux salariées de la société, la lettre O du slogan des réseaux des femmes entrepreneurs « Bouge ta Boîte ». Par la suite, la directrice des ressources humaines n’a pas pris à nouveau la mesure de la situation, reconnaissant d’ailleurs « cela m’a sauté à l »il immédiatement ».
De la même manière, la directrice des ressources humaines apparaît sur la photographie extraite de la vidéo produite, riant en face de M. [T] qui défait la ceinture de son pantalon.
Il ressort enfin des pièces produites que la directrice des ressources humaines a conseillé à Mme [R] d’évoquer elle-même avec M. [N] la difficulté qu’elle rencontrait avec celui-ci.
Face à cette inertie de la direction des ressources humaines, Mme [R] décidait en octobre 2017 de saisir le directeur de la société Synergee France, en la personne de M. [L].
C’est dans ce contexte que l’enquête interne était alors initiée et que le 27 octobre 2017, Mme [R] sera placée en arrêt de travail ininterrompu pour cause de maladie et ce jusqu’à son licenciement pour inaptitude.
Concernant la qualification des faits de harcèlement sexuel, contrairement à ce que soutient la société Synergee France, d’une part l’employeur en sa qualité de personne morale, se doit de prévenir les agissements de ses salariés et les situations de harcèlements dont pourraient être victime ses salariés et ne peut se retrancher derrière la responsabilité pénale individuelle du collaborateur mis en cause.
D’autre part, la caractérisation des faits de harcèlement en droit du travail ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel (Cass. Soc 18 janvier 2023, n°21-10.233) et il ne peut faire échec à la démonstration en soutenant que la salariée n’a pas poursuivi M. [N] devant le juge pénal.
Il apparaît au contraire que l’employeur, informé par la salariée dès le mois de mars 2017 de la dégradation de ses conditions de travail en lien avec le comportement de M. [N], n’a pris aucune disposition avant octobre 2017 lorsqu’il confie ainsi tardivement une enquête interne à une société extérieure.
Les conclusions de cet audit sont par ailleurs contestables.
En effet, celles-ci relèvent en premier lieu que les échanges auraient eu lieu sur la seule période d’octobre 2015 à juillet 2017 et conclu à l’absence de faits de harcèlement moral ou sexuel en ces termes : « les sms n’étaient pas unilatéraux mais totalement partagés avec Mme [R]. Ils ont très nombreux à être agrémentés de Smileys et leurs termes ne montrent pas, loin s’en faut, une quelconque retenue de Mme [R] » et la société Alius Rh de conclure « ces sms ne montrent aucune situation d’opposition de Mme [R] ».
Or, la cour observe ensuite que les sms de Mme [R] dont s’agit sont expressément cités dans le rapport d’enquête et interviennent dans un contexte purement professionnel où Mme [R] demande par exemple à M. [N] le code d’entrée d’une barrière afin d’entrer avec son véhicule sur le lieu de la réunion. Le rapport ne cite par contre aucun des SMS tendancieux adressés par M. [N] à Mme [R] et ne fait aucune référence aux propos à connotation sexuelle ou pornographique qu’il a pu tenir à l’occasion des nombreux mails et SMS échangés sur la période 2015/2017.
Par ailleurs et contrairement à ce que soutient l’employeur, le fait que la salariée n’ait pas démissionné, qu’elle se serait prêtée à ce « jeu d’un goût discutable » ou encore qu’elle n’ait pas manifesté son souhait de prendre une distance avec M. [N], ne sauraient permettre d’écarter l’existence d’un harcèlement sexuel.
La cour en déduit que la salariée établit ainsi par les pièces versées aux débats avoir été victime sur son lieu de travail de propos et comportements à connotation sexuelle et que contrairement à ce que soutient son employeur le mal-être de Mme [R] était perceptible au sein de l’équipe puisque M. [C] [G], salarié de la société AGT avec laquelle la société appelante partageait les locaux de [Localité 6], a reconnu dans l’attestation qu’il verse aux débats voir été l’observateur passif de la situation subie par Mme [R] face au comportement de M. [N].
Ces propos, entretenus au sein d’une équipe de travail très réduite et éloignée géographiquement de la direction de la société, parce qu’ils émanaient, d’un directeur commercial, âgé alors de 49 ans, ont nécessairement conduit à un isolement de la salariée qui n’était alors âgée que de 26 ans. Cet isolement a été objectivement renforcé dès lors que M. [N] est devenu actionnaire de la société en janvier 2017. Il doit être déduit que le caractère pornographique des écrits de M. [N] à l’égard de Mme [R], lesquels ont été adressés à la salariée pendant et hors son temps de travail, sont par nature particulièrement dégradants et humiliants.
Par ailleurs, les nombreuses attestations produites aux débats, contrairement à ce que l’employeur soutient, sont parfaitement probantes et les témoignages ainsi recueillis parmi l’entourage de la salariée permettent de mesurer l’effondrement psychologique subi par Mme [R] dès qu’elle a pu évoquer avec ses amies ce qu’elle vivait au travail et le choc qui a été le sien quand elle a découvert que M.[N] retouchait les photos d’elle qu’elle postait sur Facebook ou qu’il prenait à son insu au travail.
Ainsi, l’employeur ne démontre pas que les éléments de faits présentés par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces considérations, prises dans leur ensemble, que Mme [D] [R] a été victime d’une situation de harcèlement sexuel qui se déduit du comportement déplacé et des propos à caractère sexuel qu’elle a subi de la part d’un autre salarié de l’entreprise avec lequel elle était en contact en raison de son travail.
La cour en déduit que les agissements de harcèlement sexuel, multiples et répétés entre 2015 et 2017 qu’elle a retenus sont bien à l’origine des arrêts de travail présentés par Mme [D] [R].
En conséquence de ces motifs, la cour retient que Mme [R] a été victime d’une situation de harcèlement sexuel à l’origine de sa dégradation de santé qui a conduit à son licenciement pour inaptitude.
Sur les conséquences du harcèlement
Compte tenu des circonstances du harcèlement, de sa durée et de son intensité, il y a donc lieu d’infirmer le jugement entrepris et de déclarer le licenciement de Mme [R] nul.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement
Il convient de réparer le préjudice subi par Mme [R] découlant du harcèlement sexuel subi, au regard de la dégradation de son état de santé qu’elle justifie aux termes de ses pièces, à hauteur de la somme de 30 000 euros que la société sera condamnée à lui verser, par voie de confirmation de la décision rendue.
Sur la nullité du licenciement
Il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, sous peine de nullité de la mesure prise.
Le licenciement est nul lorsque l’état de santé du salarié ayant justifié la déclaration d’inaptitude résulte de faits de harcèlement moral (Soc. 22 mars 2011, n°09-69.231, Soc., 8 décembre 2015, 14-15.299). Les juges du fond apprécient souverainement le lien de causalité entre des faits de harcèlement moral et l’inaptitude du salarié (Soc. 13 février 2013, n 11-26.380).
Mme [R] invoque à ce titre la nullité de son licenciement pour inaptitude prononcé en relevant que ses arrêts maladie, suivis de sa déclaration d’inaptitude résultent des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime
La société conclut au débouté de ses demandes considérant avoir rempli ses obligations en la matière.
Les manquements de l’employeur au titre du harcèlement sexuel ont été précédemment retenus.
L’analyse des documents médicaux versés aux débats permet de retenir que le premier arrêt travail mentionne un stress au travail avec réaction aigue anxieuse moyenne, évoluant avec l’arrêt du 12 décembre 2017 vers une persistance anxiété contexte professionnel risque décompensation pathologie chronique pour atteindre un diagnostic d’inaptitude.
Sur le plan médical, la cour observe que la salariée avait déjà consulté son médecin traitant en mars 2017, lequel avait alors relevé un « traumatisme psychologique important suite à harcèlement moral », et que par suite ce même médecin mentionnera ensuite « plusieurs altérations physiques compatibles avec une situation de stress professionnel » et enfin « une bruxomanie nocturne, pathologie probablement liée à un stress important, prise en charge neuro évolutive pour calmer l’anxiété ».
Les éléments médicaux produits démontrent incontestablement une dégradation de l’état de santé de la salariée, en lien avec la situation professionnelle qu’elle a vécue, ce qui a conduit à un diagnostic d’inaptitude qui se rattache avec un lien suffisant au harcèlement établi.
Il conviendra en conséquence de déclarer nul le licenciement prononcé, par voie d’infirmation de la décision entreprise.
Le salarié victime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ainsi qu’il ressort de l’article L. 1235-3-1 du code du travail.
Compte tenu de l’ancienneté de la salariée (deux ans, les périodes de suspension du contrat de travail pour arrêt maladie n’étant pas prises en compte pour le calcul de l’ancienneté en application de l’article L.1234-8 du code du travail), de son niveau de rémunération avant son arrêt de travail (3 004,94 euros bruts mensuels), le préjudice qui résulte pour elle de la perte injustifiée de son emploi sera intégralement réparé par une indemnité de 18 029,64 euros.
Le jugement ainsi déféré sera donc infirmé sur le quantum de la somme allouée au titre des dommages et intérêts du fait du harcèlement subi.
Sur l’affichage de l’arrêt rendu par la cour d’appel
La mesure d’affichage du jugement déféré et du présent arrêt n’apparaît pas justifiée par une circonstance particulière, le jugement critiqué sera donc infirmé sur ce point également.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Le licenciement de Mme [R] ayant été annulé, la salariée peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis qui, en application de l’article 15 de la convention collective Syntec est de trois mois, soit la somme de 9 041,82 euros, outre 901,48 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera donc sur ce point infirmé.
Enfin et par application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
Sur l’intervention volontaire de l’AVFT et les dommages et intérêts sollicités par l’association
L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou défendre un intérêt déterminé.
L’article 325 du même code prévoit que l’intervention volontaire n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
En l’espèce, l’objet social de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail défini par ses statuts consiste à soutenir, défendre et intervenir auprès des femmes victimes sur leur lieu de travail de discriminations sexistes et de violences sexistes et sexuelles.
La société Synergee France fait valoir que seuls les salariés ou les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ont vocation à intervenir dans le cadre d’un litige prud’homal.
Or, l’intervention volontaire de l’AVFT, aux côtés de Mme [R], doit être considérée comme recevable puisqu’elle se rattache avec un lien suffisant aux prétentions de la salariée.
Dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du conseil de prud’hommes pour juger du bien-fondé de l’action de l’AVFT et qui est opposé par la société Synergee France sera donc écarté.
En conséquence, l’intervention volontaire de l’AVFT sera déclarée recevable puisque celle-ci a intérêt et qualité à se prévaloir d’un droit qui lui est propre.
Le jugement critiqué sera donc sur ce point confirmé.
L’association justifie de son préjudice, constitué par le temps consacré au soutien de la salariée dès le 18 décembre 2017, puis dans cadre de son action prud’homale.
Il sera fait droit aux dommages et intérêts sollicités. La société Synergee France sera donc condamnée à verser à l’AFVT la somme de 2000 euros.
Sur les dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de prévention des agissements de harcèlement sexuel
En premier lieu, et contrairement à ce que soutient la société appelante, les fondements légaux des obligations de sécurité et de prévention sont distincts et obéissent bien à des régimes différents, ouvrant droit pour chacune de ces obligations à une indemnisation spécifique en réparant un préjudice distinct.
La méconnaissance de chacune de ces obligations, lorsqu’elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques (Soc., 17 mai 2017, pourvoi n° 15-19.300).
En l’espèce, la salariée sollicite la confirmation du premier jugement qui a retenu le principe d’une condamnation de l’employeur au titre de l’obligation de sécurité et de prévention, mais sollicite une majoration de la condamnation de l’employeur à hauteur de 30 000 euros pour chacune des obligations.
Concernant l’obligation de sécurité et protection de la santé des salariés
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Tenue d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, la société a manqué à cette obligation dès lors que Mme [R] a été victime sur son lieu de travail d’agissements de harcèlement sexuel exercés par l’un de ses salariés.
Alors qu’il en était informé depuis le mois de mars 2017 l’employeur, en ne prenant aucune disposition de nature à assurer la sécurité et à préserver la santé de sa salariée confrontée à une situation de souffrance au travail, a maintenu une promiscuité malsaine avec le directeur commercial.
Il doit en être déduit que la société Synergee France ne justifie pas avoir respecté l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [R] ce alors que ces faits se déroulaient dans l’entreprise depuis le mois de juillet 2015, date de l’embauche de la salariée au sein de l’entreprise, qu’ils ont été constatés par des salariés de l’entreprise, qu’ils ont été dénoncés auprès de la direction des ressources humaines en mars 2017 et que l’enquête interne n’a été diligenté que le 26 octobre 2017, la veille du premier arrêt de travail de la salariée.
Bien plus, l’employeur a entretenu, comme il le reconnaît, l’existence d’un différend d’origine professionnel pour justifier le comportement de M. [N] sur la personne de Mme [R] ce qui a retardé la mise en place des mesures permettant de protéger la salariée qui avait dénoncé les faits sont elle était victime.
Il est donc établi que la société Synergee France a manqué à son obligation de sécurité.
Au regard des éléments versés pour justifier du préjudice résultant de ce manquement, la cour infirmant le jugement déféré fixe à la somme de 10 000 euros les dommages et intérêts résultant de violation de l’obligation de sécurité.
Concernant la prévention des agissements des faits de harcèlement
L’article L. 1153-5 du code du travail dispose que l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel et d’y mettre un terme.
En l’espèce, la société Synergee France ne justifie pas des actions de prévention des risques professionnels et des actions d’information et de prévention. Elle ne produit aucune pièce relative à la mise en place d’une organisation et de moyens adaptée.
Bien plus, avisée du comportement de M. [N], l’employeur se devait de prendre des dispositions visant à prévenir les agissements de harcèlement sexuel, d’autant que depuis le mois de mars 2017, il avait connaissance de la situation puisque la salariée avait informé la direction des ressources humaines de la détresse dans laquelle elle se trouvait. A cette date, il n’a par ailleurs pris aucune sanction à l’encontre de l’harceleur.
En effet, la cour constate que les pièces produites par l’employeur aux débats (pièces 25 à 27) ne permettent pas de s’assurer que l’affichage revendiquée, obligatoire eu égard aux effectifs de l’entreprise, ait bien été mis en place à une date contemporaine aux faits de l’espèce. La production de la seule page d’un texte mentionnant « affichage obligatoire » non datée et non signée ne permet de s’assurer de la réalité de l’affichage revendiqué, ni même de l’existence d’un panneau prévu à cet effet dans les locaux de [Localité 6] où la société avait ses bureaux.
Au regard des sommes déjà allouées à titre des dommages et intérêts, il y a lieu d’infirmer le jugement et de réduire prévention à 5 000 euros la somme qui sera versée au titre des dommages et intérêts résultat du non-respect de l’obligation et de condamner la société Synergee France a y procéder.
Sur la remise des documents sociaux
Il conviendra de donner injonction à l’employeur de remettre à la salariée un certificat de travail, une attestation France travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Synergee France succombant en ses prétentions, sera condamnée à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre la somme de 1 500 euros à laquelle elle a été condamnée en première instance.
La société Synergee France sera également condamnée à payer à l’AVFT la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre la somme de 1 500 euros à laquelle elle a été condamnée en première instance.
La société appelante sera également condamnée aux dépens en cause d’appel, sa condamnation à ce titre en premier instance sera confirmée.
La cour, statuant publiquement et par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 18 janvier 2022 par le conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a jugé recevable l’intervention volontaire de l’AVFT recevable et condamné la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par l’association.
Le CONFIRME également concernant la condamnation de la société Synergee France à la somme de 30 000 euros au titre des dommages et intérêts pour harcèlement, les dépens et les sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile tant à Mme [D] [R] qu’à l’AVFT ;
INFIRME le jugement pour le surplus, statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DIT nul le licenciement de Mme [D] [R] ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 18 029,64 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de la nullité du licenciement ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés par l’employeur ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de prévention du harcèlement par l’employeur ;
REJETTE la demande de publication du présent arrêt ;
ORDONNE le remboursement par la société Synergee France aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [R], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 9 041,82 euros au titre de son indemnité compensatrice de préavis et celle de 901,48 euros au titre des congés payés y afférent ;
ORDONNE la remise des documents sociaux conformes au présent arrêt ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à Mme [D] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE la société Synergee France à payer à l’AVFT la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE la société Synergee France aux dépens en cause d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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