Évaluation des éléments constitutifs du harcèlement moral en milieu professionnel

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Évaluation des éléments constitutifs du harcèlement moral en milieu professionnel

L’Essentiel : Le technicien de maintenance a été engagé par la société Auchan France le 3 juin 2013. En mars 2019, il a reçu un avertissement et a été placé en arrêt de travail pour maladie. Se déclarant victime de harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour demander des dommages-intérêts et la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Licencié pour inaptitude en avril 2022, il a contesté le rejet de sa demande indemnitaire. La cour d’appel a examiné les éléments fournis, mais a conclu que les faits ne permettaient pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Engagement et Contexte de l’Affaire

Le technicien de maintenance a été engagé par la société Auchan France le 3 juin 2013. En mars 2019, il a reçu un avertissement et a été placé en arrêt de travail pour maladie à partir du 16 avril 2019. Une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction a été notifiée le 15 avril 2019, mais cet entretien a été reporté à plusieurs reprises.

Demande de Résiliation et de Dommages-Intérêts

Le salarié, se déclarant victime de harcèlement moral, a saisi la juridiction prud’homale le 22 octobre 2019 pour demander des dommages-intérêts et la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 25 avril 2022.

Arguments et Décision de la Cour d’Appel

Dans son recours, le salarié a contesté le rejet de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral. La cour d’appel a examiné les éléments fournis, notamment un courriel inapproprié de son supérieur hiérarchique, une corde accrochée dans son bureau, et un avertissement pour non-respect des règles de travail. Malgré ces éléments, la cour a conclu que les faits ne permettaient pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Analyse des Éléments de Preuve

La cour a noté que, bien que des tensions aient été rapportées au sein de l’équipe, les actes reprochés n’étaient pas imputables à une démarche concertée et avaient été commis isolément. Elle a également souligné que l’avertissement reçu par le salarié était justifié par des éléments de preuve concernant son comportement au travail.

Violation des Textes Légaux

La cour d’appel a été critiquée pour avoir procédé à une appréciation séparée des éléments, alors qu’elle aurait dû examiner l’ensemble des faits et des documents médicaux pour déterminer s’il y avait présomption de harcèlement moral. Cette approche a été jugée comme une violation des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.

Conséquences de la Cassation

La cassation de la décision de la cour d’appel concernant le rejet de la demande indemnitaire pour harcèlement moral entraîne également l’annulation de la décision relative à la résiliation judiciaire du contrat de travail, en raison du lien de dépendance entre ces demandes.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour établir l’existence d’un harcèlement moral selon le Code du travail ?

Pour établir l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits.

L’article L. 1152-1 du Code du travail stipule que :

« Aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral. Le harcèlement moral est constitué par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. »

Ainsi, le juge doit apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, conformément à l’article L. 1154-1 du même code.

Comment le juge doit-il apprécier les éléments de preuve dans une affaire de harcèlement moral ?

Le juge doit procéder à une appréciation globale des éléments de preuve présentés par le salarié.

L’article L. 1154-1 du Code du travail précise que :

« En cas de litige, il appartient à l’employeur de prouver que les mesures prises à l’égard du salarié ne sont pas constitutives d’un harcèlement moral. »

Cela signifie que le juge doit examiner si les éléments de fait présentés par le salarié laissent supposer l’existence d’un harcèlement.

Il doit également vérifier si l’employeur a fourni des preuves suffisantes pour démontrer que les agissements en question sont étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, la cour d’appel a commis une erreur en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié, alors qu’il lui appartenait de considérer ces éléments dans leur ensemble.

Quelles sont les conséquences de la cassation sur les demandes du salarié ?

La cassation du chef de dispositif de l’arrêt déboutant le salarié de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral entraîne des conséquences sur les autres demandes formulées par le salarié.

Selon l’article 624 du Code de procédure civile :

« La cassation d’un jugement entraîne la cassation des chefs de dispositif qui sont en lien de dépendance nécessaire avec celui qui a été annulé. »

Ainsi, la cassation du rejet de la demande indemnitaire pour harcèlement moral entraîne également la cassation du rejet de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et des demandes afférentes.

Cela signifie que le salarié pourrait avoir une nouvelle chance de faire examiner ses demandes par une juridiction compétente, en tenant compte des éléments de preuve dans leur ensemble.

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2025

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 122 F-D

Pourvoi n° U 23-20.165

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [G].
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 juin 2023.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025

M. [L] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 23-20.165 contre l’arrêt rendu le 16 décembre 2022 par la cour d’appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Auchan hypermarché, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [G], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Auchan hypermarché, après débats en l’audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 16 décembre 2022), M. [G] a été engagé en qualité de technicien de maintenance le 3 juin 2013 par la société Auchan France, aux droits de laquelle est venue la société Auchan hypermarché (la société). Le 4 mars 2019, il s’est vu notifier un avertissement. Il a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 16 avril 2019. Par lettre du 15 avril 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction, fixé au 2 mai 2019 et reporté à plusieurs reprises.

2. Soutenant être victime de harcèlement moral, le salarié a saisi, le 22 octobre 2019, la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment au paiement de dommages-intérêts à ce titre et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

3. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 25 avril 2022.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral, alors « que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’au cas d’espèce, pour rejeter la demande du salarié au titre d’un harcèlement moral, l’arrêt retient qu’  »En revanche, la matérialité des faits suivants, invoqués par l’appelant comme constitutifs d’agissements de harcèlement moral, est établie par la production de pièces versées au dossier : – le 12 février 2016, son supérieur hiérarchique, M. [R] a adressé à M. [G] un courriel libellé comme suit : « ARRÊTE DE FAIRE DES COMMENTAIRES A DEUX BALLES !!! CA EN DEVIENT TRÈS CHIANT JE CROYAIS QUE 2016 ETAIT L’ANNÉE OU TU ALLAIS LA FERMER !!! » ; – une corde nouée évoquant une corde de pendaison a été accrochée dans le bureau de M. [G] le 14 février 2019 (photographie d’un bureau de l’espace technique, dont la société Auchan Côte d’Opale ne conteste pas qu’il s’agit du bureau de M. [G], dont les métadonnées indiquent une prise de vue le 14 février 2019 à 14h12) ; – un avertissement a été notifié à M. [G] le 4 mars 2019 et une convocation à un nouvel entretien disciplinaire lui a été adressée dès le 15 avril suivant. M. [G] soutient que ces conditions de travail ont altéré son état de santé. S’il justifie d’arrêts de travail à compter du 15 avril 2019, les avis afférents ne portent pas mention du motif médical, de sorte qu’il ne peut en être déduit un lien quelconque avec les faits susvisés. Il apparaît toutefois que le salarié a demandé à voir le médecin du travail dans le cadre d’une visite de pré-reprise organisée le 26 avril 2019 à l’issue de laquelle il lui a été conseillé de consulter un psychologue du travail. Une attestation de Mme [H], praticien en hypnose, établie le 20 février 2021, fait état de troubles en lien avec une situation professionnelle conflictuelle alléguée. Enfin, un rapport d’expertise, diligenté par la CPAM et établi le 25 février 2022, par le docteur [N] retient que M. [G] est en arrêt de travail depuis le 15 avril 2019 pour un syndrome dépressif réactionnel en lien avec un vécu dans l’entreprise présenté comme anxiogène. » ; qu’il ajoute que  »Toutefois, l’avertissement du 4 mars 2019 relatif à plusieurs faits relevant du non-respect des règles de pointage et du non-respect des horaires de travail apparaît justifié au regard des éléments versés au dossier, notamment les feuilles de pointage et l’attestation de M. [C]. L’appelant ne peut valablement pas déduire d’un courriel de son supérieur hiérarchique, daté du 9 mars 2017 (près de deux ans avant les faits visés par l’avertissement) qu’il pouvait organiser son temps de travail à sa guise alors qu’il ressort de la lecture de ce message qu’il s’agissait d’un rappel à l’ordre adressé à l’équipe rappelant que la possibilité de « gérer les heures comme bon vous semble » (devant s’entendre comme l’autorisation d’effectuer des commutations dans les plannings) avait pour limite l’obligation d’assurer une présence aux horaires requis. La cour relève, au demeurant, que M. [G] ne sollicite pas, en cause d’appel, l’annulation de cette sanction. Par ailleurs, si l’employeur a adressé au salarié une convocation le 15 avril suivant à un nouvel entretien disciplinaire, cette procédure n’a pas été menée à son terme, de sorte qu’aucune nouvelle sanction n’a été prononcée à l’encontre de M. [G]. En outre, il ressort des attestations de M. [M] et M. [K], techniciens de maintenance, l’existence d’une mauvaise ambiance au sein de l’équipe et de tensions avec M. [R]. Ce climat dégradé et conflictuel peut expliquer l’emportement de M. [R] à l’occasion de la rédaction du courriel du 12 février 2016 et l’acte inapproprié d’un collègue, non identifié, le 14 février 2019. Toutefois, s’ils sont assurément inadaptés dans le cadre d’une relation professionnelle, ces deux actes ne sont pas imputables à la même personne, n’ont aucun rapport entre eux, ne relèvent nullement d’une démarche concertée, et ont été commis, isolément, à trois années d’intervalle. », déduisant de ces circonstances que  »même pris dans leur ensemble, les éléments produits par M. [G] ne permettent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral. » ; qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par M. [G] et en examinant pour chacun d’eux les éléments avancés par l’employeur pour les justifier, quand il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

5. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié présente des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

6. Pour débouter le salarié de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral, l’arrêt retient qu’au titre des faits invoqués à l’appui du harcèlement le salarié établit que le 12 février 2016, son supérieur hiérarchique lui a adressé un courriel libellé comme suit : « Arrête de faire des commentaires à deux balles !!! Ça en devient très chiant je croyais que 2016 était l’année où tu allais la fermer !!! », qu’une corde nouée évoquant une corde de pendaison a été accrochée dans le bureau du salarié le 14 février 2019, qu’un avertissement lui a été notifié le 4 mars 2019 et qu’une convocation à un nouvel entretien disciplinaire lui a été adressée dès le 15 avril suivant. Il relève également que selon un rapport d’expertise, laquelle a été diligentée par la caisse primaire d’assurance maladie, en date du 25 février 2022, le salarié a été en arrêt de travail à compter du 15 avril 2019 pour un syndrome dépressif réactionnel en lien avec un vécu dans l’entreprise présenté comme anxiogène.

7. L’arrêt retient ensuite que l’avertissement du 4 mars 2019 relatif à plusieurs faits relevant du non-respect des règles de pointage et du non-respect des horaires de travail apparaît justifié, que si l’employeur a adressé au salarié une convocation le 15 avril suivant à un nouvel entretien disciplinaire, cette procédure n’a pas été menée à son terme, qu’il ressort de deux attestations l’existence d’une mauvaise ambiance au sein de l’équipe et de tensions avec le salarié, que ce climat dégradé et conflictuel peut expliquer l’emportement du supérieur hiérarchique du salarié à l’occasion de la rédaction du courriel du 12 février 2016 et l’acte inapproprié d’un collègue, non identifié, le 14 février 2019 et, que si ces deux actes sont inadaptés dans le cadre d’une relation professionnelle, ils ne sont pas imputables à la même personne, n’ont aucun rapport entre eux, ne relèvent nullement d’une démarche concertée et ont été commis, isolément, à trois années d’intervalle. L’arrêt en déduit que, même pris dans leur ensemble, les éléments produits par le salarié ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

8. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a procédé à une appréciation séparée de chacun des éléments qu’elle avait considéré comme matériellement établis, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, ces éléments, dont les éléments médicaux, laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral, et, dans l’affirmative, si l’employeur démontrait que ses agissements étaient étrangers à tout harcèlement, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l’arrêt déboutant le salarié de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et les demandes afférentes, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.


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