Harcèlement moral et conséquences sur la rupture du contrat de travail : enjeux de la responsabilité de l’employeur.

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Harcèlement moral et conséquences sur la rupture du contrat de travail : enjeux de la responsabilité de l’employeur.

L’Essentiel : M. [F] a été engagé par Bull en 1985 et a gravi les échelons jusqu’à devenir Vice-Président. Après plusieurs arrêts maladie, il a saisi le conseil de prud’hommes en mars 2019 pour harcèlement moral et a contesté son licenciement. Licencié en juin 2020 pour inaptitude, il a vu sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse déboutée, mais Bull a été condamnée à verser des sommes dues. En appel, la cour a déclaré nul son licenciement, reconnaissant le harcèlement moral et ordonnant des réparations financières conséquentes pour M. [F].

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Engagement et évolution professionnelle de M. [F]

M. [F] a été engagé par la société Bull en tant que salarié à durée indéterminée depuis le 14 octobre 1985. Cette entreprise, spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques, comptait plus de cinquante employés au moment de la rupture. En 2014, Bull a intégré le groupe Atos, et M. [F] a été promu Vice-Président « Escala et maintenance » en janvier 2015. Après un congé sabbatique de janvier à novembre 2016, il a été promu Vice-Président alliances en mars 2017.

Arrêts maladie et démarches judiciaires

M. [F] a été en arrêt maladie à plusieurs reprises, notamment du 25 janvier au 10 février 2019, puis du 18 avril au 20 mai 2019, et enfin du 2 au 31 octobre 2019. Le 1er mars 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles pour faire constater un harcèlement moral et demander des paiements afférents. Il a également contesté son licenciement par une requête du 4 mars 2019, invoquant la violation de l’obligation de sécurité de l’employeur.

Licenciement et jugement du conseil de prud’hommes

M. [F] a été licencié le 2 juin 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après avoir été déclaré inapte définitivement par le médecin du travail. Le 9 novembre 2022, le conseil de prud’hommes a mis hors de cause les sociétés Atos SE et Atos International, a débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société Bull à lui verser plusieurs sommes, notamment des rappels de bonus et une indemnité conventionnelle de licenciement.

Appel et demandes des parties

M. [F] a interjeté appel le 8 décembre 2022, demandant la réformation du jugement sur plusieurs points, notamment la nullité de son licenciement qu’il attribue à des faits de harcèlement moral. De son côté, la société Bull a demandé l’infirmation du jugement, contestant les condamnations financières et sollicitant la mise hors de cause de la société Atos International.

Éléments de harcèlement moral

Le salarié a présenté des éléments de fait suggérant un harcèlement moral, notamment une dégradation de ses conditions de travail et une mise à l’écart progressive. Il a également signalé une dégradation de son état de santé, avec des arrêts de travail liés à des troubles dépressifs. L’employeur n’a pas réussi à prouver que ses actions étaient justifiées par des éléments objectifs.

Décisions de la cour d’appel

La cour a déclaré nul le licenciement de M. [F] et a condamné la société Bull à lui verser des sommes importantes, y compris des dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour manquement à l’obligation de prévention. La cour a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées au salarié et a statué sur les intérêts et les dépens.

Conclusion

La décision de la cour d’appel a confirmé certaines condamnations tout en infirmant d’autres, notamment en ce qui concerne les demandes de M. [F] et de la société Bull. La cour a reconnu la réalité du harcèlement moral et a ordonné des réparations financières conséquentes pour M. [F].

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de clôture de l’instruction selon le code de procédure civile ?

L’article 798 du code de procédure civile stipule que l’instruction d’une affaire est close lorsque le juge estime que toutes les pièces nécessaires à la décision ont été produites et que les débats sont suffisants.

En effet, cet article précise :

« L’instruction est close lorsque le juge estime que toutes les pièces nécessaires à la décision ont été produites. »

Cela signifie que le juge a le pouvoir d’évaluer si l’affaire est prête à être jugée, ce qui a été confirmé dans la décision mentionnée.

De plus, l’article 799 du même code indique que, une fois l’instruction close, le tribunal fixe une date pour l’audience :

« Le tribunal fixe la date de l’audience après la clôture de l’instruction. »

Ainsi, la décision de déclarer l’instruction close et de fixer une audience est conforme aux dispositions légales.

Quelles sont les obligations des parties concernant le dépôt des dossiers de plaidoirie ?

Selon la jurisprudence et les articles du code de procédure civile, notamment l’article 800, les parties ont l’obligation de déposer leurs dossiers de plaidoirie au greffe du tribunal au moins quinze jours avant l’audience.

L’article 800 précise :

« Les parties doivent déposer leurs dossiers de plaidoirie au greffe au moins quinze jours avant l’audience. »

Cela permet au tribunal de préparer l’affaire de manière adéquate.

Il est également mentionné que les dossiers de plaidoirie doivent comporter un exemplaire des dernières conclusions régulièrement signifiées ainsi que les pièces présentées dans l’ordre du dernier bordereau de pièces.

Cette exigence vise à garantir que toutes les informations pertinentes soient disponibles pour le juge avant l’audience, facilitant ainsi une décision éclairée.

Quel est le rôle du juge de la mise en état dans cette procédure ?

Le juge de la mise en état a pour rôle principal de superviser l’instruction de l’affaire et de s’assurer que les délais et les procédures sont respectés, conformément aux articles 771 et suivants du code de procédure civile.

L’article 771 stipule :

« Le juge de la mise en état a pour mission de préparer l’affaire en vue de l’audience. »

Il veille à ce que toutes les conditions soient remplies pour que l’affaire puisse être plaidée dans les meilleures conditions.

En outre, le juge de la mise en état peut également ordonner des mesures d’instruction, comme la production de documents ou l’audition de témoins, afin d’éclairer le tribunal sur les points litigieux.

Ainsi, son rôle est crucial pour garantir le bon déroulement de la procédure et le respect des droits des parties.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 JANVIER 2025

N° RG 22/03600

N° Portalis DBV3-V-B7G-VR3U

AFFAIRE :

[U] [F]

C/

Société BULL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 9 novembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

Section : E

N° RG : F19/00148

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sylvie KONG THONG

Me Blandine DAVID

Copie numérique adressée à:

FRANCE TRAVAIL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [U] [F]

né le 21 mars 1962 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Sylvie KONG THONG de l’AARPI Dominique OLIVIER – Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0069

Plaidant : Me Thibaud SAINT SERNIN de la SCP SAINT SERNIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P525

APPELANT

****************

Société BULL

N° SIRET: 642 058 739

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110

Plaidant : Me Damien DECOLASSE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

Société ATOS INTERNATIONAL

N° SIRET : 412 190 977

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110

Plaidant : Me Damien DECOLASSE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 novembre 2024, Monsieur Laurent BABY, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [F] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 14 octobre 1985 par la société Bull.

Cette société est spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de cinquante salariés. Elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Au cours de l’année 2014, la société Bull a intégré le groupe Atos.

A compter du 1er janvier 2015, M. [F] a été promu au poste de Vice-Président « Escala et maintenance ».

De janvier à novembre 2016, M. [F] a bénéficié d’un congé sabbatique.

A compter de mars 2017, M. [F] a été promu au poste de Vice-président alliances.

M. [F] a été placé en arrêt maladie du 25 janvier 2019 au 10 février 2019.

Par requête du 1er mars 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de constater l’existence d’un harcèlement moral et en paiement de demandes afférentes.

Puis, par requête du 4 mars 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de contester son licenciement, de constater l’existence d’un harcèlement moral, de constater la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

M. [F] a été de nouveau placé en arrêt maladie du 18 avril 2019 au 20 mai 2019.

A compter du 1er juillet 2019, M. [F] a été promu au poste de responsable des partenariats internationaux

M. [F] a été placé en arrêt maladie du 2 au 31 octobre 2019.

Par requête du 13 décembre 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Par avis du 5 mars 2020, le médecin du travail a déclaré M. [F] inapte définitivement à tout poste.

Par lettre du 12 mai 2020, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 27 mai 2020.

M. [F] a été licencié par lettre du 2 juin 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement du 9 novembre 2022, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a:

. mis hors de cause les sociétés Atos SE et Atos international

. débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse

. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les sommes suivantes :

. 21 703, 20 au titre du bonus du 1er septembre 2018

. 2 170, 32 euros au titre des congés payés afférents

. 14 279, 23 euros au titre du bonus du 2nd semestre 2019

. 1 427, 92 euros au titre des congés payés afférents

. 27 226, 23 euros au titre du bonus du 1er semestre 2020

. 2 722, 63 euros au titre des congés payés afférents

. 36 381 euros au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement

. 1 500 euros au titre de l’article 700

. ordonné l’exécution provisoire

. condamné la société Bull à payer à M. [F] les intérêts légaux sur ces sommes et leur capitalisation

. débouté M. [F] et la société Bull du reste de leurs demandes respectives.

Par déclaration adressée au greffe le 8 décembre 2022, M. [F] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 22 octobre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [F] demande à la cour de :

. dire et juger M. [F] recevable et bien fondé en son appel ;

Y faisant pleinement droit,

. réformer le jugement en ce qu’il a :

. mis la société Atos international hors de cause,

. à titre principal, débouté M. [F] de sa demande de nullité du licenciement en ce que l’inaptitude trouvait son origine dans les faits de harcèlement moral subis et dénoncés judiciairement par le salarié ;

. subsidiairement, débouté M. [F] de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. débouté M. [F] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis ;

. débouté M. [F] de sa demande de rappel de bonus du 1er semestre 2019 d’un montant de 16 075 euros, outre les 1 607,50 euros au titre des congés payés afférents ;

. partiellement fait droit à la demande de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement mais refusé de l’octroyer à hauteur de 76 661 euros ;

. débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;

. débouté M. [F] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la violation de l’obligation de prévention de l’employeur.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

. dire et juger que le licenciement pour inaptitude trouve son origine dans les faits de harcèlement moral subis et dénoncés judiciairement par le salarié ;

. dire et juger que le licenciement est nul ;

En conséquence,

. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] la somme de 490 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Subsidiairement,

. dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] la somme de 418 380 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

. condamner les sociétés Atos et/ou Bull à payer à M. [F] les sommes suivantes :

. 125 514 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 12 551 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents sur préavis,

. 7 572 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2019, outre 757 20 euros au titre des congés payés afférents.

. 108 606 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi

. 108 606 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice lié à la violation de l’obligation de prévention de l’employeur

. 107 912 euros au titre du reliquat de l’indemnité conventionnelle de licenciement

. 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris, ceux éventuels d’exécution,

. confirmer le jugement en ce qu’il condamné la société Bull à payer à M. [F] les rappels de bonus suivants :

. 21 703,20 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2018, outre la somme de 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents.

. 14 279,23 euros au titre du rappel de bonus du 2ème semestre 2019, outre les 1 427,92 euros au titre des congés payés afférents.

. 27 226,23 euros au titre du rappel de bonus du 1er semestre 2020, outre les 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents.

. assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1154 du Code Civil .

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Bull et la société Atos international demandent à la cour de :

1. La société Atos international sollicite de :

. constater l’absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel de M. [F] s’agissant de la mise en cause de la société Atos international ;

. en toute hypothèse, mettre la société Atos international hors de cause ;

. condamner M. [F] à verser à la société Atos international la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

2. La société Bull SAS sollicite de :

. infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 9 novembre 2022 (RG n°19/00148) en ce qu’il a :

. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les sommes suivantes :

. 21 703,20 euros au titre du bonus du 1er semestre 2018 ;

. 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents ;

. 14 279,23 euros au titre du bonus du 2nd semestre 2019 ;

. 1 427,92 euros au titre des congés payés afférents ;

. 27 226,23 euros au titre du bonus du 1er semestre 2020 ;

. 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents ;

. 36 381 euros au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

. ordonné l’exécution provisoire ;

. condamné la société Bull SAS à payer à M. [F] les intérêts légaux sur ces sommes et leur capitalisation ;

. débouté la société Bull SAS du reste de ses demandes.

Et à statuant à nouveau,

. débouter M. [F] de l’intégralité de ses demandes ;

. confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 9 novembre 2022 (RG n°19/00148) en l’ensemble de ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

. condamner M. [F] à verser à la société Bull la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIF

Sur la mise hors de cause de la société Atos International

A juste titre, les sociétés Bull et Atos International font observer que dans sa déclaration d’appel, le salarié ne formule aucune critique du jugement en ce qu’il met la société Atos International hors de cause, l’appel étant limité aux autres chefs de jugement.

L’effet dévolutif de l’appel du salarié ne s’est donc pas étendu au chef de dispositif par lequel le conseil de prud’hommes a mis la société Atos International hors de cause. Ce chef de dispositif n’étant pas querellé, il est devenu irrévocable.

Sur la rémunération variable du salarié

L’employeur conclut à l’infirmation du jugement qui l’a condamné à un rappel de prime alors selon lui que les objectifs du salarié ont bien été définis et qu’ils n’ont pas toujours été atteints.

Le salarié invoque l’absence de fixation de ses objectifs en dépit des stipulations de son contrat de travail.

***

En l’absence de fixation des objectifs, ou en cas d’objectifs non réalisables, ou encore en l’absence de concertation avec le salarié pour cette fixation ou si ces objectifs n’ont pas été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice, l’employeur est tenu de verser à ce dernier l’intégralité de sa rémunération variable contractuelle comme s’il avait atteint l’entièreté de ses objectifs. (cf Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-20.978, publié).

Par ailleurs, lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire. Or, seul l’employeur détient les éléments propres à déterminer si oui ou non les objectifs du salarié ont été réalisés. L’employeur ne peut donc se contenter d’affirmer, sans en rapporter spécialement la preuve, que les objectifs du salarié n’avaient pas été réalisés.

En l’espèce, le contrat de travail du salarié (pièce 1b ‘ avenant du 1er juillet 2014) prévoit que sa rémunération annuelle brute est fixée à 197 072,65 euros à objectifs atteints à 100 %, cette rémunération se décomposant ainsi :

. 135 912,17 euros annuels bruts à titre de salaire annuel fixe,

. « et d’une part variable théorique annuelle de 45 % de [son] salaire fixe annuel brut, à objectifs atteints à 100% ».

Les parties parlent indifféremment dans leurs écritures de « bonus » ou de « prime d’objectifs » désignant en fait la même chose, à savoir la « part variable » mentionnée dans le contrat de travail, et, par conséquent, dans la suite du présent arrêt.

Le salarié présente sa demande en la divisant en semestres pour chaque année. Il faut en déduire que les objectifs étaient semestriellement définis.

Il déplore :

. pour le premier semestre 2018, une absence de définition de ses objectifs et le fait de n’avoir reçu qu’une part variable de 8 877 euros,

. pour le premier semestre 2019, une absence de définition de ses objectifs et le fait qu’il n’a perçu qu’une part variable de 23 008 euros sans aucune explication,

. pour le second semestre 2019, le fait qu’il n’a reçu qu’une part variable de 16 301 euros alors que ses objectifs avaient été atteints,

. pour le premier semestre 2020, une absence de définition de ses objectifs et le fait qu’il n’a perçu qu’une part variable de 3 354 euros sans aucune explication.

Compte tenu de la rémunération du salarié, celui-ci aurait dû percevoir une somme de 30 580,23 euros par semestre au titre de la « part variable » prévue par le contrat de travail si ses objectifs avaient été atteints.

La société produit en pièces 21 à 25 les objectifs assignés au salarié. Néanmoins hormis les objectifs du second semestre dont le salarié a accusé réception le 5 septembre 2019, aucun des autres objectifs ne sont datés de sorte que pour les années 2018 et 2020, et le premier semestre de 2019 il convient d’accueillir la demande du salarié.

Pour le second semestre 2019, l’employeur produit en pièce 24 (traduction en pièce 24 bis) le détail des objectifs du salarié et leur pourcentage d’atteinte, expliquant ainsi de façon détaillée quel calcul lui a permis de fixer à 16 301 euros la part variable due au salarié, qui n’avait pas atteint ses objectifs à 100 %. Ainsi, la demande du salarié pour ce semestre doit être rejetée.

En synthèse de ce qui précède, sont dus au salarié les rappels de part variable suivants, ainsi déterminés :

1er semestre 2018: 30 580,23 – 8 877 = 21 703,23 euros

1er semestre 2019 : 30 580,23 – 23 008 = 7 572,23 euros

2d semestre 2019 : 0 euro

1er semestre 2020 : 30 580,23 ‘ 3 354 = 27 226,23 euros

Il convient donc :

. de confirmer le jugement en ce qu’il condamne l’employeur à payer au salarié :

. 21 703,20 euros au titre du rappel de part variable (improprement appelé « bonus » par le conseil de prud’hommes) du 1er semestre 2018 et 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents,

. 27 226,23 euros au titre du rappel de part variable (improprement appelé « bonus » par le conseil de prud’hommes) du 1er semestre 2020 et 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents.

Infirmant le jugement, et statuant dans les limites de la demande, il convient par ailleurs :

. de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 7 572 euros de rappel de part variable au titre du 1er semestre 2019, outre 757,20 euros au titre des congés payés afférents,

. de débouter le salarié de sa demande de rappel de part variable au titre du second semestre 2019.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Enfin, l’article L. 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En l’espèce, le salarié invoque les faits suivants :

La dégradation de ses conditions de travail et sa rétrogradation

Il est établi par les pièces versées aux débats que l’étendue des fonctions de vice-président « Escala et maintenance », poste confié au salarié le 1er janvier 2015, a été réduite, mi-2015, par l’effet d’une scission entre les fonctions « Escala » et « maintenance » lors d’une réorganisation interne à l’entreprise postérieurement au rachat de la société Bull par le groupe Atos.

Le salarié a au surplus été mis devant le fait accompli, postérieurement à la réorganisation de son service, n’ayant en effet pas été consulté lors de cette réorganisation (pièce 3d du salarié) alors qu’en sa qualité de Business manager de niveau 9, la rubrique « influence » de sa fiche de poste indique qu’il « peut influencer de manière cruciale la réussite de l’entreprise / l’activité / l’entité. A des responsabilités dans l’élaboration de la politique. L’influence s’exerce au niveau du comité de direction ou à un niveau équivalent auprès des clients » (cf. fiche de poste en pièce 2h du salarié).

La société ne conteste au demeurant pas que le salarié n’a pas été associé à la réorganisation de ses fonctions puisqu’elle soutient dans ses conclusions qu’elle n’avait pas à le faire, quand bien même le salarié avait occupé « des postes de haut niveau au sein de l’entreprise » puisqu’il « ne faisait pas partie des plus hauts cercles de direction » de sorte qu’« ainsi, son opinion n’a pas été sollicitée (et n’avait pas à l’être) lors des négociations liées à la fusion des différentes entités de Bull SAS et d’Atos International (‘) ».

En outre, il ressort des explications du salarié que le fait, pour la société, de lui avoir retiré son activité « Maintenance », lui laissant la seule activité « Escala » qui ne représentait que 25 % de son activité antérieure que ce soit en termes de chiffre d’affaires ou en termes d’effectifs, est établi.

C’est dans ces circonstances que le salarié a pris son congé sabbatique, durant l’année 2016 mais à son retour, en novembre 2016, le salarié s’est vu proposer une mission temporaire de huit mois qu’il a refusée comme n’étant pas en adéquation avec les fonctions qu’il exerçait auparavant et qui l’avaient placé à la tête de deux divisions mondiales comptant 170 salariés.

Le poste de « vice-président Alliances » lui a alors été confié en mars 2017, étant précisé que ce poste n’impliquait aucun management et qu’entre le mois de novembre 2016 et le mois de mars 2017, le salarié n’a eu aucune activité.

En outre, il ressort du courriel que le salarié a adressé à son supérieur hiérarchique le 30 mai 2017 qu’en réalité, les équipes de terrain dont il était, par ses fonctions, supposé assurer le support, n’en avaient aucun besoin de sorte que le poste qui lui avait été confié était, dans les faits, dépourvu de consistance.

Les pièces versées aux débats montrent que dans le courant de l’année 2019, les parties ont été en discussion sur les modalités d’une rupture (cf. pièce 16 du salarié ‘ lettre du 18 juin 2019) étant ici rappelé que le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes le 1er mars d’une demande indemnitaire pour harcèlement moral.

Dans ce contexte, les parties n’étant pas parvenues à un accord sur les modalités de la rupture, le poste de « responsable des partenariats internationaux » a été confié au salarié à partir de mois de juin 2019. Mais comme le montre la pièce 8 de l’employeur, ce n’est que le 9 août 2019 que le salarié a obtenu de son supérieur hiérarchique les informations pertinentes lui permettant d’entrer en contact avec les partenaires internationaux avec lesquels la société souhaitait travailler.

Selon le rapport établi par le salarié en septembre 2019 (pièce 17 du salarié), les perspectives de partenariat avec les huit opérateurs avec lesquels la société souhaitait établir des relations étaient minces ce qui fait dire au salarié que son poste était, là encore, dépourvu de consistance. A l’inverse, l’employeur objecte que ce même rapport laisse entrevoir au contraire des opportunités, ajoutant que les possibilités de développement de partenariats avec ces opérateurs correspondait au niveau de responsabilité du salarié.

La cour n’est pas en mesure de se prononcer, au vu de ce rapport, sur le point de savoir si des opportunités se présentaient ou non, mais en tout état de cause, d’une part les responsabilités confiées au salarié dans le cadre de son nouveau poste de « responsable des partenariats internationaux » est sans commune mesure avec les responsabilités qu’il exerçait auparavant.

D’autre part, la cour relève que lorsque, courant mai 2020, le CSE s’est réuni pour donner un avis sur le reclassement du salarié consécutivement à l’avis d’inaptitude du médecin du travail, ledit CSE a relevé que le salarié s’est retrouvé plusieurs fois sans poste, et que son cas « intervient dans la continuité des vagues de départs contraints suite au rachat de Bull par le groupe Atos. Ces agissements confirment aux élus des pratiques déloyales déjà observées chez Atos, incitant fortement des salariés à quitter le groupe » (pièce 32 du salarié).

Dès lors, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le salarié établit la réalité de la dégradation de ses conditions de travail et de sa rétrogradation.

Sa mise à l’écart

Le salarié expose que d’août 2018 à juin 2019, son supérieur hiérarchique l’a mis à l’écart puisqu’il ne l’a plus convié à aucune réunion, qu’il s’agisse des réunions hebdomadaires ou des points individuels hebdomadaires.

Toutefois, la société établit l’avoir invité à des réunions mensuelles comme le montre sa pièce 5 au cours de la période considérée.

En revanche, la société ne conteste pas que les réunions hebdomadaires avec son supérieur, M. [S], n’ont plus été organisées, la société indiquant qu’elles n’avaient plus à l’être et qu’elles n’avaient initialement été mises en ‘uvre qu’à la prise de poste du salarié en mars 2017.

Le salarié invoque aussi une baisse du nombre de courriels que lui adressait son supérieur hiérarchique. Il s’appuie pour cela sur sa pièce 6f qui recense le nombre de courriels adressés, chaque mois, au salarié par son supérieur hiérarchique entre les mois d’avril 2017 et de janvier 2019. Il ressort de cette pièce que, comme le soutient le salarié, le nombre de courriels a fortement diminué au fil du temps et qu’entre juillet 2018 et janvier 2019, seuls deux courriels ont été adressés au salarié par son supérieur hiérarchique : un en août 2018 et un en septembre 2018 (aucun en juillet 2018 et aucun pour les mois d’octobre 2018 à janvier 2019).

Outre le fait que la pauvreté des échanges entre le salarié et son supérieur hiérarchique accrédite l’idée, vue plus haut, selon laquelle son poste était en réalité sans consistance, il montre en outre que le supérieur hiérarchique du salarié n’attendait en définitive rien de celui-ci ce qui caractérise la mise à l’écart qu’il invoque.

L’amputation de sa rémunération variable

Comme vu plus haut, il est établi que, comme le soutient le salarié, ses objectifs ne lui ont pas systématiquement été communiqués en début d’exercice (de semestre en l’occurrence) et il a par ailleurs été privé d’une partie de sa rémunération variable.

Le fait est établi.

Des alertes restées sans réponse

Le salarié établit avoir régulièrement avisé l’employeur de ce que les postes qui lui étaient proposés n’étaient pas en adéquation avec ses compétences et responsabilités antérieures. Il établit aussi avoir indiqué à plusieurs reprises qu’il subissait un harcèlement moral sans que l’employeur ne prenne des dispositions pour le faire cesser, en particulier en cessant d’affecter le salarié à des postes ayant pour effet son déclassement ou à des postes sans réelle consistance ou en diligentant une enquête ainsi que le salarié l’avait demandé par lettre du 14 juin 2019.

La dégradation de son état de santé

Le salarié établit la réalité de la dégradation de son état de santé dès lors qu’il montre avoir bénéficié d’un traitement par antidépresseurs à partir du mois d’avril 2019, qu’il a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail courant 2019 (ceux des 25 janvier 2019, 19 avril 2019 mentionnant un « état dépressif réactionnel », ceux des 2 mai 2019 et 2 octobre 2019 mentionnant un « syndrome anxio dépressif » et enfin, ceux de 2020 mentionnant quant à eux une « anxiété dépression »), que le médecin du travail a relevé par deux fois en mai 2019 et janvier 2020 sa souffrance au travail et qu’en définitive, ledit médecin du travail l’a, le 5 mars 2020, déclaré inapte à son poste de travail estimant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Les faits présentés par le salarié, pris dans leur ensemble, laissent supposer un harcèlement moral qui a eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il incombe donc à l’employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur, qui se borne à contester la réalité du déclassement du salarié et de sa mise à l’écart, alors que la cour les a retenus, ne prouve pas que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral, quand bien même la société se réorganisait par suite de son intégration dans le groupe Atos.

Le harcèlement moral est établi. Il en est résulté, pour le salarié, un préjudice qu’il convient de réparer par une somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts.

La dégradation de l’état de santé du salarié et son inaptitude ayant conduit au licenciement sont la conséquence de ce harcèlement moral.

Infirmant le jugement, il conviendra de dire nul le licenciement.

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dont les dispositions sont d’ordre public et sont donc dans les débats, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur les demandes financières consécutives à la nullité du licenciement

A titre liminaire, la cour ayant, pour l’année 2020, accordé l’intégralité de la part variable semestrielle revendiquée par le salarié, son salaire moyen doit être évalué à la somme de 16 665,70 euros bruts mensuels (soit son salaire de base de 11 569 euros bruts mensuels majoré d’un sixième de part variable semestrielle [30 580,23/6 = 5 096,70]).

Le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul qui, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Compte tenu du niveau de rémunération du salarié (16 665,70 euros bruts mensuels), de son ancienneté de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à son expérience professionnelle, à son âge lors du licenciement (58 ans), de ce qu’il justifie qu’au 11 décembre 2023, il était toujours inscrit en tant que demandeur d’emploi et percevait une allocation d’aide au retour à l’emploi de 6 747 euros mensuels, mais ne justifie d’aucune recherche d’emploi, le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte de son emploi, sera réparé par une indemnité de 490 000 euros, somme au paiement de laquelle, par voie d’infirmation, l’employeur sera condamné.

En ce qui concerne l’indemnité compensatrice de préavis, les parties sont en discussion sur l’éligibilité du salarié au bénéfice de cette indemnité, l’employeur s’opposant à la demande considérant que le salarié déclaré inapte est dans l’impossibilité d’effectuer ce préavis et ne peut y prétendre en application de l’article L. 1226-4 du code du travail, et le salarié objectant qu’il peut au contraire y prétendre compte tenu de ce que son inaptitude résulte du comportement de l’employeur à son égard.

Lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de rupture (Soc., 5 juin 2001, Bull. civ. V, n° 211) et peu important au demeurant que ledit salarié soit dans l’impossibilité physique d’exécuter le préavis.

Par ailleurs, l’article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie prévoit que « (‘) le délai congé réciproque est (‘) 6 mois pour l’ingénieur ou cadre âgé de 55 ans ou plus (‘) ».

En l’espèce, la cour a retenu que le licenciement était nul en raison d’un harcèlement moral. Il importe donc peu que le salarié ait été déclaré inapte par le médecin du travail et qu’il ait donc été dans l’impossibilité physique d’exécuter son préavis.

L’indemnité compensatrice de préavis est donc due au salarié, étant précisé qu’il n’est pas discuté que cette indemnité correspond à six mois de salaire en application de l’article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, compte tenu de l’âge du salarié lors de la rupture.

Il convient donc, par voie d’infirmation, de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 99 994,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 9 999,42 euros au titre des congés payés afférents.

Les parties sont enfin en discussion sur un reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Il n’est pas discuté que selon l’accord d’entreprise du 22 avril 2016, l’indemnité de licenciement « se calcule en mois de rémunération sur les bases suivantes :

(‘) Au-delà de 7 ans d’ancienneté : 7/3 de mois au titre des 7 premières années + 3/5ème de mois par année supplémentaire au-delà de la 7ème année.

(‘) Par ailleurs, les majorations suivantes seront appliquées (‘) pour les collaborateurs ayant plus de 55 ans et justifiant de 5 années de présence dans la société (‘) à la date de la rupture du contrat de travail : majoration de 30 % du montant total de l’indemnité sans que le montant total puisse être inférieur à 6 mois.

Le plafond de l’indemnité des ingénieurs et cadres est fixé à 24 mois. Ce plafond comprend les majorations dont bénéficient les collaborateurs âgés de 50 et 55 ans ».

En l’espèce, le salarié était âgé de 58 ans lors de la rupture. Il justifie d’une ancienneté de 35 années.

Le plafond de son indemnité conventionnelle de licenciement est de 399 976,80 euros, somme qui, en tout état de cause, ne peut être dépassée.

L’application de la formule prévue par l’accord d’entreprise conduit au cas d’espèce à évaluer l’indemnité conventionnelle de licenciement due au salarié à un montant supérieur au plafond.

Dès lors, l’indemnité de licenciement due au salarié correspond au plafond susvisé.

Il ressort des débats que le salarié a perçu, lors de son licenciement, une indemnité conventionnelle de licenciement de 357 763 euros.

Il reste donc dû au salarié la somme de 42 213,80 euros (399 976,80 – 357 763), somme au paiement de laquelle, par voie d’infirmation, l’employeur sera condamné.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral

Le salarié se fonde sur l’article L. 1152-4 du code du travail et expose avoir lancé de nombreuses alertes et soutient qu’en dépit de son ancienneté et desdites alertes, l’employeur s’est contenté de contester ses dénonciations sans même en vérifier la réalité. Il expose qu’il en est résulté pour lui un préjudice consistant dans le fait qu’il a été privé de la possibilité de s’expliquer sur son état de souffrance au travail médicalement constatée et de voir rétablies des conditions de travail normales.

L’employeur conteste en premier lieu tout manquement. Il objecte en deuxième lieu que le salarié ne justifie pas d’un préjudice qui n’aurait pas déjà été réparé par ailleurs. Il conteste enfin le quantum du préjudice allégué par le salarié, lequel l’évalue à 108 606 euros.

***

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En application des dispositions de ces articles il pèse sur l’employeur une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, dont il lui revient d’assurer l’effectivité ; il ne peut prendre aucune mesure qui aurait pour objet ou pour effet de compromettre la santé ou la sécurité des salariés (Soc., 28 février 2006, n°05-41.555, Bull.n°87 ; Soc., 5 mars 2008, n°06-45.888, Bull. n°46).

Toutefois, ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444, Bull. n°234, publié au Rapport annuel).

En outre, l’article L. 1152-4 du code du travail dispose que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En l’espèce, ainsi qu’il a été jugé plus haut, en dépit de plusieurs alertes adressées par le salarié, soit à sa hiérarchie, soit à la direction des ressources humaines, l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral subis par le salarié et pour faire cesser ces agissements.

Il en est résulté, pour le salarié, un préjudice distinct qui n’a pas été réparé par l’indemnité qui lui a été accordée au titre du harcèlement moral lui-même, ce préjudice consistant en un préjudice moral tenant à l’indifférence que son employeur lui a témoignée ce qui, comme il le soutient, l’a privé de la possibilité de s’exprimer sur son état de souffrance au travail médicalement constaté.

Ce préjudice sera réparé par des dommages-intérêts qu’il convient de fixer à la somme de 2 000 euros, par ajout au jugement.

Sur les intérêts

Les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ou à compter du jugement du conseil de prud’hommes s’agissant d’un arrêt confirmatif.

Les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire produiront quant à elles intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.

Sur la demande tendant à la capitalisation des intérêts

L’article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par le salarié et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.

Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

Il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de confirmer le jugement en ce qu’il condamne l’employeur à payer au salarié une indemnité de 1 500 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

CONSTATE l’absence d’effet dévolutif du chef de la mise hors de cause de la société Atos International,

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il condamne la société Bull à payer à M. [F] la somme de 21 703,20 euros au titre du rappel de part variable du 1er semestre 2018 et 2 170,32 euros au titre des congés payés afférents, 27 226,23 euros au titre du rappel de part variable du 1er semestre 2020 et 2 722,63 euros au titre des congés payés afférents, et la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement sur le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT nul le licenciement de M. [F],

CONDAMNE la société Bull à payer à M. [F] les sommes suivantes :

. 7 572 euros de rappel de part variable au titre du 1er semestre 2019, outre 757,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 6 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

. 2 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral,

. 490 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

. 99 994,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 9 999,42 euros au titre des congés payés afférents,

. 42 213,80 euros de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,

DIT que les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire sont assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

DÉBOUTE M. [F] sa demande de rappel de part variable au titre du second semestre 2019,

ORDONNE le remboursement par la société Bull aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage en application de l’article L. 1235-4 du code du travail,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Bull à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Bull aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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