Conditions de prolongation de la rétention administrative et appréciation de la menace à l’ordre public

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Conditions de prolongation de la rétention administrative et appréciation de la menace à l’ordre public

L’Essentiel : M. [Y] [I], de nationalité gabonaise, est retenu au centre de rétention administrative de Mesnil Amelot n°2. Le 26 décembre 2024, un magistrat a ordonné la prolongation de sa rétention pour quinze jours. M. [Y] [I] a interjeté appel de cette décision, exprimant son souhait d’infirmer l’ordonnance. La défense soutient que cette prolongation est punitive, tandis que l’administration justifie ses démarches pour l’éloignement. Le premier juge a noté la condamnation de M. [I] pour trafic de stupéfiants, établissant une menace pour l’ordre public. L’ordonnance de prolongation est finalement confirmée, avec possibilité de pourvoi en cassation.

Identité de l’Appelant

M. [Y] [I], né le 28 septembre 1984 à [Localité 1], de nationalité gabonaise, est retenu au centre de rétention administrative de Mesnil Amelot n°2. Il est assisté par Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris, qui plaide par visioconférence.

Identité de l’Intimé

L’intimé dans cette affaire est le Préfet de l’Essonne, représenté par Me Adrien Phalippou, également avocat au barreau de Paris, présent en salle d’audience de la Cour d’appel de Paris.

Ordonnance de Rétention

Le 26 décembre 2024, un magistrat du tribunal judiciaire de Meaux a ordonné la prolongation de la rétention de M. [Y] [I] pour une durée de quinze jours, à compter du 25 décembre 2024. M. [Y] [I] a interjeté appel de cette ordonnance le 27 décembre 2024.

Observations des Parties

Lors de l’audience, M. [Y] [I] a exprimé, par visioconférence, son souhait d’infirmer l’ordonnance, tandis que le conseil du préfet a plaidé pour sa confirmation.

Conditions de Prolongation de Rétention

Selon l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, le juge peut être saisi pour prolonger la rétention au-delà de la durée maximale si certaines conditions sont remplies, telles que l’obstruction à l’éloignement ou la présentation d’une demande d’asile.

Appréciation de la Menace pour l’Ordre Public

La menace pour l’ordre public doit être évaluée en fonction d’un faisceau d’indices, prenant en compte le comportement de l’intéressé et sa volonté d’insertion. La jurisprudence du Conseil d’État souligne que la commission d’infractions pénales ne suffit pas à établir une menace pour l’ordre public.

Arguments de la Défense

La défense de M. [I] soutient que la prolongation de la rétention aurait une finalité punitive, mais l’administration a démontré qu’elle a entrepris des démarches pour obtenir son éloignement, et la législation permet cette quatrième prolongation.

Appréciation de la Situation de M. [Y] [I]

Le premier juge a noté que M. [I] avait été condamné pour trafic de stupéfiants en récidive, ce qui établit une menace pour l’ordre public. La défense n’a pas réussi à prouver que la prolongation n’était pas justifiée.

Confirmation de l’Ordonnance

L’ordonnance de prolongation de la rétention est confirmée, et il est ordonné que la décision soit notifiée à l’intéressé par le chef du centre de rétention. Un pourvoi en cassation est ouvert, avec un délai de deux mois pour le former.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour une quatrième prolongation de la rétention administrative selon l’article L. 742-5 ?

La prolongation de la rétention administrative au-delà de la durée maximale prévue par l’article L. 742-4 est encadrée par l’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Cet article stipule que, à titre exceptionnel, le juge peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention si l’une des situations suivantes se présente durant la troisième prolongation de quinze jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, et il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Il est important de noter que ces critères ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie qu’il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier une prolongation de la rétention.

Comment l’administration doit-elle caractériser la menace pour l’ordre public ?

Pour justifier une prolongation de la rétention administrative sur la base de la menace pour l’ordre public, l’administration doit caractériser cette menace de manière précise.

L’article L. 742-5 précise que la menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, c’est-à-dire qu’elle doit être évaluée en fonction d’un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace.

Cette appréciation doit prendre en compte le comportement de l’intéressé ainsi que sa volonté d’insertion ou de réhabilitation.

La jurisprudence du Conseil d’État, notamment dans l’affaire CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B, souligne que la commission d’une infraction pénale ne suffit pas à elle seule à établir une menace pour l’ordre public.

Il est essentiel que cette menace soit réelle à la date considérée, ce qui implique que l’administration doit démontrer que la menace persiste au moment de la prolongation exceptionnelle.

Quels sont les recours possibles contre l’ordonnance de prolongation de la rétention ?

L’ordonnance de prolongation de la rétention administrative n’est pas susceptible d’opposition, mais elle peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Selon les dispositions applicables, le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention, ainsi qu’au ministère public.

Le délai pour former un pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification de l’ordonnance.

Le pourvoi doit être formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Il est donc crucial pour l’intéressé de respecter ce délai et de suivre la procédure adéquate pour contester la décision de prolongation de la rétention.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 30 DECEMBRE 2024

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 24/06125 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQ2B

Décision déférée : ordonnance rendue le 26 décembre 2024, à 16h44, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux

Nous, Michael Humbert,conseiller à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assisté de Maiia Spiridonova, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT

M. [Y] [I]

né le 28 septembre 1984 à [Localité 1], de nationalité gabonaise

RETENU au centre de rétention : Mesnil Amelot n°2

assisté de Me Ruben Garcia de la seleurl Garcia avocats, avocat au barreau de Paris,présent en salle d’audience au centre de rétention administrative du [2], plaidant par visioconférence

INTIMÉ

LE PRÉFET DE L’ESSONNE

représenté par Me Adrien Phalippou de la selarl Centaure avocats, avocats au barreau de Paris présent en salle d’audience de la Cour d’appel de Paris,

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu l’ordonnance du 26 décembre 2024 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux ordonnant la prolongation de la rétention de M. [Y] [I] au centre de rétention administrative n°2 du [2] (77) ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de quinze jours à compter du 25 décembre 2024 ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 27 décembre 2024 , à 15h31 , par M. [Y] [I] ;

– Après avoir entendu les observations :

– par visioconférence, de M. [Y] [I], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de l’Essonne tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Sur les conditions d’une quatrième prolongation de la rétention administrative

Il résulte des dispositions de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qu’à titre exceptionnel, le juge peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes survient au cours de la troisième prolongation exceptionnelle de quinze jours :

« 1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatif, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public.

Dans ce contexte, la menace pour l’ordre public fait l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé et, le cas échéant, sa volonté d’insertion ou de réhabilitation.

Dans le cadre adopté par le législateur, la notion de menace à l’ordre public a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulières sur le territoire national.

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat dont la jurisprudence peut inspirer le juge judiciaire dans un souci de sécurité juridique CE, Réf. N°389959 , 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public, mais, surtout, cette menace doit être réelle à la date considérée, ce qui est le cas si elle « survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa ». Il ne s’agit donc pas de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau, causé par un acte distinct des précédents, est intervenu au cours de la dernière période de rétention de 15 jours. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace.

Si la défense de M. [I] soutient que la prolongation sollicitée n’aurait qu’une finalité ‘punitive’ au sens du droit de l’Union Européenne dès lors que l’administration ne peut raisonnablement espérer obtenir l’éloignement effectif de l’intéressé dans les délais restants de la mesure de rétention administrative, il n’en demeure pas moins que l’Administration a fait la démonstration – d’une part – des démarches accomplies pour obtenir l’éloignement de l’individu et – d’autre part – que le principe d’une 4ème prolongation tel qu’il est prévu par la législation précitée a été déclaré conforme à la Constitution et ne contrarie pas non plus le droit de l’Union Européenne. Ce moyen doit donc être rejeté comme inopérant.

Sur l’appréciation de la situation de M. [Y] [I]

En l’espèce, il y a lieu d’adopter les motifs retenus par le premier juge qui a noté, à juste titre et d’après un examen pertinent des pièces produites que M. [I] avait été condamné le 11 octobre 2023 pour trafic de stupéfiants en récidive et le 17 juin 2022 pour des faits de trafic de stupéfiants. Le premier juge a justement relevé que la condamnation du 17 juin 2022 a également révoqué un sursis probatoire antérieur, ce qui démontre que l’intéressé ne s’est pas saisi de cette mesure d’accompagnement judiciaire pour régulariser sa situation administrative et s’abstenir de récidiver. En conséquence, la menace pour l’ordre public perdure donc au sens de l’article L.742-5 précité et doit être considérée comme établie au stade de la quatrième prolongation.

L’administration peut donc se fonder sur cette disposition, sans qu’il y ait lieu de statuer les autres critères, notamment ceux relatifs aux « brefs délais » de délivrance d’un laissez-passer, pour solliciter une quatrième prolongation de rétention.

Il convient donc de confirmer l’ordonnance critiquée.

PAR CES MOTIFS

CONFIRMONS l’ordonnance,

DISONS que la présente ordonnance sera notifiée à l’intéressé par l’intermédiaire du chef du centre de rétention administrative,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 30 décembre 2024 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’avocat de l’intéressé


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