Filiation et fraude : enjeux de la reconnaissance parentale

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Filiation et fraude : enjeux de la reconnaissance parentale

L’Essentiel : En 2015, [A], fille de Mme [X] et M. [S] [I], a été reconnue par anticipation. Cependant, en août 2022, le procureur a engagé une procédure judiciaire pour annuler cette reconnaissance, invoquant une fraude. Des contradictions dans les déclarations des parents ont été révélées, Mme [X] affirmant que M. [S] était le père biologique, tandis que ce dernier soutenait avoir reconnu l’enfant pour aider à régulariser la situation de Mme [X]. En décembre 2022, un administrateur ad hoc a été désigné pour représenter l’enfant. Finalement, le tribunal a annulé la reconnaissance de paternité en novembre 2024.

Naissance et reconnaissance de l’enfant

[A], [M], [Y], [T] [I] est née le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 6]. Sa mère, Mme [X], et son père, M. [S] [I], ont reconnu l’enfant par anticipation le 23 avril 2015.

Procédure judiciaire engagée

Le 10 et le 30 août 2022, le procureur de la République a assigné Mme [X] et M. [S] [I] devant le tribunal judiciaire de Nanterre, demandant l’annulation de la reconnaissance de paternité de M. [S] [I] au motif de fraude.

Contradictions dans les déclarations

Le procureur a été informé le 26 mai 2020 de la demande de titre de séjour de Mme [X] en tant que parent d’un enfant français. Une enquête a révélé des versions contradictoires : Mme [X] soutenait que M. [S] était le père biologique, tandis que M. [S] affirmait avoir reconnu l’enfant pour aider Mme [X] à régulariser sa situation.

Désignation d’un administrateur ad hoc

Le 13 décembre 2022, un administrateur ad hoc a été désigné pour représenter l’enfant [A] dans le cadre de la procédure judiciaire.

Jugement et expertise

Le tribunal a déclaré l’action en annulation recevable et a ordonné une expertise. Le rapport de l’expert a été déposé le 3 avril 2024.

Demandes du ministère public

Dans ses conclusions du 7 mai 2024, le ministère public a demandé l’annulation de la reconnaissance de paternité, affirmant que celle-ci était frauduleuse et que le refus de M. [S] de se soumettre à l’expertise renforçait cette position.

Position de Mme [X]

Mme [X] a demandé le rejet de la demande du ministère public, affirmant que M. [S] avait agi en tant que père et qu’une décision antérieure avait établi un exercice conjoint de l’autorité parentale.

Arguments de l’administrateur ad hoc

L’administrateur ad hoc a soutenu que les discordances dans les déclarations ne suffisaient pas à prouver la fraude et que des éléments de preuve établissaient une filiation sociale.

Clôture de l’affaire et décision finale

L’affaire a été mise en délibéré le 26 novembre 2024. Le tribunal a annulé la reconnaissance de paternité de M. [S] et a ordonné la transcription de cette décision sur l’acte de naissance de l’enfant, stipulant que l’enfant se nommera [Z]. M. [S] a été condamné aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la base légale de l’annulation de la reconnaissance de paternité ?

L’annulation de la reconnaissance de paternité est régie par les articles 311-14 et 336 du Code civil.

L’article 311-14 stipule que :

« La reconnaissance de paternité peut être annulée en cas de fraude. »

Cet article établit que si la reconnaissance a été effectuée dans un but frauduleux, elle peut être annulée.

L’article 336 précise quant à lui que :

« La reconnaissance de paternité peut également être contestée par le ministère public, lorsque la reconnaissance a été faite dans des conditions qui ne permettent pas d’établir un lien de filiation. »

Dans le cas présent, le ministère public a soulevé des éléments indiquant que M. [S] [I] a reconnu l’enfant dans le seul but de régulariser sa situation administrative, ce qui pourrait constituer une fraude au sens de ces articles.

Quelles sont les conséquences de l’annulation de la reconnaissance de paternité ?

L’annulation de la reconnaissance de paternité entraîne plusieurs conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne l’état civil de l’enfant.

Selon l’article 334 du Code civil :

« L’annulation de la reconnaissance de paternité entraîne la suppression de tous les effets de la filiation établie par cette reconnaissance. »

Cela signifie que l’enfant ne pourra plus se prévaloir des droits liés à la filiation avec M. [S] [I], y compris le nom et les droits successoraux.

De plus, le tribunal a ordonné que l’enfant se nommera [Z], ce qui implique un changement d’état civil.

L’article 335 précise également que :

« La décision d’annulation doit être transcrite sur l’acte de naissance de l’enfant. »

Ainsi, le jugement du tribunal sera inscrit en marge de l’acte de naissance de l’enfant, ce qui officialise l’annulation de la reconnaissance.

Quels sont les droits de l’enfant en matière de filiation sociale ?

La filiation sociale est un concept qui permet de reconnaître les liens affectifs et sociaux entre un parent et un enfant, indépendamment de la filiation biologique.

L’article 371-1 du Code civil dispose que :

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. »

Cet article souligne que l’intérêt de l’enfant doit primer dans toutes les décisions concernant sa filiation.

Dans ce cas, bien que M. [S] [I] ait été annulé en tant que père légal, l’enfant a développé une relation affective avec lui, ce qui pourrait être pris en compte dans le cadre de la filiation sociale.

L’administrateur ad hoc a également souligné l’importance de la filiation sociale, en faisant référence à des éléments tels que le jugement du juge aux affaires familiales qui a prévu un exercice conjoint de l’autorité parentale.

Quelles sont les implications de la carence de M. [S] [I] à l’expertise ?

La carence de M. [S] [I] à l’expertise peut avoir des implications significatives dans le cadre de la procédure.

L’article 16 du Code de procédure civile stipule que :

« Les parties doivent coopérer à la recherche de la vérité. »

Cela signifie que chaque partie a l’obligation de se soumettre aux mesures d’instruction ordonnées par le tribunal.

Le refus de M. [S] [I] de se soumettre à l’expertise a été interprété par le ministère public comme un indice supplémentaire de fraude, renforçant ainsi la demande d’annulation de la reconnaissance.

L’article 135 du Code de procédure civile précise que :

« Le juge peut tirer toutes les conséquences de la carence d’une partie. »

Ainsi, le tribunal pourrait considérer cette carence comme un élément défavorable à M. [S] [I] dans l’évaluation de sa reconnaissance de paternité.

En somme, la carence à l’expertise peut être perçue comme un manque de bonne foi, ce qui pourrait influencer la décision du tribunal.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

Pôle Famille 2ème section

JUGEMENT RENDU LE
26 Novembre 2024

N° RG 22/06214
N° Portalis DB3R-W-B7G-XXDX

N° Minute : 24/

AFFAIRE

M. PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

C/

[S] [I], [X], [U], [L] [Z]

Copies délivrées le :

DEMANDEUR

Monsieur le Procureur de la République
Tribunal Judiciaire de Nanterre
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Madame Marie-Emilie DELFOSSE, substitut du Procureur de la République

DEFENDEURS

Monsieur [S] [I]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Défaillant

Madame [X], [U], [L] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat Me Isabel FERNANDES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 513

AUTRE PARTIE

[A], [M], [Y], [T] [I], née le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 6]
Ayant pour représentant légal Mme [N] [H], administratuer ad hoc et pour avocat Maître Laurence JARRET de la SCP LC2J, avocats au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 752

L’affaire a été débattue le 24 Septembre 2024 en chambre du conseil devant le tribunal composé de :

Monia TALEB, Vice-Présidente,
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Monia TALEB, Vice-Présidente
Cécile BAUDOT, Première Vice-Présidente Adjointe
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
qui en ont délibéré.

Albane SURVILLE, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision réputée contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

[A], [M], [Y], [T] [I] est née le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 6] de Mme [X], [U], [L] [Z], et de M. [S] [I], qui l’a reconnue par anticipation le 23 avril 2015 à [Localité 6].

Par exploits des 10 août et 30 août 2022, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre a respectivement fait assigner Mme [X] [Z], en personne et en qualité de représentante légale de l’enfant, et M. [S] [I] devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Il sollicite, au visa des articles 311-14, 336 du code civil, et 42 du code de procédure civile, l’annulation de la reconnaissance effectuée par ce dernier.

Au soutien de sa demande, il expose avoir été avisé le 26 mai 2020 par la préfecture de la Marne de la situation de Mme [X] [Z], qui venait de solliciter l’obtention d’un titre de séjour en qualité de parent d’un enfant français. Il indique que l’enquête diligentée à sa demande a mis en évidence des versions contradictoires des faits, Mme [X] [Z] affirmant que M. [S] [I], qu’elle avait rencontré sur internet en 2013, était le père biologique de l’enfant, tandis que M. [S] [I] admettait avoir connu Mme [X] [Z] alors qu’elle était déjà enceinte et reconnu l’enfant [A] dans le seul but de lui permettre de régulariser sa situation administrative. Le ministère public précise que M. [S] [I] a reconnu quatre enfants issus de mères différentes dans le même but.

Par ordonnance du 13 décembre 2022, le juge de la mise en état a désigné un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant [A].

Par jugement en date du 28 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré l’action en annulation de la reconnaissance introduite par le ministère public recevable et ordonné une expertise avant dire droit.

L’expert a déposé son rapport de carence au greffe le 3 avril 2024.

Dans ses dernières conclusions régulièrement signifiées par voie électronique le 7 mai 2024, le ministère public demande au tribunal de bien vouloir :
annuler la reconnaissance de l’enfant à laquelle M. [S] [I] a procédé,dire que M. [S] [I] n’est pas le père de l’enfant, dire que l’enfant ne pourra pas se nommer [I],ordonner la transcription du dispositif de la décision en marge de son acte de naissance, statuer ce que de droit sur les dépens.
Il réitère les moyens déjà développés dans son assignation au soutien de l’annulation de la reconnaissance, qu’il considère comme étant frauduleuse. Il ajoute que le refus de M. [I] de se soumettre à l’expertise constitue un indice supplémentaire au soutien de cette annulation.

Dans ses dernières conclusions régulièrement signifiées par voie électronique le 7 mai 2024, Mme [X] [Z] demande au tribunal de rejeter la demande et de statuer sur les dépens comme en matière d’aide juridictionnelle.

Elle réitère le fait qu’elle a rencontré M. [S] [I] sur les réseaux sociaux en 2013 et qu’elle a rejoint la France en 2014. Elle dit avoir entretenu avec M. [S] [I] une relation sentimentale, en parallèle de relations sexuelles avec d’autres hommes, et affirme avoir découvert sa grossesse après leur séparation. Elle soutient avoir eu la conviction que M. [I] était le père de l’enfant, et affirme qu’il s’est comporté comme tel depuis lors. Elle souligne plus particulièrement qu’une décision a été rendue par le juge aux affaires familiales, prévoyant un exercice conjoint de l’autorité parentale et le versement d’une pension alimentaire par le père. Elle considère que la seule carence de M. [I] à l’expertise ne peut suffire à annuler la filiation de [A] qui, âgée de bientôt neuf ans, considère M. [I] comme son père.

Dans ses dernières conclusions régulièrement signifiées par voie électronique le 5 juin 2024, l’administrateur ad hoc de l’enfant demande au tribunal de débouter le procureur de la République de ses demandes et de statuer ce que de droit sur les dépens.

Il souligne que le dossier est constitué des seules auditions des parties et du rapport de la préfecture, et que s’il existe des discordances entre les déclarations des parties, Mme [X] [Z] toutefois n’a pas été confrontée aux déclarations de M. [S] [I] ni mise en mesure de produire des pièces pour attester de ses dires. Il ajoute que les pièces désormais produites aux débats par la mère (jugement du juge aux affaires familiales, attestations), permettent d’établir l’existence d’une filiation sociale et qu’il n’est donc pas établi que la reconnaissance ait eu pour un but exclusivement étranger à l’établissement d’un lien de filiation. Il ajoute que l’expertise n’apporte aucun éclairage mais qu’il convient de relever que la mère s’y est présentée avec l’enfant, ce qui confirme sa bonne foi.

Régulièrement cité par dépôt de l’acte en l’étude de l’huissier, M. [S] [I] n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 juin 2024 et l’affaire fixée à l’audience du 24 septembre 2024.

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.

[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]
PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, en matière civile, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, après débats en chambre du conseil,

ANNULE la reconnaissance de paternité effectuée par M. [S] [I] le 23 avril 2015 devant l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 6] à l’égard de l’enfant [A], [M], [Y], [T] [I], née le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 6],

DIT que l’enfant se nommera [Z],

ORDONNE la transcription du dispositif du présent jugement sur l’acte de naissance n° 1786 de l’enfant [A], [M], [Y], [T] [I], née le [Date naissance 1] 2015 à [Localité 6],

DIT qu’aucun acte, extrait ou copie ne pourra être désormais délivré sans que la mention relative à l’annulation n’y figure,

CONDAMNE M. [S] [I] aux dépens,

DIT que la présente décision sera notifiée par voie de signification extrajudiciaire par la partie la plus diligente et qu’elle sera susceptible d’appel dans le mois de la signification auprès du greffe de la cour d’appel de Versailles ;

signé le 26 novemebre 2024 par Monia TALEB, Vice-Présidente et par Albane SURVILLE, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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