L’Essentiel : Le 12 septembre 2024, le CSEE Exploitation de RTE a voté pour une expertise sur les risques psychosociaux au sein du service temps réel. En réponse, RTE a assigné le CSEE devant le Tribunal judiciaire de Nanterre, demandant l’annulation de cette délibération. Le tribunal a jugé que le CSEE n’avait pas prouvé l’existence d’un risque grave, entraînant l’annulation de la décision et condamnant le CSEE à verser 1000 € à RTE pour les frais de justice. Cette décision souligne l’importance de fournir des preuves tangibles pour justifier des actions en matière de santé et sécurité au travail.
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Contexte de l’affaireLa société Réseau de transport d’électricité (RTE) gère le réseau public de transport d’électricité en France et emploie plus de 9000 salariés. Elle dispose d’un comité social et économique central (CSEC) et de plusieurs comités sociaux et économiques d’établissement (CSEE), dont le CSEE Exploitation, qui regroupe plus de 800 salariés. Demande d’expertiseLe 12 septembre 2024, le CSEE Exploitation a voté pour recourir à une expertise en raison d’un risque grave lié aux risques psychosociaux (RPS) au sein du service temps réel du COSE de [Localité 3], désignant le cabinet DEGEST pour cette mission. Procédure judiciaireLe 20 septembre 2024, RTE a assigné son CSEE Exploitation devant le Tribunal judiciaire de Nanterre, demandant l’annulation de la délibération du 12 septembre et le paiement de 2000 € pour les frais de justice. RTE soutient que le CSEE n’a pas prouvé l’existence d’un risque grave pour la santé et la sécurité des employés. Arguments du CSEE ExploitationLe CSEE Exploitation a demandé au tribunal de rejeter les demandes de RTE, affirmant qu’il existe un risque grave pour la santé et la sécurité des employés, justifiant ainsi le recours à l’expertise. Il a également demandé des compensations financières pour les frais de justice. Éléments de preuveLe CSEE a présenté des témoignages de salariés et des alertes concernant des conditions de travail dégradées, notamment des problèmes de surcharge de travail, un turnover élevé, et des dysfonctionnements d’outils. Ces éléments ont été utilisés pour justifier la nécessité d’une expertise. Décision du tribunalLe tribunal a statué que le CSEE Exploitation devait prouver l’existence d’un risque grave à la date de la délibération. Il a conclu que les éléments présentés ne démontraient pas un risque grave actuel et identifié, entraînant l’annulation de la délibération du CSEE. Conséquences financièresLe tribunal a condamné le CSEE Exploitation à verser 1000 € à RTE pour les frais de justice et a décidé que les dépens de l’instance seraient à la charge du CSEE. La décision a été déclarée exécutoire par provision. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article L. 2315-94 du Code du travail concernant le recours à une expertise par le CSEE ?L’article L. 2315-94 du Code du travail stipule que le comité social et économique (CSE) peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État, lorsque « un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ». Cet article souligne que le recours à l’expertise est conditionné par la démonstration d’un risque grave, qui doit être à la fois identifié et actuel. Cela signifie que le CSEE doit fournir des éléments concrets et objectifs pour justifier sa demande d’expertise. Il est important de noter que la simple pénibilité du travail ne suffit pas à caractériser un risque grave. Le CSEE doit donc prouver l’existence d’un danger réel pour la santé ou la sécurité des salariés, ce qui implique une analyse approfondie des conditions de travail et des témoignages des employés. En l’espèce, le CSEE a invoqué divers éléments pour justifier son recours à l’expertise, mais le tribunal a estimé que ces éléments n’étaient pas suffisants pour établir l’existence d’un risque grave à la date de la délibération. Quelles sont les conséquences de l’annulation de la délibération du CSEE selon l’article L. 2315-86 du Code du travail ?L’article L. 2315-86 du Code du travail précise que l’employeur peut saisir le juge judiciaire pour contester la délibération du CSE décidant du recours à l’expertise. Si le juge annule cette délibération, les sommes perçues par l’expert doivent être remboursées par ce dernier à l’employeur, et le CSE peut décider de les prendre en charge. Dans le cas présent, le tribunal a annulé la délibération du CSEE du 12 septembre 2024, ce qui signifie que la société RTE n’est pas tenue de mettre en œuvre l’expertise demandée. De plus, le CSEE a été condamné à verser à la société RTE une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles, conformément à l’article 700 du Code de procédure civile. Cette annulation a également des implications sur la responsabilité financière du CSEE, qui doit assumer les coûts liés à l’expertise annulée. Cela souligne l’importance pour le CSEE de justifier de manière rigoureuse ses décisions en matière de recours à l’expertise. Comment le tribunal a-t-il évalué la réalité du risque grave invoqué par le CSEE ?Le tribunal a examiné les éléments présentés par le CSEE pour établir l’existence d’un risque grave. Il a constaté que le CSEE devait démontrer, à la date de la délibération, l’existence d’un risque grave, identifié et actuel, pesant sur la santé ou la sécurité des salariés. Les éléments fournis par le CSEE comprenaient des témoignages anonymisés, des courriels et des alertes concernant des dysfonctionnements au sein du service. Cependant, le tribunal a noté que ces éléments ne suffisaient pas à prouver la réalité du risque grave à la date du vote. En effet, le tribunal a souligné que les témoignages et courriels, bien qu’évoquant des difficultés, ne constituaient pas des preuves suffisantes pour établir un risque grave. De plus, les enquêtes menées par la médecine du travail et d’autres instances n’ont pas conclu à une altération de l’état de santé des salariés nécessitant des mesures d’urgence. Ainsi, le tribunal a jugé que les difficultés signalées, bien que réelles, n’étaient pas suffisamment graves ou actuelles pour justifier le recours à une expertise, ce qui a conduit à l’annulation de la délibération du CSEE. Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme d’argent au titre des frais irrépétibles, c’est-à-dire des frais qui ne peuvent pas être récupérés, tels que les honoraires d’avocat. Dans cette affaire, le tribunal a condamné le CSEE à verser à la société RTE la somme de 1000 euros sur le fondement de cet article. Cette décision reflète le principe selon lequel la partie qui obtient gain de cause peut être indemnisée pour les frais engagés dans le cadre du litige. Il est important de noter que cette somme est distincte des dépens, qui sont les frais de justice liés à l’instance. Le tribunal a également mis à la charge du CSEE les dépens de l’instance, ce qui signifie que le CSEE devra assumer les coûts liés à la procédure judiciaire. Cette décision souligne l’importance pour les parties de présenter des arguments solides et bien étayés, car l’issue du litige peut avoir des conséquences financières significatives. |
JUGEMENT RENDU SELON LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND
LE 30 Janvier 2025
N° RG 24/02210 – N° Portalis DB3R-W-B7I-Z2OZ
N°de minute :
S.A. RTE (RESEAU DE TRANSPORT D’ÉLECTRICITÉ)
c/
COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE ( CSE) D’ÉTABLISSEMENT EXPLOITATION DE LA SOCIÉTÉ RTE
DEMANDERESSE
S.A. RTE (RESEAU DE TRANSPORT D’ÉLECTRICITÉ) [Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Maxime HOULES de l’AARPI Holis Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : T03
DEFENDEUR
COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE (CSE) D’ÉTABLISSEMENT EXPLOITATION DE LA SOCIÉTÉ RTE
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Fabrice FEVRIER de la SELARL 3S AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D0067
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président : Virginie POLO, Juge, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,
Greffier : Pierre CHAUSSONNAUD, Greffier
Statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
La juge déléguée, après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 04 Décembre 2024, a mis l’affaire en délibéré à ce jour.
La société anonyme (SA) Réseau de transport d’électricité (RTE) est gestionnaire du réseau public de transport d’électricité en France.
Elle emploie plus de 9000 salariés sur l’ensemble du territoire national.
Elle est dotée d’un comité social et économique central (CSEC) et de quatre comités sociaux et économiques d’établissement (CSEE), dont le CSEE Exploitation, qui comprend plus de 800 salariés.
Lors de la réunion du 12 septembre 2024, le CSEE Exploitation a voté le recours à une expertise dans le cadre de l’article L. 2315-94 du code du travail, au motif d’un risque grave relatif aux risques psychosociaux (RPS) au sein du service temps réel du COSE de [Localité 3] et a désigné à cette fin le cabinet DEGEST.
Le 20 septembre 2024, la SA RTE a assigné son CSEE Exploitation devant le Tribunal judiciaire de NANTERRE suivant la procédure accélérée au fond.
A l’audience du 4 décembre 2024 et dans ses dernières écritures, la société Réseau de transport d’électricité sollicite de :
Annuler la délibération du CSE d’établissement Exploitation de la société RTE (Réseau de Transport d’Electricité) du 12 septembre 2024 sur le recours à l’expertise « risque grave », le choix du cabinet d’expertise et la mission confiée au cabinet DEGEST ; Condamner le CSE d’établissement Exploitation de la société RTE (Réseau de Transport d’Electricité) au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.Dans ses écritures et les observations qu’elle présente à l’audience, la société soutient que le CSEE Exploitation ne démontre pas l’existence d’un risque gave, identifié et actuel pour la santé et la sécurité du personnel du service « Temps Réel » du COSE de [Localité 3] à la date du vote de l’expertise. Elle estime que le comité ne produit aucun élément permettant de corroborer ses allégations et sollicite l’annulation de la délibération.
Le comité social et économique d’établissement Exploitation de la société Réseau de Transport d’Electricité demande au tribunal, conformément à ses observations à l’audience soutenant ses dernières écritures versées, de :
Débouter la société RTE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;Juger qu’il existe à la date de la délibération du 12 septembre 2024 un risque grave pour la santé et la sécurité du personnel du Service « Temps Réel » du COSE de [Localité 3] de la société RTE au sens des dispositions de l’article L. 2315-94 du code du travail ;Juger que le recours à une expertise décidé par le CSE sur le fondement de l’article L. 2315-94 du Code du travail est ainsi justifié ;Et, en conséquence,
Ordonner à la société RTE de mettre en œuvre l’expertise dans les termes de la résolution votée par le CSE lors de sa réunion en date du 12 septembre 2024 et confiée à l’expert habilité DEGEST ;Condamner la société RTE à payer au CSE Exploitation de RTE la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;Condamner la société RTE aux entiers dépens de l’instance comprenant notamment les frais de signification de l’ordonnance à intervenir ;Rappeler l’exécution provisoire de plein de droit du jugement à intervenir.
Le CSEE Exploitation considère que le risque grave actuel et identifié réside dans la dégradation des conditions de travail et l’état de santé des salariés depuis mai 2024, suite au regroupement des huit centres de « dispatchings » en trois centres d’exploitation du système électrique (COSE). Il fait valoir que l’existence du risque grave est établie par les témoignages des salariés sur le terrain et les effets sur leur santé étayés par la médecine du travail.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures et plaidoiries des parties pour un exposé plus détaillé de leurs moyens et prétentions.
La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025, prorogée au 30 janvier 2025 afin de permettre aux parties de produire une note en délibéré relative à la recevabilité de certaines pièces.
Sur la demande d’annulation de la délibération du 12 septembre 2024
En vertu de l’article L. 2315-94 du code du travail,
« Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat :
1° Lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ;
(…) »
Aux termes de l’article L 2315-86 du code du travail :
« Sauf dans le cas prévu à l’article L. 1233-35-1, l’employeur saisit le juge judiciaire dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat de :
1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l’expertise s’il entend contester la nécessité de l’expertise ;
2° La désignation de l’expert par le comité social et économique s’il entend contester le choix de l’expert ;
3° La notification à l’employeur du cahier des charges et des informations prévues à l’article L. 2315-81-1 s’il entend contester le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise ;
4° La notification à l’employeur du coût final de l’expertise s’il entend contester ce coût ;
Le juge statue, dans les cas 1° à 3°, suivant la procédure accélérée au fond dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité, ainsi que les délais dans lesquels il est consulté en application de l’article L. 2312-15, jusqu’à la notification du jugement. Cette décision n’est pas susceptible d’appel.
En cas d’annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge. »
Il résulte de ces dispositions que le CSEE Exploitation doit démontrer, à la date de la délibération, par des éléments objectifs et concrets, l’existence d’un risque grave, identifié et actuel, pesant sur la santé ou la sécurité des salariés. Ce risque, préalable à l’expertise, ne saurait être caractérisé par la seule pénibilité du travail.
En l’espèce, la délibération votée le 12 septembre 2024 par le CSEE Exploitation de la SA RTE est rédigée ainsi :
« 1/ Le recours à l’expertise « risque grave »
Au sein du service temps réel du COSE [Localité 3], différents faits suscitent fortement notre inquiétude :
– l’accumulation des témoignages d’agents qui, depuis début Mai 2024 et aujourd’hui encore, expriment leur souffrance au travail ;
– le turnover alarmant induit par la création du COSE [Localité 3] : 56% des effectifs ont moins de 2 ans d’ancienneté (Chiffre direction donnés au CSE Extraordinaire du mois de juillet 2024);
– les différentes alertes émises par les agents à propos de dysfonctionnements d’outils (comme STANWAY, RSTN, SAS, …) ou l’abandon de l’outil APOGEE nécessaire à la réforme, évoquées à plusieurs reprises en CSE et en commissions SSCT, génèrent anxiété, surcharge de travail et perte de confiance ;
– des situations de surcharge de travail récurrentes pour les CCA et CAESE qui ont des conséquences sur la santé des agents, sur l’exercice de leurs métiers et sur la qualité du travail;
– des problèmes éthiques qui génèrent une souffrance psychologique et un stress chez les agents : dégradation de la qualité du travail du fait de consignes de délaisser certaines tâches importantes pour la sûreté du réseau, dans le seul but de compenser le sous-effectif ;
– l’accumulation d’heures supplémentaires épuisantes, mais qu’il est difficile de refuser (pour ne pas faire trinquer les collègues, ou ne pas être mal vu du management), sollicitées notamment les week-ends pour pallier le manque d’effectifs vis-à-vis de la surcharge de travail, mais aussi pour assurer le maintien en compétence des agents (autrement dit, il faut s’exposer à un RPS pour en éviter un autre) ;
– la perte d’expérience dans les équipes. Certaines ne sont pas formées aux incidents de grande ampleur, ce qui les exposent à de multiples risques professionnels. La sûreté du réseau électrique français peut être compromise ;
– une formation initiale de plus en plus dense conduisant à un nombre inquiétant d’échecs (4 dans les 6 derniers mois), démoralisant les principaux intéressés et induisant des heures supplémentaires pour les CCO en poste par le jeu des remplacements incessants.
– une communication devenue difficile avec les interlocuteurs des autres entités, notamment le COSE [Localité 4], (les incompréhensions techniques font monter le ton entre collègues) et qui expose les agents à des rapports au travail dégradés, des comportements antisociaux et du stress ;
– un problème organisationnel lié à la réorganisation issue du projet d’entreprise (Le manque flagrant d’effectif la nuit et les week-ends font que les CCO sortent épuisés de leur quart) ;
– un soutien social de plus en plus bas entre les agents (surcharge, irritabilité, manque de disponibilité…) et un soutien hiérarchique de plus en plus déficient (incapacité à réguler les problèmes cités, qui s’installent dans la durée) avec parfois même des dérives (culpabilisation systématique, paternalisme à outrance…) ;
– une absence de salle de repos dédiée qui laisse les agents aux horaires les plus contraignants en proie à des épisodes de fatigue qui les éprouvent, dégradent leurs conditions de travail et les exposent au risque de commettre des erreurs qui pourraient être lourdes de conséquences ;
– des réorganisations qui s’enchaînent les unes après les autres, avec l’arrivée en cascade de nouvelles prérogatives (télé-condamnation, files d’essais, nouveaux outils…) et qui déséquilibrent à chaque fois le fonctionnement des équipes, exposant les agents à des risques professionnels ininterrompus, au mépris de leur santé, au prétexte qu’il ne s’agirait que d’adaptations transitoires…
Tous ces faits apparaissent comme les symptômes d’une dégradation des conditions de travail au sein du COSE [Localité 3], et plus particulièrement au sein du service temps réel, et constituent un risque grave.
Considérant l’ampleur de ces évolutions et les risques pour la santé physique et psychique des agents, les représentants du personnel au CSE, dans une perspective de prévention des risques professionnels, décident, conformément aux prérogatives légales qui leur sont dévolues par la loi en application de l’article L. 2315-94 du Code du travail, de faire appel à un expert habilité, afin que ce dernier les aide à identifier les causes à l’origine de cette situation. »
Le CSE a désigné le cabinet d’expertise DEGEST, avec pour mission de :
« Apporter aux représentants du personnel des éclairages sur les causes à l’origine de ces situations ;Analyser les risques présents et identifiés, ainsi que les facteurs de risques auxquels les agents sont exposés ; Assister les représentants du personnel dans la formulation de proposition de pistes d’amélioration des conditions de travail et de prévention des risques professionnels.
Pour ce faire, le cabinet DEGEST devra notamment analyser les conditions et activités de travail des agents concernés à partir d’entretiens et observations du travail ainsi que des documents et données portant sur la question.
Le périmètre de cette intervention porte sur l’ensemble des agents du service temps réel du COSE [Localité 3]. »
Il ressort ainsi de la délibération litigieuse que le risque grave invoqué est fondé sur une souffrance au travail en lien avec :
Un sous-effectif ;Un turnover conséquent ;Une surcharge de travail ;Une dégradation de la qualité et condition de travail, en raison de nombreux dysfonctionnements caractérisés par une communication difficile, une nouvelle réorganisation, une accumulation des heures supplémentaires, un soutien hiérarchique déficient, une absence de salle de repos dédiée ;Une absence de formation ou une formation initiale complexe conduisant à un nombre important d’échecs.
Le CSE justifie le risque grave en se fondant sur un certain nombre de pièces versées en procédure.
Le comité produit des courriels anonymisés intervenus entre le 3 et le 24 mai 2024 concernant des dysfonctionnements et difficultés au sein du service temps réel du COSE de [Localité 3]. Il convient de souligner que ces éléments concernent la mise en place et les temps immédiatement consécutifs à la création du service.
Le Tribunal peut prendre en considération des témoignages anonymisés afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité est connue de la partie qui les produit, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments.
En l’espèce, les témoignages et courriels communiqués ont été adressés par 7 salariés et font état de tensions et difficultés relatives aux outils, aux locaux de la salle provisoire, ils évoquent l’absence de véritable salle de repos, l’organisation de l’activité, une nécessité d’adaptation importante, l’insuffisance de la formation, le manque d’effectifs et une charge de travail importante, des inquiétudes relatives à la sûreté du réseau, et un impact sur la santé psychologique des salariés.
Une alerte RPS a consécutivement à ces échanges été effectuée auprès de la direction le 13 mai 2024. L’inspection du travail a été saisie et a adressé un courrier à la société le 11 juillet 2024 rappelant à l’employeur ses obligations et sollicitant des informations sur les mesures mises en place. La société RTE y a répondu le 9 août 2024 exposant les actions mises en œuvre concernant le gréement, les formations et compétences, le fonctionnement de la salle et la gestion de l’activité, les outils ainsi que les aménagements et la logistique. Ces données ne constituent pas en tant que telles des éléments probants quant à la réalité du risque invoqué.
Une enquête sur les risques psycho-sociaux au sein du COSE de [Localité 3] juillet – septembre 2024, menée par le Centre de prévention santé au travail de [Localité 3], a été diligentée suite à l’alerte émise le 13 mai 2024. Le rapport d’enquête conclut à l’absence de « constat de l’altération de l’état de santé des salariés nécessitant leur mise en arrêt maladie ou de fermer le service », et propose « le suivi de l’état de santé des salariés, (…) des actions de sensibilisation auprès des salariés portant sur le sommeil et la nutrition. » et incite à la mise en place d’espaces « hors quart » pour favoriser les échanges de pratiques professionnelles.
Est également versée une enquête réalisée par le CSE au mois d’octobre 2024.
Le CSE produit aussi des attestations de trois membres du CSE datées du mois de novembre 2024.
Or, les éléments en procédure postérieurs au vote de la délibération litigieuse ne sauraient être valablement pris en considération pour étayer la réalité du risque grave qui doit être actuel et démontré à la date du vote de la délibération ordonnant l’expertise.
Ainsi, le turn over invoqué n’est pas démontré, et ce particulièrement dans la mesure où la réorganisation a conduit à la création d’un nouveau service impliquant notamment une mobilité géographique, et expliquant en partie l’arrivée de nouveaux salariés et le rajeunissement relatif des équipes.
Concernant les heures supplémentaires évoquées, il n’est pas contesté que 12 salariés du service temps réel aient réalisé un nombre d’heures supplémentaires conséquent au mois de septembre 2024. Toutefois, il n’est pas invoqué que celles-ci soient intervenues en dépassement du cadre légal et conventionnel. Et il ressort du procès-verbal de la réunion du CSE du 4 juillet 2024 que les heures moyennes hebdomadaires de travail effectuées du 29 avril au 23 juin 2024 par un salarié du service temps réel est de 30 heures de travail effectif par semaine et 30,8 heures en moyenne pour un manager de salle.
En outre, le lien entre la formation initiale dense conduisant à un nombre important d’échecs et le risque grave invoqué n’est pas établi. Un manque de formation de certains profils a toutefois été remonté dans le cadre de l’alerte et des courriels échangés en mai 2024.
S’agissant du sous-effectif allégué, la société justifie du fait qu’à compter du mois de mai 2024 soit un mois après l’ouverture du service, celui-ci se trouvait à un effectif de 59 salariés sur un effectif cible de 61 au sein de la salle H24 dont 46 habilités. Le tableau des effectifs versé par la société indique un passage progressif à 63 salariés en septembre – octobre 2024 dont 47 habilités.
Par ailleurs, une salle de repos a été également mise à disposition sur le site et la problématique de la lumière a été solutionnée en juillet 2024 tel qu’il en ressort du tableau partagé de suivi des difficultés et de leur résolution dans sa version de septembre 2024.
Enfin, l’employeur justifie avoir mis en œuvre des réponses adaptées aux problématiques remontées dans le cadre de la mise en place du COSE de [Localité 3]. En effet, la médecine du travail a été mobilisée suite à l’alerte formée pour effectuer une enquête et pour suivre les salariés concernés, plusieurs réunions ont été organisées sur ce point avec le CSE, des actions correctives ont été rapidement mises en œuvre pour résoudre les dysfonctionnements matériels et organisationnels remontés et le suivi de ces actions a été partagé dans le cadre d’un tableau dédié, et les effectifs ont été formés et abondés afin d’absorber la charge de travail importante observée initialement.
Par conséquent, si des difficultés et dysfonctionnements réels ont été signalés par une partie des agents en poste au sein du service temps réel du COSE de [Localité 3] lors de la mise en place du service, l’actualité et la gravité du risque invoqué à la date du vote de la délibération litigieuse ne sont pas démontrés et il sera fait droit à la demande d’annulation.
Sur les demandes accessoires
Il convient, en application de l’article 696 du code de procédure civile, de mettre à la charge du CSEE Exploitation de la société RTE les dépens de l’instance.
Conformément aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le CSE sera condamné à verser à la société 1000 euros au titre des frais irrépétibles.
Rien ne justifie en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire, conformément aux dispositions de l’article 481-1 6° du code de procédure civile.
La juge déléguée, statuant par jugement contradictoire, publiquement et en dernier ressort :
ANNULE la délibération du comité social et économique d’établissement Exploitation de la SA Réseau de transport d’électricité du 12 septembre 2024, relative au recours à une expertise pour risque grave au titre de l’article L. 2315-94 du Code du travail ;
CONDAMNE le comité social et économique d’établissement exploitation de la SA Réseau de transport d’électricité à verser à la SA Réseau de transport d’électricité la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE le comité social et économique d’établissement exploitation de la SA Réseau de transport d’électricité aux dépens ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
RAPPELLE que la décision est exécutoire par provision.
FAIT À NANTERRE, le 30 Janvier 2025.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT
Pierre CHAUSSONNAUD, Greffier
Virginie POLO, Juge
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