Exécution provisoire et consignation : enjeux et limites dans le cadre des créances alimentaires et dommages-intérêts.

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Exécution provisoire et consignation : enjeux et limites dans le cadre des créances alimentaires et dommages-intérêts.

L’Essentiel : Le 26 septembre 2024, le conseil de prud’hommes de Libourne a statué en faveur de Mme [T] [S], lui accordant l’aide juridictionnelle provisoire. Les époux [O] ont été condamnés à verser à Mme [T] [S] un total de 13.389,64 euros pour salaires dus, ainsi que des dommages et intérêts pour travail dissimulé. En appel, ils ont demandé la consignation des condamnations, invoquant l’insolvabilité de Mme [T] [S]. Cependant, le tribunal a rejeté cette demande, considérant que les créances salariales étaient de nature alimentaire et ne pouvaient pas être consignées, et a condamné les époux à verser 1.000 euros à Mme [T] [S].

Exposé du litige

Le 26 septembre 2024, le conseil de prud’hommes de Libourne a rendu un jugement en faveur de Mme [T] [S]. Ce jugement a accordé à Mme [T] [S] l’aide juridictionnelle provisoire et a constaté que les conditions d’application de l’article L1224-1 du Code du travail n’étaient pas réunies. M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] ont été condamnés à verser à Mme [T] [S] des sommes significatives pour salaires impayés, congés afférents, ainsi que des dommages et intérêts pour travail dissimulé et exécution déloyale de son contrat de travail.

Condamnations financières

Les époux [O] ont été condamnés à verser à Mme [T] [S] un total de 13.389,64 euros pour les salaires dus, 1.383,96 euros pour les congés, et 11.980,74 euros pour dommages et intérêts liés au travail dissimulé. De plus, ils ont été condamnés à payer des indemnités de licenciement, de préavis et des congés payés, ainsi qu’à remettre les documents légaux de fin de contrat sous astreinte.

Appel et demande de consignation

M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] ont interjeté appel de cette décision le 4 novembre 2024. Par la suite, ils ont assigné Mme [T] [S] en référé pour obtenir l’autorisation de consigner les condamnations prononcées à leur encontre, arguant de l’insolvabilité de Mme [T] [S] et de l’impossibilité de récupérer les sommes en cas d’infirmation de la décision.

Arguments de Mme [T] [S]

En réponse, Mme [T] [S] a demandé le rejet des demandes des époux [O] et a sollicité des dommages et intérêts. Elle a soutenu que les créances salariales ne pouvaient pas faire l’objet d’une consignation et a affirmé qu’elle n’était pas insolvable, tout en précisant que les condamnations n’avaient pas été versées malgré la production de preuves de paiement.

Motifs de la décision

Le tribunal a statué que les condamnations relatives aux salaires et indemnités étaient de nature alimentaire et ne pouvaient donc pas faire l’objet de consignation. Concernant les dommages et intérêts, bien que les époux [O] aient exprimé des craintes quant à la capacité de remboursement de Mme [T] [S], ils n’ont pas fourni de preuves suffisantes pour justifier leur demande de consignation.

Conclusion de la décision

Le tribunal a débouté M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] de leur demande de consignation et les a condamnés à verser 1.000 euros à Mme [T] [S] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de la procédure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions d’application de l’article L1224-1 du Code du travail dans le cadre de la rupture du contrat de travail ?

L’article L1224-1 du Code du travail stipule que la rupture du contrat de travail est considérée comme un licenciement lorsque le salarié est contraint de quitter son emploi en raison d’un manquement de l’employeur à ses obligations.

Cet article précise que :

« En cas de changement de l’employeur, le contrat de travail est transféré au nouvel employeur. Le salarié peut, dans un délai de 15 jours, refuser ce transfert. »

Dans le cas présent, le conseil de prud’hommes a jugé que les conditions d’application de cet article n’étaient pas réunies, ce qui signifie que les circonstances entourant la rupture du contrat de travail de Mme [T] [S] ne justifiaient pas une requalification en licenciement.

Cela peut être dû à l’absence de manquement avéré de l’employeur ou à d’autres éléments de preuve qui n’ont pas été fournis.

Il est donc essentiel de démontrer que les conditions de l’article L1224-1 sont effectivement remplies pour qu’une rupture soit qualifiée de licenciement.

Quels sont les effets de l’exécution provisoire des décisions des conseils de prud’hommes selon le Code du travail ?

L’article R1454-28 du Code du travail précise que les jugements des conseils de prud’hommes qui ordonnent le paiement de sommes dues au titre des rémunérations et indemnités sont de plein droit exécutoire par provision.

Cet article indique que :

« Les jugements des conseils de prud’hommes qui ordonnent le paiement de sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnés au 2° de l’article R1454-14 sont de plein droit exécutoire par provision dans la limite maximum de neuf mois de salaires. »

Dans le cas présent, les condamnations de M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à verser des salaires, des indemnités de licenciement et des congés afférents sont donc assorties de l’exécution provisoire de droit.

Cependant, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, travail dissimulé et exécution déloyale du contrat de travail ne sont pas considérés comme des créances alimentaires et sont donc soumis à l’exécution provisoire facultative.

Quelles sont les implications de l’article 521 du Code de procédure civile concernant la consignation des condamnations ?

L’article 521 du Code de procédure civile stipule que la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments peut éviter que l’exécution provisoire soit poursuivie en consignant les sommes dues.

Cet article précise que :

« La partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l’exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation. »

Dans le cas présent, M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] ont demandé à consigner les condamnations mises à leur charge, arguant de l’insolvabilité de Mme [T] [S].

Cependant, le tribunal a rejeté cette demande, considérant qu’aucune preuve n’avait été apportée pour justifier la crainte d’incapacité de remboursement en cas de réformation de la décision.

Quels sont les critères pour accorder des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ?

Les critères pour accorder des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont généralement basés sur l’article L1235-1 du Code du travail, qui stipule que :

« En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à des dommages et intérêts. »

Le montant des dommages et intérêts doit être proportionnel au préjudice subi par le salarié, tenant compte de la durée de son emploi, de son ancienneté, et des circonstances entourant le licenciement.

Dans cette affaire, le conseil de prud’hommes a condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à verser des dommages et intérêts à Mme [T] [S] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tenant compte de ces critères.

Il est donc crucial pour l’employeur de justifier la cause du licenciement pour éviter de telles condamnations.

RÉFÉRÉ N° RG 24/00192 – N° Portalis DBVJ-V-B7I-OA2F

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[H], [X] [O], [I] [L] épouse [O]

c/

[T] [S]

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DU 16 JANVIER 2025

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Grosse délivrée

le :

ORDONNANCE

Rendue par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Le 16 JANVIER 2025

Véronique LEBRETON, Première Présidente de Chambre à la Cour d’Appel de BORDEAUX, désignée en l’empêchement légitime de la Première Présidente par ordonnance en date du 09 juillet 2024, assistée de Séverine ROMA, Greffière,

dans l’affaire opposant :

Monsieur [H], [X] [O]

né le 07 Mars 1971 à [Localité 4] (SUISSE), de nationalité Suisse, demeurant [Adresse 2]/SUISSE

Madame [I] [L] épouse [O]

née le 25 Décembre 1974 à [Localité 3] (Suisse), de nationalité Suisse, demeurant [Adresse 2]/SUISSE

absents

représentés par Me Maryline LE DIMEET de la SELAS LE DIMEET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX substituée par Maître Vincent LEMAY, avocat au barreau de BORDEAUX

Demandeurs en référé suivant assignation en date du 21 novembre 2024,

à :

Madame [T] [S]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

absente

représentée par Me Laure LABARRIERE, avocat au barreau de LIBOURNE

Défenderesse,

A rendu l’ordonnance contradictoire suivante après que la cause a été débattue en audience publique devant nous, assistée de Séverine Roma, Greffière, le 19 décembre 2024 :

EXPOSE DU LITIGE

Selon un jugement en date du 26 septembre 2024, le conseil de prud’hommes de Libourne a :

– accordé le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire à Mme [T] [S] dans l’attente de la décision du service d’aide juridictionnelle

– jugé que les conditions d’application de l’article L1224-1 du Code du travail ne sont pas réunies

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d’un mois suivant la notification de cette décision :

* 13.389,64 euros au titre des salaires du 1er août 2023 au 27 février 2024

* 1.383,96 euros au titre des congés afférents

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d’un mois suivant la notification de cette décision, à remettre les bulletins de salaire depuis le 1er août 2023 jusqu’au 27 février 2024

– constaté le travail dissimulé imposé par les époux [O] à Mme [T] [S]

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] la somme de 11.980,74 euros au titre de dommages et intérêts sur ce fondement

– constaté l’exécution déloyale du contrat de travail de Mme [T] [S]

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] la somme de 11.980,74 euros au titre de dommages et intérêts sur ce fondement

– dit et jugé que la prise d’acte de rupture du contrat de travail du 27 février produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] la somme de :

* 623,98 euros au titre d’indemnité de licenciement

* 1996,79 euros bruts au titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 199,67 euros bruts au titre de congé payés afférents

* 3.993,58 euros nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– condamné M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] les documents légaux de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du mois suivant la notification de cette décision

– dit que le conseil se réserve la liquidation des astreintes prononcées

– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement

– débouté les époux [O] de l’intégralité de leurs demandes.

M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] ont interjeté appel de cette décision selon une déclaration en date du 4 novembre 2024.

Par acte de commissaire de justice en date du 21 novembre 2024,

M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] ont fait assigner Mme [T] [S] en référé aux fins de les autoriser à consigner les condamnations mises à leur charge par le Conseil de Prud’hommes de Libourne en application de l’article 521 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions remises le 17 décembre 2024, et soutenues à l’audience, ils ajoutent une demande subsidiaire de les autoriser à consigner en application de l’article 521 du Code de procédure civile le montant des condamnations mises à leur charge au-delà de 9 mois de salaire et maintiennent leur demande principale à l’appui desquelles ils soutiennent que Mme [T] [S] est insolvable, qu’elle ne justifie d’aucune ressource ni d’aucun élément quant à sa situation matérielle et professionnelle et n’a transmis aucune garantie réelle ou personnelle, rendant impossible la restitution des sommes dans le cas d’une infirmation.

Ils ajoutent que si les créances salariales et les créances alimentaires, en raison de leur nature alimentaire, ne peuvent pas faire l’objet d’une consignation pour éviter l’exécution provisoire, cela concerne uniquement l’exécution provisoire de droit et ne concerne pas l’exécution provisoire ordonnée comme au cas d’espèce. Ils précisent qu’en vertu de l’article R 1454-28 alinéa 2 du Code du travail, sont de plein droit exécutoire par provision les jugements des conseils des prud’hommes qui ordonnent le paiement de sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnés au 2° de l’article R1454-14 du Code du travail dans la limite maximum de neuf mois de salaires mais que cela ne concerne pas les dommages et intérêts pour travail dissimulé, pour exécution déloyale du contrat de travail et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En réponse et aux termes de ses conclusions du 17 décembre 2024, soutenues à l’audience, Mme [T] [S] sollicite que M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] soient déboutés de leurs demandes et condamnés aux dépens et à lui payer 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que les créances salariales et les créances d’aliments, en raison de leur nature alimentaire, ne peuvent pas faire l’objet d’une consignation pour éviter l’exécution provisoire. Elle précise qu’il en est de même pour les indemnités de licenciement et qu’il n’y a pas de limite à consigner au-delà de 9 mois de salaires nets. Elle évoque que les condamnations n’ont jamais été versées malgré la production d’un bulletin de paie indiquant le paiement et qu’elle n’est pas insolvable et ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle.

L’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l’article 521 du code de procédure civile, la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l’exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation.

En cas de condamnation au versement d’un capital en réparation d’un dommage corporel, le juge peut aussi ordonner que ce capital sera confié à un séquestre à charge d’en verser périodiquement à la victime la part que le juge détermine.

Le pouvoir d’aménager l’exécution provisoire est laissé à la discrétion de la juridiction du premier président.

En l’espèce, sont assorties de l’exécution provisoire de droit, les condamnations de M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à verser à Mme [T] [S] un rappel de salaires, des indemnités de licenciement et compensatrice de préavis ainsi que les congés y afférents, dans la limite de neuf mois de salaire en application de l’article R1454-28 du Code du travail, pour le surplus elles sont assorties de l’exécution provisoire facultative. Elles présentent, dans leur intégralité, une nature alimentaire et ne peuvent, pour cette raison, faire l’objet de consignation. De ces chefs la demande doit être rejetée.

Pour le surplus, soit les condamnations au paiement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour travail dissimulé et pour exécution déloyale du contrat de travail, qui sont elles aussi assorties de l’exécution provisoire facultative et qui ne sont pas de nature alimentaire, M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] font valoir la crainte d’un risque d’incapacité de remboursement de la part de Mme [T] [S] en cas de réformation.

Cependant, ils n’apportent aucune pièce ni ne développent aucune argumentation de nature à donner crédit à cette allégation.

Dès lors, il convient de considérer qu’il n’existe aucun motif justifiant la consignation et de débouter M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] de leur demande à ce titre.

En conséquence, il convient de rejeter la demande de consignation.

M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O], parties succombantes dans la présente instance, au sens des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile, seront condamnés aux entiers dépens.

Il apparaît conforme à l’équité de condamner M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer à Mme [T] [S] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déboute M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] de leur demande tendant à être autorisés à consigner le montant des condamnations prononcées à leur encontre,

Condamne M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] à payer la somme de 1.000 euros à Mme [T] [S] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [H] [O] et Mme [I] [L] épouse [O] aux dépens.

La présente ordonnance est signée par Véronique LEBRETON, Première Présidente de Chambre et par Séverine ROMA, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière La présidente


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