Évaluation de l’indemnité d’éviction et impact sur l’activité commerciale en cas de refus de renouvellement de bail.

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Évaluation de l’indemnité d’éviction et impact sur l’activité commerciale en cas de refus de renouvellement de bail.

L’Essentiel : La SCI BOAT PARK a conclu un bail avec ATLANTIC CONCEPT pour un terrain à LEGE CAP FERRET, initialement de deux ans, suivi d’un bail de neuf ans. En avril 2018, la SCI a donné congé, proposant un loyer contesté. Le tribunal a fixé l’indemnité d’éviction à 161 449 euros, tenant compte de la perte d’activité de 65% du chiffre d’affaires d’ATLANTIC CONCEPT. La SCI a été condamnée à verser des indemnités pour éviction, remploi et trouble commercial, tout en rejetant certaines demandes. L’indemnité d’occupation a été fixée à 22 620 euros par an, avec expulsion ordonnée après trois mois.

FAITS ET PROCEDURE

La SCI BOAT PARK a conclu un bail précaire avec la société ATLANTIC CONCEPT pour un terrain et un bâtiment à LEGE CAP FERRET, initialement pour deux ans, suivi d’un bail de neuf ans à partir de 2016. En avril 2018, la SCI a donné congé à ATLANTIC CONCEPT, proposant un renouvellement à un loyer de 60 000 euros, contesté par le preneur. Le juge a fixé le loyer à 22 620 euros. En mars 2021, la SCI a refusé le renouvellement et a proposé une indemnité d’éviction. Une expertise a été ordonnée pour évaluer cette indemnité, et en juin 2023, la SCI a demandé au tribunal de fixer l’indemnité à 68 422,72 euros.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SCI BOAT PARK a demandé au tribunal de fixer l’indemnité d’éviction à 68 422,72 euros, d’ordonner la libération des locaux, et de condamner ATLANTIC CONCEPT à verser une indemnité d’occupation. Elle a contesté les évaluations de l’expert, arguant que la perte d’activité ne concernait qu’une partie de son chiffre d’affaires. ATLANTIC CONCEPT, de son côté, a réclamé une indemnité d’éviction de 783 460 euros, en soutenant que la perte des locaux compromettrait l’ensemble de son activité.

MOTIFS DE LA DECISION

Le tribunal a statué que l’indemnité d’éviction doit être calculée en tenant compte de l’ensemble de l’activité de la société ATLANTIC CONCEPT. L’expert a retenu une perte de 65% du chiffre d’affaires pour déterminer l’indemnité principale, fixée à 161 449 euros. Le tribunal a également accordé une indemnité de remploi de 10% de l’indemnité principale, ainsi qu’une indemnité pour trouble commercial. Les demandes d’indemnités pour déménagement et dépollution ont été partiellement rejetées, tandis que l’indemnité d’occupation a été fixée à 22 620 euros par an.

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Le tribunal a condamné la SCI BOAT PARK à verser à ATLANTIC CONCEPT des indemnités pour éviction, remploi et trouble commercial, tout en rejetant la demande de dépollution. L’indemnité d’occupation a été fixée à 22 620 euros par an, indexée chaque année. Le tribunal a également ordonné l’expulsion d’ATLANTIC CONCEPT après un délai de trois mois suivant le versement de l’indemnité d’éviction. La SCI BOAT PARK a été condamnée aux dépens et à verser 1 500 euros à ATLANTIC CONCEPT au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de l’indemnité d’éviction selon le Code de commerce ?

L’indemnité d’éviction est régie par l’article L. 145-14 du Code de commerce, qui stipule que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, mais doit, sauf exceptions, payer au locataire évincé une indemnité d’éviction.

Cette indemnité est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et comprend notamment :

– La valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession.

– Les frais normaux de déménagement et de réinstallation.

– Les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur.

Il est à noter que le bailleur peut prouver que le préjudice est moindre, ce qui pourrait réduire le montant de l’indemnité.

Comment est déterminée l’assiette de l’indemnité d’éviction ?

L’assiette de l’indemnité d’éviction est déterminée en tenant compte de l’ensemble de l’activité du locataire, comme le précise la jurisprudence. En l’espèce, la société ATLANTIC CONCEPT exploite son fonds de commerce dans plusieurs locaux, mais seul le bail commercial du local situé rue de Suffren est concerné par le refus de renouvellement.

Il est essentiel de déterminer si l’indemnité doit être calculée uniquement sur la base de ce bail ou sur l’ensemble des locaux occupés. Si l’exploitation des locaux présente un caractère indivisible, l’indemnité doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble de l’activité.

Dans ce cas, bien que la perte des locaux rue de Suffren entraîne une baisse d’activité, il n’est pas prouvé que l’activité sur le site rue Agosta soit vouée à disparaître. Ainsi, l’indemnité d’éviction doit être calculée sur la base de la perte d’activité engendrée par la suppression du site litigieux.

Quels sont les critères pour le calcul de l’indemnité principale d’éviction ?

Le calcul de l’indemnité principale d’éviction repose sur des méthodes habituelles, comme l’application d’un barème professionnel sur le chiffre d’affaires et une méthode comptable fondée sur l’excédent brut d’exploitation.

Dans le cas présent, l’expert a retenu un taux de 65% du chiffre d’affaires global pour déterminer l’indemnité, en raison de l’absence d’éléments comptables permettant de distinguer l’activité des deux sites.

L’expert a justifié ce taux en tenant compte de la superficie des locaux, de leur état et de leur exposition commerciale. Il a également noté que la perte d’activité sur le site litigieux aurait un impact significatif sur le fonds restant.

Quelles sont les indemnités accessoires d’éviction prévues par le Code de commerce ?

Les indemnités accessoires d’éviction comprennent plusieurs éléments, comme l’indemnité de remploi, l’indemnité pour trouble commercial, et les frais de licenciement.

1. **Indemnité de remploi** : Selon la jurisprudence, elle est généralement fixée à 10% de l’indemnité principale. Elle n’est pas due si le bailleur prouve que le locataire ne se réinstallera pas.

2. **Indemnité pour trouble commercial** : Elle est destinée à compenser le préjudice commercial subi par le locataire évincé. Le taux appliqué pour son calcul est souvent basé sur un pourcentage du chiffre d’affaires.

3. **Frais de licenciement** : Ils doivent être indemnisés sur justificatif, en tenant compte des salariés concernés par l’éviction.

Ces indemnités visent à compenser les pertes subies par le locataire en raison de l’éviction.

Comment se calcule l’indemnité d’occupation en cas d’éviction ?

L’indemnité d’occupation est calculée sur la base du loyer fixé par le juge des loyers commerciaux. En l’espèce, le montant a été arrêté à 22 620 euros HT/HC à compter du 1er janvier 2019.

Cette indemnité est indexée chaque 1er janvier sur la variation de l’indice des loyers commerciaux. Elle est due jusqu’à la libération effective des lieux et la remise des clés.

L’article L. 145-29 du Code de commerce précise que, en cas d’éviction, les lieux doivent être remis au bailleur dans un délai de trois mois suivant le versement de l’indemnité d’éviction. L’expulsion peut être ordonnée à l’issue de ce délai.

Quelles sont les conséquences des frais de procès selon le Code de procédure civile ?

Les frais de procès sont régis par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

En l’espèce, la SCI BOAT PARK, en tant que bailleur ayant refusé le renouvellement du bail commercial, a été condamnée aux dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire.

Concernant les frais irrépétibles, l’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens. Dans ce cas, la SCI BOAT PARK a été condamnée à verser 1500 euros à la société ATLANTIC CONCEPT.

N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH

Minute n° 2025/00

AFFAIRE :

S.C.I. BOAT PARK

C/

S.A.R.L. ATLANTIC CONCEPT

Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES
la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 09 JANVIER 2025

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO, greffier lors des débats
Isabelle SANCHEZ, greffier lors du prononcé
DÉBATS :

A l’audience publique du 07 Novembre 2024,
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.
DEMANDERESSE :

S.C.I. BOAT PARK
GROUPE ATLAS – 14 RUE EMILE FOURCAND
33000 BORDEAUX

représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSE :

S.A.R.L. ATLANTIC CONCEPT
12-14 rue de Suffren
33950 LEGE CAP FERRET

représentée par Maître Olivier MAILLOT de la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH

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FAITS ET PROCEDURE
Selon acte sous seing privé du 1er mars 2004, intitulé « bail précaire », la SCI BOAT PARK a loué à la société ATLANTIC CONCEPT un terrain clôturé d’environ 3200 m² sur lequel est édifié un bâtiment à usage de dépôt de 300 m², sis 12-14 rue de Suffren à LEGE CAP FERRET. La convention a été conclue pour deux ans à compter du 1er avril 2004. A l’expiration de cette convention, le preneur étant laissé en possession des lieux, un nouveau bail soumis au statut a pris effet le 1er avril 2016 pour une durée de 9 ans. Le bail s’est ensuite poursuivi par tacite prolongation.
La société ATLANTIC CONCEPT exploite également son activité sur un terrain et un local sis 7 rue Agosta à LEGE-CAP-FERRET, à quelques centaines de mètres de distance.
Le 12 avril 2018, la SCI BOAT PARK a donné congé à la société ATLANTIC CONCEPT pour le 31 décembre 2018, avec offre de renouvellement pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2019, aux clauses et conditions antérieures à l’exception du montant du loyer, sollicité à la somme de 60 000 euros HT/HC.
Les parties s’opposant sur ce montant, le juge des loyers commerciaux a, par jugement du 10 mars 2021, fixé le montant du loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 22 620 euros HT/HC.
Le 23 mars 2021, la SCI BOAT PARK a exercé son droit d’option prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce et refusé le renouvellement du bail en offrant à la société évincée une indemnité d’éviction.
Sur saisine de la SCI BOAT PARK, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné le 28 juin 2021 une expertise, confiée à madame [V] [L], pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction.
Le rapport d’expertise ayant été déposé, la SCI BOAT PARK a, par acte du 23 juin 2023, saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir fixer l’indemnité d’éviction revenant à la société ATLANTIC CONCEPT à la somme de 68 422,72 euros, indemnités de licenciement en sus sur justificatif.
La société ATLANTIC CONCEPT a constitué avocat le 16 août 2023.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses uniques conclusions figurant dans son assignation introductive d’instance du 23 juin 2023, la société BOAT PARK demande au tribunal de :
fixer l’indemnité d’éviction revenant à la société ATLANTIC CONCEPT à la somme de 68 422,72 euros, indemnités de licenciement en sus sur justificatif,ordonner à la société ATLANTIC CONCEPT de libérer les locaux dans un délai de trois mois suivant versement de séquestration ou d’indemnité et ordonner à l’issue de ce délai son expulsion,condamner la société ATLANTIC CONCEPT à lui verser une indemnité d’occupation au 1er janvier 2019 d’un montant annuel de 22 620 euros, charges et taxes en sus, jusqu’à parfaite libération des locaux et remise des clés,ordonner que cette indemnité soit indexée le 1er janvier de chaque année sur la variation de l’indice des loyers commerciauxrappeler l’exécution provisoire de droit,condamner la société ATLANTIC CONCEPT aux dépens qui comprennent l’expertise judiciaire et à lui verser 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.Au soutien de ses prétentions, la société BOAT PARK expose que la société ATLANTIC CONCEPT exploite son activité sur deux sites situés à quelques centaines de mètres de distance : l’un sur le terrain litigieux, l’autre au 7 rue Agosta. Elle souligne que la perte de son fonds de commerce du fait de la reprise du terrain et du local litigieux ne sera que partielle pour ne concerner que son activité d’hivernage et de stockage de bateaux. Si l’expert a estimé que cette activité représentait 65% de son chiffre d’affaires global et en a déduit que le montant de l’indemnité principale d’éviction devait être fixé à la somme de 161 449 euros, elle souligne que ce chiffre ne repose pas sur des éléments objectifs puisque les chiffres communiqués à l’expert ne permettent pas de déterminer le chiffre d’affaires propre au site de la rue de Suffren et que le site du 7 rue Agosta abrite des activités plus lucratives, telles que la vente de bateaux, remorques, locations et gestion de location, la construction de bateaux, l’entretien, tandis que le local de la rue de Suffren sert au stockage et à l’hivernage des bateaux. Elle estime, en s’appuyant sur des photographies aériennes, que le local et le terrain loués ont une capacité bord à bord de stockage de 85 bateaux au plus à laquelle s’ajoute la capacité intérieure pour 6 petites unités. Elle s’appuie sur des tarifs transmis par un concurrent (société NAUTI BOY), pour estimer le chiffre d’affaires théorique de cette activité à hauteur de 64 437 euros. En ajoutant les services chiffrables (sortie et mise à l’eau, lavage, anti fooling), elle obtient un chiffre d’affaires maximal de 110 410 euros TTC, qui peut résulter de l’activité exercée dans les locaux litigieux, perdus par l’éviction, ce qui représente 23 % du chiffre d’affaires global, non 65% comme l’a retenu l’expert. Elle en déduit que la perte partielle du fonds de commerce découlant de l’éviction est 23% du montant du chiffre d’affaires global de 248 383 euros, soit 57 128 euros.
Sur les indemnités accessoires, la société BOAT PARK conteste le versement d’une indemnité de remploi évaluée à 10% de l’indemnité d’éviction par l’expert, faute pour la société ATLANTIC CONCEPT de se réinstaller.
Sur les frais de déménagement et de réinstallation, elle s’y oppose au motif que la société ne s’est pas réinstallée, et que les devis produits ne peuvent être pris en considération, dans la mesure où la quasi-totalité des bateaux appartiennent à des tiers, de sorte que ce sont les propriétaires eux-mêmes non la société ATLANTIC CONCEPT qui va supporter les frais de déplacement.
Sur l’indemnité pour trouble commercial, elle doit être ramenée à la somme de 5581,72 euros, en rapport avec le pourcentage de 23% de perte du chiffre d’affaires, non de 65% comme retenu par l’expert.
S’agissant des frais de licenciement, ils doivent être indemnisés sur justificatif.
Concernant l’indemnité d’occupation, ainsi que l’expert l’a rappelé, elle résulte de la valeur locative fixée par le juge des loyers commerciaux le 10 mars 2021, à la somme de 22 620 euros HT/HC au 1er janvier 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 mars 2024, la société ATLANTIC CONCEPT demande au tribunal :
à titre principal, de condamner la société BOAT PARK à lui verser une somme de 783 460 euros à titre d’indemnité d’éviction (indemnité principale : 369 400 euros ; indemnités accessoires : de remploi : 36 940 euros ; de déménagement : 329 730 euros ; trouble commercial : 26 366 euros ; licenciement : 21 024 euros) à titre subsidiaire :
de la condamner à lui verser une somme de 207 951 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de la perte de valeur du fonds subsistant,
de la condamner à lui verser une somme de 575 509 euros à titre d’indemnité d’éviction (indemnité principale : 161 449 euros ; indemnités accessoires : de remploi : 36 940 euros, de déménagement : 329 730 euros, trouble commercial : 26 366 euros, licenciement : 21 024 euros)
en tout état de cause, de la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise, et à lui verser 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.Au soutien de se demandes, la société ATLANTIC CONCEPT expose que l’application, par l’expert du taux de 65% du chiffre d’affaires pour déterminer le montant de l’indemnité principale est contestable en ce que l’activité exercée rue de Suffren est absolument nécessaire et primordiale pour la survie de l’exploitation située 7 rue Agosta puisque sans la superficie qu’offrent le terrain et le bâtiment loués, les bateaux ne peuvent être stockés en vue de l’entretien ni être réparés. Elle en déduit qu’elle perdra la totalité de son fonds de commerce et doit être indemnisée en conséquence, l’ensemble de son activité ne pouvant être hébergé dans le second local de 1250 m².
A titre subsidiaire, si l’éviction du local était considérée comme accessoire, la société ATLANTIC CONCEPT estime que cette éviction provoquera néanmoins une perte de valeur du fonds subsistant qui doit être indemnisée à titre de dommages intérêts, en sus de l’indemnité principale d’éviction évaluée par l’expert.
Pour évaluer les dommages et intérêts pour la perte de valeur du fonds subsistant à la somme de 207 951 euros, elle se fonde sur la moyenne des chiffres d’affaires annuels de 2020, 2021 et 2022 auxquels elle applique les coefficients de pondération retenus par l’expert, et retranche le montant de l’indemnité principale d’éviction proposée par l’expert.
Sur les indemnités accessoires, deux devis de déménagement des bateaux ont été produits lors des opérations d’expertise. Elle conteste la position de l’expert ayant conduit à les exclure au motif que les bateaux n’ont pas à être transportés au domicile de chaque propriétaire et qu’il n’y a pas besoin de dépolluer les bateaux ; elle souligne que la « logique juridique est que chaque propriétaire récupère son bateau » et que pour les bateaux épave, il est nécessaire de les dépolluer avant de les transporter. Si le bailleur soutient qu’en cas de perte de fonds de commerce, ce poste n’est pas valorisé, elle souligne que cette indemnité est bien due.
Sur les licenciements, elle souligne que seuls 2 licenciements ont été évalués alors qu’il y a 4 salariés ; que dans la mesure où la perte du fonds de commerce rue Suffren entraînera également l’arrêt de l’activité sur le second site, il faut évaluer les licenciements de l’ensemble du personnel : les frais s’élèvent à 21 024,10 euros selon l’expert-comptable. Concernant l’indemnité de remploi, elle propose de la fixer comme l’expert à 10% du montant de l’indemnité, l’indemnité de remploi étant due en cas de perte du fonds de commerce ou de déplacement.
La société ATLANTIC CONCEPT n’a pas conclu sur les demandes formées au titre de l’indemnité d’occupation.

MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en paiement au titre de l’indemnité principale d’éviction
En vertu de l’article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

1.1 Sur l’assiette de l’indemnité d’éviction

En l’espèce, il est constant que la société ATLANTIC CONCEPT exploite son fonds de commerce dans des locaux différents. Seuls les locaux situés rue de Suffren font l’objet d’un bail commercial. En l’absence d’élément précis sur ce point dans les écritures, il doit être retenu que les locaux sis rue Agosta lui appartiennent.
La question se pose de savoir si, en cas de refus de renouvellement de ce bail commercial, l’indemnité d’éviction doit être appréciée par rapport à ce seul bail faisant l’objet du refus ou par rapport à l’ensemble des locaux occupés.
Lorsque l’exploitation qui est menée dans l’ensemble des locaux présente un caractère indivisible ou au moins cohérent, l’indemnité doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble de l’activité ; il convient donc de rechercher si le refus de renouvellement emporte la disparition de l’activité en son entier ou si elle provoque uniquement une perte de valeur du fonds subsistant.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la société ATLANTIC CONCEPT exploite une activité de construction, réparation et hivernage de bateaux. Elle a également une activité de vente de bateaux. Il ressort des termes du bail précaire du 1er mars 2004 que les lieux loués par la SCI BOAT PARK à la société ATLANTIC CONCEPT devaient servir au preneur exclusivement dans le cadre de son activité de construction, stockage et location de bateaux. Le terrain loué est de 3200 m² et le bâtiment à usage de dépôt de 300 m². La société ATLANTIC CONCEPT utilise pour son activité un autre local sis à proximité mais éloigné de quelques centaines de mètres, rue Agosta. Il résulte du rapport d’expertise que le bâtiment sis à cette adresse est de 350 m², à usage de bureau/entrepôt/atelier et édifié sur un terrain de 1250 m². Il est également souligné que la partie principale du bâtiment dispose d’une importante hauteur sous plafond permettant d’accueillir des bateaux sur plusieurs niveaux. Les deux activités sont liées ; leur comptabilité n’est pas distincte.
Dans son rapport, l’expert a considéré que la suppression du site litigieux n’impacterait pas dans sa totalité l’activité de la société ATLANTIC CONCEPT, qui a également une activité de vente de bateaux.
La société preneuse s’oppose à cette affirmation en soutenant qu’elle ne peut maintenir son activité sur 1250 m², cette surface ne permettant pas de stocker les bateaux en vue de leur entretien ou de leur réparation. Cependant, si la perte des locaux litigieux entraîne assurément une baisse d’activité du fait de la perte de surface, il n’est aucunement démontré que le reste de l’activité est nécessairement voué à disparaître sur la partie restante du site.
Il s’ensuit que l’indemnité d’éviction doit être calculée sur la base de l’ensemble de l’activité, au regard de la perte d’activité engendrée.
1.2 Sur le calcul de l’indemnité d’éviction
En l’espèce, au regard des éléments rappelés ci-dessus, le tribunal considère, comme l’a fait l’expert dans son rapport, qu’il y a lieu de déterminer l’indemnité principale sur la base d’une perte partielle du fonds de commerce.
Pour déterminer le montant de cette indemnité principale, l’expert s’est fondé sur deux méthodes habituelles, à savoir l’application du barème professionnel sur le chiffre d’affaires et celle comptable fondée sur l’excédent brut d’exploitation. La méthode et le chiffre de base obtenu par l’expert ne sont pas contestés par les parties, le bailleur se bornant à contester le pourcentage du chiffre d’affaires généré par l’activité exploitée sur le local litigieux retenu par l’expert et le preneur à admettre à titre subsidiaire le montant retenu par l’expert, augmenté d’une indemnité pour la perte de la valeur du fonds subsistant.
Pour justifier l’application d’une décote du chiffre d’affaires global issu des deux sites de 65%, l’expert a rappelé que la société preneuse ne lui avait pas communiqué d’éléments comptables permettant de distinguer l’activité des deux sites et a retenu, dans ces conditions, une méthode par appréciation des deux immeubles d’exploitation en tenant compte de leurs composition et état, soulignant avoir, dans cette perspective, également visité le bâtiment sis 7 rue d’Agosta. L’expert a retenu à titre d’élément non négligeable la superficie plus importante de 1959 m² du terrain sis rue de Suffren par rapport au terrain rue d’Agosta, qui offre davantage de possibilités pour l’hivernage. L’expert a également relevé la meilleure exposition commerciale du local rue d’Agosta et le meilleur état du bâti. En réponse aux dires des conseils, l’expert a considéré que les éléments transmis en complément étaient de nature à l’éclairer partiellement quant à la part de chiffre d’affaires théorique qui peut être allouée au site litigieux. L’expert a souligné que la simple approche tarifaire proposée, aboutissant à une perte de chiffre d’affaires de 23%, ne permettait pas de prendre en compte l’impact sur l’activité qui allait être fortement impactée par la réduction de l’activité hivernage/réparation, réduisant d’autant le rayonnement de l’activité.
Il s’ensuit que l’expert a justifié les raisons pour lesquelles il a écarté la proposition de la SCI BOAT PARK et maintenu un taux de 65% de perte de l’activité, aboutissant à une indemnité principale de 161 449 euros.
En revanche, dès lors que l’expert a tenu compte de la perte d’activité et de son impact sur le fonds restant, il n’y a pas lieu d’allouer une indemnité complémentaire telle que demandée par la société ATLANTIC CONCEPT au titre de l’impact sur le fonds restant.

Sur les indemnités accessoires d’éviction
2.1. Indemnité de remploi 
L’indemnité de remploi doit permettre au locataire évincé de retrouver un fonds de commerce ou un droit au bail de même nature. Elle est généralement fixée à 10% de la valeur de l’indemnité principale. Elle n’est toutefois pas due si le bailleur apporte la preuve que le locataire ne se réinstallera pas.
En l’espèce, faut pour le bailleur d’apporter cette preuve, l’indemnité de remploi sera fixée à 10% de l’indemnité principale, soit 16 145 euros.
2.2. Indemnité pour trouble commercial 
Le principe de l’indemnisation du trouble commercial n’est pas contesté par le bailleur, lequel est toutefois en désaccord avec l’expert qui a retenu une assiette de 65% du dernier chiffre d’affaires.
Compte tenu de ce qui précède, le taux de 65% du dernier chiffre d’affaires retenu par l’expert sera retenu, soit 15 774 euros.
2. 3. Sur les frais de licenciement
Il y a lieu de faire droit à cette demande, sur justificatifs, dès lors que tous les salariés de l’entreprise ne sont pas concernés.
2.4 Sur les frais de déménagement
La société ATLANTIC CONCEPT demande, sur la base d’un devis, une indemnité de 187 775 euros HT au titre du déménagement des bateaux, qu’elle entend restituer directement aux domiciles des propriétaires, y compris en région parisienne. Toutefois, elle ne démontre pas qu’elle ne relocalisera pas son activité et ne sera pas en mesure de transférer ces bateaux dans une zone plus proche. En outre, selon les contrats de location parking produits, ces contrats sont conclus soit pour une durée déterminée soit pour une durée indéterminée ; surtout, aucune disposition n’est prévue concernant la prise en charge du remorquage en cas de résiliation ou de frais spécifiques en cas de résiliation anticipée. Aussi, il appartiendra à la société ATLANTIC CONCEPT de résilier les contrats concernés et demander à ses clients de prendre en charge à leurs frais le déplacement de leur bateau, après avoir respecté un délai raisonnable avant résiliation.
Une indemnité pourra lui être allouée dans le cas où ses clients ne reprendraient pas possession de leur bateau, sur justificatif.
2.5 Sur les frais de dépollution
La société ATLANTIC CONCEPT demande, sur la base d’un devis, une indemnité de 87 000 euros HT au titre de la dépollution des bateaux présents sur le site. Outre qu’elle ne présente aucun fondement juridique à cette demande, elle ne démontre aucunement la présence de bateaux pollués sur le site ou encore la nécessité de les dépolluer. A supposer qu’elle se fonde sur les dispositions de l’article L. 556-3 du code de l’environnement, qui prévoit la réhabilitation d’un site exploité par une installation classée pour la protection de l’environnement ou d’un sol pollué, il convient de souligner que les frais de dépollution sont à la charge de l’exploitant, non du bailleur.
Cette demande sera rejetée.
Il sera rappelé qu’en application de l’article L. 145-29 du code de commerce, en cas d’éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la date de versement de l’indemnité d’éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l’indemnité à un séquestre. L’expulsion sera ordonnée à l’issue de ce délai.

3. Sur l’indemnité d’occupation

La SCI BOAT PARK demande une indemnité d’occupation. La société ATLANTIC CONCEPT n’a pas répondu.
Il convient de fixer cette indemnité sur la base du loyer arrêté par le juge des loyers commerciaux, soit la somme annuelle de 22 620 euros HT et HC à compter du 1er janvier 2019, indemnité indexée le 1er janvier de chaque année à compter du mois de janvier 2020 sur la variation de l’indice des loyers commerciaux, cette indemnité se substituant aux montants versés à titre de loyers à compter de cette date. Il appartiendra aux parties de procéder à leurs comptes. Cette indemnité sera due jusqu’à libération effective des lieux et remise des clés.

Sur les frais du procès
– Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, le bailleur étant à l’origine de cette procédure en raison du refus de renouvellement du bail commercial, il sera condamné aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

– Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.[…]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
Au vu des circonstances du litige, il apparaît équitable de condamner la SCI BOAT PARK à verser à la société ATLANTIC CONCEPT la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande formée par la société par la SCI BOAT PARK au titre de l’article 700 précité sera rejetée.

PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK à payer à la société ATLANTIC CONCEPT les sommes suivantes :
161 449 euros au titre de l’indemnité d’éviction, 16 145 euros au titre de l’indemnité de remploi, 15 774 euros au titre du trouble commercial,
Outre les frais de licenciement sur justificatifs ainsi que les frais de déménagement des bateaux non pris en charge par leurs propriétaires, sur justificatifs,

REJETTE la demande formée au titre des frais de dépollution,
CONDAMNE la société ATLANTIC CONCEPT au paiement d’une indemnité d’occupation annuelle de 22 620 HT/HC à compter du 1er janvier 2019, à charge pour les parties de faire les comptes entre elles, jusqu’à parfaite libération des locaux et remise des clés,
DIT que cette indemnité est indexée chaque 1er janvier à compter du 1er janvier 2020 sur la base de l’indice des loyers commerciaux,
RAPPELLE qu’en application de l’article L. 145-29 du code de commerce, en cas d’éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la date de versement de l’indemnité d’éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l’indemnité à un séquestre,
ORDONNE, à l’issue de ce délai, l’expulsion du locataire et des occupants de son chef avec, au besoin, le concours de la force publique,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK à payer à la société ATLANTIC CONCEPT la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

REJETTE la demande de la SCI BOAT PARK au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire de droit.

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,


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