L’Essentiel : Une allocataire de la Caf, bénéficiaire de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour son enfant souffrant de handicaps, a perçu cette aide jusqu’en mars 2021. En mai 2022, la Caf a notifié un indu de 5 962,83 euros, arguant qu’elle ne pouvait plus prétendre à l’AJPP à partir de mai 2020. Après un rejet de son recours amiable, l’allocataire a saisi le tribunal judiciaire, qui a partiellement donné raison à sa demande. La Caf a interjeté appel, soutenant une erreur administrative. La cour a finalement infirmé le jugement, condamnant l’allocataire à rembourser la somme indûment perçue.
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FAITSMme [I] [E] est allocataire de la Caf pour son enfant [W], né le 16 août 2012, qui souffre de plusieurs pathologies et handicaps. Elle a perçu l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour différentes périodes, notamment d’octobre 2017 à janvier 2019 et de février 2019 à janvier 2020. Le 1er février 2020, elle a demandé le renouvellement de l’AJPP, qui lui a été versé jusqu’en mars 2021. Cependant, la Caf a notifié un indu de 5 962,83 euros en mai 2022, arguant qu’elle ne pouvait plus prétendre à l’AJPP à partir du 1er mai 2020, le nombre maximum de jours étant atteint. PROCEDUREAprès avoir contesté l’indu par courriel, la Caf a expliqué qu’elle avait enregistré la demande de février 2020 comme une nouvelle pathologie, entraînant une erreur de versement. La commission de recours amiable a rejeté le recours de Mme [E] en décembre 2022. Elle a ensuite saisi le tribunal judiciaire de Paris, qui a rendu un jugement le 22 novembre 2023, déclarant Mme [E] partiellement fondée dans sa demande et annulant l’indu notifié. PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIESLa Caf a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et le remboursement de l’AJPP versé indûment. Elle soutient que le versement de l’AJPP au-delà de la date limite était une erreur administrative et qu’aucune disposition légale ne permet d’annuler un indu en raison d’une erreur de l’administration. Mme [E], de son côté, a demandé la confirmation du jugement de première instance, arguant que la Caf avait commis une erreur dans l’envoi des formulaires et qu’elle avait besoin de l’AJPP pour s’occuper de son fils gravement malade. DECISION DE LA COURLa cour a infirmé le jugement de première instance, déclarant que Mme [E] n’ouvrait pas droit à l’AJPP pour la période de mai 2020 à mars 2021 et que les sommes versées à ce titre étaient indues. Elle a condamné Mme [E] à rembourser la Caf la somme de 5 962,83 euros et a débouté Mme [E] de ses demandes accessoires. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur l’existence d’un indu au profit de la caisse d’allocations familialesL’article 1302-1 du code civil dispose : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. » En l’espèce, la caisse d’allocations familiales (Caf) a versé à l’allocataire l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour une période durant laquelle elle n’avait plus de droits, dépassant ainsi le nombre maximum de jours prévu par la loi. L’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale précise : « La personne qui assume la charge d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants bénéficie, pour chaque jour de congé prévu à l’article L. 122-28-9 du code du travail, d’une allocation journalière de présence parentale. » L’article L. 544-3 du même code indique que : « L’allocation est versée dans la limite d’une durée maximum fixée par décret pour un même enfant et par maladie, handicap ou accident. Le nombre maximum d’allocations journalières versées au cours de cette période est égal à trois cent dix. » Dans le cas présent, l’allocataire a perçu l’AJPP au-delà de la période légale autorisée, ce qui constitue un indu. Les sommes versées entre le 1er mai 2020 et le 31 mars 2021 sont donc considérées comme indûment perçues. Sur la possibilité de revenir sur l’indu a posterioriL’allocataire soutient que l’indu doit être couvert en raison de la faute de la Caf et de l’état de santé de l’enfant. La faute de la caisse dans l’envoi des formulaires n’affecte pas l’existence de l’indu. En matière d’indu objectif, le payeur n’a pas besoin de prouver une négligence pour obtenir le remboursement. La seule preuve requise est l’absence de dette. L’article R. 552-2 du code de la sécurité sociale stipule : « L’allocation journalière de présence parentale est due à compter du premier jour du mois civil au cours duquel est déposée la demande, sous réserve que les conditions d’ouverture du droit soient réunies à cette date. » De plus, l’article R. 552-3 précise que : « L’allocation journalière de présence parentale cesse d’être due à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel les conditions de droit cessent d’être réunies. » Ces articles montrent que l’AJPP ne peut pas être versée rétroactivement. L’allocataire n’a pas justifié avoir fait parvenir à la Caf une demande de renouvellement exceptionnel dans les délais requis, ce qui exclut la possibilité d’un versement rétroactif. Sur les demandes accessoiresL’allocataire, ayant succombé à l’instance, sera tenue aux dépens. L’article 700 du code de procédure civile, qui permet d’accorder une indemnité à la partie gagnante, ne sera pas appliqué en faveur de l’allocataire, étant donné qu’elle n’a pas obtenu gain de cause. En conclusion, la cour déclare recevable l’appel formé par la caisse d’allocations familiales, infirme le jugement de première instance, et condamne l’allocataire à rembourser les sommes indûment perçues. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 31 Janvier 2025
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 24/00573 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CI3DZ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Novembre 2023 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 23/00466
APPELANTE
CAF DE [Localité 5] BAJ
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Mme [Y] [O] en vertu d’un pouvoir spécial
INTIMEE
Madame [I] [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alain LACHKAR, avocat au barreau de PARIS, toque : C0247
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Décembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sophie COUPET, conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, conseiller
Madame Sophie COUPET, conseillère
Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la caisse d’allocations familiales de Paris (la Caf) à l’encontre d’un jugement rendu le 22 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de Paris, dans un litige l’opposant à Madame [I] [E] (l’allocataire).
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de préciser que Mme [I] [E] est allocataire de la Caf au titre de l’enfant [W], né le 16 août 2012, qui présente, depuis sa naissance, plusieurs pathologies et handicaps.
Mme [E] a perçu l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour les périodes suivantes :
– octobre 2017 à janvier 2019 pour une première pathologie ;
– février 2019 à juillet 2019, pour une seconde pathologie (AVC), avec renouvellement d’août 2019 à janvier 2020.
Le 1er février 2020, Mme [E] a sollicité le renouvellement de l’AJPP et la caisse lui a versé cette allocation de février 2020 à mars 2021.
Par courrier du 2 mai 2022 la Caf a notifié à Mme [E] un indu d’un montant de 5 962,83 euros au motif qu’elle ne pouvait plus prétendre à l’AJPP à compter du
1er mai 2020, le nombre maximum de jours (310) étant atteint pour la même pathologie. L’indu était égal au montant de l’AJPP versé à tort
(11 mois x 964,26 euros = 10 606,86 euros), déduction faite, par compensation :
d’un rappel de 3 148,99 euros correspondant à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) pour les périodes de mai 2020 à mars 2021 et à l’AJPP pour les mensualités d’août 2021 à mars 2022 ;
d’un rappel de 1 495,04 euros correspondant à l’allocation personnalisée au logement (APL) pour les mensualités de janvier à avril 2022.
A la suite de la contestation de l’allocataire par courriel du 2 mai 2022, la Caf lui a expliqué, dans un courriel du 4 mai 2022 qu’elle avait enregistré la demande du
1er février 2020 comme une demande pour une nouvelle pathologie et non comme un renouvellement, ce qui a ouvert des droits pour une nouvelle période de 310 jours et ce qui explique qu’elle a continué à verser l’allocation par erreur au-delà de la date de fin de droit.
Mme [E] a contesté cette notification d’indu et, par décision du 21 décembre 2022, la commission de recours amiable a rejeté son recours.
Par courrier recommandé expédié le 17 février 2023, Mme [E] a porté sa contestation devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement du 22 novembre 2023, le tribunal a :
– Déclaré Mme [E] partiellement fondée en sa demande ;
– Dit qu’elle aurait dû bénéficier de l’AJPP du mois d’avril 2020 au mois de
mars 2021 ;
– Annulé en conséquence l’indu d’un montant de 10 606,86 euros (soit 11 mois d’une allocation d’un montant mensuel de 964,26 euros) notifié le 2 mai 2022 ;
– Condamné la Caf à lui rembourser les compensations opérées en conséquence du remboursement de cet indu, déduction faite du montant des réévaluations de l’AEEH et de l’APL générées par le prononcé de l’indu ;
– Condamné la caisse à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé que la caisse avait commis une erreur dans le formulaire envoyé à Mme [E] en janvier 2020, puisqu’elle lui avait fait parvenir un formulaire de renouvellement de l’AJPP, alors que la pathologie qui s’y rattachait avait déjà fait l’objet d’une ouverture de droits en février 2019, renouvelée pour 6 mois, de telle sorte que les droits allaient être épuisés en avril 2020. Le tribunal a estimé qu’il convenait de réparer cette erreur a posteriori, en faisant droit à la demande de
Mme [E].
Le jugement a été notifié le 11 décembre 2023 à la Caf, qui en a interjeté appel par lettre recommandée expédiée le 29 décembre 2023.
La Caf a exécuté le jugement en remboursant à Mme [E] le 18 décembre 2023 la somme de 5 962,83 euros.
L’affaire a été examinée à l’audience de la cour d’appel du 3 décembre 2024.
A cette audience, la Caf, représentée par son mandataire, a repris oralement ses conclusions visées par le greffe pour demander à la cour de :
Infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Paris en date du
22 novembre 2023 ;
Débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes ;
Débouter Mme [E] de sa demande de condamner la Caf à lui rembourser la somme de 10 606,86euros correspondant à l’AJPP versée indument de mai 2020 à mars 2021 et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2022 ;
Condamner reconventionnellement Mme [E] au paiement de la somme de 5 962,83 euros correspondant à l’AJPP versé indument au titre des mensualités de mai 2020 à mars 2021.
Au soutien de ses prétentions, la Caf explique que, comme le relève le tribunal, le versement indu d’AJPP s’explique par le fait qu’en février 2020, elle a enregistré une demande d’AJPP au titre d’une nouvelle pathologie, ouvrant des droits à Mme [E] pour 310 jours, alors qu’en réalité, la demande de février 2020 concernait le renouvellement de l’AJPP pour une pathologie déjà déclarée, au titre de laquelle l’AJPP ne pouvait pas être versée au-delà du mois de mars 2020. La Caf fait valoir qu’aucune disposition légale ne prévoit la possibilité d’annuler un indu au titre d’une erreur qui aurait été commise par l’administration. Elle précise même que l’article 1302-1 du code civil prévoit expressément l’hypothèse de l’erreur. Elle indique que la seule possibilité est la remise de dette en cas de précarité et de bonne foi.
La Caf expose que l’AJPP ne peut être versée que pour 310 jours au titre d’une même pathologie et pour un même enfant. Elle en déduit donc que les sommes versées à
Mme [E] entre avril 2020 et mars 2021 sont indues, mais souligne que l’indu notifié en mai 2022 ne réclame les sommes que dans la limite de la prescription biennale.
La Caf conteste toute intention d’induire en erreur ses allocataires pour éviter de verser des prestations, intention que lui prête à tort Mme [E]. Elle précise que la Caf transmet systématiquement, à chaque échéance de six mois, un formulaire de renouvellement de l’AJPP. De plus, elle précise qu’au jour de la transmission du formulaire, les droits à l’AJPP pouvaient être renouvelés à titre dérogatoire conformément à l’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale, en cas de rechute ou de récidive. Elle note que le certificat médical joint au formulaire de renouvellement de l’AJPP ne mentionne ni rechute, ni récidive, mais seulement une pathologie diagnostiquée le 16 août 2012, ce qui excluait la possibilité d’un renouvellement exceptionnel. Elle précise également que le formulaire transmis permettait également de cocher « nouvelle demande ». Elle en conclut que la caisse n’a commis aucune faute et qu’il appartenait à Mme [E] de prendre contact avec la Caf si elle avait un doute sur le formulaire à remplir.
La Caf indique que les arrêts du Conseil d’Etat communiqués en défense posent l’obligation pour l’administration d’agir de bonne foi. Elle estime que, par les arguments précédemment exposés, elle a fait la démonstration de sa bonne foi et donc de l’absence de faute de sa part. En toute hypothèse, elle rappelle que la faute de l’organisme ne la prive pas de la possibilité de recouvrer les sommes indûment versées, qui s’élèvent, en l’espèce, à la somme de 5 962,83 euros après compensation (et non à 10 606,86 euros).
La Caf ne conteste pas avoir une obligation d’information générale, mais indique que le devoir d’information particulier ne s’applique qu’en cas de demande précise de l’allocataire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ainsi qu’il résulte d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 5 novembre 2015.
La Caf justifie sa demande reconventionnelle en paiement par le fait qu’elle a exécuté le jugement déféré et qu’elle a donc remboursé à Mme [E] la somme de 5 962,83 euros le 18 décembre 2023.
En défense, Mme [E], assistée de son conseil, a repris oralement ses conclusions visées par le greffe, aux termes desquelles elle demande à la cour de :
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 novembre 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris ;
Débouter la Caf de [Localité 5] de toutes ses demandes, et notamment de sa demande de remboursement de la somme de 5 962,83 euros correspondant à l’AJPP versée au titre des mensualités de mai 2020 à mars 2021 ;
Condamner la Caf à régler à Mme [E] une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Mme [E] expose que son fils [W] est atteint d’une grave maladie qui nécessite la présence soutenue de sa mère pour la surveillance et l’accompagnement à des séances de soins, de rééducation et de suivi psychologique. Pour lui permettre de rester auprès de son fils, elle précise qu’elle a sollicité le bénéfice de l’AJPP, dès le mois de juillet 2016 pour une première pathologie, AJPP qu’elle n’a jamais reçue en dépit de ses demandes. Elle indique qu’elle a ensuite bénéficié de l’AJPP pour une deuxième pathologie de son fils, du mois d’octobre 2017 au mois de janvier 2019, puis pour une troisième pathologie de son fils, du mois d’août 2019 au mois de mars 2020, puis du mois de mai 2020 au mois de mars 2021, ce dernier renouvellement faisant l’objet de l’indu de la Caf.
Elle explique qu’en janvier 2020 puis en juillet 2020, la Caf lui a adressé un formulaire de renouvellement de la demande d’AJPP, formulaire qu’elle a rempli et fait compléter par son médecin, alors qu’à ces dates, ses droits à l’AJPP pour la troisième pathologie n’étaient plus ouverts pour la période de six mois et que la Caf aurait dû lui faire parvenir un courrier de fin de droit. Elle précise que la médiatrice administrative de la Caf de [Localité 5] a reconnu l’erreur de la Caf, dans l’envoi du formulaire. Elle en conclut donc que l’erreur est imputable à la Caf, qui ne peut se retrancher derrière le
non-respect du formalisme par l’allocataire. Mme [E] explique également qu’en janvier 2020, son intention était de déclarer une nouvelle pathologie mais qu’elle avait rempli le formulaire de renouvellement envoyé par la Caf; elle précise qu’en
juillet 2020, elle ne pouvait donc pas se douter que le formulaire de renouvellement proposé par la Caf n’était pas adapté, puisqu’il s’agissait d’un premier renouvellement de la pathologie qu’elle pensait avoir déclarée en janvier 2020.
Mme [E] note qu’une quatrième pathologie (reconstruction de l’oreille interne) a été enregistrée pour la période de juin 2021 à mai 2022, ouvrant une nouvelle période de versement de droits de 310 jours. L’indu réclamé par la Caf correspond donc à la période de mai 2020 à mars 2021, soit 11 x 964,26 = 10 606,86 euros. Elle précise que si la Caf n’avait pas commis d’erreur d’envoi du formulaire, cette quatrième pathologie aurait été déclarée pour la période mai 2020 à mars 2021 et aucun indu n’aurait pu alors être réclamé.
Mme [E] rappelle que la Caf est tenue d’une obligation de loyauté et de bonne foi, de telle sorte qu’elle aurait dû l’informer que la demande de renouvellement la priverait de son droit à l’AJPP. De plus, Mme [E] indique que le médecin ne pouvait pas se douter qu’il fallait cocher « première demande » et non « renouvellement » sur le certificat médical, puisqu’il ne s’agit pas de la première demande, l’enfant en étant à sa quatrième pathologie. Elle estime que la lecture rigoureuse des textes par la Caf, au lieu de tirer les conséquences de son erreur d’envoi d’un mauvais formulaire, montre le désintérêt total de l’organisme à l’égard de la souffrance de l’enfant [W] [E], gravement malade depuis sa naissance, ainsi que de la souffrance de sa mère. En tout état de cause, elle précise que l’état de santé de [W] imposait la présence de sa mère, que ce soit dans le cadre d’une nouvelle pathologie ou d’un renouvellement exceptionnel, ainsi qu’il ressort du certificat médical du docteur [L] en date du 17 mai 2022.
Mme [E] estime que la Caf a agi à son égard de façon totalement déloyale, puisqu’elle a procédé à des compensations sur des allocations versées du fait du handicap de son fils, alors même que l’indu était contesté et qu’elle avait engagé un recours devant le tribunal. Elle indique que les sommes retenues par la Caf, à savoir l’intégralité de l’AJPP et 60% de l’AEEH, lui étaient nécessaires pour régler les rééducations de son fils et pour assurer une vie décente à la famille. Mme [E] rappelle que son fils [W], depuis son AVC en 2012, a subi de nombreuses opérations et maladies, nécessitant la présence constante de sa mère depuis de nombreuses années : opération en urgence d’une malformation artério-veineuse importante (opération ayant duré 7 heures 30), AVC avec hémiplégie droite, rééducation soutenue à l’hôpital [Localité 6] pendant 2 ans, maladie de Rendu-Osler, hospitalisation en décembre 2022.
Par ailleurs, elle indique que la notification d’une décision illisible de la commission de recours amiable, du fait de la petitesse des caractères utilisés, ajoute à la mauvaise foi de la caisse.
A l’issue de l’audience, les parties ont été informées que la décision serait mise à disposition le 31 janvier 2025.
Sur l’existence d’un indu au profit de la Caf :
L’article 1302-1 du code civil dispose :
Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.
L’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose :
La personne qui assume la charge d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants bénéficie, pour chaque jour de congé prévu à l’article L. 122-28-9 du code du travail, d’une allocation journalière de présence parentale. (‘)
L’article L. 544-2 du code de la sécurité sociale dispose :
La particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l’accident visés au premier alinéa de l’article L. 544-1 ainsi que le caractère indispensable d’une présence soutenue et de soins contraignants sont attestés par un certificat médical détaillé, établi par le médecin qui suit l’enfant au titre de la maladie, du handicap ou de l’accident susmentionnés. Le certificat médical précise la durée prévisible du traitement. Le droit à la prestation est soumis à un avis favorable du service du contrôle médical prévu à l’article L. 315-1 ou du régime spécial de sécurité sociale.
Le droit est ouvert pour une période égale à la durée prévisible du traitement de l’enfant visée au premier alinéa. Lorsque le médecin le prévoit, la durée fait l’objet d’un réexamen à l’échéance qu’il a fixée et qui ne peut être inférieure à six mois ni supérieure à un an. Dans tous les cas, lorsque la durée prévisible excède un an, elle fait l’objet d’un nouvel examen à cette échéance.
L’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose :
L’allocation est versée dans la limite d’une durée maximum fixée par décret pour un même enfant et par maladie, handicap ou accident. Le nombre maximum d’allocations journalières versées au cours de cette période est égal à trois cent dix.
Au-delà de la durée maximale prévue au premier alinéa, le droit à l’allocation journalière de présence parentale peut être ouvert de nouveau, dès lors que les conditions mentionnées aux articles L. 544-1 et L. 544-2 sont réunies, dans les situations qui suivent :
1° En cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l’enfant au titre de laquelle le droit à l’allocation journalière de présence parentale avait été ouvert ;
2° Lorsque la gravité de la pathologie de l’enfant au titre de laquelle le droit à l’allocation journalière de présence parentale avait été ouvert nécessite toujours une présence soutenue et des soins contraignants.
L’article R. 544-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose :
La demande d’allocation journalière de présence parentale est adressée à l’organisme débiteur accompagnée des documents suivants :
1° Une attestation de l’employeur précisant que le demandeur bénéficie d’un congé de présence parentale en application des articles L. 1225-62, L. 1225-63, L. 1225-64 et
R. 1225-14 du code du travail, de l’article 40 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, de l’article 60 sexies de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, du 11° de l’article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ou de toute autre disposition applicable aux agents publics prévoyant le bénéfice d’un congé de présence parentale ;
2° Un certificat médical détaillé, établi conformément à un modèle défini par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, adressé sous pli fermé à l’attention du service du contrôle médical, attestant la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l’accident de l’enfant et précisant la nature des soins contraignants et les modalités de la présence soutenue du parent aux côtés de l’enfant, ainsi que la durée prévisible du traitement de l’enfant.
Lorsque la durée prévisible de traitement de l’enfant fixée par le médecin qui le suit fait l’objet d’un réexamen dans les conditions mentionnées à l’article L. 544-2, l’allocataire adresse à l’organisme débiteur, sous pli fermé à l’attention du service du contrôle médical, un nouveau certificat médical détaillé, dans les mêmes conditions que celles définies au troisième alinéa.
L’article D. 544-4 du code de la sécurité sociale prévoit :
Le nombre d’allocations journalières versées pour un même enfant au titre d’un mois civil à l’un ou aux deux membres du couple ne peut être supérieur à 22.
Il ressort des documents produits que Mme [E] a formulé une demande d’AJPP le 25 février 2019 au titre d’une nouvelle pathologie, ce qui lui a ouvert le droit à l’AJPP du 1er février 2019 au 31 juillet 2019 pour une durée de 132 jours (6 mois x 22 jours). Elle a ensuite sollicité le renouvellement de l’AJPP par formulaire complété le
10 juillet 2019, ce qui lui a ouvert le droit à l’AJPP du 1er août 2019 au 31 janvier 2020, pour une durée de 132 jours (6 mois x 22 jours).
Le 1er février 2020, Mme [E] a, de nouveau, rempli le formulaire « AJPP renouvellement ». Y était joint un certificat médical du docteur [F], qui mentionnait qu’il s’agissait d’un renouvellement pour la pathologie « AVC in utero, maladie de Rendu-Osler, malformation » diagnostiquée le 16 août 2012. Ce certificat médical atteste de la particulière gravité de la maladie ainsi que du caractère indispensable d’une présence soutenue d’un parent et de soins contraignants pour une durée prévisible de
12 mois.
Cette demande d’AJPP est donc formulée pour la même pathologie que celle visée dans la demande d’AJPP du 25 février 2019. Il ne peut donc s’agir d’une nouvelle demande. Il s’agit nécessairement d’un renouvellement.
Ainsi que mentionné plus haut, pour cette pathologie, Mme [E] avait perçu l’AJPP pour une durée de 264 jours. Elle pouvait donc encore prétendre au versement pendant 46 jours, c’est-à-dire 2 mois (de 22 jours) et 2 jours, du 1er février 2020 au 2 avril 2020.
La Caf, à la suite de la demande de renouvellement du 1er février 2020, a versé l’AJPP à Mme [E] jusqu’au mois de mars 2021, ce qui constitue une erreur de la caisse, puisque le délai de 310 jours est dépassé.
Il est constant qu’à compter du 3 avril 2020, Mme [E] aurait éventuellement pu continuer à bénéficier de l’AJPP sur le fondement de l’article L. 544-3 alinéa 2 du code de la sécurité sociale. Toutefois, ce renouvellement exceptionnel, fondé sur une rechute ou une récidive ou sur la particulière gravité de la pathologie, suppose une demande particulière, à laquelle est joint le certificat médical circonstancié prévu à l’article L. 544-2 du code de la sécurité sociale, suivie d’un avis favorable du service médical de la caisse. Ce renouvellement exceptionnel n’a pas été formulé et n’a pas fait l’objet d’une étude par le service médical de la caisse. Il ne peut donc être pris en compte.
Dès lors, par application des textes susvisés, le droit à l’AJPP de Mme [E] ne pouvait s’étendre au-delà du 2 avril 2020. Les sommes versées du 1er mai 2020 au
31 mars 2021, pendant une période de 11 mois, ont donc été versées par erreur par la Caf. Elles sont donc indues.
Sur la possibilité de revenir sur l’indu a posteriori :
Mme [E] estime que l’indu doit être couvert en raison de la faute de la Caf et en raison de l’état de santé de l’enfant.
La faute de la caisse dans l’envoi des formulaires :
En matière d’indu objectif (le paiement a porté sur une dette qui n’existe pas, comme l’espèce), le payeur, pour obtenir le remboursement de son indu, n’a aucune autre preuve à rapporter que l’absence de dette. Son éventuelle négligence ne constitue pas un obstacle à l’action en répétition de l’indu. La faute commise par le solvens est seulement de nature à engager la responsabilité de son auteur envers l’accipiens, dans les conditions de l’article 1240 du code civil (Ass. plén., 2 avril 1993, pourvoi n° 89-15.490 ; 1re Civ., 11 avril 1995, pourvoi n° 93-14.692).
Le débat entre les parties sur l’erreur voire la faute de la caisse dans l’envoi des formulaires est donc sans pertinence sur l’existence de l’indu. Il sera relevé que la cour n’est saisie d’aucune demande de dommages-intérêts.
Ainsi, l’éventuelle faute de la Caf dans l’envoi des formulaires n’est pas de nature à dispenser Mme [E] du remboursement de l’indu.
La faute de la caisse concernant le paiement par compensation :
Il vient d’être démontré que la faute éventuelle de la caisse est sans incidence sur le bien-fondé de l’indu.
La question de savoir si la caisse pouvait procéder par compensation n’a donc pas à être traitée par la cour dans le cadre du débat sur le bien-fondé de l’indu.
La possibilité de solliciter, a posteriori, un renouvellement exceptionnel au regard de l’état de santé de l’enfant :
L’article R. 552-2 du code de la sécurité sociale dispose :
L’allocation journalière de présence parentale est due à compter du premier jour du mois civil au cours duquel est déposée la demande, sous réserve que les conditions d’ouverture du droit soient réunies à cette date.
L’article R. 552-3 du code de la sécurité sociale dispose que :
L’allocation journalière de présence parentale cesse d’être due à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel les conditions de droit cessent d’être réunies.
Il résulte de ces textes que l’ouverture des droits à l’AJPP dépend, non seulement du fait que les conditions d’ouverture soient remplies, mais également de la date du dépôt de la demande. Ainsi, l’AJPP est une allocation qui n’est pas susceptible d’être versée rétroactivement.
Mme [E] produit, en pièces 4 et 5, deux certificats médicaux en date des 17 et
24 mai 2022, du docteur [L], pédiatre à l’hôpital [Localité 6], qui atteste rétrospectivement qu’un renouvellement exceptionnel de l’AJPP pour 310 jours supplémentaires était justifié pour la période de l’indu, de mai 2020 à mars 2021.
Toutefois, Mme [E] ne justifie pas avoir fait parvenir à la caisse, entre le mois de mai 2020 et le mois de mars 2021, cette demande de renouvellement exceptionnel dans les conditions fixées par l’article R. 544-1 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire en joignant un certificat médical détaillé, établi conformément à un modèle défini par arrêté des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité Sociale.
En l’absence de possibilité d’un versement rétroactif, ce moyen ne peut qu’être écarté.
Il convient donc de faire droit à la demande de la Caf tendant à obtenir la condamnation de Mme [E] à lui rembourser la somme de 5 962,83 euros au titre de l’AJPP indument versée pour la période de mai 2020 à mars 2021. Le jugement de première instance sera donc infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires :
Mme [E], succombant à l’instance, sera tenue aux entiers dépens et sera déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA COUR
DÉCLARE recevable l’appel formé par la caisse d’allocations familiales de [Localité 5] ;
INFIRME, en toutes ses dispositions soumises à la cour, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 22 novembre 2023 ;
Statuant à nouveau,
DIT que Mme [E] n’ouvrait pas droit à l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour la période de mai 2020 à mars 2021 ;
DIT que les sommes qui lui ont été versées à ce titre pendant cette période sont donc indues ;
CONDAMNE, en conséquence, Mme [E] à payer à la caisse d’allocations familiales de [Localité 5] la somme de cinq-mille-neuf-cent-soixante-deux euros et quatre-vingt-trois centimes (5 962,83 euros) ;
DÉBOUTE Mme [E] de ses demandes ;
CONDAMNE Mme [E] aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière Le président
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