Émission complément d’enquête : interdiction de diffusion

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Émission complément d’enquête : interdiction de diffusion

L’Essentiel : L’affaire Dessange a révélé des enjeux cruciaux autour de la liberté d’expression et du droit à la vie privée. La cour d’appel a confirmé l’interdiction de diffusion d’un reportage accusant Benjamin Dessange de harcèlement, en raison de la protection de sa présomption d’innocence et de l’image de sa société. Les mesures prises pour éviter l’identification des personnes impliquées ont été jugées proportionnées. Le reportage, centré sur la victime, a été critiqué pour son manque de contradictoire, et des éléments portant atteinte à la vie privée de Dessange ont également été relevés, soulignant la complexité de la situation.

Affaire Dessange

L’interdiction de diffusion d‘une séquence du magazine audiovisuel « Complément d’enquête » consacré au harcèlement a été confirmée en appel. Au cours de l’émission,  Benjamin Dessange et la société Dessange International étaient mis en cause par une ancienne salariée du groupe. Par ordonnance, le président du TGI de Paris avait fait droit à la demande de visionnage du reportage avant diffusion, afin qu’il soit statué sur l’interdiction de certains passages, attentatoires aux droits à l’intimité de la vie privée et au droit à la présomption d’innocence de Benjamin Dessange, ainsi qu’à l’image et à la marque de la société Dessange International.

Contrôle de proportionnalité

Il a été interdit à la France Télévisions de diffuser le reportage relatif à l’information judiciaire ouverte sur des faits de harcèlement à l’encontre du dirigeant de la société, sans avoir supprimé dans le reportage, les références faites à ses nom et prénom, comme le nom de l’entreprise qu’il dirige, le cliché photographique le représentant et les images identifiables du siège de l’entreprise.

Ces mesures n’ont pas été jugées disproportionnées entre la préservation de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général sur lequel il est légitime de donner une information au public et les droits des parties intimées en ordonnant les mesures propres à permettre la diffusion du reportage sans que ces dernières soient identifiables et n’entraînent pas de violation des dispositions de la convention européenne des droits de l’homme et notamment de son article 10.

Régularité de l’assignation délivrée

France Télévision a tenté d’obtenir la nullité de l’assignation en raison de l’évocation de faits susceptibles de porter atteinte à l’honneur. Cette référence ne saurait entraîner ipso facto l’application des dispositions de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 et plus précisément des dispositions de l’article 53 de cette loi. La question n’était  pas celle du devoir de requalification du juge édictée par l’article 12 du code de procédure civile. Le litige était un référé préventif, qui trouve son fondement dans les dispositions de l’article 809 du code de procédure civile lesquelles permettent au juge des référés de prendre les mesures susceptibles de prévenir un dommage imminent. Il ne pouvait donc être fait grief à l’acte introductif d’instance de ne pas avoir précisé, articulé et qualifié des propos qui auraient dû être poursuivis sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 alors que ces propos n’avaient fait encore et pour cause d’aucune diffusion lors de l’introduction de l’instance.   Dans ce contexte, le moyen tiré du fait que France Télévision n’avait pas bénéficié d’un délai pour satisfaire à l’exception de vérité était également dépourvu de pertinence.

Atteinte à la présomption d’innocence

La société Dessange International a fait justement valoir que le nom de son dirigeant était indissociablement attaché à sa dénomination sociale et à sa marque. Le reportage concerné portant sur des faits de harcèlement sexuel dans l’entreprise, il pouvait mettre en cause le fonctionnement de celle-ci au-delà du comportement du dirigeant. Tout abus dans la liberté d’expression, et notamment toute atteinte à la présomption d’innocence du dirigeant à ce titre était de nature par ricochet, à porter atteinte à l’image de la marque et à créer un préjudice à la société.

L’atteinte à la présomption d’innocence, en application des dispositions de l’article 9-1 du code civil, n’est caractérisée que si les propos tenus contiennent des conclusions définitives manifestant un préjugé quant à la culpabilité d’une personne d’avoir commis des faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire.

Or, à la date de la saisine du premier juge une information judiciaire était en cours sur plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de Benjamin Dessange, ce dernier au demeurant n’avait pas encore été convoqué par le magistrat instructeur aux fins d’audition.

Reportage à charge

Pendant la majeure partie du reportage, la parole était donnée exclusivement à la victime présumée à l’origine de la plainte, à ses proches, à son avocat ainsi qu’à ses démarches judiciaires. Il ne pouvait pas être fait grief à Benjamin Dessange d’avoir refusé de se soumettre à une sorte de contradictoire en refusant de participer au reportage. Le  commentaire en voix-off du journaliste revêtait une importance certaine. Cette voix qui correspond à une parole extérieure à ce qu’ont pu dire les personnes interviewées dans le cadre du reportage, bénéficie nécessairement par rapport à l’auditeur d’une aura d’objectivité. Or, la voix off énonçait des conclusions définitives sur la réalité du préjudice psychologique subi par la victime et ce nécessairement en lien avec le comportement de harcèlement imputé à Benjamin Dessange et donc sur sa culpabilité.

Atteinte à la vie privée

La juridiction a également retenu que la lecture pendant le reportage, de messages à connotation sexuelle attribués à Benjamin Dessange portaient atteinte au respect dû à sa vie privée. Si le dirigeant du réseau de coiffeurs dispose d’une notoriété certaine, il n’est pas un personnage public qui pourrait se voir opposer le droit du public à être pleinement informé de tout ce qui peut avoir une incidence sur la vie publique. Affaire à suivre …

Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est l’origine de l’affaire Dessange ?

L’affaire Dessange trouve son origine dans un reportage du magazine « Complément d’enquête » qui traite de harcèlement au sein de la société Dessange International.

Ce reportage a mis en cause Benjamin Dessange, le dirigeant de l’entreprise, par le biais d’une ancienne salariée qui a témoigné des faits de harcèlement.

Le président du TGI de Paris a ordonné un visionnage préalable du reportage avant sa diffusion, afin de statuer sur l’interdiction de certains passages qui pourraient porter atteinte à l’intimité de la vie privée de Dessange et à sa présomption d’innocence.

Quelles mesures ont été prises concernant la diffusion du reportage ?

La cour a interdit à France Télévisions de diffuser le reportage tant que certaines références, telles que le nom de Benjamin Dessange, le nom de l’entreprise, ainsi que des images identifiables, n’avaient pas été supprimées.

Cette décision a été prise pour protéger les droits à l’intimité et à la présomption d’innocence de Dessange, ainsi que pour préserver l’image de la société Dessange International.

Les mesures imposées ont été jugées proportionnées, équilibrant la liberté d’expression et l’intérêt public avec les droits des parties concernées, conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Comment la régularité de l’assignation a-t-elle été contestée ?

France Télévisions a contesté la régularité de l’assignation en raison de l’évocation de faits pouvant nuire à l’honneur de Benjamin Dessange.

Cependant, le tribunal a statué que cette référence ne justifiait pas l’application des dispositions de la loi sur la presse de 1881.

Le litige était un référé préventif, permettant au juge de prendre des mesures pour prévenir un dommage imminent, sans nécessiter une requalification des propos en question.

En quoi l’affaire Dessange soulève-t-elle des questions sur la présomption d’innocence ?

Dessange International a fait valoir que le nom de son dirigeant était intrinsèquement lié à la marque et à l’entreprise.

Le reportage, qui traitait de faits de harcèlement, pouvait affecter non seulement le dirigeant mais aussi le fonctionnement de l’entreprise.

L’atteinte à la présomption d’innocence est caractérisée si des propos manifestent un préjugé quant à la culpabilité d’une personne, ce qui était le cas dans cette affaire, étant donné qu’une enquête judiciaire était en cours.

Comment le reportage a-t-il été perçu en termes d’équilibre des témoignages ?

Le reportage a été critiqué pour avoir donné la parole exclusivement à la victime présumée, à ses proches et à son avocat, sans permettre à Benjamin Dessange de se défendre.

Le commentaire en voix-off du journaliste a également été jugé problématique, car il énonçait des conclusions définitives sur le préjudice subi par la victime, insinuant ainsi la culpabilité de Dessange.

Cette absence de contradictoire a soulevé des préoccupations quant à l’objectivité du reportage et à son impact sur la réputation de Dessange.

Quelles atteintes à la vie privée ont été relevées dans le reportage ?

La juridiction a noté que la diffusion de messages à connotation sexuelle attribués à Benjamin Dessange portait atteinte à sa vie privée.

Bien que Dessange soit une personnalité connue, il n’est pas considéré comme un personnage public au sens où le public aurait un droit d’accès à tous les aspects de sa vie personnelle.

Cette atteinte à la vie privée a été un élément clé dans la décision de restreindre la diffusion du reportage, soulignant l’importance de protéger la vie personnelle des individus, même ceux ayant une certaine notoriété.


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