L’Essentiel : Monsieur [S] [T], réalisateur, a intenté une action en contrefaçon contre l’École EICAR après avoir découvert que celle-ci avait utilisé une image de son film « Rêves d’enfants » sans autorisation. Le tribunal a jugé que l’école avait violé les droits d’auteur de Monsieur [T], lui ordonnant de cesser l’utilisation de l’image et de verser 20 741 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux, ainsi que 4 000 euros pour atteinte à ses droits moraux. La demande de publication d’un avis de condamnation a été rejetée, l’école ayant proposé une indemnisation.
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Attention à la rédaction des clauses de cession des droits des étudiants d’écoles : toute ambiguité est sanctionnée par la contrefaçon.
L’École internationale de création audiovisuelle et de réalisation (EICAR) a été condamnée pour contrefaçon. Celle-ci s’est prévalue sans succès des dispositions du guide de l’étudiant en vertu duquel « l’étudiant est détenteur des droits moraux au sens du code de la propriété intellectuelle (CPI), sur les travaux réalisés dans le cadre du cursus effectué à Paris. Toutefois, l’étudiant concède à l’école une utilisation de ses travaux à des fins exclusivement pédagogiques ou non commerciales, pour effectuer la promotion de l’établissement auprès des publics » . Il existe soit des contrats de cession de droits, soit des autorisations gratuites d’exécution, ce à quoi doit être assimilée l’autorisation d’usage dont se prévaut la défenderesse. Une autorisation d’usage, qui n’emporte pas cession des droits, doit être précise, strictement interprétée et a nécessairement un caractère précaire. Or, la disposition du Guide de l’étudiant, comprise dans le règlement intérieur, est extrêmement large et ne peut donner lieu à discussion de la part de l’auteur pour chacune des œuvres qu’il crée dans le cadre de sa formation. L’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur jusqu’au 9 juillet 2016, dispose que « les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution ». En vertu de l’article L. 131-3 du même code, dans sa version également applicable à la cause, « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ». La rédaction de la clause de cession est également ambiguë, puisqu’elle reconnait que l’étudiant est détenteur de ses droits moraux sans invoquer ses droits patrimoniaux, qu’il conserve également, dès lors qu’il n’y a pas de cession. L’utilisation du terme « concède » est également problématique, comme renvoyant habituellement à une licence d’utilisation. La même conclusion s’impose s’agissant d’un usage à des fins « non commerciales » alors qu’un usage à des fins publicitaires est visé. Enfin, cette autorisation, dont il n’est pas indiqué qu’elle est révocable, n’est aucunement limitée dans le temps. Résumé de l’affaireMonsieur [S] [T], réalisateur et monteur, a suivi une formation à l’école de cinéma EICAR [Localité 6] CAMPUS, anciennement CENTRE [5]. Il a découvert que l’école avait utilisé une image de son film sans son autorisation, et a demandé une compensation financière. L’école a refusé de payer, ce qui a conduit Monsieur [S] [T] à intenter une action en contrefaçon de droits d’auteur devant le Tribunal judiciaire de Lyon. Il demande des dommages-intérêts, la cessation de l’utilisation de l’image et la publication d’un avis de condamnation sur le site internet de l’école. L’école conteste les accusations et demande le rejet des demandes de Monsieur [S] [T].
Les points essentielsSur la recevabilité de la demandeEn vertu de l’article 753 du code de procédure civile, la demande au titre de la contrefaçon de droits d’auteur doit comprendre un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens, ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. En l’espèce, la société défenderesse n’a pas repris au dispositif sa prétention à l’irrecevabilité des demandes en contrefaçon de droits d’auteur, ce qui rend la demande recevable. Sur le bien-fondé de la demandeMonsieur [T] a démontré que l’image litigieuse fait partie de l’œuvre « Rêves d’enfant » qu’il a divulguée en 2013, antérieurement à l’exploitation par la société défenderesse. De plus, l’originalité de la création est établie, et l’autorisation d’usage invoquée par la défenderesse ne couvre pas les atteintes aux droits moraux de l’auteur. Sur les atteintes aux droits patrimoniauxLa reproduction de l’image extraite du film constitue une contrefaçon des droits patrimoniaux de l’auteur. Des mesures d’interdiction et de réparation sont donc nécessaires, incluant le paiement de dommages et intérêts à Monsieur [T]. Sur les atteintes au droit moralL’image litigieuse a été modifiée et ne mentionne pas le nom de l’auteur, constituant ainsi une atteinte au droit moral. La société défenderesse sera condamnée à verser des dommages et intérêts à Monsieur [T] pour réparer ce préjudice. Sur la mesure de publication sollicitéeLa demande de mesure de publication sera rejetée, la société ayant proposé une indemnisation et l’utilisation de l’image étant consécutive à une cession de l’école. Sur les demandes accessoiresLa société défenderesse sera condamnée aux dépens et à verser à Monsieur [T] une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire sera ordonnée en raison de la nature du litige et de l’ancienneté de la créance. Les montants alloués dans cette affaire: – La société EICAR [Localité 6] CAMPUS est condamnée à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 20 741 euros au titre de l’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur
– La société EICAR [Localité 6] CAMPUS est condamnée à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 4 000 euros au titre de l’atteinte aux droits moraux d’auteur – La société EICAR [Localité 6] CAMPUS est condamnée à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile Réglementation applicable– Code de procédure civile
– Code de la propriété intellectuelle Article 753 du code de procédure civile: Article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle: Article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle: Article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle: Article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle: Article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle: AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Nelly THROO
– Maître Denis WERQUIN – Maître Pierre CUSSAC Mots clefs associés & définitions– Motifs de la décision
– Contrefaçon de droits d’auteur – Recevabilité de la demande – Article 753 du code de procédure civile – Assignation délivrée le 5 juin 2019 – Irrecevabilité des demandes en contrefaçon de droits d’auteur – Article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle – Antériorité de la création – Article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle – Originalité de la création – Autorisation d’usage – Article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle – Contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle – Article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle – Transmission des droits de l’auteur – Atteinte aux droits patrimoniaux – Article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle – Mesures d’interdiction et de réparation – Article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle – Dommages et intérêts – Barème de l’ADAGP – Plaquette commerciale – Page d’accueil du site internet – Réseaux sociaux – Atteintes au droit moral – Article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle – Article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle – Mesure de publication – Demandes accessoires – Dépens – Article 700 du code de procédure civile – Exécution provisoire – Motifs de la décision: Raisons ou arguments qui justifient la décision prise par une autorité judiciaire ou administrative.
– Contrefaçon de droits d’auteur: Utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur. – Recevabilité de la demande: Conditions à remplir pour qu’une demande soit jugée recevable par une juridiction. – Article 753 du code de procédure civile: Article du code de procédure civile français qui traite des exceptions d’incompétence. – Assignation délivrée le 5 juin 2019: Acte par lequel une personne est convoquée à comparaître devant une juridiction, daté du 5 juin 2019. – Irrecevabilité des demandes en contrefaçon de droits d’auteur: Situation où une demande en contrefaçon de droits d’auteur est jugée non recevable. – Article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite de la protection des droits d’auteur. – Antériorité de la création: Fait pour une œuvre d’avoir été créée avant une autre. – Article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui définit les conditions de protection des œuvres de l’esprit. – Originalité de la création: Caractère unique et propre à une œuvre de l’esprit. – Autorisation d’usage: Permission donnée par le titulaire des droits d’auteur pour utiliser une œuvre protégée. – Article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite des contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle. – Contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle: Accords conclus entre un auteur et un tiers pour la représentation, l’édition ou la production d’une œuvre audiovisuelle. – Article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite de la transmission des droits de l’auteur. – Atteinte aux droits patrimoniaux: Violation des droits économiques d’un auteur sur son œuvre. – Article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite des mesures d’interdiction et de réparation en cas de contrefaçon. – Mesures d’interdiction et de réparation: Actions prises pour interdire la contrefaçon et réparer le préjudice subi par l’auteur. – Article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite des dommages et intérêts en cas de contrefaçon. – Dommages et intérêts: Somme d’argent versée à la victime d’un préjudice pour compenser les dommages subis. – Barème de l’ADAGP: Grille tarifaire établie par l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) pour la rémunération des artistes. – Plaquette commerciale: Document de communication utilisé par une entreprise pour présenter ses produits ou services. – Page d’accueil du site internet: Première page d’un site web, généralement utilisée pour accueillir les visiteurs et présenter les informations principales. – Réseaux sociaux: Plateformes en ligne permettant aux utilisateurs de créer et de partager du contenu avec leur réseau. – Atteintes au droit moral: Violations des droits personnels et non patrimoniaux de l’auteur sur son œuvre. – Article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui définit le droit moral de l’auteur. – Article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle: Article du code de la propriété intellectuelle français qui traite de la mesure de publication en cas de contrefaçon. – Mesure de publication: Obligation de diffuser une décision judiciaire ou une rectification suite à une contrefaçon. – Demandes accessoires: Demandes formulées en complément de la demande principale. – Dépens: Frais engagés lors d’une procédure judiciaire, qui peuvent être mis à la charge de la partie perdante. – Article 700 du code de procédure civile: Article du code de procédure civile français qui traite de l’attribution d’une somme à titre de frais de justice. – Exécution provisoire: Mise en œuvre d’une décision judiciaire avant qu’elle ne soit définitive. REPUBLIQUE FRANÇAISE 30 avril 2024
Tribunal judiciaire de Lyon RG n° 19/04753 TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE LYON Chambre 3 cab 03 D N° RG 19/04753 – N° Portalis DB2H-W-B7D-T6TC Jugement du 30 Avril 2024 Notifié le : Grosse et copie à : REPUBLIQUE FRANCAISE Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 30 Avril 2024 devant la Chambre 3 cab 03 D le jugement contradictoire suivant, Après que l’instruction eut été clôturée le 11 Avril 2022, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 02 Mai 2023 devant : Marc-Emmanuel GOUNOT, Vice-Président, Assistés de Anne BIZOT, Greffier, En présence de Mme [U] [J], professeur d’université stagiaire, Et après qu’il en eut été délibéré par les magistrats ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant : DEMANDEUR Monsieur [S] [T] représenté par Maître Nelly THROO, avocat au barreau de LYON DEFENDERESSE S.A.S. EICAR [Localité 6] CAMPUS, anciennement dénommée [4], représentée par Maître Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocats au barreau de LYON (avocat postulant) et par Maître Pierre CUSSAC de la SELAS CUSSAC, avocats au barreau de PARIS (avocat plaidant) EXPOSE DU LITIGE
La société CENTRE [5], devenue la société EICAR [Localité 6] CAMPUS, est un établissement d’enseignement supérieur à but lucratif, spécialisé dans le cinéma. A ce titre, elle gère une école de cinéma et d’audiovisuel, l’ECOLE [5], située à [Localité 7] (69), ci-après dénommée [4]. Monsieur [S] [T], qui exerce la profession de réalisateur, monteur, étalonneur, y a suivi une formation de monteur lors des années scolaires 2009/2010 et 2010/2011. En 2011, il a réalisé puis monté un film intitulé « Rêves d’enfants ». Ce court métrage a été divulgué sur la page Viméo de Monsieur [S] [T] le 28 mai 2013 à 6h05. En mars 2019, il s’est aperçu que l’image apparaissant à la 5ème minute et 27 secondes de ce film en avait été extraite et modifiée par la société CENTRE [5] puis apposée sur l’ensemble de ses supports médias. Estimant qu’il s’agissait d’une atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d’auteur, Monsieur [S] [T] a alerté l’ÉCOLE [5], laquelle lui a proposé d’acheter les droits d’utilisation de cette photo extraite du film. Il a alors proposé un règlement amiable du litige par le versement d’une somme forfaitaire de 8 100€ HT en contrepartie d’une cession de ses droits d’auteur pour une durée de 10 ans et pour l’ensemble du territoire mondial. Considérant que l’ECOLE [5] continuait à utiliser cette image en violation de ses droits et ce, malgré sa proposition de règlement amiable, Monsieur [T] l’a mise en demeure de lui payer la somme de 9 720€ TTC par courrier du 5 avril 2019, demande réitérée par son conseil, en vain. Telles sont les circonstances dans lesquelles, selon acte d’huissier de justice du 5 juin 2019, Monsieur [S] [T] a assigné devant le Tribunal judiciaire de LYON la société [4] en contrefaçon de droits d’auteur. Dans le dernier état de ses écritures notifiées le 11 janvier 2022, Monsieur [S] [T] sollicite qu’il plaise : Vu les articles L111-1, L111-2, L112-2 6° et 9°, L113-1, L113-7, L121-1, L122-1, L122-4, L131-2, L131-3, L331-1-3, L331-1-4 et L335-3 du Code de la propriété intellectuelle, Dire et juger Monsieur [S] [T] bien fondé et recevable en ses demandes, Dans le dernier état de ses écritures notifiées le 19 octobre 2021, la société EICAR [Localité 6] CAMPUS, anciennement dénommée [4], sollicite qu’il plaise : Débouter Monsieur [S] [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions, En application de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens. La clôture de la procédure a été prononcée le 11 avril 2022. MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande au titre de la contrefaçon de droits d’auteur Sur la recevabilité de la demande En vertu de l’article 753 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur du 11 mai 2017 au 1er janvier 2020, « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les conclusions précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion ». En l’espèce, cette disposition est bien applicable, l’assignation ayant été délivrée le 5 juin 2019. La société défenderesse, qui évoque l’irrecevabilité des demandes en contrefaçon de droits d’auteur dans ses motifs, n’a pas repris cette prétention au dispositif, puisqu’elle ne conclut qu’au débouté de la demande. En conséquence, la présente juridiction, qui ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, n’est pas saisie d’une demande tendant à voir déclarer Monsieur [S] [T] irrecevable en ses demandes, étant précisé que, conformément à l’article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle, le défaut de mise en cause des coauteurs se trouve exclusivement sanctionné par l’irrecevabilité. S’agissant de l’antériorité de la création La société EICAR [Localité 6] CAMPUS soutient que Monsieur [T] doit être débouté de sa demande, faute de démontrer qu’il a créé la photographie litigieuse avant que la société défenderesse ne la divulgue. Toutefois, en application de l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle, l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur. Ainsi, le droit ne naît pas de la divulgation. L’originalité de la création n’est pas contestée, alors que Monsieur [T] explique les éléments originaux de l’image sur laquelle il revendique des droits. L’image extraite du court-métrage « Rêves d’enfants » est en conséquence protégée au titre du droit d’auteur. S’agissant de l’autorisation d’usage L’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur jusqu’au 9 juillet 2016, dispose que « les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution ». Il résulte des dispositions légales susmentionnées qu’il existe soit des contrats de cession de droits, soit des autorisations gratuites d’exécution, ce à quoi doit être assimilée l’autorisation d’usage dont se prévaut la défenderesse. Cette autorisation d’usage, qui n’emporte pas cession des droits, doit être précise, strictement interprétée et a nécessairement un caractère précaire. Or, la disposition susmentionnée, comprise dans le règlement intérieur, est extrêmement large et ne peut donner lieu à discussion de la part de l’auteur pour chacune des œuvres qu’il crée dans le cadre de sa formation. Sa rédaction est également ambiguë, puisqu’elle reconnait que l’étudiant est détenteur de ses droits moraux sans invoquer ses droits patrimoniaux, qu’il conserve également, dès lors qu’il n’y a pas de cession. L’utilisation du terme « concède » est également problématique, comme renvoyant habituellement à une licence d’utilisation. La même conclusion s’impose s’agissant d’un usage à des fins « non commerciales » alors qu’un usage à des fins publicitaires est visé. Enfin, cette autorisation, dont il n’est pas indiqué qu’elle est révocable, n’est aucunement limitée dans le temps. Il s’en infère, qu’à supposer même que la société défenderesse parvienne à rapporter la preuve dont elle à la charge de ce que l’image litigieuse constituerait le résultat d’un travail scolaire et que les conditions lui permettant d’en faire usage seraient réunies, les dispositions du guide de l’étudiant ne sauraient autoriser l’utilisation par [5] de l’image litigieuse dans les conditions particulières qui ont été constatées. En tout état de cause, il y a lieu de souligner que les atteintes aux droits moraux ne peuvent être couvertes par l’autorisation d’usage invoquée. S’agissant de l’atteinte aux droits patrimoniaux L’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite”. Le demandeur produit des extraits du site de l’ECOLE [5] faisant état de la reproduction de la photographie litigieuse (pièce n° 3) mais surtout un procès-verbal de constat du 17 juin 2019 sur lequel apparaît l’image protégée au titre du droit d’auteur dans une version modifiée (pièce n° 11). La reproduction par la société EICAR [Localité 6] CAMPUS de l’image représentant une jeune fille approchant son visage d’un arbre, extraite du film court « Rêves d’enfant », constitue une atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur de Monsieur [S] [T] constitutive de contrefaçon. S’agissant des mesures d’interdiction et de réparation Pour fixer les dommages et intérêts en application de l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, la juridiction prend en considération distinctement : En l’espèce, le demandeur sollicite une somme forfaitaire de 40 000 euros, calculée notamment sur la base du barème de l’ADAGP, à savoir une société de gestion de droits d’auteur. En défense, la société EICAR [Localité 6] CAMPUS conteste l’évaluation présentée et soutient essentiellement que le barème de l’ADAGP n’est pas pertinent et que la photographie litigieuse ayant été réalisée dans le cadre d’un projet étudiant, elle n’a qu’une valeur symbolique. Contrairement à ce que soutient la société défenderesse, il importe peu que Monsieur [T] ne démontre pas être adhérent à l’ADAGP, dont le barème permet seulement de se faire une idée des prix du marché, nécessairement dépendants des caractéristiques de chaque œuvre et de leur réception par le public. Il y a lieu de souligner par ailleurs que la société défenderesse se limite à une critique non étayée et ne produit en tout cas aucun élément permettant de mettre en doute le sérieux ou la crédibilité du barème proposé par l’ADAGP. S’agissant de la plaquette commerciale sur laquelle l’œuvre se trouve reproduite en 1re de couverture, le demandeur se réfère au barème de l’ADAGP correspondant à l’utilisation d’une œuvre sur une plaquette dont le nombre d’exemplaires est situé entre 10 001 et 20 000 exemplaires. Cette projection, qui n’est pas spécifiquement critiquée par la société défenderesse, n’est étayée par aucun élément. Compte tenu du fait que l’ECOLE [5] est une école de cinéma, ce nombre apparaît excessif de sorte qu’il convient de retenir une diffusion maximale de 1 000 exemplaires, soit le premier palier du barème de l’ADAGP. Il y a lieu en conséquence de retenir que Monsieur [T] aurait pu obtenir dans un cadre négocié la somme de 464 euros, qu’il convient d’augmenter à hauteur de 50% du fait de la contrefaçon. Pour cet usage, l’indemnisation est donc estimée à 696 euros. S’agissant des usages sur les réseaux sociaux, compte tenu de la majoration de 12% retenue par l’ADAGP pour ce type d’usages, il convient de retenir la somme de 206 euros HT par mois multipliée par trois (Facebook, Linkedin et Instagram), aucune pièce probante ne permettant de retenir un usage sur Youtube. La somme mensuelle préconisée pour un usage conventionnel étant de 618 euros, elle doit être augmentée de 50% pour un usage contrefaisant pour être portée à 927 euros. Pour 15 mois d’usage, il convient de retenir la somme totale de 13 905 euros. Enfin, l’usage sur des « panneaux » n’étant pas explicité, aucune somme ne pourra être accordée à ce titre. Il convient en conséquence d’allouer à Monsieur [T] la somme de 18 741 euros, outre de justes dommages et intérêts évalués à 2 000 euros en réparation du préjudice moral. En conséquence, la société EICAR [Localité 6] CAMPUS sera condamnée à payer à Monsieur [T] la somme totale de 20 741 euros au titre de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux. La contrefaçon étant établie, il convient de prononcer une mesure d’interdiction en lien avec le périmètre de l’atteinte constatée. Il sera ordonné à la société EICAR [Localité 6] CAMPUS de cesser tout acte de contrefaçon et de procéder au retrait de l’image extraite du film « Rêves d’enfants », sur tous ses supports (en particulier le site internet ERLINKhttp://www.centre-[5].fr/www.centre-[5].fr, réseaux sociaux, brochures…), et ce sous astreinte provisoire de trois mois à hauteur de 50 euros par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision. Il n’y a pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée. La destruction des produits contrefaisants n’apparaît pas opportune compte tenu de la mesure d’interdiction prononcée. Sur les atteintes au droit moral L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que le droit d’auteur “comporte des attributs d ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial”. Aux termes de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Il résulte des pièces versées aux débats que l’image litigieuse a été modifiée, puisqu’elle est parfois utilisée en noir et blanc et/ou avec une rotation à 180°, qu’elle a été recadrée et qu’elle est recouverte d’un bandeau comprenant des inscriptions (pièce n° 11). Il est également établi que l’image ne mentionne pas le nom de [S] [T]. L’atteinte au droit moral est donc caractérisée et le préjudice résultant de cette atteinte sera justement réparé par l’octroi de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, au paiement de laquelle la société EICAR [Localité 6] CAMPUS sera condamnée. Sur la mesure de publication sollicitée La société EICAR [Localité 6] CAMPUS dispensant un enseignement à destination des créateurs, il est essentiel qu’elle ait à cœur la protection de leurs œuvres. Or, si elle a pu ignorer de bonne foi qu’elle commettait une atteinte au droit patrimonial de Monsieur [S] [T] en pensant disposer d’un droit d’usage sur le film court litigieux et l’image qui en est extraite, elle ne peut avoir sérieusement pensé qu’elle pouvait la modifier à sa guise sans recueillir au préalable le consentement de son auteur. L’atteinte au droit moral ainsi constatée ne justifie par pour autant le prononcé d’une mesure de publication, dès lors que l’école a proposé une indemnisation dans le cadre des discussions amiables et que l’utilisation de l’image fait suite à une cession de l’école. La demande de mesure de publication sera donc rejetée. Sur les demandes accessoires La société EICAR [Localité 6] CAMPUS, qui succombe, sera condamnée aux dépens. La société EICAR [Localité 6] CAMPUS sera également condamnée à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. La nature du litige et l’ancienneté de la créance justifient d’assortir la décision de l’exécution provisoire. PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition de la présente décision au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, DIT que la reproduction par la société EICAR [Localité 6] CAMPUS de l’image représentant une jeune fille approchant son visage d’un arbre, extraite du film court « Rêves d’enfant », constitue une atteinte aux droits d’auteur de Monsieur [S] [T] constitutive de contrefaçon ; CONDAMNE en conséquence la société EICAR [Localité 6] CAMPUS à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 20 741 euros au titre de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux d’auteur ; ORDONNE à la société EICAR [Localité 6] CAMPUS de cesser tout acte de contrefaçon et de procéder au retrait de l’image extraite du film « Rêves d’enfants », sur tous ses supports (en particulier le site internet www.centre-[5].fr, réseaux sociaux, brochures…), et ce sous astreinte provisoire d’une durée de trois mois à hauteur de 50 euros par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision ; DIT qu’il n’y a pas lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte ainsi prononcée ; DEBOUTE Monsieur [S] [T] de sa demande présentée au titre de la destruction des produits contrefaisants ; DIT que la société EICAR [Localité 6] CAMPUS a porté atteinte au droit moral de Monsieur [S] [T] ; CONDAMNE en conséquence la société EICAR [Localité 6] CAMPUS à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 4 000 euros au titre de l’atteinte portée à ses droits moraux d’auteur ; REJETTE la demande de mesure de publication; CONDAMNE la société EICAR [Localité 6] CAMPUS aux dépens ; CONDAMNE la société EICAR [Localité 6] CAMPUS à payer à Monsieur [S] [T] la somme totale de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ; ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ; REJETTE le surplus des demandes. Remis au greffe en vue de sa mise à la disposition des parties, le présent jugement a été signé par le Président, M. GOUNOT, et le Greffier, Mme BIZOT. Le Greffier,Le Président, |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est l’affaire principale concernant Monsieur [S] [T] et l’école EICAR ?Monsieur [S] [T], réalisateur et monteur, a suivi une formation à l’école de cinéma EICAR. Il a découvert que l’école avait utilisé une image de son film « Rêves d’enfants » sans son autorisation. En conséquence, il a demandé une compensation financière à l’école, qui a refusé de payer. Cela a conduit Monsieur [S] [T] à intenter une action en contrefaçon de droits d’auteur devant le Tribunal judiciaire de Lyon. Il a demandé des dommages-intérêts, la cessation de l’utilisation de l’image et la publication d’un avis de condamnation sur le site internet de l’école. L’école, quant à elle, a contesté les accusations et a demandé le rejet des demandes de Monsieur [S] [T]. Quels sont les points essentiels abordés dans le jugement ?Le jugement aborde plusieurs points essentiels, notamment la recevabilité de la demande, le bien-fondé de la demande, les atteintes aux droits patrimoniaux et moraux, ainsi que les mesures de publication et les demandes accessoires. Concernant la recevabilité, le tribunal a jugé que la demande de Monsieur [S] [T] était recevable, car la société défenderesse n’avait pas correctement soulevé l’irrecevabilité. Sur le bien-fondé, il a été établi que l’image litigieuse faisait partie de l’œuvre de Monsieur [S] [T] et que l’autorisation d’usage invoquée par l’école ne couvrait pas les atteintes aux droits moraux de l’auteur. Quelles sont les conséquences de la décision du tribunal pour l’école EICAR ?La société EICAR a été condamnée à payer à Monsieur [S] [T] un total de 20 741 euros pour l’atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur. De plus, elle a été ordonnée de cesser tout acte de contrefaçon et de retirer l’image litigieuse de tous ses supports, y compris son site internet et ses réseaux sociaux, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. L’école a également été condamnée à verser 4 000 euros pour l’atteinte à ses droits moraux et à payer les dépens ainsi qu’une somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Quels articles du code de la propriété intellectuelle ont été cités dans le jugement ?Plusieurs articles du code de la propriété intellectuelle ont été cités dans le jugement, notamment : – **Article L. 111-2** : qui stipule que l’œuvre est réputée créée indépendamment de toute divulgation publique. – **Article L. 131-2** : qui exige que les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle soient constatés par écrit. – **Article L. 131-3** : qui précise que la transmission des droits de l’auteur doit faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession. – **Article L. 122-4** : qui déclare que toute représentation ou reproduction sans le consentement de l’auteur est illicite. – **Article L. 331-1-3** : qui traite des dommages et intérêts en cas de contrefaçon. Ces articles ont été fondamentaux pour établir la légitimité des droits de Monsieur [S] [T] sur son œuvre et les obligations de l’école EICAR. Qui a représenté Monsieur [S] [T] et l’école EICAR lors du procès ?Monsieur [S] [T] a été représenté par Maître Nelly THROO, avocat au barreau de Lyon. De son côté, l’école EICAR a été représentée par Maître Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat postulant, et par Maître Pierre CUSSAC de la SELAS CUSSAC, avocat plaidant au barreau de Paris. Ces avocats ont plaidé pour leurs clients respectifs tout au long de la procédure judiciaire. |
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