E-réputation : le déréférencement de liens négatifs

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E-réputation : le déréférencement de liens négatifs

L’Essentiel : L’arbitrage entre la liberté d’informer et le respect de la vie privée est au cœur des décisions judiciaires concernant le déréférencement de liens négatifs. Les juges doivent concilier ces droits fondamentaux, en veillant à ce que l’intérêt des internautes à accéder à l’information ne porte pas atteinte à la dignité des personnes concernées. Dans une affaire récente, une demande de déréférencement a été rejetée, le terme « arnaque » utilisé dans des critiques étant jugé légitime dans le cadre d’une discussion sur les pratiques d’une société. Ainsi, le droit à la liberté d’expression a prévalu, sans qu’il y ait de trouble manifestement illicite.

Il n’existe pas de droit absolu au déréférencement mais un arbitrage des juges entre liberté d’informer et respect de la vie privée des personnes.[/well]

Refus de déréférencement de liens hypertextes

Une personne dont la condamnation a fait l’objet de plusieurs articles et liens hypertextes, a vu sa demande de déréférencement judiciaire de liens hypertextes rejetée. Après que la société du demandeur ait été frappée de liquidation judiciaire, le demandeur a été traité d’escrocs sur plusieurs forums internet.

Action en référé et droit d’opposition

Aux termes de l’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du TGI peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Selon les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». S’agissant du droit d’opposition, l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée indique que : « toute personne physique a le droit de s’opposer pour des motifs légitimes à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».

En matière de droit d’accès et de rectification, conformément aux dispositions de l’article 40 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’Informatique, aux fichiers et aux libertés « toute personne physique… peut exiger du responsable du traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation la communication ou la conservation est interdite ».

Ces dispositions assurent la transposition de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui vise à garantir un niveau élevé de protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel, spécialement de ses articles 6, 7, 12 et 14.

Elles doivent s’interpréter au regard de ce texte et compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, selon laquelle, s’agissant du droit d’accès et de rectification visé à l’article 40 de la loi, le traitement de données exactes ne doit pas devenir avec le temps, incompatible avec la directive précitée. Tel est le cas, lorsque les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, spécialement lorsqu’elles apparaissent inadéquates, qu’elles ne sont pas ou plus pertinentes ou sont excessives au regard de ces finalités et du temps qui s’est écoulé (Cour de justice de l’Union européenne : arrêt du 14 mai 2014 – affaire C6131-12 A Spain SL, A Inc. /AEPD, F G – cf point 93).

S’agissant du droit d’opposition visé à l’article 38 de la loi, ainsi que l’arrêt susvisé l’a précisé, chaque traitement des données à caractère personnel doit être légitimé pour toute la durée pendant laquelle il est effectué (cf point 95).

Contrôle de proportionnalité

Les juges, en tout état de cause ont l’obligation de concilier les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel avec les droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information énoncés dans les mêmes termes à l’article 10 de la Convention précitée et à l’article 11 de la Chartre des droits fondamentaux de l’Union européenne selon lesquels : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans que qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières » et rappelés à l’article 9 de la directive précitée.

Il importe donc de rechercher le juste équilibre entre l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à une information et les droits de la personne concernée (point 81 de l’arrêt du 13 mai 2014 de la CJUE).

Les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la liberté d’expression ont une valeur normative identique, de sorte que le juge saisi doit rechercher l’équilibre entre eux et privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

« Arnaque » sous le giron de la liberté d’expression

Il a été jugé que le terme ‘arnaque’ utilisé sur un mode interrogatif pour appuyer  une  description et la critique des modalités de rémunération de la société (agence littéraire) du demandeur, ne renvoie pas nécessairement à une condamnation pénale, inexistante en l’espèce, mais peut également désigner le fait que la société critiquée fonctionne de manière douteuse ou abusive selon le langage commun. Par ailleurs, le demandeur avait bien fait l’objet d’une condamnation civile par un juge de proximité.

Le ton polémique employé, constitutif d’une critique acerbe contre le mécanisme de rémunération mis en place par la société ne justifie pas davantage le déréférencement dès lors que la critique s’inscrit dans la finalité du traitement constituée par l’intérêt des internautes à disposer de renseignements sur les pratiques en cause.

En conclusion, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la liberté d’expression étaient préservés de manière équilibrée de sorte qu’il n’existait aucun trouble manifestement illicite.

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Q/R juridiques soulevées :

Quel est le principe fondamental concernant le déréférencement des liens hypertextes ?

Le principe fondamental concernant le déréférencement des liens hypertextes repose sur l’arbitrage entre deux droits fondamentaux : la liberté d’informer et le respect de la vie privée.

Il n’existe pas de droit absolu au déréférencement, ce qui signifie que les juges doivent évaluer chaque demande en tenant compte des circonstances spécifiques.

Cette évaluation implique de peser l’intérêt public à accéder à l’information contre le droit d’une personne à la protection de sa vie privée, ce qui peut mener à des décisions variées selon les cas.

Quelles sont les conditions pour qu’une demande de déréférencement soit acceptée ?

Pour qu’une demande de déréférencement soit acceptée, plusieurs conditions doivent être remplies. Tout d’abord, la personne doit démontrer que les informations la concernant sont inexactes, incomplètes ou périmées.

De plus, il est essentiel que le traitement des données ne soit plus nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées.

Les juges doivent également s’assurer qu’il n’existe pas d’intérêt public à maintenir ces informations accessibles, ce qui implique une analyse approfondie des circonstances entourant chaque cas.

Comment le droit d’opposition est-il encadré par la législation ?

Le droit d’opposition est encadré par plusieurs textes législatifs, notamment l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, qui stipule que toute personne physique a le droit de s’opposer à un traitement de ses données pour des motifs légitimes.

Ce droit est renforcé par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux, qui garantissent la protection des données personnelles.

Il est important de noter que chaque traitement de données doit être justifié pour toute la durée de son existence, ce qui implique une réévaluation régulière de la légitimité du traitement.

Quel est le rôle du contrôle de proportionnalité dans les décisions judiciaires ?

Le contrôle de proportionnalité joue un rôle déterminant dans les décisions judiciaires concernant le déréférencement. Les juges doivent concilier les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données avec ceux à la liberté d’expression et d’information.

Cette démarche implique une recherche d’équilibre entre l’intérêt des internautes à accéder à l’information et les droits de la personne concernée.

Les juges doivent donc évaluer chaque situation de manière à privilégier la solution qui protège le mieux l’intérêt le plus légitime, ce qui peut varier d’un cas à l’autre.

Comment la liberté d’expression est-elle protégée dans le contexte du déréférencement ?

La liberté d’expression est protégée dans le contexte du déréférencement par des principes juridiques qui reconnaissent son importance. Par exemple, le terme « arnaque » utilisé dans un contexte critique peut être considéré comme une expression légitime d’opinion, même s’il est perçu négativement par la personne concernée.

Les juges doivent évaluer si l’utilisation de tels termes contribue à un débat public sur des pratiques douteuses, ce qui peut justifier leur maintien en ligne.

Ainsi, même si une critique est acerbe, elle peut être protégée si elle vise à informer le public sur des pratiques potentiellement abusives.


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