Droit du logiciel : 9 mars 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 20/03118

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Droit du logiciel : 9 mars 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 20/03118

VC/PR

ARRET N° 113

N° RG 20/03118

N° Portalis DBV5-V-B7E-GE5Z

SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH

C/

[V]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 09 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 décembre 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de [Localité 6]

APPELANTE :

SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH

N° SIRET : 527 250 120

[Adresse 4]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Gabriel WAGNER de la SCP GALLET- ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

Et ayant pour avocat plaidant Me Léon NGAKO-DJEUKAM de la SELARL BORGIA & CO, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [I] [V]

né le 05 janvier 1965 à [Localité 5] (16)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Marie-Thérèse SIMON-WINTREBERT, avocat au barreau de POITIERS

Et ayant pour avocat plaidant Me Arianna MONTICELLI de la SELARL MONTICELLI-SOULET, avocat au barreau de la CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 11 janvier 2023, en audience publique, devant :

Madame Valérie COLLET, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SAS Distillerie Vinet-Delpech, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de [Localité 6] (17) est une entreprise spécialisée dans la production de Cognac et de Pineau des Charentes et le négoce en spiritueux. Elle propose également des prestations de service sur mesure, comme l’embouteillage, l’accompagnement de clients pour la création de marques propres et les présentations personnalisées.

La société Distillerie Vinet-Delpech emploie environ 35 salariés et relève de la convention collective des vins, cidre, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France. Présidée par M. [Y] [W], la société Distillerie Vinet-Delpech avait pour directeur général M. [T] [W].

M. [V], né en 1965, a été engagé à compter du 16 août 2016 par la société Distillerie Vinet-Delpech en qualité de responsable liquides, recherche et développement, catégorie cadre, niveauVIII échelon A moyennant une rémunération mensuelle de 4 388,34 euros brut pour un temps de travail de 151,67 heures outre 17,31 heures supplémentaires contractualisées. Il n’a pas été établi de contrat de travail écrit.

Par courrier du 2 janvier 2019 la société Distillerie Vinet-Delpech a convoqué M. [V] à un entretien préalable fixé le 10 janvier 2019 et lui a notifié le même jour sa mise à pied conservatoire. M. [V] a comparu à l’entretien assisté de Mme [M], déléguée du personnel qui a rédigé un compte rendu.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 janvier 2019 la société Distillerie Vinet-Delpech a licencié M. [V] pour faute grave.

Le 12 avril 2019 M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Saintes aux fins notamment de se prévaloir d’un harcèlement moral ou subsidiairement d’une exécution déloyale de son contrat de travail, contester son licenciement afin de le faire requalifier en licenciement nul ou subsidiairement licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit, solliciter le paiement d’une indemnité de préavis équivalente à trois mois de salaire outre les congés payés y afférents, d’une indemnité de licenciement ainsi que l’indemnisation du préjudice consécutif à la rupture abusive du contrat de travail (44 330 euros) et l’indemnisation du licenciement brutal et vexatoire (10 000 euros) et celle du harcèlement moral ou subsidiairement de l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail (10 000 euros).

Par jugement du 16 décembre 2020 le conseil de prud’hommes de Saintes a notamment :

* dit que le licenciement était nul et l’a requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamné la société Distillerie Vinet-Delpech à payer à M. [V]

les sommes de :

– 32 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 13 165,02 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis  (brut),

– 1 316,50 euros au titre des congés payés sur préavis (brut),

– 3 137,66 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement (net),

– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* ordonné à la société Distillerie Vinet-Delpech de remettre à M. [V] les documents de fin de contrat rectifiés et conformes au jugement,

* débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

* condamné la société Distillerie Vinet-Delpech aux entiers dépens, en ce inclus les sommes dues au titre de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, ainsi qu’aux frais d’huissier éventuels en cas d’exécution forcée.

Vu l’appel régulièrement interjeté par la société Distillerie Vinet-Delpech ;

Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 5 janvier 2023 aux termes desquelles la société Distillerie Vinet-Delpech demande notamment à la cour d’infirmer la décision déférée et statuant à nouveau de :

* juger le licenciement bien fondé sur une faute grave,

* débouter M. [V] de l’ensemble de ses prétentions,

* de condamner M. [V] à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 12 décembre 2022 aux termes desquelles M. [V] demande notamment à la cour de :

* confirmer la décision déférée en ce qu’elle a jugé le licenciement nul et condamné la société Distillerie Vinet-Delpech à paiement, en ce qu’elle a ordonné à la société Distillerie Vinet-Delpech de lui remettre les documents de fin de contrat rectifiés, sauf à assortir cette obligation d’une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, en ce qu’elle a débouté la société Distillerie Vinet-Delpech de sa demande reconventionnelle et statué sur les dépens et éventuels frais d’huissier en cas d’exécution forcée,

* réformer la décision déférée en ce qu’elle a débouté M. [V] de ses demandes au titre du licenciement brutal et vexatoire et au titre du harcèlement moral ou subsidiairement de l’exécution fautive du contrat de travail et condamner la société Distillerie Vinet-Delpech à lui payer les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire et de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou subsidiairement pour manquement à l’obligation de sécurité ou pour exécution fautive du contrat de travail,

* en tout état de cause, vu l’article 9 du code civil et l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, écarter des débats les pièces 6, 9, 11, 13 et 23 de la société Distillerie Vinet-Delpech et la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée et atteinte au droit d’un procès équitable, et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel et à supporter la charge des dépens ;

Vu la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 14 décembre 2022, à la demande des parties et avec leur accord, avant l’ouverture des débats, une nouvelle ordonnance de clôture étant rendue le 11 janvier 2023 ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

SUR CE

Sur les pièces 6, 9, 11, 13 et 23 produites par la société Distillerie Vinet-Delpech :

Au visa des articles 9 du code civil et 6 de la convention européenne des droits de l’homme, M. [V] demande à la cour d’écarter les pièces 6, 9, 11, 13 et 23 produites par la société Distillerie Vinet-Delpech en exposant qu’en dépit d’une sommation de communiquer sur leur provenance, l’employeur n’a pas établi les avoir obtenues de manière loyale alors même qu’elles concernent sa vie privée et y portent atteinte. M. [V] sollicite également la condamnation de la société Distillerie Vinet-Delpech à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée et atteinte au droit à un procès équitable.

La société Distillerie Vinet-Delpech rétorque avoir trouvé ces documents dans l’ordinateur professionnel remis par le salarié lors de son départ de l’entreprise, M. [V] ayant omis d’effacer tous les fichiers et n’ayant pas constitué de dossier intitulé ‘personnel’. La société ajoute que M. [V] n’a subi aucun préjudice et que les pièces discutées présentent un intérêt pour le litige puisqu’elles éclairent sur les antécédents professionnels du salarié et caractérisent sa mauvaise foi.

Les pièces 6, 9, 11, 13 au vu du bordereau des communication de pièces de la société Distillerie Vinet-Delpech concernent des recherches d’emploi par M. [V], antérieures à son embauche par la société, ainsi que son licenciement par son précédent employeur, documents afférents à la vie privée du salarié. L’employeur admet les avoir trouvées sur l’ordinateur de dotation du salarié après son éviction de l’entreprise mais sans justifier qu’il n’existait pas de dossier intitulé ‘personnel’. Cette carence probatoire de la société Distillerie Vinet-Delpech ne l’autorise donc pas à se prévaloir d’une obtention loyale de ces pièces et la cour les écarte des débats.

En revanche la pièce 23 est constituée d’une attestation de Mme [J], ancienne collègue de M. [V] chez son précédent employeur. La cour déclare cette pièce recevable, son effet probant étant discuté dans les motifs subséquents.

M. [V] ne justifie pas du préjudice spécifique consécutif au comportement de l’employeur et la cour le déboute de sa demande indemnitaire.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail le harcèlement moral d’un salarié se définit par des agissements répétés, ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l’article L. 1154-1 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 il incombe au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

L’article L. 1152-3 du code du travail ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle.

Il est constant que si les faits de harcèlement moral dénoncés ne sont pas établis seule la mauvaise foi du salarié, c’est à dire sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés et du caractère mensonger de ses accusations, empêche de prononcer la nullité du licenciement, cette mauvaise foi caractérisant au contraire une faute grave.

En l’espèce M. [V] a été licencié pour faute grave et par lettre en date du 15 janvier 2019 signée par M. [T] [W], la société Distillerie Vinet-Delpech lui a tout d’abord reproché plusieurs manquements constatés dans l’exercice de ses fonctions depuis son entrée dans l’entreprise, les difficultés ayant persisté en dépit des demandes formulées par son supérieur hiérarchique :

– déclarations de coupes (assemblages) fausses, en volume ou degré d’alcool,

– défaut d’inventaires des liquides,

– mauvaise identification des lots,

– défauts d’appellations dans les liquides traités,

– mauvaises relations avec certains de ses collègues,

– attitude parfois irrespectueuse avec des partenaires extérieurs (clients ou fournisseurs).

La société Distillerie Vinet-Delpech a exposé avoir convié M. [V] à un entretien pour aborder les problèmes listés, le salarié s’étant alors enfermé dans une attitude de déni, en refusant d’admettre ses torts et en imputant la responsabilité de ses manquements à son supérieur hiérarchique et certains de ses collègues. La société Distillerie Vinet-Delpech a souligné que M. [T] [W] avait alors proposé à M. [V] une rupture conventionnelle de son contrat de travail ou une affectation sur de nouvelles fonctions supervisées par le directeur général, offres refusées par le salarié qui avait accusé son supérieur hiérarchique de harcèlement moral.

La société Distillerie Vinet-Delpech a ensuite expliqué que, la médecine du travail l’ayant informée d’une convocation de M. [V] le 23 novembre 2018 pour une visite médicale en relation avec ses allégations, elle avait avisé des faits les délégués du personnel le 26 novembre 2018 puis proposé à M. [V] le 27 novembre 2018 un nouveau poste supervisé par M. [T] [W] dans l’attente des résultats de l’enquête interne, offre à nouveau refusée par le salarié. Informée d’une nouvelle visite médicale programmée le 21 décembre 2018 la société Distillerie Vinet-Delpech avait décidé par mesure de précaution de suspendre le contrat de travail de M. [V] et l’en avait informé le 10 décembre 2018, cette mesure étant refusée par le salarié par lettre du même jour mais maintenue par l’employeur.

En conclusion la société Distillerie Vinet-Delpech s’est étonnée des refus réitérés de M. [V] aux propositions susceptibles de l’éloigner de son supérieur et de le protéger du harcèlement moral allégué, a souligné que le médecin du travail avait déclaré M. [V] apte à l’issue de deux visites tenues le 14 décembre et le 17 décembre 2018 et a considéré que l’enquête interne permettait de se convaincre du caractère mensonger des accusations de harcèlement moral formulées par M. [V] dans le seul but d’échapper à ses manquements professionnels. La société Distillerie Vinet-Delpech a rappelé à M. [V] que ses manquements étaient établis, que les demandes formulées pour y remédier avaient toujours été justifiées, mesurées et respectueuses, que M. [V] avait ainsi porté des accusations calomnieuses contre son supérieur hiérarchique et tenté de les faire cautionner par la médecine du travail, qu’il avait vainement argué d’une ‘erreur de vocabulaire’ lors de l’entretien préalable, que cette ‘explication’ était dénuée de toute crédibilité compte tenu de son âge, de sa formation, de son rang et de la réitération des accusations, en interne et auprès de la médecine du travail, qu’il avait au contraire sciemment menti, les graves accusations portées ayant fortement impacté son supérieur hiérarchique et le fonctionnement de l’entreprise, que la faute grave était caractérisée.

Par des motifs confus et sans respecter le régime probatoire précité, les premiers juges ont dit le licenciement nul et l’ont également requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir retenu que :

– l’organisation de la société Distillerie Vinet-Delpech était restée un peu artisanale et traditionnelle, à l’opposé de l’esprit rigoureux et méthodique de M. [V], recruté par nécessité de développement et pour être n° 2 dans l’entreprise,

– depuis plusieurs mois M. [V] n’avait eu de cesse de dénoncer des pratiques concernant la production ce qui n’avait pas provoqué d’améliorations mais détérioré le climat avec ses collègues et son supérieur hiérarchique, les pièces communiquées ne contenant pas d’éléments probants de harcèlement moral de la part de M. [X] et le mot ‘harcèlement’ ayant été prononcé deux fois, lors de l’entretien avec les délégués du personnel au vu de leur rapport du 21 décembre 2018 et lors de l’entretien préalable,

– si M. [V] avait fait part de son mal-être à son employeur celui-ci lui avait fait aussi, pour le protéger, des propositions de reclassement, de séparation d’avec son supérieur hiérarchique, de suspension de son contrat de travail, ce qui ne révélait pas d’élément probant de harcèlement moral de la part de l’employeur.

Les premiers juges se sont ensuite référés à la lettre de licenciement dont il ressortait que M. [V] était licencié pour faute grave et pour avoir dénoncé un harcèlement moral à l’encontre de son supérieur, en ayant formulé de fausses accusations pour cacher ses propres carences professionnelles. Ils ont considéré que la société Distillerie Vinet-Delpech ne démontrait pas la mauvaise foi de M. [V] et sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés ce qui rendait le licenciement nul avec toutes conséquences de droit.

La société Distillerie Vinet-Delpech critique cette appréciation. Elle soutient qu’il est désormais acquis qu’aucun salarié ou dirigeant de l’entreprise n’a commis de harcèlement moral à l’encontre de M. [V] mais que la particulière mauvaise foi de l’intéressé est avérée ce qui rend bien fondé le licenciement la cour devant réformer la décision déférée.

M. [V] argue d’un harcèlement moral et subsidiairement d’une exécution déloyale du contrat de travail excluant toute mauvaise foi dans la dénonciation reprochée la cour devant confirmer la nullité du licenciement.

La cour doit donc préalablement examiner le harcèlement moral et l’exécution déloyale du contrat de travail allégués par M. [V] afin d’apprécier le bien-fondé des griefs articulés contre le salarié pour le licencier pour faute grave.

Le supérieur hiérarchique mis en cause par M. [V] s’identifie comme étant M. [X], directeur technique. M. [V] expose avoir été embauché en août 2016 dans le contexte d’une création de poste, pour développer l’entreprise en tant que n° 2, mission d’emblée compliquée par l’absence de contrat de travail écrit et de fiche de poste. Il soutient que cette situation l’a laissé dans l’ignorance du contenu exact de ses fonctions, lesquelles heurtaient les domaines d’intervention de M. [X] et de M. [R], maître de chai, qu’il a sollicité en vain des éclaircissements et de l’aide, qu’il a subi au contraire des pressions de la part de son supérieur hiérarchique, que son état de santé s’est dégradé en raison de la conjugaison de ces agissements répétés et persistants, qu’il a toujours été de bonne foi en alertant l’inspection du travail et en s’adressant à la médecine du travail.

M. [V] verse aux débats plusieurs mails notamment en date des 29 novembre 2017, 24 janvier 2018, 20 février 2018, 18 avril 2018, adressés entre autres à M. [X] et M. [T] [W] par lesquels il s’interroge sur les fonctions respectives de chacun voire propose, sans réponse ou résultat positif démontré, une répartition des tâches et une réorganisation de leur accomplissement. Dans d’autres mails, plus tardifs, en date par exemple des 18 et 21 septembre 2018 M. [V] sollicite des informations sur l’identité des ses interlocuteurs commerciaux et les références des productions. Par mail du 30 octobre 2018 M. [V] signale à M. [Y] [W] et M. [T] [W] qu’il ne peut réaliser des inventaires avec des outils informatiques comportant des données erronées alors même que ses rectifications ne sont pas suivies d’effet. Le 12 novembre 2018 il proteste de la proposition de rupture conventionnelle présentée par M. [T] [W] et le 22 novembre 2018 il réitère une demande d’aide, à savoir une personne à temps complet à la régie.

M. [V] produit également des mails notamment en date du 12 février 2018 alertant M. [T] [W] sur son état de fatigue et de nervosité, en raison d’une surcharge de travail, de pressions et d’un manque de sérénité dans son travail, cet état général ayant un impact sur ses réactions. Par mail du 13 août 2018 M. [V] évoque auprès de M. [X], M.[R] et M. [T] [W] sa fatigue alors qu’il rentre de vacances, argue d’une ‘boule au ventre’ car il trouve ‘anormal d’être toujours tenu à l’écart sur les nouvelles organisations liquides alors qu’il est responsable liquides’, considère que ‘personne ne prend en compte ses besoins et ses idées alors qu’il a besoin de soutien pour essayer de faire avancer les choses’, remarque qu’il travaille avec des tableaux obsolètes et sollicite une clarification des choses avant le 17 septembre 2018.

Les difficultés discutées dans les mails précitées concernent plus particulièrement les inventaires ainsi que la gestion des reliquats et préparations. M. [V] communique plusieurs attestations. M. [F] [L], assistant maître de chai et M. [U], commercial export, relatent que le maître de chai ne réglait pas les inventaires et la gestion des reliquats, que M. [V] ne disposait pas d’un logiciel logicall (stock réel) à jour pour effectuer les coupes et les préparations et ne bénéficiait pas de l’aide du personnel de la régie, que M. [X] exerçait une pression excessive sur l’équipe de chai. M. [S], apprenti, confirme que M. [X] ‘aboyait’ sur son personnel, manquait souvent de respect et était ‘responsable de la mauvaise ambiance dans l’entreprise’. Mme [K] [E], destinataire en copie de la plupart des mails précités envoyés par M. [V], et M. [A] témoignent d’un management agressif de M. [X], responsable du départ de plusieurs salariés dont eux-mêmes, en raison des pressions, du mépris et du manque de professionnalisme du directeur technique. Ils précisent que M. [V] devait chaque matin faire un ‘compte rendu’ à M. [X].

Par mail du 17 novembre 2018 M. [V] a alerté la Direccte sur ses demandes d’aide restées vaines depuis un an, expliquant que le maître de chai était démissionnaire et partant en décembre, que le directeur technique ‘leur mettait la pression’, qu’il allait être surchargé de travail puisqu’il devait reprendre les inventaires alors qu’ils ne concordaient pas avec les stocks, qu’il refusait cette responsabilité, que le ‘fils du patron’ lui avait proposé une rupture conventionnelle, qu’il ‘croulait sous le boulot’ et qu’on le ‘maltraitait (à approfondir)’. L’inspectrice du travail lui a répondu en citant les textes du code du travail applicables et en lui conseillant de s’adresser aux délégués du personnel ainsi qu’ à la médecine du travail, démarches ensuite effectivement mises en oeuvre par M. [V].

Par lettre recommandée avec accusé réception du 1er décembre 2018 adressée aux dirigeants de la société Distillerie Vinet-Delpech, M. [V] a réitéré l’exposé de ses difficultés depuis son embauche, telles que présentées dans les mails déjà discutés, ainsi que son souhait de poursuivre dans de meilleures conditions son contrat de travail. Il a estimé être inquiet pour sa santé en raison du manque de sommeil et de repos, de sa surcharge de travail et des conditions d’exécution de ses missions et se trouver déstabilisé par les propositions faites par M. [T] [W], et surtout celle d’une rupture conventionnelle alors qu’il contestait les reproches articulés contre lui et souhaitait conserver son emploi.

Le docteur [B] certifie avoir prescrit à M. [V] des traitements à visée anxiolytiques et troubles du sommeil les 6 février 2018, 9 octobre 2018, 23 octobre 2018 et 30 octobre 2018.

Le 11 décembre 2018 la société Distillerie Vinet-Delpech a expliqué à M. [V] que la suspension du contrat de travail décidée était une suspension de la prestation de travail avec maintien du salaire, mesure résultant du pouvoir de direction de l’employeur tenu d’une obligation de santé et sécurité au travail et destinée à protéger le salarié jusqu’à l’avis du médecin du travail.

Par mail du 16 décembre 2018 M. [V] a répondu avoir pris un rendez- vous avec le médecin du travail pour le lendemain 7 h et a expliqué l’avoir contacté après s’être senti en danger après ‘plusieurs mois de boule au ventre’, une proposition de rupture conventionnelle et une proposition de nouveau poste ressemblant à une ‘mise au placard’.

Ainsi M. [V] présente des éléments de fait dont il résulte une supposition de l’existence de harcèlement moral.

La société Distillerie Vinet-Delpech commence par mettre en doute l’investissement de M. [V] dans ses fonctions en communiquant des courriers concernant son précédent emploi et ses recherches d’embauche, pièces que la cour a écartées des débats. S’agissant de l’attestation de Mme [J], ancienne collègue de M. [V] dans son précédent emploi, elle ne permet pas de démontrer des défaillances du salarié au cours de son emploi par la société Distillerie Vinet-Delpech, l’employeur ne pouvant raisonner par affirmation et analogie.

En outre M. [V] n’a pas donné suite aux autres offres d’emploi reçues puisqu’il a choisi de travailler pour la société Distillerie Vinet-Delpech ce qui accrédite son implication dans l’exécution de ce contrat de travail et contredit l’argumentation de l’employeur.

La société Distillerie Vinet-Delpech produit ensuite quelques uns des mails et courriers adressés par M. [V] pour protester de ses conditions de travail et souligner une insuffisance de moyens en personnel et matériel que la cour a déjà discutés dans les motifs précédents. Toutefois la société Distillerie Vinet-Delpech ne démontre pas avoir analysé les doléances du salarié et tenté de remédier aux difficultés signalées qui pourtant, à la lecture des mails et courriers, provoquaient un réel mal être au travail. La pièce 16 est une réponse comminatoire de M. [Y] [W], lequel affirme ne pas comprendre les plaintes de M. [V] et le renvoie fermement à l’exécution de ses missions.

La société Distillerie Vinet-Delpech s’appuie ensuite sur le compte- rendu de la réunion tenue par les délégués du personnel, Mme [G], Mme [M] et M. [D], le 21 décembre 2018 à l’issue de l’enquête diligentée sur les faits de harcèlement moral prétendument commis par M. [X].

Le procès-verbal liste les salariés entendus lors de cette enquête entre le 28 novembre et le 20 décembre 2018, parmi lesquels M. [F] [L]. Il est ensuite mentionné ‘qu’à chaque fois il en est ressorti la même chose, que selon ces témoins M. [V] n’avait jamais subi de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, celui-ci lui ayant seulement demandé de faire son travail et d’exécuter les missions confiées’ et que ‘si des fois il y avait des tensions entre eux, cela pouvait arriver entre collègues sans que çà aille plus loin’. Or, aucune attestation ne permet de vérifier la teneur des témoignages ainsi recueillis alors même que M. [F] [L] a rédigé une attestation produite par M. [V] et déjà discutée dans les motifs précédents. Aucune pièce ne permet non plus d’identifier la nature et l’ampleur des ‘tensions’ ayant pu opposer M. [X] et M. [V] et de vérifier, ainsi que conclu au terme de l’enquête, que ‘ça pouvait arriver entre collègues sans que çà aille plus loin’. Il s’en déduit, compte-tenu des témoignages accablants fournis par M. [V] que la société Distillerie Vinet-Delpech a banalisé les ‘tensions’ entre le salarié et son supérieur hiérarchique sans établir avoir réellement enquêté sur le comportement effectif de M. [X] avec l’objectif de satisfaire à son obligation de santé et sécurité au travail.

Par ailleurs, dans le même compte-rendu, il est mentionné que ‘plusieurs personnes lors de ces entretiens’ ont signalé que M. [V] avait parfois ‘des problèmes de comportement avec certains de ses collègues dans sa façon de leur parler, sur un ton condescendant ou sèchement’, et se sont étonnées ‘qu’un cadre soit parti tous les soirs à 17h30 et n’embauche le matin qu’entre 8h30 et 9h, d’autres personnes dans l’entreprise ayant moins de responsabilités mais faisant plus d’heures que lui’. Ces propos ne sont corroborés par aucun élément objectif puisque les noms des personnes ne sont pas cités et qu’encore une fois aucune attestation n’est versée aux débats. En outre, ainsi que rapporté dans les précédents motifs, M. [V] a lui même expliqué à son employeur, dès février 2018, que son épuisement entraînait de sa part des réactions dont il s’excusait. Il s’en déduit que l’employeur parfaitement alerté sur l’impact de la fatigue du salarié devait s’interroger sur les causes de certains de ses excès au lieu de s’emparer du comportement de M. [V] pour écarter sans autre contrôle les griefs articulés contre M. [X].

Les reproches exprimés par deux clients contre M. [V] ne sont que des lettres dont les auteurs ne sont pas identifiables de manière certaine. Le mail adressé le 14 janvier 2019 par M. [X] à M. [T] [W] relate que M. [V] lui a déclaré, après avoir reçu sa convocation à l’entretien préalable, qu’il ‘appréciait de travailler avec lui’. Outre que ce message n’est que la version unilatérale et non vérifiable de propos tenus par M. [V] il ne permet pas à l’employeur, compte-tenu des motifs déjà développés, de combattre la supposition de harcèlement moral déjà discutée.

M. [V] ayant exposé auprès de son employeur les manifestations et les causes de l’altération de son état de santé, la société Distillerie Vinet-Delpech ne peut lui reprocher d’avoir saisi l’inspection du travail et la médecin du travail pour contrôler les conditions de travail et son état de santé. En effet, compte tenu des motifs précédents, l’employeur n’établit pas qu’il avait, à juste titre, banalisé, négligé ou rejeté les doléances du salarié. M. [V] était en droit de se renseigner auprès de l’inspection du travail et de solliciter l’organisation à sa demande d’une visite médicale auprès de la médecine du travail. La première visite tenue le 14 décembre 2018 s’est d’ailleurs conclue par la nécessité de revoir le salarié en janvier. Cette seconde visite, avancée au 17 décembre 2018, s’est conclue par un avis d’aptitude mais accompagné d’un document faisant état de mesures individuelles faites par le médecin du travail après échange avec l’employeur.

Si un traitement a été prescrit à M. [V] il n’a pas été placé en arrêt de travail et a été déclaré apte sans signalement d’une situation de danger. Ainsi la décision de la société Distillerie Vinet-Delpech de suspendre l’exécution des missions professionnelles de M. [V] avec maintien du salaire jusqu’au résultat des visites médicales programmées ne s’analyse pas comme une mesure protectrice puisqu’elle aboutissait au contraire à écarter sans fondement le salarié de son emploi.

En conséquence de ces motifs la société Distillerie Vinet-Delpech est défaillante à combattre la supposition de harcèlement moral.

Compte tenu des motifs déjà développés sur les troubles présentés par M. [V] et la fragilité consécutive à ses conditions de travail, la cour s’estime suffisamment informée pour apprécier à 3 000 euros l’indemnisation du harcèlement moral ainsi subi. La cour réforme la décision déférée en ce sens.

La cour retenant que M. [V] a subi un harcèlement moral il ne pouvait être licencié pour faute grave au motif qu’il avait mensongèrement dénoncé un harcèlement moral. En outre, compte tenu des motifs déjà développés et de l’insuffisance et de l’imprécision des vérifications mises en oeuvre sur la réalité du harcèlement moral allégué, la société Distillerie Vinet-Delpech était parfaitement en mesure de se convaincre que M. [V] se prévalait en toute bonne foi d’un harcèlement moral, ce qui excluait encore plus de le licencier pour faute grave.

En conséquence de ces motifs la cour prononce la nullité du licenciement et réforme la décision déférée en ce qu’elle a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement nul :

Les premiers juges ont exactement apprécié l’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents, l’indemnité de licenciement et l’indemnisation du licenciement nul, M. [V] sollicitant d’ailleurs la confirmation de la décision déférée et la société Distillerie Vinet-Delpech ne discutant pas les sommes retenues.

En conséquence la cour confirme la décision déférée de ces chefs.

Sur le licenciement brutal et vexatoire :

Sur le fondement de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382) le salarié peut solliciter l’indemnisation du préjudice subi et consécutif à un licenciement brutal et vexatoire, distinct du préjudice résultant de la perte d’emploi sous réserve de prouver le comportement fautif de l’employeur, la réalité du préjudice allégué et le lien de causalité.

En l’espèce M. [V] fait valoir exactement qu’il n’a pas reçu de réponse adaptée après avoir signalé des difficultés d’exécution de ses missions, qu’au contraire la société Distillerie Vinet-Delpech a diligenté une enquête sommaire et a brutalement réagi en suspendant son contrat de travail puis en engageant la procédure de licenciement tout en invoquant un motif de licenciement non fondé et abusif. Il se déduit de cette attitude de l’employeur une mise en doute des alertes et doléances du salarié animée par une volonté de l’évincer de l’entreprise.

Le comportement fautif de l’employeur est établi.

M. [V] soutient que sa bonne foi et son honnêteté ont été remises en cause et qu’il en a subi un préjudice moral qu’il demande à la cour d’indemniser à hauteur de 10 000 euros. La cour s’estime suffisamment informée pour apprécier à 3 000 euros la réparation intégrale du préjudice ainsi subi.

La cour réforme la décision déférée en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La société Distillerie Vinet-Delpech qui succombe sera condamnée aux entiers dépens.

L’issue de l’appel, l’équité et les circonstances économiques commandent de faire droit à l’indemnité prévue par l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [V].

PAR CES MOTIFS

Ecarte des débats les pièces 6, 9, 11 et 13 produites par la société Distillerie Vinet-Delpech ;

Confirme la décision déférée sauf en ce qu’elle a requalifié le licenciement nul en licenciement sans cause réelle et sérieuse et débouté M. [V] de ses demandes indemnitaires pour harcèlement moral et licenciement brutal et vexatoire et statuant à nouveau de ces chefs :

Juge que M. [V] a subi un harcèlement moral rendant le licenciement nul et qu’il a subi un licenciement brutal et vexatoire ;

Condamne la société Distillerie Vinet-Delpech à payer à M. [V] les sommes de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

Y ajoutant :

Condamne la société Distillerie Vinet-Delpech à payer à M. [V] une somme complémentaire de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne la société Distillerie Vinet-Delpech aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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