Droit du logiciel : 9 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/01797

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Droit du logiciel : 9 mai 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/01797

ZEI/KG

MINUTE N° 23/401

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 09 MAI 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01797

N° Portalis DBVW-V-B7F-HRTL

Décision déférée à la Cour : 05 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE

APPELANTE :

S.A.R.L. EUROP EXPERTISE COMPTABLE AUDIT CONSEIL (EAC)

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 353 309 958

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Mathieu EHRHARDT, avocat au barreau de SAVERNE

INTIME :

Monsieur [H] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Damien WEHR, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 12 septembre 2017, M. [H] [P], né le 1er octobre 1983, et la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl ont conclu un protocole rédigé dans les termes suivants :

‘1. Le cabinet, vous confirme votre embauche, avec effet au plus tard le premier novembre 2017, sous les conditions suivantes:

-ès qualités de responsable d’un portefeuille de clients sous le contrôle du responsable ordinal, position cadre,

-avec une période d’essai de deux mois,

-la rémunération brute pendant la période d’essai sera de 3.350 euros, après la période d’essai, le salaire brut sera de 3.500 euros.

Cette rémunération sera revue après la première période de bilan, (31.5.2018), dans le cadre d’un entretien d’évaluation.

Le cabinet mettra à la disposition de M. [P], un téléphone cellulaire pour ses besoins professionnels et privés, ainsi qu’un ordinateur portable.

2. Vos apports de clientèle resteront votre propriété, mais seront traités et encaissés par le cabinet. Aucune prime d’ apport [ne] vous sera versée.

Dans l’hypothèse d’un non rachat de la clientèle du cabinet, vous reprendrez les dossiers apportés.

Corrélativement, ces dossiers ne seront pas valorisés lors du rachat.

3. Ce protocole est établi sous la condition suspensive de respecter votre obligation de terminer votre stage d’expert-comptable, et, de soutenir les examens finaux, ainsi que le mémoire.

De son côté, le cabinet s’engage à vous apporter à cet effet son aide technique.

4. Dès que vous serez diplômé, et, inscrit à l’Ordre des experts-comptables, vous pourrez faire l’acquisition de la clientèle du cabinet, (voir point 2).’

M. [H] [P] est entré au service de la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl, à compter du 6 novembre 2017, suivant un contrat à durée indéterminée, en qualité d’expert-comptable stagiaire, mais aucun contrat écrit n’a été formalisé par les parties.

La relation contractuelle était régie par la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes.

Par lettre du 5 octobre 2018, M. [H] [P] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 15 octobre 2018.

Par lettre séparée du même jour, il a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire avec effet immédiat, dans l’attente de l’issue de la procédure engagée, et ce pour une durée de dix jours.

M. [H] [P] a bénéficié d’un arrêt de travail pour maladie à compter du 16 octobre 2018.

Par lettre du 16 octobre 2018, il s’est vu prolonger sa mise à pied à titre conservatoire pour une durée de huit jours.

Par lettre du 9 novembre 2018, il a été licencié pour faute grave.

Par acte introductif d’instance du 9 juillet 2019, M. [H] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Saverne aux fins de contester son licenciement et d’obtenir diverses sommes au titre de rappel de salaire, de la retenue de salaire pour la mise à pied conservatoire, d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 5 mars 2021, le conseil de prud’hommes a :

– constaté que M. [H] [P] a été rempli de ses droits au titre de la rémunération brute en vertu du protocole signé entre les parties,

– débouté M. [H] [P] de sa demande au titre des arriérés de salaire,

– condamné la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl à payer à M. [H] [P] la somme de 496,85 euros au titre de la note de frais pour déplacements professionnels,

– constaté que la période de mise à pied du 24 octobre 2018 au 9 novembre 2018 doit être analysée comme une mise à pied disciplinaire,

– dit et jugé que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl à payer à M. [H] [P] les sommes suivantes :

* 2.235,50 euros brut au titre de la mise à pied conservatoire du 6 au 23 octobre 2018, outre les congés payés y afférents,

* 11.550 euros brut au titre du préavis, outre les congés payés y afférents,

* 875 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

* 1.750 euros à titre de dommages-intérêts,

– condamné la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl aux entiers frais et dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Par déclaration reçue le 30 mars 2021 au greffe de la cour par voie électronique, la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures transmises par voie électronique le 30 juin 2021, la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [H] [P] de sa demande au titre des arriérés de salaire, et en ce qu’il l’a condamnée à payer à celui-ci la somme de 496,85 euros au titre de la note de frais pour déplacements professionnels, puis statuant à nouveau,

– débouter M. [H] [P] de ses chefs de demande,

– condamner M. [H] [P] aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement,

– dire et juger que l’indemnité de préavis, majorée des congés payés, ne peut excéder 10.266,33 euros,

– réduire les montants alloués à M. [H] [P],

– confirmer le jugement entrepris pour le surplus.

Aux termes de ses écritures transmises par voie électronique le 23 septembre 2021, M. [H] [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des arriérés de salaire,

Sur appel incident,

– dire que les condamnations au titre des frais de déplacements professionnels, du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, du préavis, des congés payés y afférents et de l’indemnité de licenciement, portent intérêt à compter du 9 juillet 2019, date de saisine du conseil de prud’hommes,

– condamner la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl à lui payer la somme de 4.073,60 euros à titre de rappel de salaire, majorée des intérêts de retard à compter du 9 juillet 2019,

– condamner la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl aux entiers frais et dépens des deux instances, ainsi qu’au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 27 mai 2022.

Il est, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé au dossier de la procédure, aux pièces versées aux débats et aux conclusions des parties ci-dessus visées.

MOTIFS

Sur la demande en paiement de rappel de salaire

M. [H] [P] sollicite une somme de 4.073,60 euros à titre de rappel de salaire au motif que l’employeur n’a pas respecté les termes du protocole du 12 septembre 2017 qui prévoyait une rémunération brute de 3.350 euros pendant la période d’essai de deux mois, et 3.500 euros après cette période.

Toutefois, et d’une part, ledit protocole ne précise pas que ces sommes doivent correspondre au salaire de base brut.

D’autre part, il est constant que la durée de travail hebdomadaire de M. [H] [P] était de 39 heures, de sorte que celui-ci avait bénéficié chaque mois de 17,33 heures supplémentaires exonérées et que son salaire brut mensuel s’élevait bien à 3.350 euros pendant la période d’essai et 3.500 euros après cette période, comme prévu précisément par le protocole.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [H] [P] de ce chef de demande.

Sur le licenciement

En application des articles L.1232-1, L.1232-6 et L.1235-1 du code du travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception, qui doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, et il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied à titre conservatoire, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible la poursuite des relations de travail.

L’employeur qui entend arguer d’une faute grave supporte exclusivement la charge de prouver celle-ci, dans les termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, et si un doute subsiste il profite au salarié.

La lettre de licenciement de M. [H] [P] du 9 novembre 2018 est ainsi libellée :

‘Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs de fautes graves. En effet,

1. Malgré de nombreuses demandes, vous avez refusé de transmettre vos comptes rendus d’activité, nous empêchant ainsi de suivre, d’analyser votre activité, et, de facturer les prestations du cabinet.

2. Vous avez établi une lettre de mission sur papier à en-tête du cabinet, et, selon le modèle du cabinet à un tiers. Vous avez signé cette lettre, alors que vous n’avez aucune délégation de signature, et, compte tenu de votre cursus de formation actuel, vous ne pouvez ignorer qu’un tel document qui engage le cabinet ne peut être signé que par un expert-comptable inscrit à l’Ordre des experts-comptables.

3. Vous avez effectué une cession de parts sociales, sans que cette dernière soit vérifiée par le biais du document ‘suivi juridique’ qui doit être obligatoirement signé par le collaborateur et par l’expert-comptable.

Par ailleurs cette prestation n’a pas fait l’objet d’un brouillard de facturation et n’a donc pas été facturée.

4. Vous êtes intervenu pour des tiers, pour lesquels, vous avez effectué un prévisionnel au moyen du logiciel du cabinet, accompagné les repreneurs à la CCI, fait des recherches au niveau du financement, établi des statuts, le tout sur votre temps de travail du cabinet, sans rendre compte de votre activité, et, toujours avec une absence de brouillard de facturation.

Qui plus est, vous avez établi deux attestations sur papier à en-tête du cabinet pour les deux repreneurs, que vous avez signé ‘dans le cadre d’une mission d’évaluation des parts sociales d’une société par action simplifié’ (sic !).

Nous n’avons pas trouvé une telle lettre de mission, qui par ailleurs, ne pouvait être attestée que par le soussigné.

5. Lors de votre mise à pied à titre conservatoire, vous avez subtilisé le contenu de certains dossiers, ce qui a perturbé gravement, et, perturbe encore la bonne marche du cabinet pour effectuer les déclaration de TVA de ces clients, compte tenu des délais impartis, et, recevoir les pièces justificatives en vue de leur comptabilisation.

6. Vous avez également conseillé à des clients de transmettre au cabinet leurs chiffres d’affaires sans que leurs pièces comptables justificatives soient comptabilisées en totale contradiction avec notre lettre de mission, et les normes de travail définies par l’ordre des experts-comptables.

7. Vous avez emporté l’ordinateur du cabinet, lors de votre mise à pied conservatoire, ce qui est interdit. Il nous a été restitué lors de l’entretien préalable, soit 10 jours après la mise à pied.

8. Nous avons constaté que des dossiers n’étaient pas à jour, et faisaient l’objet de graves manquements : à titre d’exemples,

A: dossier DM, présence d’un compte d’attente avec plus de 90 chèques non imputés, comptabilité pas à jour,

B: dossier SM, présence d’un compte d’attente très important, 31 chèques non imputés et aucune recette sur l’année 2018 n’est comptabilisée.

9. Nous avons également constaté que des déclarations de détachement de travailleurs étrangers (dossier LZ) ont été établies, envoyées par vos soins, alors que vous étiez en arrêt pour cause de maladie au cours de votre mise à pied conservatoire.

Pour ce faire, vous avez remplacé l’adresse mail du soussigné par votre adresse personnelle.

Par cette manipulation, vous rendez le cabinet responsable pour des opérations que vous effectuez à titre personnel, et, pour votre compte.

10. Toujours pour ce client domicilié au cabinet, vous avez effectué un transfert de courrier à votre propre domicile au cours de votre mise à pied conservatoire.

Ces fautes constituent de graves manquements à votre obligation de loyauté, mais aussi aux règles élémentaires de déontologie qui vous sont applicables dans le cadre de votre activité d’expert-comptable stagiaire.

Elles traduisent non seulement des négligences sévères, mais aussi une attitude disruptive, caractérisée par la volonté de dissimuler des carences et d’ effectuer des prestations pour votre propre compte au détriment de votre employeur.

Vos agissements risquent d’entraîner des préjudices pour les clients du cabinet, et, partant la responsabilité professionnelle du soussigné, et, une grave atteinte à la crédibilité d’une profession réglementée.

À ce titre nous nous réservons le droit d’ester en vue d’obtenir réparation de vos agissements fautifs.

Compte tenu de la multiplicité de vos fautes, de leur gravité, et, de leurs conséquences, votre maintien dans l’entreprise n’est pas envisageable, de sorte que le préavis ne peut être exécuté.

Dans ce contexte, le soussigné met fin également à sa fonction de maître de stage.’

M. [H] [P] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur aurait épuisé son pourvoir disciplinaire en le sanctionnant par la mise à pied de 18 jours. Subsidiairement, il conteste tant la réalité des faits reprochés que leur caractère grave.

1. Sur l’épuisement du pouvoir disciplinaire, soulevé par le salarié

M. [H] [P] soutient pour l’essentiel :

– qu’il a fait l’objet de deux sanctions : la mise à pied qui a démarré le 5 octobre 2018 pour se terminer le 23 octobre 2018, et la procédure de licenciement qui aurait démarré le 6 octobre 2018 pour se terminer avec l’envoi de la lettre de licenciement le 9 novembre 2018 ;

– qu’à compter du 24 octobre 2018, il n’était plus en mise à pied disciplinaire conservatoire, mais néanmoins n’était pas licencié, de sorte que cette période non rémunérée ne peut donc s’analyser qu’en une mise à pied disciplinaire,

– que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire avec cette sanction, d’autant que comme il n’a pu retravailler, il ne peut avoir commis de nouvelles fautes pouvant justifier son licenciement.

En premier lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, le déclenchement de la procédure de licenciement est concomitant avec la mise à pied à titre conservatoire, puisque les deux ont été notifiés par deux lettres recommandées du 5 octobre 2018 dont le salarié a accusé réception le 6 octobre 2018, peu important que l’employeur ait en plus remis en main propre la mise à pied conservatoire le 5 octobre 2018.

En deuxième lieu, il est constant que l’employeur a d’abord notifié une mise à pied conservatoire de 10 jours, soit jusqu’au 15 octobre 2018, dans l’attente de l’issue de la procédure engagée en vue d’une sanction disciplinaire, puis prolongé cette mise à pied conservatoire de 8 jours, soit jusqu’au 23 octobre 2018, en raison des investigations qu’il estimait nécessaires.

Certes, l’employeur n’a pas prolongé à nouveau la mise à pied conservatoire jusqu’au 9 novembre 2018, date de la lettre de licenciement, mais il ne peut en être déduit qu’il avait entendu sanctionner les faits reprochés par la seule mise à pied, ce d’autant qu’il avait précisé avoir pris cette mesure dans l’attente de l’issue de la procédure disciplinaire engagée.

Tout au plus, il pourrait être reproché à l’employeur de n’avoir pas fourni de travail au salarié du 24 octobre au 9 novembre 2018, cependant cette absence de fourniture de travail ou l’absence de prolongation de la mise à pied conservatoire trouve son origine dans le fait que M. [H] [P] avait bénéficié d’un arrêt de travail pour maladie à compter du 16 octobre 2018 jusqu’à son licenciement.

Il s’ensuit que le moyen est inopérant et que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu’il a ‘constaté que la période de mise à pied du 24 octobre au 9 novembre 2018 doit être analysée comme une mise à pied disciplinaire’.

Il convient dès lors d’analyser les dix griefs reprochés au salarié dans la lettre de licenciement.

2. Sur le premier grief

Il est reproché à M. [H] [P] d’avoir refusé de transmettre ses comptes rendus d’activité, empêchant ainsi son employeur de suivre, d’analyser son activité, et de facturer les prestations aux clients.

M. [H] [P] reconnaît n’avoir pas renseigné les fiches de temps, mais soutient qu’il n’avait aucune obligation formelle de le faire, comme c’était le cas pour son prédécesseur, M. [T] [I] qui avait exercé les mêmes fonctions que lui pendant presque quatre ans, et pour Mme [L] [D], assistante comptable.

Toutefois, force est de relever que bien que M. [W] [C], son supérieur hiérarchique, lui ait demandé expressément, par courriel du 5 juillet 2018, la transmission des comptes rendus et des fiches de temps, M. [H] [P] n’a pas déféré à cette injonction.

Il ressort du compte-rendu de l’entretien préalable, rédigé par M. [V] [J], conseiller du salarié qui avait assisté M. [H] [P], que ce dernier se voyait déjà dirigeant du cabinet d’expertise-comptable.

En effet, le conseiller du salarié rapporte : ‘M. [P] rappelle qu’il avait été convenu avec M. [C] lors de l’entretien d’embauche, qu’il rachèterait l’intégralité des parts sociales du cabinet EAC dans un délai de 18 mois à compter de son embauche. Durant cette période, M. [P] devait assurer le bon fonctionnement du cabinet dans le but d’anticiper la passation de pouvoir. Il regrette que, vis-à-vis de son statut, on lui demande de produire des feuilles de temps, alors que ni Mme [D], ni son prédécesseur, M. [T] [N], n’avaient besoin de le faire’.

Or, il convient de rappeler que le protocole conclu entre les parties était établi sous la condition suspensive pour M. [H] [P] de respecter son obligation de terminer son stage d’expert-comptable, de passer les examens finaux et de soutenir le mémoire, de sorte que ce dernier restait soumis au lien de subordination envers sa hiérarchie et devait exécuter les ordres qui lui étaient donnés.

Il s’ensuit que le premier grief est caractérisé.

3. Sur le deuxième grief

Il est reproché à M. [H] [P] d’avoir établi et signé une lettre de mission pour un prospect, M. [S] [Y], sur papier à en-tête du cabinet, et, selon le modèle du cabinet à un tiers, alors qu’il n’avait aucune délégation de signature.

M. [H] [P] ne conteste pas ces faits, et les explique par le fait qu’il avait agi dans l’intérêt de son employeur et pour se ménager une preuve de son apport de clientèle, ce afin d’exclure le prospect précité du prix de la cession de clientèle envisagée selon le protocole conclu entre les parties.

Toutefois, en tant que salarié, il ne pouvait se permettre d’établir la lettre de mission sans aviser son employeur et sans obtenir l’autorisation de la signer.

Il s’ensuit que le deuxième grief est caractérisé.

4. Sur les troisième et quatrième griefs

Il est reproché à M. [H] [P] d’être intervenu dans le rachat des actions de la Sas prêt à porter [R] par une société à responsabilité limitée, constituée sous le nom de ‘Marimod Holding’ en attente d’immatriculation, de n’avoir pas facturé cette prestation, de ne l’avoir pas soumise à l’expert-comptable, et d’avoir signé deux attestations de non-rémunération aux deux associées de ladite holding, Mme [A] [Z] et Mme [E] [X], sans y être autorisé.

Toutefois, il ressort des éléments du dossier que M. [W] [C] était parfaitement au courant de l’opération.

En effet, et d’une part, Mme [A] [Z] atteste qu’avec Mme [E] [X], elles avaient invité, le 30 avril 2016, M. [W] [C] au restaurant pour discuter de leur projet de rachat des actions de la Sas prêt à porter [R], et qu’il avait été convenu, en raison de la relation professionnelle envisagée, que la première mission d’assistance serait assurée à titre gracieux dans un but commercial.

D’autre part, dans son compte-rendu de l’entretien préalable, non contesté, M. [V] [J], conseiller du salarié, déclare que M. [W] [C] avait reconnu avoir assisté à l’entretien de négociation du rachat des actions de la Sas prêt à porter [R] et avoir participé au repas organisé par Mme [A] [Z] et Mme [E] [X].

Il s’ensuit que les troisième et quatrième griefs ne sont pas caractérisés.

5. Sur le cinquième grief

Il est reproché à M. [H] [P] d’avoir subtilisé, lors de sa mise à pied à titre conservatoire, le contenu de certains dossiers, ce qui aurait perturbé gravement la bonne marche du cabinet pour effectuer les déclaration de TVA des clients y afférents, compte tenu des délais impartis, et recevoir les pièces justificatives en vue de leur comptabilisation.

Il est constant que M. [H] [P] a fait l’objet, le 5 octobre 2018, d’une mise à pied conservatoire à effet immédiat qui lui avait été remise en main propre.

Au regard du caractère immédiat de cette mise à pied, il appartenait au salarié de quitter immédiatement les locaux de l’entreprise, et de n’emporter aucun document appartenant à l’entreprise sans l’autorisation de son employeur.

Or, M. [H] [P] est resté presque une heure après la notification de sa mise à pied, puis est parti avec des sacs.

Mme [L] [D], assistante comptable, témoigne de ce qu’il a appelé un ami qui est passé à son bureau et l’a aidé à emporter des dossiers dans de grands cabas.

M. [W] [C], son supérieur hiérarchique, précise, dans son courrier du 9 octobre 2018, que c’est M. [K] [O], un client de l’entreprise, qui s’était présenté au cabinet sous prétexte qu’il avait rendez-vous avec M. [H] [P], et qu’il était sorti du bureau de celui-ci, chargé de deux gros sacs remplis de documents.

Il ajoute avoir informé M. [H] [P] de ce qu’il n’était pas autorisé à emporter des dossiers, mais que celui-ci lui avait répondu sur un ton menaçant en ces termes : ‘Vous voulez m’en empêcher . Essayez toujours, et, vous verrez. De toute façon, dès lundi, ces dossiers seront dans un autre cabinet’.

D’ailleurs, M. [W] [C] justifie avoir déposé une main courante pour ces faits dès le dimanche 7 octobre 2018.

M. [H] [P] indique n’avoir emmené que ses classeurs de stage, et précise, dans son courrier du 26 octobre 2018, que ‘M. [K] [O] était arrivé à l’improviste afin de récupérer l’intégralité des pièces comptables depuis le 1er janvier 2018, chose qu’il lui aurait suggéré quelques jours auparavant, d’où les deux gros sacs’.

Cependant, force est de constater que M. [K] [O], dont le témoignage est versé aux débats, ne fait aucunement état de ces éléments.

Quoiqu’il en soit, M. [H] [P] devait déférer immédiatement à la mise à pied conservatoire et n’emporter aucun document sans l’autorisation de sa hiérarchie.

En revanche, l’employeur ne justifie pas de la perturbation alléguée au sein du cabinet, de sorte que le cinquième grief n’est que partiellement caractérisé.

6. Sur le sixième grief

Il est reproché à M. [H] [P] d’avoir conseillé à des clients de transmettre au cabinet leurs chiffres d’affaires sans que leurs pièces comptables justificatives soient comptabilisées en totale contradiction avec la lettre de mission, et les normes de travail définies par l’ordre des experts-comptables.

Toutefois, l’employeur ne fournit aucune explication ni aucun élément pour en justifier, de sorte que ce grief n’est pas caractérisé.

7. Sur le septième grief

Il est reproché au salarié d’avoir emporté l’ordinateur portable du cabinet, lors de sa mise à pied conservatoire, et de ne l’avoir restitué que lors de l’entretien préalable.

M. [H] [P] rétorque que cet ordinateur lui avait été confié tant pour ses besoins professionnels et privés, comme indiqué dans le protocole du 12 septembre 2017.

Toutefois, il procède à une lecture erronée de ce protocole qui ne mentionne à aucun endroit que ledit ordinateur portable pouvait être utilisé à titre privé.

Il s’ensuit que le septième grief est caractérisé.

8. Sur le huitième grief

Il est reproché au salarié de n’avoir pas tenu à jour les dossiers concernant les deux clients DM et SM.

Toutefois, M. [H] [P] produit des attestations de ces deux clients qui témoignent de ce qu’ils n’avaient pas transmis l’ensemble des pièces justificatives de leur extraits, ce qui explique la présence, pour chacun d’eux, d’un compte d’attente avec plusieurs chèques non comptabilisés.

Il s’ensuit que le huitième grief n’est pas caractérisé.

9. Sur le neuvième grief

Il est reproché au salarié d’avoir établi des déclarations de détachement de travailleurs étrangers, dans le dossier LZ, au cours de sa mise à pied conservatoire et alors qu’il était en arrêt de travail pour maladie.

M. [H] [P] conteste ces faits, alors qu’ils ressortent clairement des annexes n°28, 29, 30 et 31 de l’employeur.

En effet, les déclarations ont bien été enregistrées par le salarié sur le site Interenet ‘SIPSI’ et transmises à l’inspection du travail les 21 et 29 octobre 2018, alors que M. [H] [P] faisait l’objet d’une mise à pied conservatoire jusqu’au 23 octobre 2018 et qu’il bénéficiait d’un arrêt maladie depuis le 16 octobre 2018 jusqu’à son licenciement du 9 novembre 2018.

Il s’ensuit que le neuvième grief est caractérisé.

10. Sur le dixième grief

Il est reproché au salarié d’avoir effectué un transfert de courrier à son propre domicile au cours de sa mise à pied conservatoire.

Toutefois, l’employeur ne fournit aucune explication ni aucun élément pour en justifier, de sorte que ce grief n’est pas caractérisé.

****

En résumé, il est retenu à l’endroit de M. [H] [P] le fait qu’il n’ait pas communiqué des fiches de temps, qu’il ait établi et signé une lettre de mission sans la soumettre à sa hiérarchie, qu’il n’ait pas déféré à la mise à pied conservatoire à effet immédiat en transportant des dossiers sans autorisation de son employeur et en gardant l’ordinateur portable mis à sa disposition uniquement pour des besoins professionnels, et qu’il ait établi des déclarations de détachement de travailleurs étrangers pour un client pendant la période de mise à pied conservatoire et de congé maladie.

Bien que ces fautes soient caractérisées, le licenciement prononcé pour une faute grave est disproportionné compte-tenu de l’absence de passé disciplinaire de M. [H] [P], du contexte de son embauche, puisqu’il devait reprendre le cabinet à l’issue d’une période de 18 mois de cette embauche et qu’il se voyait déjà comme gérant de l’entreprise, ainsi que de l’absence de preuve d’une éventuelle perturbation du cabinet imputable au salarié.

En tout cas, l’employeur aurait pu, dans un premier temps, privilégier une sanction disciplinaire autre que le licenciement, clarifier la situation en rappelant au salarié ses devoirs, et laisser une chance à ce dernier de se ressaisir.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement de M. [H] [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Eu égard à l’ancienneté du salarié (1 an et 3 mois), à son âge au jour du licenciement (35 ans), à son salaire mensuel brut moyen (3.500 euros), aux conditions de la rupture, à l’effectif de l’entreprise qui ne dépasse pas 10 employés, les premiers juges ont fait une juste appréciation de la situation en allouant à M. [H] [P] une indemnité légale de licenciement à hauteur de 875 euros net et des dommages-intérêts à hauteur de 1.750 euros brut, somme réparant l’intégralité du préjudice résultant de la rupture, ce en quoi le jugement entrepris sera confirmé.

En revanche, au regard de l’arrêt maladie du salarié pendant la période du 16 octobre au 18 novembre 2018, il y a lieu de lui allouer les sommes de 9.400 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 940 euros brut au titre des congés payés y afférents, 1.129 euros brut au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire et 112,90 euros brut au titre des congés payés y afférents.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ces points.

Il convient de préciser que les sommes allouées au titre des frais de déplacements, de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents, du rappel de salaire pendant la mise à pied, et des congés payés y afférents, porteront intérêt au taux légal à compter du 25 juillet 2019, date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation.

Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu »il a condamné la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl aux dépens de la première instance, ainsi qu’au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À hauteur d »appel, la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.

Les demandes respectives des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par mise à disposition de l’arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement rendu le 5 mars 2021par le conseil de prud’hommes de Saverne, SAUF en ce qu’il a :

– constaté que la période de mise à pied du 24 octobre 2018 au 9 novembre 2018 doit être analysée comme une mise à pied disciplinaire,

– condamné la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl à payer à M. [H] [P] les sommes de 2.235,50 euros au titre de la mise à pied conservatoire du 6/10/2018 au 23/10/2018 et des congés payés y afférents, et de 11.550 euros au titre du préavis et des congés payés y afférents ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

CONDAMNE la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl à payer à M. [H] [P] les sommes suivantes :

– 9.400 € brut (neuf mille quatre cents euros) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 940 € brut (neuf cent quarante euros) au titre des congés payés y afférents,

– 1.129 € brut (mille cent vingt-neuf euros) au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire,

– 112,90 € brut (cent douze euros et quatre-vingt-dix centimes) au titre des congés payés y afférents ;

DIT que les sommes allouées au titre des frais de déplacements, de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents, du rappel de salaire pendant la mise à pied, et des congés payés y afférents, porteront intérêt au taux légal à compter du 25 juillet 2019, date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation ;

REJETTE les demandes respectives des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Européenne d’expertise comptable d’audit et de conseil E.A.C Sarl aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 09 mai 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de chambre, et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

 


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