Arrêt N°23/
SP
R.G : N° RG 21/01214 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FSVD
[W]
C/
S.E.L.A.R.L. [F] OCIÉTÉ ATELIER RENOVATION POSE
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 08 MARS 2023
Chambre commerciale
Appel d’une ordonnance rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS en date du 23 JUIN 2021 suivant déclaration d’appel en date du 07 JUILLET 2021 rg n°: 2020F237
APPELANT :
Monsieur [K] [R] [W]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentant : Me Marius henri RAKOTONIRINA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. [F] La SELARL [H] et [I] [F], société de Mandataires judiciaires, domiciliée au [Adresse 3] à [Localité 6], prise en la personne de Maître [I] [F], Mandataire Judiciaire, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ATELIER RENOVATION POSE, société à responsabilité limitée dont le siège social est [Adresse 1], à [Localité 7], immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Saint-Denis de La Réunion sous le numéro 441 565 033, désignée à ces fonctions par jugement rendu le 8 mars 2017 par le Tribunal mixte de commerce de Saint Denis
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Sophie LE COINTRE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience en chambre du conseil du 19 octobre 2022 devant la cour composée de :
Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, la présidente a indiqué que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 14 décembre 2022, prorogé par avis au 1er février 2023 puis au 08 mars 2023.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 08 mars 2023.
Greffiere lors des débats et de la mise à disoposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
* * * * *
LA COUR
Par jugement du 8 mars 2017, le tribunal de commerce de Saint Denis de la Réunion, saisi sur assignation de la Caisse Réunionnaise de Retraites Complémentaires (la CRRC), a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL Atelier Rénovation Pose (la société ARP), fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 8 septembre 2015, soit le report maximal légal de 18 mois avant l’ouverture de la procédure collective, et désigné la SELARL [F] en qualité de liquidateur.
Par acte d’huissier du 26 février 2020, Me [I] [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ARP, a fait assigner M. [K] [R] [W], gérant de la société ARP, devant le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion en responsabilité pour insuffisance d’actif et en faillite personnelle.
Le juge commissaire a émis son avis le 28 septembre 2020.
M. [W] a conclu au débouté des prétentions de Me [F], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ARP (le liquidateur).
C’est dans ces conditions que, par jugement en date du 23 juin 2021, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a :
-déclaré M. [K] [W] responsable de l’insuffisance d’actif de la société Atelier Rénovation Pose
-condamné M. [K] [W] à payer à la SELARL [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Atelier Rénovation Pose, la somme de 300.000 euros
-prononcé à l’encontre de M. [K] [W] la sanction de la faillite personnelle pour une durée de dix ans
-ordonné l’exécution provisoire du présent jugement
-laissé à la charge de la procédure collective les entiers dépens de l’instance. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement taxés et liquidés à la somme de 114.55 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’il y a lieu.
Par déclaration au greffe en date du 7 juillet 2021, M. [W] a interjeté appel de cette décision.
L’affaire a été fixée à bref délai selon avis en date du 10 août 2021.
L’appelant a signifié la déclaration d’appel et l’avis à bref délai par acte du 18 août 2021 au liquidateur.
L’intimée s’est constituée par acte du 30 août 2021 ;
M. [W] a déposé ses premières conclusions d’appel par RPVA le 9 septembre 2021.
Le liquidateur a déposé ses conclusions d’intimée par RPVA le 6 octobre 2021.
Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 7 juin 2021, M. [W] demande à la cour, au visa de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, de :
-déclarer l’appel de M. [W] recevable et bien fondé
-infirmer le jugement entrepris
Et, statuant à nouveau
-juger que la gestion de la société ARP est exempte d’actes fautifs ayant entraîné une augmentation de l’insuffisance de son passif
Dès lors
-débouter la SELARL [F] de ses demandes
-condamner la SELARL [F] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 octobre 2021, le liquidateur demande à la cour, au visa des articles L651-2, L653-1, L653-4 et L653-8 du code de commerce, de :
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris
-condamner M. [W] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris le droit de timbre pour un montant de 225 euros.
Dans un avis du 27 octobre 2021, le ministère public a sollicité la confirmation de la décision entreprise.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 juin 2022 et l’affaire a reçu fixation pour être plaidée à l’audience circuit court du 15 juin 2022 reporté au 19 octobre 2022. Le prononcé de l’arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 14 octobre 2022, prorogé au 1er février 2023 puis au 8 mars 2023.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire
Il convient de rappeler qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir ‘constater’ ou ‘donner acte’ ou encore ‘considérer que’ voire ‘dire et juger que’ et la cour n’a dès lors pas à y répondre.
Sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif
M. [W] soutient qu’il n’a commis aucune faute de gestion et qu’en conséquence, sa responsabilité pour insuffisance d’actif ne peut être engagée.
M. [W] verse aux débats :
-la déclaration fiscale de l’exercice clos le 31 décembre 2013 ainsi que la balance générale définitive dont il ressort pour la société ARP un résultat de l’exercice déficitaire de -71.353€ (contre -26.277€ en 2012), des capitaux propres de 37.170€ (contre 108.523€ en 2012) pour un capital social de 100.000€, des dettes fournisseurs et comptes rattachés de 105.404€ (contre 149.867€ en 2012), des dettes fiscales et sociales de 629.739€ (contre 439.706€ en 2012), un chiffre d’affaires net (services) de 2.313.804€ (contre 2.565.657€ en 2012), des salaires et traitements de 483.481€ (contre 505.950€ en 2012) et un résultat d’exploitation négatif de -58.352€ (contre -19.041€ en 2012)
-la déclaration fiscale de l’exercice clos le 31 décembre 2014 ainsi que la balance générale définitive dont il ressort pour la société ARP un résultat de l’exercice déficitaire de -14.131€, des capitaux propres de 23.039€ pour un capital social de 100.000€, des dettes fournisseurs et comptes rattachés de 121.713€, des dettes fiscales et sociales de 840.733€, un chiffre d’affaires net (services) de 2.179.681€, des salaires et traitements de 490.065€ et un résultat d’exploitation de 6.257€
-la déclaration fiscale de l’exercice clos le 31 décembre 2015 ainsi que la balance générale définitive dont il ressort pour la société ARP un résultat de l’exercice déficitaire de -411.866€, des capitaux propres de -388.827€ pour un capital social de 100.000€, des dettes fournisseurs et comptes rattachés de 135.368€, des dettes fiscales et sociales de 1.007.982€, un chiffre d’affaires net (services) de 1.916.146€, des salaires et traitements de 493.851€ et un résultat d’exploitation de -378.840€
-la balance générale définitive éditée le 28 mai 2014
-les conclusions du rapport d’expertise de M. [L] du 8 décembre 2014 (la dernière page uniquement) concernant un litige (travaux confiés à la société ARP non achevés et présentant des non-conformités) dont il ressort qu’il reste à percevoir par la société ARP la somme de 116.391,75€ HT
-la balance générale définitive de 2014 éditée le 12 février 2016
-la balance générale définitive de 2015 éditée le 12 février 2016.
Le liquidateur fait valoir que l’insuffisance d’actif est de plus d’un million d’euros, certaine et non discutée :
ACTIF
Vente mobilière 4.823,70 €
Recouvrement et encaissement 28.186,39 €
Intérêts CDC 77,36 €
33.087,45 €
PASSIF
Passif superprivilégié 175.441,78 €
Passif privilégié 676.990,07 €
Passif chirographaire 337.178,87 €
Passif non définitif 2.087,40 €
1.191,698,12 €
Soit une insuffisance d’actif de 1.158.610,67 €
Il considère que l’absence de tenue d’une comptabilité régulière n’a pas permis au dirigeant de prendre les mesures qui s’imposaient pour redresser la situation. Il estime que l’absence de déclaration de la cessation des paiements, ainsi que la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, ont creusé le passif. Quant au précompte salarial, il ajoute que sa rétention constitue une augmentation frauduleuse du passif justifiant la confirmation de la décision entreprise.
Le liquidateur verse aux débats, notamment :
-un extrait K bis de la société ARP édité le 16 janvier 2017 dont il ressort que ladite société (EURL) a débuté son exploitation le 22 décembre 2001, a été immatriculée au RCS de Saint Denis le 13 juin 2002, a pour activité la construction de bâtiments et a pour gérant M. [W]
-un extrait K bis de la société Rénovation Construction OI (RCOI) édité le 9 février 2020 dont il ressort que ladite société (SAS) a débuté son exploitation le 24 septembre 2015, a été immatriculée au RCS de Saint Denis le 23 novembre 2015, a pour activité la rénovation en bâtiments, construction, travaux publics, aménagement et entretien espaces verts et a pour président M. [W] ; l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire a été prononcée le 21 août 2019 (BODACC des 9 et 10 septembre 2019)
-le rapport de situation actualisé
-la liste des créances actualisée
-le procès-verbal d’inventaire dressé par la SCP Mayer le 30 mars 2017 : matériel d’exploitation pour 376€, citroën jumper valorisée à 3.876€ (en crédit-bail : une mercedes benz vito 122 CDI et une moto aprilia)
-les procès-verbaux de vente dressés la la SCP Mayer les 20 mai et 2 juin 2017 : montant total 745€
-le procès-verbal de remise des archives du 9 mars 2017 : archives à remettre sous trente jours : bilans et comptes de résultat 2013 à 2017, balances générales, clients et fournisseurs 2013 à 2017, grands-livres général, clients et fournisseurs 2013 à 2017, journaux auxiliaires détaillés 2013 à 2017, attestation de l’expert-comptable certifiant les comptes 2013 à 2017, rapprochements bancaire au 21.12/2016 (BFC et BNP), DADS 2014 à 2016, statuts, PV d’assemblées 2015 à 2016 et dossier contentieux affaire Atelier de [V] (ou synthèse communiquée par avocat sur l’avancement de la procédure)
-un extrait du registre du personnel de la société ARP sur lequel apparaît M. [N] [T] aux fonctions de chef comptable du 1er mai 2013 au 31 juillet 2015
-des extraits des déclarations de créance
-la déclaration du dirigeant sur le recouvrement du 9 mars 2017 sur lequel il est indiqué : « plus d’assurance depuis 2016 » (assurance professionnelle)
-le procès-verbal d’entretien social du 9 mars 2017
-l’état des inscriptions de la société ARP
Sur quoi,
Aux termes de l’article L651-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige (modifié par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, antérieurement à la loi n°2022-172 du 14 février 2022) :
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.
L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. »
L’action pour insuffisance d’actif est une action en responsabilité civile délictuelle spécifique, ayant pour objet la réparation du préjudice collectif subi du fait de l’insuffisance d’actif d’une personne morale.
Conformément aux dispositions de l’article L651-1 du code de commerce, la responsabilité de tout dirigeant, même de fait, peut être recherchée à l’encontre de personnes physique ou morale, de droit privé ou public, ainsi que la personne physique représentant permanent d’une personne morale dirigeante. L’action à l’encontre d’autres personnes est en revanche irrecevable.
La faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif doit avoir été commise dans l’administration de la société et prouvée par le demandeur. Elle peut également résulter d’une abstention.
La faute doit être imputable au dirigeant poursuivi, pour des faits commis durant l’exercice de ses fonctions.
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (Loi Sapin 2), jugée immédiatement applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours, exclut la responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de simple négligence du dirigeant.
Un intérêt personnel n’est pas exigé.
En vertu du principe de proportionnalité, si plusieurs fautes de gestion sont retenues, il faut que chacune d’elles soit légalement justifiée.
L’insuffisance d’actif représente le préjudice subi par la personne morale (ou le patrimoine affecté de l’EIRL), apprécié au jour où la juridiction statue. Elle s’établit à la différence entre le passif (créances vérifiées et admises) et l’actif de la personne morale ou du patrimoine affecté, disponible ou non (valeur de réalisation du patrimoine).
Le seul constat d’un passif ne suffit pas.
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. Si plusieurs fautes de gestion sont reprochées, le lien de causalité doit être établie pour chacune d’elles. La faute doit avoir seulement «contribué» à l’insuffisance d’actif. Il n’est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage.
Même si les conditions sont établies, le juge apprécie souverainement l’opportunité de la condamnation et s’il y a lieu de faire jouer la solidarité entre dirigeants de droit ou de fait, fautifs. Le comportement du dirigeant, ayant fourni des efforts pour tenter de sauver son entreprise, peut être pris en compte pour exclure toute sanction pécuniaire ou en réduire le montant.
Le montant du passif mis à la charge du dirigeant ou de l’entrepreneur est déterminé après mise en cause du mandataire judiciaire ou du liquidateur. Il est apprécié souverainement par les juges du fond. Le plafond de la condamnation est égal au montant de l’insuffisance d’actif, et non à la totalité du passif. (sauf en l’absence d’actif). Il peut être tenu compte de la situation particulière du condamné pour fixer le montant du passif.
En l’espèce, l’insuffisance de l’actif s’élève à la somme de 1.158.610,67 euros.
Il est reproché à M. [W] un certain nombre de faute de gestion :
1°) le défaut de comptabilité régulière
M. [W] soutient qu’il a toujours tenu ou fait tenir la comptabilité de sa société. Il expose que jusqu’en 2013, il confiait sa comptabilité à un expert-comptable de la société ACOREX mais que suite à la démission de l’expert-comptable en charge de son dossier, il a poursuivi ses déclarations, en interne, par le biais d’un logiciel spécialisé dans l’enregistrement des données comptables, EBP INFORMATIQUE.
S’agissant des exercices 2013 à 2015, il produit les déclarations fiscales des années 2013 à 2015 qui ont toutes été transmises au service des impôts directement en mains propres, sans aucune observation de ce dernier.
Concernant les années 2016 et 2017, il fait valoir que les déclarations correspondantes n’ont pu être établies en raison de la mise en liquidation judiciaire de la société ARP.
Il en déduit que la société ARP est dotée d’une comptabilité régulière et complète dont l’analyse permet de reconstituer au plus exact sa gestion, qu’elle ne comporte aucune dérive malhonnête ou incorrecte et vérifie sa totale probité.
Le liquidateur fait valoir qu’aucun élément comptable ne lui a été transmis, malgré ses demandes expresses et ce, alors que la société ARP est une société commerciale astreinte aux obligations comptables et qu’elle brassait un chiffre d’affaires de plus de 2,3 millions d’euros et a employé jusqu’à 24 salariés.
Elle précise qu’aucun des états comptables pourtant sollicités n’ont été transmis, de même que livres obligatoires à savoir les journaux et grands-livres n’ont jamais été produits ce qui caractérise, outre la réticence du dirigeant, la tenue d’une comptabilité totalement incomplète pour les exercices 2013 à 2015 avec une comptabilité provisoire pour l’exercice 2015 et que la comptabilité est totalement inexistante au titre des exercices 2016 et 2017.
Elle estime que l’ouverture de la liquidation judiciaire en mars 2017 ne saurait justifier l’absence de tenue de toute comptabilité au fil de l’eau depuis 2015.
Elle en déduit que le dirigeant s’est affranchi de ses obligations les plus élémentaires en s’abstenant de tenir une comptabilité complète et régulière sur plusieurs exercices, ce qui constitue une faute de gestion qui doit être retenue pour engager la responsabilité de M. [W] dans l’insuffisance d’actif.
Elle rappelle que les déclarations fiscales ne sauraient être assimilées à des états comptables.
Pour rappel, aux termes de l’article L123-12 du code de commerce :
« Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l’enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l’existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable. »
Selon l’article L123-14 alinéa 1er du même code « Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. »
Par ailleurs, la liasse est un document fiscal qui permet à l’administration fiscale de calculer l’impôt du par l’entreprise. Elle comprend la déclaration de résultat et les tableaux annexes, permettant à l’Administration fiscale de calculer le montant de l’impôt dû par l’entreprise pour chaque exercice social. Elle rassemble dans ses annexes les détails de tous les documents comptables. Elle est aussi transmise avec le bilan au greffe du tribunal de commerce. Pour autant, elle ne se substitue pas aux documents comptables obligatoires (dont le grand-livre, le registre des immobilisations) et qui serviront précisément à remplir les déclarations fiscales, elles aussi obligatoires (liasse fiscale, déclaration d’impôt, déclaration sociale et déclaration de TVA).
En l’espèce, si M. [W] produit les liasses fiscales des exercices clos les 31 décembre 2014, 2015 et 2016, force est de constater qu’il ne verse toujours pas aux débats les états comptables concernant les exercices 2013 à 2017, réclamés par le liquidateur en mars 2017, pourtant obligatoires et essentiels, et qu’en tout état de cause, il n’est pas justifié d’une comptabilité complète et régulière.
Les premiers juges rappellent à juste titre qu’en sa qualité de dirigeant social, M. [W] doit veiller à la réalité et à l’exactitude de la comptabilité de la société.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu à l’encontre de M. [W] une faute de gestion, allant au-delà la simple négligence, de nature à fonder la responsabilité de M. [W] dans l’insuffisance d’actif.
2°) la poursuite d’une exploitation déficitaire
M. [W] dément avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire. Il rappelle qu’il est chef d’entreprise depuis plus de trente ans. Il expose que la société ARP a toujours été cotée en crédit par la Banque de France à l’échelon H4+ et que ce n’est qu’à compter de 2013 que, face à la crise économique de l’époque, couplée avec les agissements malveillants de certains de ses co-contractants, maîtres d’ouvrage, qui refusaient de régler des travaux pourtant régulièrement réceptionnés, il a dû faire des choix et prioriser le paiement de certaines obligations, ce, dans l’objectif de rétablir l’équilibre financier de son entreprise et de perpétuer son activité. Il souligne qu’en 2013 les comptes de la société ARP détenait d’importantes créances à recouvrer et estime que ce sont ces importants impayés (au montant total de plus 1.091.246,86 euros) qui ont engendré les difficultés de la société ARP. Il dément avoir souhaité poursuivre une activité déficitaire et fait valoir qu’au contraire, il a pris des décisions strictes et sévères dès que les premières difficultés financières sont apparues : il n’a pas hésité à procéder à des licenciements aux fins de diminuer au maximum les charges salariales de la société, dans l’objectif de finaliser les contrats en cours et fait état des contraintes pesant sur ses épaules (impossibilité d’abandonner brutalement un chantier, absence d’obligation pour le maître d’ouvrage de régler les frais de perte de productivité et de dépassement de délais de réalisation à l’entreprise restée sur le chantier, responsabilité de l’entreprise tant que le chantier n’est pas terminé).
Le liquidateur soutient que, nonobstant le manque d’éléments comptables, de nombreux indicateurs ont révélé que M. [W] a poursuivi de nombreuses années l’exploitation d’une activité lourdement déficitaire :
-en 2010, la société ARP a cessé de payer la CRRC
-dès 2013, la société ARP n’a plus payé son expert-comptable
-en 2014, les deux banques de la société, la BNP PARIBAS et la BFC, ont supprimé leur autorisation de découvert à hauteur de 30.000 euros et 15.000 euros
-dès 2014, la société n’a plus reversé la TVA au Trésor Public (créance 61.792 euros)
-en 2015, la police d’assurance en responsabilité civile et décennale a été résiliée ce qui constitue un délit,
-la Caisse de Congés Payés du bâtiment (CCPB) exposait dans son assignation qu’elle était dans l’impossibilité de déterminer le montant de sa créance en l’absence de production des déclarations de salaires pour le mois de mai 2016 à août 2016 et octobre 2016
Le liquidateur rappelle que la date de cessation des paiements a été fixée provisoirement par le tribunal au 8 septembre 2015, soit au maximum légal de 18 mois précédant le jugement d’ouverture. Il estime, pour sa part, que les difficultés financières de la société ARP sont bien antérieures à cette date et que M. [W] a poursuivi l’exploitation déficitaire de sa société pendant plusieurs exercices, sans jamais prendre aucune mesure de nature à arrêter l’hémorragie, l’ouverture de la procédure collective résultant de la seule initiative d’un créancier impayé, la CCPB.
Le liquidateur considère que les quelques éléments fiscaux et comptables transmis par l’appelant confortent cette analyse :
-poursuite d’une activité déficitaire sur quatre exercices consécutifs avec des déficits enregistrés d’un exercice à l’autre depuis 2012
-effondrement des capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social dès la clôture de l’exercice 2013 pour atteindre -388 827 euros en 2015
– l’appelant n’a jamais procédé à la convocation des associés pour la reconstitution des capitaux propres de la société, ce qui participe de la poursuite abusive de l’exploitation déficitaire, en trompant la confiance des tiers partenaires de la société qui n’ont pu avoir aucune visibilité sur les difficultés de celle-ci tandis que la société affichait un capital social de 100.000 euros.
-actif circulant composé essentiellement de créances client et des disponibilités très faibles et en tout état de cause insuffisantes pour honorer les charges courantes
-accumulation des dettes notamment fiscales et sociales d’un exercice à l’autre
-frais de personnel excessifs en 2013, puis excédant la valeur ajoutée en 2015 ce qui tend à prouver que la société ne créait pas une richesse suffisante pour rémunérer tous les autres acteurs du monde de l’entreprise (organismes sociaux, administration fiscale et fournisseurs)
Le liquidateur relève enfin que, malgré la carence comptable (la liasse fiscale 2015 ayant été établie sauf preuve contraire à partir d’éléments comptables provisoires et aucun élément n’ayant été produit au-delà de cet exercice), malgré l’absence de production des relevés bancaires, la dynamique de l’épuisement des ressources de la société ARP s’explique, selon toute vraisemblance, par un important transfert de ses actifs au profit d’une autre société créée en 2015 par M. [W] : la société Rénovation Construction OI dont il est le gérant et associé unique : à l’ouverture de la procédure aucun matériel d’exploitation, aucun stock ne sera inventorié, aucune assurance décennale en cours, aucun marché ou chantier en cours et ce, tandis que la société ARP avait une activité de construction et employait encore 18 salariés à l’ouverture de la procédure. Il considère que M. [W] devra expliquer comment, dans de telles conditions, lesdits salariés auraient travaillé pour le compte de le société ARP et, qu’à défaut, cette dernière a manifestement supporté des charges qui ne lui incombait pas. Il estime que M. [W] devra également justifier du sort des actifs de la société ATP, avec un éclairage particulier sur les stocks et matériel. Il en déduit que dans un tel contexte, l’intérêt personnel de M. [W] à la poursuite d’une activité déficitaire est manifeste.
Pour rappel, aux termes de l’article L223-42 du code de commerce :
« Si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s’il y a lieu à dissolution anticipée de la société.
Si la dissolution n’est pas prononcée à la majorité exigée pour la modification des statuts, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de réduire son capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n’ont pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social.
Dans les deux cas, la résolution adoptée par les associés est publiée selon les modalités fixées par décret en Conseil d’État.
A défaut par le gérant ou le commissaire aux comptes de provoquer une décision ou si les associés n’ont pu délibérer valablement, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Il en est de même si les dispositions du deuxième alinéa ci-dessus n’ont pas été appliquées. Dans tous les cas, le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser sa situation. Il ne peut prononcer la dissolution, si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux sociétés en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou qui bénéficient d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire. »
En l’espèce, il est établi que les capitaux propres de la société ARP étaient inférieurs à la moitié du capital social, voire négatifs, au cours des exercices suivants (pour un capital social de 100.000 euros) :
-2013 : 37.170 euros
-2014 : 23.039 euros
-2015 : – 388.827 euros
Or, M. [W] ne justifie pas avoir convoqué les associés de la société ARP conformément aux dispositions de l’article L223-42 du code de commerce et n’a pas respecté les règles du droit des sociétés.
Par ailleurs, la cour relève des résultats déficitaires depuis au moins l’exercice 2012 :
-2012 : – 26.277 euros
-2013 : – 71.353 euros
-2014 : – 14.131 euros
-2015 ; -411.866 euros
ainsi qu’une explosion des dettes fiscales et sociales passant de 439.706 euros pour l’exercice 2012 à 1.007.982 en 2015.
La cour constate à l’instar des premiers juges que le non-paiement des cotisations de la CRRS dès 2010 ou encore la suppression des autorisations de découvert par les deux banques de la société et la cessation du reversement de la TVA en 2014, ce qui constitue une entorse aux règles fiscales et sociales ainsi que l’absence d’assurance professionnelle depuis 2016, pourtant obligatoires pour les professionnels, ne sont pas démenties par M. [W].
Le procès-verbal d’inventaire met également en lumière l’absence de matériel et de stock à l’ouverture de la procédure collective interrogeant sur l’exploitation réelle de la société ARP, tandis que la société Rénovation Construction OI partageait avec la société ARP les mêmes activités, gérance, et adresse.
Il résulte de ce qui précède que le grief tenant à la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire est établi à l’encontre de M. [W].
3°) l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal
M. [W] soutient que l’absence de déclaration de sa part s’apparente à une « simple négligence » qui ne permet pas d’engager sa responsabilité. Il fait valoir qu’en aucun cas il n’a souhaité que sa société présente un résultat déficitaire et qu’alors, il croyait encore fermement aux possibilités de régler les dettes de société ARP compte tenu des créances dont cette dernière disposait et que, néanmoins, l’important décalage de trésorerie en raison des délais et retards de paiement de la part des créanciers de la société ARP ont fini par mettre en difficulté la société, ce qui ne relève pas de sa responsabilité en tant que gérant. Il ajoute que tous les salaires ont été réglés et que, par ailleurs, la CGSS a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective.
Le liquidateur fait valoir que l’antériorité des impayés et les nombreux incidents de paiements (multiplication des inscriptions depuis le mois de novembre 2014 s’agissant de la CRR et décembre 2014 s’agissant de la CGSS, suppression des autorisations de découvert, mises en demeures saisie et contraintes délivrées par la CGSS) démontrent que M. [W] était parfaitement informé de l’état de cessation des paiements de sa société et pour autant, il n’a jamais sollicité la mise en ‘uvre d’une procédure de traitement des difficultés, la procédure ayant été ouverte sur assignation d’un créancier. Elle estime qu’en tant qu’entrepreneur avisé pour diriger cette société depuis 2002, M. [W] connaissait pourtant parfaitement ses obligations et la nécessité de prendre des mesures pour tenter de redresser la situation et que, cependant, lorsque les difficultés de la société se sont cristallisées, il s’est séparé du professionnel du chiffre qui l’accompagnait jusqu’en 2013 et a ensuite préféré poursuivre l’activité en faisant fi de ses obligations les plus élémentaires parmi lesquelles tenir une comptabilité complète et régulière ou encore souscrire une assurance en responsabilité civile décennale, avant d’organiser le transfert de l’activité sur une autre société exempte de dettes.
Le liquidateur verse aux débats :
-l’assignation en redressement judiciaire délivrée par la CCPB à la société ARP
-des extraits des déclarations de créances
-l’état des inscriptions de la société ARP
Pour rappel, aux termes de l’article L631-4 du code de commerce : « L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. »
Cependant, la cour relève que, conformément aux dispositions de l’article L653-8 alinéa 2 du code de commerce ce grief ne concerne que la sanction professionnelle consistant en une interdiction de gérer.
En tout état de cause, il n’y a pas lieu de considérer les motifs qui ont conduit le dirigeant à différer la déclaration de cessation des paiements ou l’absence de caractère intentionnel de son abstention.
En l’espèce, la cessation des paiements a été fixée au 8 septembre 2015 par le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du 8 mars 2017, de sorte qu’à cette dernière date le délai de 45 jours imparti par le code de commerce était expiré depuis plus d’un an et demi, étant remarqué que ce n’est que sur saisine d’un créancier que la procédure collective a été ouverte.
Ce grief, couplé à la poursuite d’une activité déficitaire, ne peut relever de la simple négligence et doit donc être retenu.
4°) la retenue du précompte salarial
Le liquidateur reproche à M. [W], après avoir précompté la contribution salariale à hauteur de 220.138 euros, de ne pas avoir effectué le reversement à la CGSSR et rappelle que cette infraction constituait autrefois un abus de confiance et qu’elle est aujourd’hui une contravention de 5e classe (article R244-3°du code de la sécurité sociale), et est consommée dès le non reversement de la contribution à la CGSS. Elle estime qu’en ne respectant pas les textes applicables en la matière ainsi que les droits de ses salariés, M. [W] a frauduleusement augmenté le passif de sa société.
M. [W] ne fait aucune observation sur ce point.
En l’espèce, la société ARP a procédé à la retenue du précompte salarial à hauteur de 220.138 euros, ce qui constitue une faute pénale.
Ce grief doit être retenu.
* * *
Il résulte de ce qui précède que c’est par une juste appréciation des faits et de la cause et par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que les manquements de M. [W] à la bonne gestion de la société ARP ont eu une part déterminante dans l’issue de la procédure et condamné celui-ci à prendre en charge le passif à hauteur de 300.000 euros.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a déclaré M. [K] [W] responsable de l’insuffisance d’actif de la société Atelier Rénovation Pose et M. [K] [W] à payer à la SELARL [F], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Atelier Rénovation Pose, la somme de 300.000 euros.
Sur la sanction professionnelle
M. [W] soutient qu’à aucun moment il n’a agi à l’encontre des intérêts de sa société ARP et fait valoir que :
-l’ensemble des actifs de la société ARP ont été répertorié par la SCP Mayer & Associés lors de l’inventaire des actifs de la société
-les matériels roulants (en pleine propriété et en crédit-bail) ainsi que des matériels et équipements d’exploitation, ont tous été vendus aux enchères au profit de la procédure collective
-les pertes d’outils qui auraient pu être constatées se situent dans les circonstances habituelles d’une société en liquidation où certains personnels malveillants procèdent à des soustractions frauduleuses des biens de la société en dehors de sa volonté
-il n’y a pas eu de transferts d’un quelconque actif au profit de la société Rénovation Construction OI (la société RCOI), sa seconde entreprise
-la société RCOI a d’ailleurs été confrontée aux mêmes difficultés et a subi un sort identique, du fait de la crise et ce, malgré un mode de fonctionnement différent
-il n’a tiré aucun enrichissement personnel de la liquidation de la société ARP : il n’a ni biens immobiliers, ni biens mobiliers et a toujours eu un train de vie très simple, sans ostentation et essentiellement faite de labeur
-à ce jour, il est totalement démuni.
Le liquidateur reproche à M. [W] :
-de s’être abstenu de tenir une comptabilité complète et régulière
-d’avoir poursuivi abusivement l’exploitation déficitaire de la société ARP dans un intérêt personnel ce qui a inexorablement conduit la société à un état de cessation des paiements : la société a manifestement supporté des charges qui ne lui incombaient pas tandis que M. [W] organisait le transfert de son activité sur une autre société dans laquelle il était directement intéressé
-d’avoir fait obstacle au bon déroulement de la procédure en s’abstenant de coopérer avec le liquidateur : M. [W] refuse encore à ce jour de produire les relevés bancaires de la société, les états comptables, les grands-livres et journaux sur la période 2013 à 2015, ainsi que les balances sur la période 2016 à 2017 de sorte que non seulement il a été placé dans l’impossibilité d’effectuer les contrôles d’usage notamment de vérifier les flux avec les autres sociétés détenues ou dirigées par M. [W] mais encore de procéder à d’éventuels recouvrements ; il ajoute qu’à ce dernier titre, à l’exception du litige contre un ancien client L’Atelier de [V], à l’encontre duquel le tribunal a débouté la liquidation de son action en recouvrement par jugement du 29 novembre 2019, aucun dossier de recouvrement ne sera transmis alors que la liasse fiscale afférente à l’exercice 2015 enregistrait des créances client pour 972.443 euros et constituait l’essentiel de l’actif de la société et estime que rapporté au passif, ce comportement revêt une particulière gravité.
Sur quoi,
La faillite personnelle, comme l’interdiction de gérer, est une sanction professionnelle. Du fait de sa nature de sanction ayant le caractère de punition, elles est soumises aux exigences constitutionnelles applicables en matière pénale :
-elle ne peut être prononcée que dans les cas prévus par la loi, qui sont d’interprétation stricte
-elle est soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, ce qui impose qu’elles soient motivées dans leur principe et leur quantum, la motivation devant prendre en compte la gravité des fautes et la situation personnelle de l’intéressé ; à l’instar de ce qu’il en est de l’action pour insuffisance d’actif, si plusieurs fautes sont reprochées, chacune d’elles doit être justifiée
-les dispositions nouvelles plus douces bénéficient du principe de la rétroactivité in mitius.
Plusieurs conditions de fond sont requises :
-les sanctions ne peuvent être prononcées à l’égard des personnes visées par la loi que si, au préalable, est intervenu un jugement ouvrant un redressement ou une liquidation judiciaire à leur encontre ou à l’encontre de la personne morale qu’elles gèrent ou qui est gérée par la société dont elles sont les représentants permanents ;
-la faillite personnelle et les autres mesures d’interdiction ne peuvent être prononcées qu’à l’encontre des personnes énumérées par les textes
-les personnes visées doivent s’être rendu coupables de certains agissements.
Ainsi, aux termes de l’article L653-1 I du code de commerce (modifié par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016) :
I.-Lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables :
1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;
3° Aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2°.
Ces mêmes dispositions ne sont pas applicables aux personnes physiques ou dirigeants de personne morale, exerçant une activité professionnelle indépendante et, à ce titre, soumises à des règles disciplinaires.
L’article L653-1 du code de commerce ne subordonne pas le prononcé d’une faillite personnelle ou d’une interdiction de gérer à l’égard du dirigeant d’une personne morale à la circonstance que cette dernière ait déployé une activité effective.
Sont en revanche exclues les personnes exerçant une activité professionnelle indépendante soumise à des règles disciplinaires propres.
Les faits reprochés doivent avoir été commis avant le jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ce jugement prenant effet le jour de son prononcé à 0 heure, sous réserve de l’obstacle au bon déroulement de la procédure, nécessairement postérieur. En cas de résolution d’un plan de redressement, le juge peut retenir des faits postérieurs à la décision arrêtant ce plan et antérieurs à celle ouvrant, après sa résolution, une procédure de liquidation judiciaire.
Aux termes de l’article L653-3 du même code dans sa rédaction applicable au litige (modifié par l’ordonnance n°2010-1512 du 9 décembre 2010, antérieurement à la loi n°2016-486 du 22 mai 2019 qui a abrogé le 1° du II et à la loi n°2°22-172 du 14 février 2022) :
« I.-Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée au 1° du I de l’article L. 653-1, sous réserve des exceptions prévues au dernier alinéa du I du même article, contre laquelle a été relevé l’un des faits ci-après :
1° Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements ;
2° Abrogé.
3° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif.
II.-Peuvent en outre, sous la même réserve, être retenus à l’encontre d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée les faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens du patrimoine visé par la procédure comme s’ils étaient compris dans un autre de ses patrimoines ;
2° Sous le couvert de l’activité visée par la procédure masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de cette activité ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de l’entreprise visée par la procédure un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement. »
Aux termes de l’article L653-4 du même code (modifié par l’ordonnance n°2018-1345 du 18 décembre 2008) :
« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale, contre lequel a été relevé l’un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »
Aux termes de l’article L653-5 du même code (modifié par l’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014) :
« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l’un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d’administration d’une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d’autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l’entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d’un créancier, une créance supposée. »
Aux termes de l’article L653-6 du même code dans sa rédaction applicable au litige (modifié par l’ordonnance n°2010-1512 du 9 décembre 2010, antérieurement à la loi n°2022-172 du 14 février 2022) :
« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale ou de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui n’ont pas acquitté les dettes mises à leur charge en application de l’article L651-2. »
Un intérêt personnel est toujours exigé.
La condamnation emporte radiation d’office du registre du commerce ou du répertoire des métiers (article R123-128)
Les condamnations de faillite personnelle et interdiction de gérer sont mentionnées au bulletin n° 2 du casier judiciaire, au registre du commerce, au répertoire des métiers, ou sur un registre spécial et sont publiées au BODACC et dans un journal d’annonces légales (articles R653-3 et R621-8). Depuis le 1er janvier 2016, elles sont aussi inscrites au fichier national des interdits de gérer créé par la loi du 22 mars 2012 (article art. R128-1 et suivants). Ces mesures de publicité jouent de plein droit et ne sont pas des sanctions accessoires.
Enfin, aux termes de l’article L653-8 du même code (modifié par la loi n°2015-990 du 6 août 2015) :
« Dans les cas prévus aux articles L653-3 à L653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L’interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L653-1 qui, de mauvaise foi, n’aura pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L622-22.
Elle peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. »
Ainsi, le tribunal dispose d’un pouvoir souverain d’option entre la faillite personnelle et ‘ l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci’.
C’est une sanction alternative : dans tous les cas où la faillite personnelle peut être prononcée, le tribunal peut lui substituer l’interdiction de gérer.
Le liquidateur reproche à M. [W] les faits suivants :
-avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements (article L653-3 1°)
-des irrégularité comptables (article L653-5 6°)
-l’abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure (article L653-5 5°).
S’agissant de la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, elle suppose un fait positif et la recherche d’un intérêt personnel. En l’espèce, il ne peut être retenu car insuffisamment caractérisé.
Les irrégularités comptables sont, quant à elles, établies, de même que l’abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure, M. [W] n’ayant jamais produit les documents demandés (procès-verbal des archives du 9 mars 2017) et se bornant à suggérer des soustractions frauduleuses des biens de la société pour toute explication.
M. [W] ne fournit aucun renseignement sur sa situation personnelle.
Il convient de proportionner aux seuls griefs retenus la sanction prononcée à l’encontre de M. [W]. Dans ces circonstances, M. [W] sera condamné à une interdiction de gérer au lieu d’une faillite personnelle d’une durée de neuf ans.
En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu’il a prononcé à l’encontre de M. [K] [W] la sanction de la faillite personnelle pour une durée de dix ans.
Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de prononcer à l’encontre de M. [W] une mesure d’interdiction de gérer, diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de neuf années.
Sur les dépens
M. [W] succombant, il convient de :
-le condamner aux dépens d’appel
-le débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d’appel ;
-confirmer le jugement en ce qu’il a laissé à la charge de la procédure collective les entiers dépens de l’instance. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement taxés et liquidés à la somme de 114.55 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’il y a lieu.
-de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L’équité commandant de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur du liquidateur, il convient de lui accorder de ce chef la somme de 2.000 euros pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile;
CONFIRME le jugement rendu le 23 juin 2021 par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion, sauf en ce qu’il a prononcé à l’encontre de M. [K] [W] la sanction de la faillite personnelle pour une durée de dix ans
LE REFORME sur ce point ;
Statuant à nouveau sur le seul chef infirmé,
PRONONCE à l’égard de M. [K] [R] [W] une mesure d’interdiction de gérer, diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de neuf ans ;
RAPPELLE à M. [K] [R] [W] que s’il ne respecte pas l’interdiction ci-dessus elle sera passible des sanctions prévues à l’article L654-15 du code de commerce (emprisonnement de 2 ans et amende de 375.000 €) ;
ORDONNE la publication de la décision au fichier national des interdits de gérer dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ;
Y ajoutant,
DEBOUTE M. [K] [R] [W] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE M. [K] [R] [W] à payer à la SELARL [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Atelier Rénovation Pose, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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