Droit du logiciel : 7 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07715

·

·

Droit du logiciel : 7 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07715

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/07715 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MV4N

[C]

C/

Société 2LJM

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 28 Octobre 2019

RG : 19/00272

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 07 AVRIL 2023

APPELANT :

[T] [C]

né le 10 Septembre 1992 à [Localité 4]

Elisant domicile au Cabinet ADS SOULA MICHAL MAGNIN

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Sofia SOULA-MICHAL de la SELARL CABINET ADS – SOULA MICHAL- MAGNIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société 2LJM

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Antoine MONTANT de la SELAFA FIDUCIAL SOFIRAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mars 2023

Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Béatrice REGNIER, président

– Catherine CHANEZ, conseiller

– Régis DEVAUX, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 07 Avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon en date du 28 octobre 2019 ;

Vu la déclaration d’appel transmise par voie électronique le 12 novembre 2019 par M. [T] [C] ;

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 12 février 2020 par M. [C] ;

Vu les conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2020 par la SARL 2LJM ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 24 janvier 2023 ;

Pour l’exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions dar 455 du code de procédure civile.

SUR CE :

– Sur le rappel de salaire sur classification :

Attendu que la classification d’un salarié en fonction des normes fixées par la convention collective applicable dépend des fonctions exercées de façon effective par le salarié, sauf meilleur accord des parties et sous réserve de dispositions de cette convention collective exigeant la possession de diplômes ;

Qu’il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique ;

Que, selon l’avenant n° 40 relatif à la classification des emplois à la convention collective du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et poroduits laitiers applicable au litige, les agents de maîtrise doivent soit avoir une responsabilité de commandement et de contrôle du personnel, soit avoir une fonction d’importance équivalente en raison de la compétence technique ou commerciale ou de la responsabilité assumée ; que le cadre est quant à lui un salarié occupant une fonction qui nécessite des connaissances professionnelles approfondies, dont la position se situe au-dessus des agents de maîtrise même s’il n’exerce pas sur eux un commandement effectif et qui est responsable de la qualité du travail du personnel qu’il peut être appelé à diriger ; que la fonction de chef de magasin correspond au niveau 7 tandis que celle de manager n’est pas visée à la convention ;

Attendu qu’en l’espèce M. [C], embauché en qualité de manager au niveau 5 agent de maîtrise, revendique la classification de chef de magasin au niveau 7 cadre ;

Attendu toutefois que, pour en justifier, il se borne à produire deux attestations de salariés manifestement en partie dictées ; qu’en effet les termes employés sont très proches ; qu’également les deux témoins déclarent que M. [C] ‘effectuait des missions dépassant le cadre auquel il est rémunéré’, ce qu’ils n’ont pas pu eux-mêmes vérifier ; que par ailleurs les objections formulées par la SARL 2LJM sur ces témoignages sont pertinentes ; que c’est ainsi que la société remarque que Mme [Y] [M], au demeurant simple stagiaire, n’a pas été embauchée par M. [C], mais bien par le gérant de l’entreprise M. [W] [N] comme le prouvent les courriels qu’il a échangés avec la Mission locale de [Localité 3] ; que de même M. [N] a échangé avec la société Adecco avant de recruter M. [K] [F] [X] comme intérimaire ; qu’en outre il rentrait notamment dans les attributions d’un manager d’unité commerciale de réceptionner la marchandise, de définir les besoins et planifier une commande, de gérer la relation fournisseur, de négocier les achats (prix, quantité, qualité, période), de réaliser l’inventaire et saisir les stocks, d’administrer le personnel, d’organiser les équipes, de former et animer une équipe ou encore de concevoir et faire appliquer les consignes de travail, ainsi qu’il résulte du référentiel de compétences annexé à la convention collective ; qu’également la signature des borderaux de commande par M. [N] démontre qu’il réceptionnait les commandes ;

Attendu que, faute pour M. [C] de démontrer qu’il assurait de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique, sa demande de rappel de salaire doit être rejetée ;

– Sur les heures supplémentaires :

Attendu qu’aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ;

Que, selon l’article L. 3171-3 du même code l’employeur tient à la disposition de l’agent de contrôle de l’inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que la nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminés par voie réglementaire ;

Qu’enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu’au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ;

Qu’il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires susvisées ;

Qu’enfin le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ;

Attendu qu’en l’espèce M. [C] soutient qu’il assurait l’ouverture du magasin à 6h et sa fermeture à 20h30 et qu’il a ainsi accompli 15 heures supplémentaires par semaine durant la relation contractuelle, soit durant 52 semaines ; qu’il produit :

– des plannings des employés du magasin pour les mois de février à septembre 2018, sur lesquels figurent ses horaires de travail et le nombre d’heures accomplies chaque semaine, variant entre 35 et 45,5 heures ;

– un décompte des sommes dues au titre des heures supplémentaires pour la période de novembre 2017 à novembre 2018 ;

– des photographies de plannings présentant des punaises pour les accrocher ;

– les témoignages de Mme [M] et M. [F] [X] – dont il a été fait état ci-dessus lors de l’examen de la demande de rappel de salaire, qui attestent que M. [C] accomplissait davantage que 35 heures par semaine et qu’il lui arrivait de fermer le magasin à 20h30 et de le réouvrir le lendemain à 6h ;

– des échanges de SMS avec le gérant du magasin dans lesquels figurent notamment en photographie quelques plannings identiques à ceux produits par M. [C] ;

Attendu que le salarié produit ainsi des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande, mais uniquement pour la période de février à septembre 2018 pour laquelle des plannings sont produits – aucune information n’étant en revanche fournie sur les horaires réalisés ou même le nombre d’heures accomplies quotidiennement pour les autres périodes visées par la réclamation (il est seulement allégué de 15 heures supplémentaires par semaine sans davantage de précisions) ;

Attendu que la SARL 2LJM conteste la réalisation d’heures supplémentaires ; qu’elle soutient que les plannings fournis par M. [C] sont des faux établis avec le logiciel de planning installé sur un ordinateur auquel il avait accès ; qu’elle verse aux débats :

– le planning de février 2018 signé de M. [C] sur lequel apparaît une durée de travail de 35 heures par semaine ;

– les plannings non signés (hormis celui de février 2018) de novembre 2017 à septembre2018;

– les témoignages de deux clients du magasin qui attestent que M. [C] n’était pas souvent présent lorsqu’ils s’y rendaient ;

– les attestations de deux salariés qui déclarent que les heures supplémentaires étaient rémunérées, l’un d’entre eux ajoutant que M. [C] avait accès aux plannings des salariés sur l’ordinateur du gérant et que par ailleurs il ne réalisait pas 50 heures par semaine ;

Attendu que la SARL 2LJM ne produit aucun décompte fiable des heures de travail de M. [C] le seul document signé du salarié étant le planning de février 2018 ; qu’elle ne justifie donc pas avoir satisfait à ses obligations en la matière ; qu’au vu des éléments produits de part et d’autre la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [C] a bien effectué des heures supplémentaires pour la période de mars à septembre 2018, mais dans une proportion moindre que celle dont il sollicite le paiement dans la mesure où les plannings que lui-même fournit ne font pas état de 50 heures par semaine mais de 35 à 45 ; que sa demande est accueillie à hauteur de la somme de 4 200 euros, outre 420 euros de congés payés ;

– Sur l’absence de visite d’information et de prévention :

Attendu que, s’il est constant que M. [C] n’a pas bénéficié de visite médicale d’information et de prévention et que les dispositions de l’article R. 4624-10 du code du travail ont été méconnues, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que l’intéressé en aurait subi un préjudice ; que la demande indemnitaire présentée de ce chef est donc rejetée ;

– Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail :

Attendu qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; que cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ;

Attendu, d’une part, que, ainsi qu’il a été dit plus haut, M. [C] n’a pas été rémunéré de l’intégralité des heures supplémentaires qu’il a réalisées ;

Attendu, d’autre part, que l’article L. 3132-1 du code du travail dispose qu’il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine et que, selon l’article L. 3131-1 du même code, tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives ; que la preuve du respect des durées maximales de travail et minimale de repos incombe à l’employeur ;

Attendu qu’en l’espèce une telle preuve n’est pas rapportée dans la mesure où la SARL 2LJM ne produit aucun document fiable attestant des heures de travail accomplies par le salarié ; que la faute commise de ce chef par la société est donc établie ;

Attendu que les deux manquements susvisés empêchaient, compte tenu de leur gravité, la poursuite du contrat de travail ; qu’ainsi, et même si les autres fautes alléguées n’étaient pour l’une ( non-respect de la classification professionnelle) pas constituée et pour l’autre (défaut de visite médicale) pas de nature à justifier une rupture de la relation contractuelle, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que M. [C] a droit à une indemnité compensatrice de préavis de 4 213,63 euros, outre 421,40 euros de congés payés, correspondant à deux mois de salaire comme le prévoit la convention collective ainsi qu’à une indemnité de licenciement de 488,96 euros – montants sollicités par le salarié à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il ne serait pas fait droit à sa demande de repositionnement, et sur lesquels la SARL 2LJM ne formule aucune observation ;

Attendu que le salarié soutient que l’application de l’article L. 1235-3 du code du travail fixant l’indemnité due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être écartée, ce texte étant contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne et à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT ;

Attendu cependant que les dispositions des articles L.1235-3 et L.1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui

prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans certaines hypothèses, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ;

Que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré dans la plupart des situations par l’application d’office, par le juge, des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail ;

Que ces dispositions sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou d’une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT ;

Qu’il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec ces stipulations de cette convention ;

Attendu par ailleurs que les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut davantage conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ;

Attendu qu’il convient par voie de conséquence d’allouer à M. [C] une indemnité comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés l’article L. 1235-3 susvisé; que, compte tenu de son ancienneté (un an) et de l’effectif de la SARL 2LJM (inférieur à 11 salariés), il peut ainsi prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 0,5 et 2 mois de salaire ; qu’une somme de 4 213,63 euros brut correspondant à deux mois de salaire lui est allouée de ce chef ;

– Sur les frais irrépétibles :

Attendu qu’il convient pour des raisons tenant à l’équité d’allouer à M. [C] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugemnt déféré en ce qu’il a débouté M. [T] [C] de ses demandes de rappel de salaire au titre de la régularisation de la rémunération et de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions sur la visite d’information et de prévention et en ce qu’il a rejeté la demande de la SARL 2LJM sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,

Dit que la prise d’acte de rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SARL 2LJM à payer à M. [T] [C] les sommes de :

– 4 200 euros, outre 420 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

– 4 213,63 euros, outre 421,40 euros de congés payés, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 488,96 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 4 213,63 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,

Condamne la SARL 2LJM aux dépens de première instance et d’appel,

Le Greffier La Présidente

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon