Arrêt n°23/00319
06 juin 2023
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N° RG 21/02781 –
N° Portalis DBVS-V-B7F-FT5B
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORBACH
03 novembre 2021
F 20/00012
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Six juin deux mille vingt trois
APPELANT :
M. [E] [P]
[Adresse 1]
Représenté par M. Stéphane SIMON, défenseur syndical
INTIMÉE :
S.A.S. INEOS POLYMERS [Localité 3] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean-Christophe SCHWACH, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Mme Anne FABERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [E] [P] a été embauché à compter du 12 septembre 1977 sur le site des usines de [Localité 3], en qualité d’employé aux écritures.
La relation de travail était soumise à la convention collective des industries chimiques.
A compter du 1er janvier 2015, le salarié a occupé les fonctions d »agent réalisation IG’.
Il a été secrétaire du comité d’établissement de l’année 2014 à l’année 2018.
Le 1er février 2019, M. [P] est parti à la retraite à sa demande.
Il a obtenu son reçu pour solde de tout compte dont l’équivalent de six jours d’absence lui a été retiré.
Par courrier du 24 février 2019, M. [P] a dénoncé son solde de tout compte.
Le 21 janvier 2020, il a saisi la juridiction prud’homale du litige l’opposant à la SAS Ineos polymers [Localité 3].
Par décision avant-dire-droit du 14 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Forbach a décidé d’une mission confiée à deux conseillers rapporteurs.
Ceux-ci ont déposé leur rapport le 8 mars 2021.
Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021, la formation paritaire de la section industrie a notamment :
– condamné la société Ineos polymers [Localité 3] à payer à M. [P] la somme 131,71 euros net au titre du salaire du 18 octobre 2018, outre la somme de 150 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes complémentaires et reconventionnelles ;
– mis les entiers frais et dépens à la charge de la société Ineos Polymers [Localité 3].
M. [P] -qui est représenté par un défenseur syndical- a interjeté appel par courrier recommandé posté le 19 novembre 2021.
Dans ses conclusions du 20 janvier 2022, M. [P] requiert la cour de condamner la société Ineos polymers [Localité 3] à lui payer les sommes suivantes augmentées des intérêts au taux légal à compter de la demande :
– 658,95 euros net au titre des journées retenues sur le solde tout compte, ainsi que 10% au titre des congés payés y afférents, soit 65,60 euros net ;
– 6 705 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral lié à la procédure et aux retards de paiement ;
– 10 000 euros pour discrimination syndicale.
A l’appui de son appel, il expose :
– que le système de pointage a été défaillant à compter de l’année 2017 ;
– que les comptes rendus de CE-CSE démontrent les problèmes du logiciel ;
– que c’est à l’employeur que revient la charge de la preuve des six journées d’absence litigieuses;
– que la société Ineos polymers [Localité 3], en retenant ces six journées d’absence, a abusé de son pouvoir disciplinaire sur un salarié protégé ;
– que, le 18 octobre 2018, il était présent à une réunion du comité d’établissement ;
– que ni le CSE ni l’inspecteur du travail n’ont été consultés.
Il ajoute :
– que le lien certain entre son activité syndicale et les absences retenues abusivement justifie que des dommages-intérêts pour discrimination syndicale lui soient alloués ;
– qu’après 41 années de service, il a subi un préjudice moral tenant à la procédure et aux retards de paiement.
Dans ses conclusions du 17 mars 2022, la société Ineos polymers [Localité 3] sollicite que la cour :
– confirme le jugement, en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes de paiement de cinq jours de travail (658,95 euros), de congés payés y afférents (65,89 euros) et de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
– déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts à hauteur de 10 000 euros pour discrimination syndicale, en application de l’article 564 du code de procédure civile et, subsidiairement, la rejette ;
– condamne M. [P] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle réplique :
– que, lors de l’établissement du solde de tout compte, le service des ressources humaines a déduit six jours d’absence qui n’ont pas été justifiés par M. [P], alors qu’ils avaient été rémunérés avec les salaires des mois considérés ;
– que le salarié doit démontrer sa présence à son poste ou en délégation aux dates citées ;
– qu’il a pu être établi que, le 18 octobre 2018, M. [P] a bien participé à la réunion du comité d’établissement, étant observé qu’il n’avait pas enregistré sa présence dans le système de gestion des temps des représentants du personnel.
Elle précise :
– qu’au mois d’avril 2017, il a été introduit dans l’entreprise le système ‘Kelio’ avec pour objectif de remplacer le système de gestion sur la base du fichier Excel par un outil plus moderne permettant un transfert automatique des éléments variables vers le logiciel de paie ;
– qu’il avait été convenu, en accord avec les organisations syndicales, de maintenir le système ‘GTR’ pour la gestion des heures de délégation, tant que le nouveau système ‘Kelio’ n’était pas pleinement opérationnel ;
– qu’elle produit l’ensemble des états ‘GTR’ et ‘Kelio’ permettant de constater des anomalies concernant M. [P] aux dates litigieuses ;
– que, dans les échanges en comité économique et social, aucun souci de pointage ou de gestion des absences n’a été relevé ;
– que, dès le mois de décembre 2018, en vue de l’établissement du solde de tout compte, la responsable des ressources humaines a informé M. [P] des anomalies le concernant ;
– que M. [P] n’a apporté ni justificatif ni réponse aux demandes d’explications, malgré plusieurs relances.
Elle ajoute :
– que le salarié n’apporte aucune précision démontrant la réalité d’un préjudice moral;
– que la demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale est nouvelle en cause d’appel et donc irrecevable ;
– que, s’agissant d’un départ volontaire à la retraite, il n’y avait lieu ni à autorisation de l’inspection du travail ni à une procédure particulière concernant les salariés protégés.
Le 7 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
MOTIVATION
Sur le paiement des journées retenues
L’employeur est tenu de payer la rémunération et de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition.
Il se déduit de l’article 1353 nouveau du code civil que c’est à l’employeur qui se prétend libéré, sans avoir procédé au paiement, de justifier du fait qui a produit l’extinction de l’obligation.
En cas de litige, il lui appartient de démontrer que le salarié a refusé d’exécuter son travail ou ne s’est pas tenu à disposition.
L’employeur ne supporte pas une preuve impossible, puisqu’il est susceptible de produire, par exemple, des mises en demeure adressées au salarié, des attestations ou encore un constat d’huissier.
En l’espèce, la société Ineos polymers [Localité 3] a déduit du solde de tout compte établi à l’occasion du départ en retraite de M. [P] le 1er février 2019 les salaires des journées suivantes qui avaient précédemment été payés à échéance :
– 23 mars 2018 au matin ;
– 9 avril 2018 au matin ;
– 26, 27, 28 et 29 juin 2018 en intégralité ;
– 17 septembre 2018 pour quatre heures ;
– 18 octobre 2018 l’après-midi ;
soit l’équivalent de six journées complètes.
La demi-journée du 18 octobre 2018 n’est désormais plus en litige, puisque les investigations effectuées par les deux conseillers rapporteurs du conseil de prud’hommes de Forbach ont démontré que M. [P] avait été présent à cette date à une réunion du comité d’entreprise.
Pour les autres journées, il convient de se reporter aux relevés des heures de travail.
A compter du mois d’avril 2017, l’entreprise a été équipée d’un nouveau système de pointage ‘Kelio’.
Pendant la période litigieuse, ce système a rencontré des difficultés d’adaptation, comme cela ressort de divers comptes rendus de réunions régulières du comité d’entreprise produits par l’appelant (25 janvier 2018, 22 février 2018, 28 mars 2018, 31 mai 2018, 28 juin 2018, 18 octobre 2018 et 13 novembre 2018).
Il n’était en particulier pas opérationnel s’agissant de l’indication et de la gestion des heures de délégation. De ce fait, M. [P] et les autres représentants syndicaux devaient procéder au pointage de leurs heures de délégation sur le système ‘GTR’ déjà existant.
C’est ce qui ressort sans ambiguïté du courrier du 1er mars 2019 adressé par M. [F] [S], responsable ressources humaines et relations sociales, à M. [P] :
‘(…) Il est vrai que la situation pendant la période de mise en place du nouveau système de pointage et l’intégration de la gestion des heures de délégation a été un peu compliquée. C’est la raison pour laquelle nous avions convenu de gérer les deux systèmes en parallèle jusqu’à la mise en oeuvre d’un paramétrage fiable sur Kélio pour ne perdre aucune donnée. Nous avions convenu que, jusqu’à nouvel ordre, le GTR était la référence pour le pointage des heures de délégation et l’avions maintes fois rappelé. (…)’.
Les relevés ‘GTR’ et relevés ‘Kelio’ versés aux débats par l’employeur (pièces n° 6 et n° 7) montrent que M. [P] :
– le 23 mars 2018, était présent à son poste pendant une demi-journée et a utilisé des heures de délégation pour une autre demi-journée ;
– le 9 avril 2018, idem ;
– le 17 septembre 2018, était effectivement présent 7,20 heures, soit une journée complète.
S’agissant des quatre journées consécutives des 26 au 29 juin 2018, l’employeur- qui doit régulièrement vérifier la bonne exécution du contrat de travail par le salarié- ne justifie d’aucune mise en demeure et d’aucune demande d’explication avant son message électronique du 18 décembre 2018, étant observé que le salaire du mois de juin 2018 a été intégralement versé.
Rien ne permet même d’exclure une défaillance ponctuelle du système de pointage ou un simple oubli de badger de la part de M. [P].
En définitive, la société Ineos polymers [Localité 3] ne prouve pas que M. [P] était défaillant les journées litigieuses et donc qu’elle était libérée de son obligation de paiement du salaire.
Il s’ensuit que la société Ineos polymers [Localité 3] est condamnée à rembourser à M. [P] le montant de 658,95 euros net (correspondant à cinq jours à 131,79 euros net), dans la limite de la demande qui est contestée dans son principe mais non dans son quantum.
Il s’y ajoute les congés payés afférents à hauteur de 65,60 euros net.
Ces deux sommes sont augmentées des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020, date de réception par l’employeur de la notification de la demande.
Sur les dommages-intérêts au titre du préjudice moral
M. [P] a subi un préjudice moral, en ce qu’il a dû engager une action en justice après une carrière professionnelle complète dans l’entreprise et au début de sa retraite pour récupérer un salaire indûment prélevé.
Toutefois, en considération du faible montant en litige, le préjudice moral est limité.
Il est estimé à un montant de 600 euros que la société Ineos polymers [Localité 3] est condamnée à payer à M. [P] avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale
La demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale a été présentée pour la première fois en cause d’appel.
Elle n’est ni l’accessoire ni la conséquence ni le complément nécessaire des deux prétentions examinées ci-dessus.
En conséquence, elle est irrecevable, en application de l’article 566 du code de procédure civile.
En tout état de cause, en vertu de l’article L.1132-1 du code du travail, dans sa version alors applicable, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison notamment de ses activités syndicales ou mutualistes.
Aux termes de l’article L. 2141-5 du même code, dans sa version applicable à la procédure, il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
L’article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
L’article ajoute qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, M. [P] fait valoir la retenue effectuée sur son solde de tout compte.
Cet élément, survenu au moment de la rupture du contrat de travail après une carrière professionnelle complète dans l’entreprise, est isolé et porte sur un montant modeste. Il ne suffit donc pas, à lui seul, à laisser présumer une situation de discrimination syndicale.
En conséquence, même à la supposer recevable, la demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale est rejetée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement est confirmé s’agissant de ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile. La société Ineos polymers [Localité 3] est condamnée, en outre, à payer sur ce même fondement à M. [P] la somme de 450 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
La société Ineos polymers [Localité 3] est condamnée aux dépens d’appel, en application de l’article 696 du code de procédure civile, étant rappelé que les premiers juges ont mis à sa charge les dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare irrecevable la demande nouvelle de dommages-intérêts pour discrimination syndicale ;
Confirme le jugement, sauf sur le montant à rembourser par la SAS Ineos Polymers [Localité 3] à M. [E] [P] au titre des salaires indûment prélevés dans le solde de tout compte et sur le rejet de la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral ;
Statuant à nouveau sur ces deux chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la SAS Ineos Polymers [Localité 3] à payer à M. [E] [P] les sommes suivantes augmentées des intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020 :
– la somme de 658,95 euros net au titre des salaires indûment prélevés dans le solde de tout compte ;
– la somme de 65,60 euros net de congés payés y afférents ;
Condamne la SAS Ineos Polymers [Localité 3] à payer à M. [E] [P] les sommes suivantes augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt:
– la somme de 600 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
– la somme de 450 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Rejette les autres demandes des parties ;
Condamne la SAS Ineos polymers [Localité 3] aux dépens d’appel.
La Greffière, La Présidente de chambre,
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