Droit du logiciel : 6 juin 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00152

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Droit du logiciel : 6 juin 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00152

ARRÊT DU

06 JUIN 2023

PF/CO*

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N° RG 22/00152 –

N° Portalis DBVO-V-B7G-C7D3

———————–

[G] [J]

C/

SARL BET GARDET STRUCTURES

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Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° 89 /2023

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le six juin deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Chloé ORRIERE, greffier

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

[G] [J]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Floence COULANGES substituant Me Erwan VIMONT, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN et par Me Eric MARTY ETCHEVERRY, avocat plaidant inscrit au barreau de TOULOUSE

APPELANT d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUCH en date du 17 janvier 2022 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F21/00018

d’une part,

ET :

La SARL BET GARDET STRUCTURES prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Carine LAFFORGUE, avocat inscrit au barreau du GERS

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 04 avril 2023 sans opposition des parties devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Pascale FOUQUET, conseiller, assistés de Danièle CAUSSE, greffier. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.

* *

*

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [G] [J] a été recruté par la société BET Gardet, située à [Localité 4] (32) et exerçant son activité de bureau d’études techniques dans les spécialités bois et métal, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 11 janvier 2016 en qualité d’ingénieur, statut cadre.

La convention collective applicable était celle des bureaux d’études techniques.

Parallèlement à ces activités premières, la société BET Gardet a développé, courant 2016, une activité de réparation de sinistres survenus sur des champs de panneaux photovoltaïques.

Pour des raisons liées à la souscription d’une police d’assurance spécifique relative à cette nouvelle activité, l’employeur a scindé la société courant avril 2019 en créant une nouvelle entité, la société BET Gardet Structures.

A compter du mois d’avril 2019, les activités bois, métal et béton armé ont été confiées à la société BET Gardet Structures ; la société BET Gardet ne conservant plus que l’activité dite photovoltaïque.

Le contrat du salarié a alors été transféré à la société BET Gardet Structures. Celle-ci appartient au groupe LE2C qui comprend trois sociétés : la société BET Gardet SARL, la SCI Gardet et la société Renoscan SARL.

Le 29 juin 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique fixé au 10 juillet 2020.

Le jour même, l’employeur lui remettait par remise en main propre contre décharge un courrier d’information rédigé en ces termes :

‘ Monsieur,

Nous envisageons de rompre votre contrat de travail pour le motif économique suivant : Vous avez été engagé par la SARL BET GARDET à compter du 11 janvier 2016 en qualité d’ingénieur.

A cette époque, la société BET GARDET dont le coeur de métier était de réaliser des études techniques dans le domaine des structures bois et métalliques, entendait développer une activité dans la spécialité « structure béton armé », dont vous avez rapidement eu la charge exclusive.

Par la suite, dans le cadre d’une réorganisation des activités du Groupe GARDET, votre contrat de travail a été transféré au sein de notre société, pour y exercer les mêmes fonctions, à savoir ingénieur spécialisé dans l’activité de structure béton armé. De cette manière, la société BET GARDET demeurait concentrée sur une activité d’études techniques dans le domaine des installations photovoltaiques, tandis que la SARL BET GARDET STRUCTURES se voyait con’er les activités ‘ structure bois’, ‘structure métallique’ et ‘structure béton armé’.

L’intégralité des commandes et affaires en cours qui avait été engagée sous l’égide de la SARL BET GARDET alors était assumée par Ia SARL BET GARDET STRUCTURES.

Or, depuis le début de l’année 2020, nous avons enregistré une baisse drastique et continue de nos commandes dans le domaine de l’activité ‘structure béton armé’. Cette baisse de commande et par voie de conséquence, du chiffre d’affaires à réaliser dans cette qualité s’est encore accentuée à la ‘n du mois de mai par l’annulation, à l’initiative d’un client, d’un projet très important qui devait permettre de dégager un volume de travail durant les semaines suivantes.

II apparaît que la conjoncture de l’activité des constructions en béton armé est très dégradée et continue de se dégrader en raison notamment de la crise sanitaire traversée au printemps par notre pays.

Cette dégradation d’activité économique impacte directement l’activité de la SARL BET GARDET STRUCTURES puisque nous accusons désormais un carnet de commande quasiment vide dons cette spécialité ‘structure béton armé’.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de réorganiser notre entreprise en nous recentrant sur notre activité historique, en l’occurrence la réalisation d’étude pour la spécialité ‘structure bois’ et ‘structure métallique’, et de ne pas poursuivre la réalisation d’études dans les projets à structure béton armé », et ce, a’n de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du Groupe GARDET.

En effet, la spécialité ‘béton armé’ ne s’avère plus rentable et sa dégradation continue depuis plusieurs mois en termes de commandes et de chiffre d’affaires fait peser un risque sérieux sur la santé économique de la SARL BET GARDET STRUCTURES et du groupe auquel elle appartient puisque c’est notre société qui draine l’essentiel du chiffre d’affaires et qu’elle est le baromètre de la santé économique du groupe. En outre, aucun indicateur ne nous permet d’espérer une reprise économique dans cette spécialité, dons les mois à venir.

Dans le cadre de cette procédure, nous vous avons proposé le béné’ce d’un contrat de sécurisation professionnelle. Nous vous remettons ci-joint une documentation d’information établie par Pôle emploi ainsi qu’un dossier d ‘acceptation du contrat de sécurisation professionnelle. Vous disposez d’un délai de 21 jours pour prendre votre décision. L’adhésion à ce dispositif emporte rupture de votre contrat de travail à l’issue de ce délai de ré’exion. Dans le cas contraire, la procédure de licenciement pour motif économique suivra son cours.

Ce délai de ré’exion court à compter du 11 juillet 2020 et expirera le 31 juillet 2020

Nous vous rappelons que votre adhésion à ce dispositif vous prive du droit au préavis et à l’indemnité correspondante.

A l’issue de votre contrat de travail, vous percevrez une indemnité de licenciement calculée sur la base de l ‘ancienneté que vous auriez acquise si vous aviez effectué votre préavis.

En cas d’adhésion à ce dispositif vous pourrez, dans un délai de 10 jours à compter de votre départ effectif de notre entreprise, nous demander par écrit les critères que nous avons retenu pour ‘xer l’ordre des licenciements.

Vous bénéficierez également d’une priorité de réembauchage durant 1 an à compter de la date de rupture de votre contrat de travail à condition que vous nous informiez, par courrier, de votre souhait d’en user.

Dans cette hypothèse, nous vous informerons de tout emploi devenu disponible, compatible avec votre qualification actuelle ou toute nouvelle quali’cation que vous auriez acquise postérieurement à la rupture de votre contrat de travail et dont vous nous aurez informés.

En cas d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, vous pourrez faire une demande de précision du motif économique énoncé dans la présente lettre, dans les 15 jours suivront la rupture de votre contrat de travail. »

Au cours de ce même entretien, M. [J] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle qui lui était proposé.

A la suite de la demande du salarié du 18 juillet 2020, l’employeur lui a communiqué, le 22 juillet, les critères d’ordre de licenciement.

Le 1er mars 2021, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Auch afin de contester son licenciement.

Par jugement du 17 janvier 2022, le conseil de prud’hommes a débouté M. [J] de l’ensemble de ses demandes et a dit que chaque partie conserverait la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 23 février 2022, M. [J] a régulièrement déclaré former appel du jugement en visant les chefs de jugement critiqués qu’il cite dans sa déclaration d’appel.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 2 février 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

I. Moyens et prétentions de M. [J] appelant principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 31 janvier 2023 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, M. [J] demande à la cour de :

– Déclarer recevable et bien fondé son appel à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Auch le17 janvier 2022

Y Faisant droit,

– Réformer le jugement déféré dans ses dispositions exposées dans la déclaration d’appel

Statuant à nouveau,

Au principal,

– Juger que les critères d’ordre de licenciement ont été appliqués de mauvaise foi par l’employeur, condamner la société BET Gardet Structures à lui régler à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

– 42 330 € au titre de la perte financière à ce jour

– 30 000€ au titre de la perte de chance de retrouver un emploi similaire

– 30 000 € au titre de l’atteinte à sa santé mentale

Subsidiairement,

– Juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamner la société BET Gardet Structures à lui régler les sommes suivantes :

– 16 620 € au titre de dommages et intérêts

– 9 972 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

– 997 € au titre des congés payés y afférents

– Condamner la société BET Gardet Structures au paiement d’une somme de 6 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance.

A l’appui de ses prétentions, M. [J] fait valoir que :

A/ Sur le motif économique

– il le conteste

– l’activité de la société BET Gardet Structures n’est pas, comme l’ont retenu à tort les premiers juges, la spécialisation dans les structures en béton armé qui ne figure ni dans ses statuts ni dans son Kbis ni sur son site internet

– contrairement à ce que soutient l’employeur, l’activité béton armé est indissociable de l’activité bois et charpente métallique

– ses bulletins de salaire ne portent pas trace de spécialisation d’une ingénierie en béton armé

– les premiers juges ont pris connaissance de façon partielle des documents comptables produits

– il n’est pas produit de comptabilité analytique permettant d’analyser les chiffres avancés

– la société a connu un fort développement de 2017 à 2018

– au 31 décembre 2020, les difficultés économiques se rattachent uniquement à la branche photovoltaïque à l’examen du chiffre d’affaires

B/ Sur la procédure suivie

– l’essentiel des critères retenus porte sur les compétences

– l’employeur est de mauvaise foi

– il conteste la qualification que l’employeur lui a attribuée

– M. [X] est titulaire d’un simple DUT génie mécanique et productique et d’une formation de conducteur de travaux. Pourtant, la qualité d’ingénieur est portée sur le document de critères de licenciement

– Mme [W] [Z], célibataire sans enfant, dernière entrée dans la société, est titulaire d’un master de conception des ouvrages d’art et bâtiments. Pourtant, elle est qualifiée de « polyvalente exerçant exclusivement dans la structure métallique »

– malgré sa spécialisation génie civil et infrastructure, il est qualifié de « non polyvalent exerçant exclusivement dans l’activité béton »

– sa qualification est erronée alors que celle des deux autres salariés est exagérée

– l’employeur souhaitait évincer le salarié le plus ancien

– les recherches de reclassement ont été menées de mauvaise foi sur sa seule fonction d’ingénieur béton armé alors qu’il dispose de diplômes « toutes structures »

C/ Sur ses demandes en réparation

Au principal,

– la violation de l’ordre des licenciements rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité pour inobservation de l’ordre

– le préjudice subi doit être considéré sans que le barème de l’article L.1235-3 ne lui soit opposé car il ne concerne que le licenciement sans cause réelle et sérieuse

– son préjudice consiste en des pertes financières entre ce qu’il aurait dû percevoir, les sommes réellement perçues et son état de santé : il a souffert d’un syndrome anxyodépressif avec suivi psychologique et a été placé en arrêt maladie à compter du 2 juin 2019

Ses observations sur les conclusions de l’employeur :

– contrairement à ce que soutient l’employeur, il n’a pas été recruté en sa seule qualité d’ingénieur en béton armé et il le justifie en rappelant les termes de son contrat de travail article 2 « structures béton armé, bois et/ou métal »

– le centre de l’activité du BET Gardet Structures est l’ensemble « structures béton armé, bois et/ou métal »

– l’employeur est de mauvaise foi au sujet de la présentation de la société sur son site internet

– l’absence de mention de sa qualification sur ses bulletins de paie n’est pas justifiée

– sur son compte rendu d’entretien annuel, il n’existe qu’une seule ligne au sujet de l’activité béton armé

– sur l’ordre des licenciements :

– l’employeur se rapporte aux termes de son contrat de travail. Or, son recrutement dans la spécialité structure béton bois et/ou métal ne remet pas en cause sa polyvalence et l’étendue de ses connaissances

– l’employeur remet en cause la qualité de son travail et lui a affecté un nombre de points inférieurs. Il lui appartenait de formaliser ses reproches

– sur l’exécution déloyale du contrat de travail : la procédure est orale et rien de l’empêche d’augmenter sa demande en appel

– les pièces comptables produites ne sont qu’arguties

– contrairement à ce que soutient l’employeur, sa mission ne se limitait pas au secteur béton armé

– le bilan comptable 2019 a été transmis dans le cadre de la procédure et non établi pour les besoins de la cause. Il est recevable

– il a perçu de Pôle emploi des indemnités moindres que celles auxquelles il avait droit. Il réclame le delta soit 39 162 euros et 3 168 au titre du coût du véhicule de fonction soit 42 330 euros

– il a subi une perte de chance de retrouver un emploi. Il demande 30 000 euros de dommages et intérêts

– l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité : il a subi une atteinte à sa santé mentale et a dû suivre une thérapie

II. Moyens et prétentions de la société BET Gardet Structures intimée sur appel principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 27 janvier 2023 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’intimé, la société BET Gardet Structures demande à la cour de :

– Confirmer purement et simplement le jugement entrepris

– En conséquence, débouter M. [G] [J] de ses demandes,

– Le condamner à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code procédure civile outre les dépens

A l’appui de ses prétentions, la société BET Gardet Structures fait valoir que :

– en 2016-2017, la nouvelle activité dite photovoltaïque, avant l’embauche du salarié, représentait 45 % du chiffre d’affaires ce qui a permis son recrutement

– contrairement à ce qu’affirme le salarié, les activités selon les missions sont dissociables

– pendant l’année de transition 2019, le chiffre d’affaires de la société BET Gardet Structures a logiquement augmenté

– il produit des graphiques pour en justifier

– sur l’emploi occupé par le salarié :

– selon son contrat du 11 janvier 2016, il a été recruté en qualité d’ingénieur, statut cadre

– à la lecture de son curriculum vitae, il avait une formation et une expérience professionnelle uniquement en béton armé, raison de son recrutement

– ses missions « gros oeuvre » représentaient la quasi totalité de son temps de travail

– le salarié n’avait aucune compétence en calcul de structure métallique et bois

– le salarié ne maîtrisait pas le logiciel métier spécialisé et ne l’a jamais utilisé

– le salarié se décrivait comme responsable du pôle béton armé comme en atteste la capture d’écran de son profil

– de son compte rendu d’entretien individuel, il ressort que ses missions permanentes étaient celles correspondant au béton armé à 100 %. Le salarié l’a signé

– contrairement à ce qu’il affirme, le salarié n’était pas polyvalent

I- A titre principal

A/ Sur l’ordre des licenciements :

– il a respecté l’ordre des licenciements comme l’a jugé le conseil

– il a choisi pour pondérer l’ordre dans la catégorie ingénieur :

– les qualités professionnelles

– les charges de famille

– l’ancienneté dans l’entreprise

– les caractéristiques sociales

– M. [X] : il justifie de plus de dix d’ancienneté en entreprise générale du bâtiment. Son expérience est précieuse et il obtient de très bons résultats dans le domaine commercial. Son score est de 12 points

– Mme [Z] : elle a été recrutée en sortie de cursus universitaire le 20 novembre 2019, spécialisée en structures en métalliques, elle est polyvalente, son score est de 9 points

– M. [J] : il possède une formation et une expérience professionnelle uniquement en béton armé et il n’est pas polyvalent

– le salarié est à l’origine d’une erreur qui a généré un effondrement financier et une procédure judiciaire est en cours. Il ne l’a pas sanctionné

– le salarié est à l’origine du repli de clients comme l’EPHAD [5] à [Localité 3] ou Immodep

– la filière béton armé ne s’est pas rétablie après la crise sanitaire et un projet important d’EPHAD a été annulé en 2020

– son score est également de 9 points

– Mme [Z] a été conservée dans la société car elle disposait des compétences en structures en métalliques et était polyvalente.

B/ Sur les demandes financières :

– sa demande au titre du non respect des critères de l’ordre des licenciements s’est accrue de manière exponentielle en cause d’appel : de 16 620 euros en première instance à 102 000 euros en appel (perte financière, perte de chance et atteinte à la santé mentale)

– sur la perte financière : le préjudice est incertain voire inexistant. En signant le CSP, il a donné son accord au licenciement pour motif économique

– sur la perte de chance d’avoir retrouvé un emploi : il ne justifie pas de ses recherches alors qu’il existe une forte demande dans ce secteur

– sur l’atteinte à la santé mentale : elle n’est pas démontrée. Les arrêts de travail sont antérieurs au licenciement. Son montant est empirique

II- A titre subsidiaire :

La réorganisation de l’entreprise constitue un motif économique qu’elle soit ou non liée à des difficultés économiques mais pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou la sauvegarde du secteur d’activité.

A/ Les difficultés économiques :

– il conteste l’analyse du salarié quant aux chiffres (chiffres d’affaires, résultats comptables, bilan financier établi par le salarié ‘)

– le véritable motif du licenciement est la réorganisation de l’entreprise pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. Il en justifie en produisant la lettre de remise du CSP du 10 juillet 2020 et non l’existence de difficultés économiques comme l’invoque le salarié

– le secteur d’activité où le salarié était le seul spécialisé béton armé connaît une chute catastrophique depuis 2020 déjà apparue en 2019

– il ne faut pas confondre le chiffre d’affaires et le carnet de commandes : il a existé une désertion de clients conjuguée à la crise sanitaire

– le choix de la réorganisation a été fait pour anticiper et éviter l’aggravation des difficultés économiques

– elle justifie avoir effectué des recherches loyales de reclassement dans le groupe

B/ Le véritable motif du projet de licenciement : la réorganisation de l’entreprise nécessaire pour sauvegarder la compétitivité :

– la cause économique est rappelée dans la lettre du CSP du 10 juillet 2020

– le salarié est le seul spécialisé « béton armé » et ce secteur a connu début 2020 une chute vertigineuse des commandes, couplée à la crise sanitaire début 2020, tendance déjà amorcée aux troisième et quatrième trimestres 2019

– il ne faut pas confondre chiffre d’affaires et carnet de commandes

– le choix de recentrer les activités sur la filière bois et structures métalliques était nécessaire pour anticiper et éviter la dégradation des difficultés économiques

– en 2020, concernant la société BET Gardet Structures, le résultat déficitaire s’élevait à – 4.022 euros (58.826 euros en 2019) et pour la société BET Gardet, la baisse de chiffre d’affaires était de 334.000 euros pour un bénéfice de 1.384 euros contre 41.530 euros en 2019

– l’année 2019 a été une année de transition

– historiquement, la société BET Gardet gérait l’ensemble des activités du groupe

– en 2019, elle a continué à facturer les affaires débutées en 2018, mais qui n’avaient pas trait à l’activité photovoltaïque

– le chiffre d’affaires de l’ensemble du groupe présente une baisse de 31 % en 2020

– elle produit les justificatifs de ses recherches de reclassement pour justifier de sa loyauté

– le salarié ne justifie pas de recherches d’embauche mais seulement d’une inscription à Pôle emploi. Or, ce marché est très porteur dans sa catégorie professionnelle

MOTIFS :

I- Sur l’ordre des licenciements

En préliminaire, il convient de préciser que M. [J] n’a pas maintenu en appel sa demande d’indemnisation résultant du non-respect de l’ordre des critères du licenciement et a formé trois demandes distinctes en dommages et intérêts pour perte financière, perte de chance de retrouver un emploi similaire et atteinte à sa santé mentale.

L’article L.1233-5 du code du travail dispose que : « Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.

Ces critères prennent notamment en compte :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.

Le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par un accord collectif.

En l’absence d’un tel accord, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois.

Les conditions d’application de l’avant-dernier alinéa du présent article sont définies par décret. »

Les qualités professionnelles doivent reposer sur des éléments objectifs. Il n’appartient pas au juge de se substituer à l’employeur par rapport aux aptitudes professionnelles du salarié mais de vérifier s’il les a bien respectées et si elles ne constituent pas un détournement de pouvoir.

La catégorie professionnelle concerne « l’ensemble des salariés qui exercent dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ».

La cour rappelle que le projet de la société BET Gardet structures était de se recentrer sur les activités originaires structures métalliques et structures bois et d’abandonner l’activité béton armé, déficitaire.

Eu égard aux critères et aux pondérations appliqués, trois salariés étaient concernés par le licenciement : M. [X] a obtenu un score de 12 points, Mme [Z] et M. [J], un score égal de 9 points.

L’employeur a privilégié le critère de la compétence professionnelle en raison du recentrage de l’entreprise sur les deux activités originaires.

Un bureau d’études n’est pas une profession réglementée et peut recruter sans tenir compte des diplômes ou de la qualification d’ingénieur. M. [J] était titulaire d’un diplôme d’ingénieur, spécialité génie civil et infrastructures. Il a été engagé et chargé de développer la nouvelle activité « structure béton armé » en 2016.

D’une part, la capture d’écran de son profil porte la mention : « titre de la fonction : responsable pôle béton ».

D’autre part, ses fonctions exercées étaient celles « d’ingénieur structure gros ‘uvre » comme en atteste le compte rendu de son dernier entretien annuel du 21 janvier 2020. Ses missions permanentes n’étaient pas en lien avec les activités structures bois et métal mais étaient celles du dimensionnement des fondations, des superstructures, la rédaction de plans techniques gros ‘uvre et béton armé et les diagnostics structure de gros ‘uvre.

A l’appui de sa polyvalence, M. [J] n’apporte aucun élément autre que son titre universitaire. Au contraire, il était effectivement spécialisé, il a formé sa collègue, Mme [Z], à la spécialité béton armé alors qu’elle exerçait exclusivement dans l’activité structures métalliques.

En conséquence, M. [J] a exercé au sein de la société des fonctions dans le domaine du béton armé et ne disposait pas de la polyvalence recherchée au moment de la restructuration de la société.

La cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande tendant à voir constater que l’ordre des licenciements n’avait pas été respecté et le déboute de ses demandes en perte financière, perte de chance de retrouver un emploi similaire et en dommages et intérêts pour atteinte à sa santé mentale.

II- Sur le motif économique du licenciement

L’article L.1233-3 du code du travail dispose que  : «  Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L.1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L.1237-17 et suivants. »

Il ressort de la lettre de licenciement que le motif est la réorganisation de la société pour sauvegarder la compétitivité en raison des difficultés économiques : «  (‘) C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de réorganiser notre entreprise en nous recentrant sur notre activité historique, en l’occurrence la réalisation d’étude pour la spécialité ‘structure bois’ et ‘structure métallique’, et de ne pas poursuivre la réalisation d’études dans les projets à structure béton armé », et ce, a’n de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du Groupe GARDET. »

En premier lieu, la cour relève que M. [J] a donné son accord en signant le contrat de sécurisation professionnelle le 10 juillet 2020 et ne l’a pas contesté dans le délai de réflexion de 21 jours. La lettre accompagnant ledit contrat rappelle l’origine de la décision de réorganisation : « baisse drastique et continue des commandes dans l’activité béton armé», la perte d’un marché important, l’activité dégradée de l’activité béton armé et « un carnet de commandes quasiment vide ».  

En effet, l’employeur fonde le licenciement économique sur la nécessité de réorganiser l’entreprise afin de sauvegarder par anticipation sa compétitivité en cessant l’activité « structures béton armé » déficitaire.

M. [J] soutient de son côté que la société BET Gardet Structures ne connaissait pas de difficultés économiques au contraire de la société BET Gardet qui, seule, était concernée.

Il allègue que l’employeur a « scénarisé » un motif économique alors que les comptes sociaux, au demeurant, pourtant, peu fiables selon ses écritures, démontrent la santé économique florissante de la société BET Gardet Structures. Le salarié fait ainsi valoir qu’en réalité, les prétendues difficultés économiques concernaient l’activité photovoltaïque car, au 31 décembre 2020, la société BET Gardet Structures avait réalisé un chiffre d’affaires de 582 437 euros alors que la société BET Gardet (activité limitée à l’installation photovoltaïque) avait réalisé un chiffre d’affaires de 182 636 euros.

Les comptes sociaux produits démontrent, entre le 31 décembre 2019 et le 31 décembre 2020, une baisse de chiffre d’affaires des activités ingénierie de 27 % et sur l’ensemble du groupe, une baisse de 31 %.

La cour constate que les difficultés économiques étaient avérées mais rappelle, néanmoins, que lorsque la réorganisation est nécessaire pour prévenir des difficultés économiques, elle n’est pas subordonnée à l’existence de difficultés avérées à la date du licenciement.

En effet, la fermeture du site est la conséquence de la perte de chantiers importants tels que celui d’Immodep comme en atteste le courriel du 27 mai 2020. L’employeur lui a indiqué qu’il le plaçait en chômage partiel à temps plein à compter du 27 mai jusqu’au 29 mai 2020, ce qui démontre la baisse réelle d’activité.

La cour constate que le licenciement de M. [J] est justifié par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité de l’entreprise alors que, concomitamment, les difficultés économiques rencontrées par la société étaient avérées.

En conséquence, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en dommages et intérêts, en indemnité compensatrice de préavis et en congés payés sur préavis.

Sur les demandes accessoires :

M. [J] qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel.

L’équité commande de laisser à chaque partie la charge des frais non répétibles qu’elles ont engagés dans cette instance.

Les premiers juges ont débouté la société BET Gardet Structures de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile mais ont omis de reprendre cette demande dans le dispositif du jugement.

Il conviendra par conséquent de réparer cette omission.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du 17 janvier 2022 en ce qu’il a :

– débouté M. [J] de ses demandes :

– tendant à voir constater que l’ordre des licenciements n’avait pas été respecté

– en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en dommages et intérêts, en indemnité compensatrice de préavis et en congés payés sur préavis

– de sa demande en frais irrépétibles de procédure

– dit que chaque partie conserverait la charge de ses propres dépens

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [G] [J] de ses demandes en perte financière, perte de chance de retrouver un emploi similaire et en dommages et intérêts pour atteinte à sa santé mentale,

CONDAMNE M. [G] [J] aux dépens d’appel,

DÉBOUTE M. [G] [J] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société BET Gardet Structures de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Chloé ORRIERE, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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