MHD/LD
ARRET N° 173
N° RG 21/01185
N° Portalis DBV5-V-B7F-GHYT
[T]
C/
S.A.S. ORPEA
venant aux droits de la Société ORGANIS- ORGANISATION IMMOBILIERE SERVICES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 06 AVRIL 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 avril 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS
APPELANTE :
Madame [M] [T]
née le 20 Juillet 1979 à [Localité 7] (59)
[Adresse 9]
[Localité 5]
Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume ALLAIN, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
S.A.S. ORPEA venant aux droits de la Société ORGANIS- ORGANISATION IMMOBILIERE SERVICES
N° SIRET : 401 251 566
[Adresse 3]
[Localité 6]
Ayant pour avocat plaidant Me Olivier LOPES de la SELARL Patrice BENDJEBBAR – Olivier LOPES, avocat au barreau de SAINTES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 23 Janvier 2023, en audience publique, devant :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 15 juin 2015, Madame [M] [T] a été embauchée par la société Organis- organisation immobilière services en qualité d’infirmière diplômée d’Etat pour exercer les fonctions d’infirmière au sein de la résidence pour personnes âgées ‘[8]’.
Le 6 avril 2016, elle a été nommée au poste d’infirmière coordinatrice.
Le 1er janvier 2018, la société Organis-organisation immobilier services a donné en location-gérance le fonds de commerce à la société Orpea.
Le contrat de travail de Madame [T] a été transféré à la société Orpea.
Après avoir été entendue le 28 juin 2018 au cours d’un entretien préalable à un éventuel licenciement, Madame [T] a été licenciée, par lettre du 4 juillet 2018 à en-tête de ‘Orpéa résidences’, pour cause réelle et sérieuse.
Par requête du 20 juin 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers de différentes demandes formées à l’encontre de la société Organis, tendant notamment à la reconnaissance de faits de harcèlement moral, à l’octroi de dommages intérêts subséquents, à des indemnités pour licenciement abusif et pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 2 avril 2021 intervenant entre Madame [T] et la SAS Orpéa venant aux droits de la SAS Organis-organisation immobilière de service, le conseil de prud’hommes a :
– débouté Madame [T] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Orpea de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Madame [T] aux entiers dépens et frais d’exécution.
Par déclaration électronique en date du 9 avril 2021, Madame [T] a interjeté un appel limité de la décision aux chefs du jugement qu’elle a mentionnés dans une annexe.
***
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 26 décembre 2022.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 16 décembre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Madame [T] demande à la cour de :
– la recevoir en son appel et l’y déclarer bien fondée,
– réformer le jugement entrepris,
– juger qu’elle a valablement interrompu la prescription en saisissant le conseil de prud’hommes le 20 juin 2019,
– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré prescrites ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– au fond et à titre principal,
– juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Orpea à lui payer les sommes de :
° 34 800 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
° 10 000 € à titre de dommages intérêts pour son préjudice moral,
° 5000 € à titre de dommages intérêts pour déloyauté contractuelle,
– au fond et à titre subsidiaire,
– juger que la société Orpea a commis des fautes graves dans l’exécution du contrat de travail, justifiant la résiliation judiciaire,
– prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date du 4 juillet 2018,
– condamner la société Orpea à lui payer les sommes de :
° 34 800 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
° 25 000 € de dommages intérêts au titre de son préjudice moral, en raison des fautes commises par l’employeur dans l’exécution du contrat de travail,
° 5000 € de dommages intérêts pour déloyauté contractuelle,
– au fond et à titre infiniment subsidiaire,
– juger qu’elle a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur,
– juger que la société Orpea n’a pas respecté son obligation de sécurité à son égard,
– condamner la société Orpea à lui payer 25 000 € de dommages intérêts au titre du préjudice moral et 5000 € de dommages intérêts pour déloyauté contractuelle,
– en toute hypothèse,
– condamner la société Orpea à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions du 21 décembre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Orpea venant aux droits de la société Organis-organisation immobilière services demande à la cour de :
– constater l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel formée le 9 avril 2021 par Madame [T],
– dire que la cour n’est saisie d’aucune demande,
– déclarer irrecevable Madame [T] en l’ensemble de ses demandes,
– déclarer, quoi qu’il en soit, Madame [T] irrecevable en ses demandes tendant à la résiliation judiciaire du contrat, la reconnaissance des fautes graves commises par l’employeur et à la condamnation de ce dernier à lui payer 34 800 €, 10 000 € et 5000 €,
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 2 avril 2021,
– dire Madame [T] mal fondée en son appel,
– condamner Madame [T] à lui verser 2500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et au paiement de 3000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– condamner ‘ Madame [C] [S]’ (sic) aux entiers dépens y compris en cas d’exécution forcée.
SUR QUOI,
I – SUR LA PROCEDURE :
A – Sur les fins de non-recevoir :
1 – Sur la régularité de la déclaration d’appel :
En application de l’article 901 du code de procédure civile ‘la déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57…’
Il en résulte que la déclaration d’ appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l’acte d’ appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile -dans sa nouvelle rédaction, applicable également aux instances en cours – même en l’absence d’empêchement technique (Cass. 2e civ., avis, 8 juill. 2022, n° 22-70.005, B : JurisData n° 2022-011384 ; JCP G 2022, 898, obs. [A] [B] [H]).
***
En l’espèce, la société Orpea soutient en substance :
– que Madame [T] – en mentionnant dans sa déclaration d’appel ‘appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués (voir annexe)’ – n’a pas valablement saisi la cour dans la mesure où ladite annexe n’est pas la déclaration d’appel prévue par l’article 901 du code de procédure civile et où l’appelante ne justifie d’aucune impossibilité technique légitimant le recours à une annexe,
– que de ce fait, comme l’effet dévolutif n’a pas joué, la cour n’est saisie d’aucune demande.
En réponse, Madame [T] fait valoir pour l’essentiel :
– que le recours à l’annexe est régulier dans la mesure où celle-ci énonce les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité,
– que la cour est donc bien saisie de l’ensemble des chefs du jugement critiqués.
***
Cela étant, la déclaration d’appel de Madame [T] mentionnant ‘ : ‘… – objet de l’appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués (voir annexe)…’ ‘ est suivie de l’annexe intitulée ‘annexe à la déclaration d’appel exposant les chefs du jugement critiqués’ qui précise que Madame [T] ‘entend faire appel du conseil de prud’hommes de Poitiers du 2 avril 2021 en ce qu’il a …’ et suivent les chefs du jugement attaqué.
Il en résulte donc au vu des principes sus rappelés que l’effet dévolutif d’appel a pleinement joué et que la cour est régulièrement saisie.
En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée de ce chef par la société Orpéa.
2 – Sur la recevabilité des demandes nouvelles :
En application des articles :
– 564 du code procédure civile : ‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.’
– 565 dudit code : ‘Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent’.
Ainsi, est recevable en appel la demande en nullité du licenciement qui tend aux mêmes fins que la demande initiale au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que ces demandes tendent toutes les deux à obtenir l’indemnisation des conséquences du licenciement qu’un salarié estime injustifié (soc. 1er déc. 2021 n° 20-13.339)
***
La société Orpéa soutient :
– que Madame [T] a formé dans ses conclusions d’appel des demandes nouvelles tenant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail et aux indemnités subséquentes en découlant,
– que de ce fait, elle doit être déclarée irrecevable en ses demandes nouvelles qu’elle n’avait jamais présentées au premier juge.
En réponse, Madame [T] objecte pour l’essentiel que la résiliation judiciaire tend aux mêmes fins qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que de ce fait, ses demandes afférentes à la résiliation judiciaire de son contrat de travail ne constituent pas une demande nouvelle.
***
Cela étant, si comme le relève la société Orpéa, Madame [T] n’a jamais demandé dans ses dernières conclusions soutenues devant le conseil de prud’hommes la résiliation de son contrat de travail et s’est bornée à solliciter le prononcé d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, assorti des indemnités subséquentes, il n’en demeure pas moins que la résiliation judiciaire de son contrat de travail qu’elle sollicite pour la première fois en appel, à titre subsidiaire, produit – si elle est accueillie – les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et poursuit les mêmes fins que celui-ci, à savoir la réparation des conséquences de la rupture du contrat de travail en raison des manquements imputés par la salariée à son employeur.
Il en résulte donc que les demandes formulées par Madame [T] au titre de la résiliation judiciaire de son contrat et des indemnités subséquentes en résultant ne sont pas nouvelles.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir soulevée de ce chef par l’employeur.
3 – Sur la prescription :
En application de l’article L1471-1 alinéa 2 du code du travail : ‘Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture…’
***
En l’espèce, Madame [T] soutient :
– que son action engagée contre la société Organis n’est pas atteinte par la prescription dans la mesure où il y a eu une confusion sur l’identité de l’employeur,
– que les sociétés Organis et Orpéa ont toutes les deux la qualité d’employeur,
– qu’embauchée par la société Organis le 15 juin 2015, son contrat a été transféré à la société Orpea alors que la lettre de licenciement est au nom de la SAS Organis, le numéro RCS indiqué sur cette lettre étant celui de la société Organis et non celui de la société Orpea,
– qu’il y a bien eu une confusion sur l’identité de l’employeur avec l’immixtion de la société Organis dans la gestion sociale de la société Orpea,
– que cette confusion l’autorise à invoquer la théorie de l’apparence et du co- emploi,
– que de ce fait, comme elle a été licenciée par Organis le 4 juillet 2018, elle avait jusqu’au 4 juillet 2019 pour saisir le conseil de prud’hommes, qu’en saisissant ce dernier le 20 juin 2019 elle a interrompu la prescription contre son employeur dans le délai légal.
Elle en conclut que la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action doit être rejetée.
En réponse, la société Orpéa fait valoir pour l’essentiel :
– que ‘[8]’ constitue un fonds qui à la date du licenciement était la propriété de la société Organis-organisation tout en étant exploité par la société Orpea,
– que comme le contrat de travail était rattaché au fonds, il a été transféré à la société Orpéa qui est devenue le véritable employeur de Madame [T] à compter du 1er janvier 2018,
– que Madame [T] aurait dû l’appeler dans la cause en intervention forcée,
– qu’elle n’est intervenue volontairement à l’instance que par l’effet de la publication du traité de fusion-absorption qui officialisait le transfert du patrimoine de la société Organis vers elle alors que le conseil de prud’hommes n’avait été saisi que de demandes dirigées contre la société Organis, qui à la date de la saisine n’était pas encore absorbée et disposait bien encore de sa personnalité juridique.
***
Cela étant, il convient de relever :
– que le 1er janvier 2018, la société Organis a donné en location gérance à la société Orpéa – société mère du groupe Orpéa auquel appartenait la société Organis – son fonds de commerce dans lequel est notamment exploitée la résidence ‘[8]’,
– que Madame [T] ne conteste pas dans ses dernières écritures que son contrat de travail a été dès lors transféré à la société Orpéa, locataire gérante,
– que ses bulletins de salaire ont été d’ailleurs établis à compter de cette date par la société Orpéa,
– que la lettre de licenciement qui lui a été notifiée le 4 juillet 2018 est à l’en- tête de ‘Orpéa Résidences’ et a été signée par la directrice d’exploitation de cette structure,
– qu’en petits caractères d’imprimerie, est noté en bas des pages 1 et 4 : ‘Résidences [8]- [Adresse 4] – T [XXXXXXXX01] – F[XXXXXXXX02]- www.orpea.com SAS Organis : capital de 37 000€ /449 221 084 RCS Nanterre/APE 6420Z’.
Il en résulte donc que :
– contrairement à ce que soutient Madame [T], il n’y a aucun doute sur le fait qu’elle a été licenciée par son employeur, qui était au 4 juillet 2018, la société Orpéa et non la société Organis, compte tenu du transfert de son contrat de travail, de l’en-tête de la lettre de licenciement et de la signature de cette dernière par la directrice de la société,
– que même si le numéro de RCS de la SAS Organis apparaît en bas de page à deux reprises, aucune méprise n’était possible sur le véritable auteur du licenciement,
– que contrairement à ce que soutient Madame [T], aucun co-emploi n’existe dans la mesure où aucune immixtion de la société Orpéa dans la société Organis n’est établie,
– que de même, contrairement à ce qu’elle soutient, à défaut pour elle d’en rapporter la preuve ou même un commencement de preuve sérieux, aucun contrat de travail apparent n’existe entre elle et la société Organis au jour du licenciement.
De ce fait, lorsque Madame [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers le 24 juin 2019 d’une demande formée contre la société Organis alors qu’elle avait la qualité de salariée de la société Orpéa qui l’a licenciée, elle a formé des demandes à l’encontre d’une société qui était dépourvue de la qualité d’y répondre.
L’intervention ultérieure de la société Orpéa à l’instance prud’homale ne fait pas suite à une mise en cause initiée devant le premier juge par Madame [T] dans le délai de la prescription annale mais constitue la conséquence du traité de fusion-absorption signé le 5 juillet 2019 emportant le transfert de la totalité du patrimoine de la société Organis à la société Orpéa au jour de la réalisation définitive de la fusion, soit au jour de la publication de celle-ci au registre du commerce et des sociétés intervenue le 1er octobre 2019.
En conséquence, à défaut de l’existence d’un co-emploi ou d’un contrat de travail apparent liant la salariée à la société Organis le 4 juillet 2018, jour de la notification de son licenciement ‘ dont la preuve – à défaut de tout autre élément – ne peut pas être rapportée par la seule production d’une copie des notes de l’audience qui s’est tenue le 6 septembre 2019 devant le bureau de conciliation et d’orientation qui se borne à indiquer que Madame [Y], présente à l’audience pour représenter l’employeur, verse le Kbis et les pouvoirs de la société Orpéa et produira dans la journée le Kbis de la société Organis ‘ et faute, en outre, d’avoir dirigé ses demandes contre la société Orpéa, son employeur le 4 juillet 2018, dans le délai de la prescription annale, l’action formée par Madame [T] aux fins de contester son licenciement et d’obtenir le paiement d’indemnités subséquentes doit être déclarée prescrite.
Le jugement attaqué doit être confirmé.
II – SUR LE FOND
A – Sur la demande subsidiaire de résiliation judiciaire du contrat de travail :
A titre subsidiaire, Madame [T] soutient que la société Organis lui a notifié une lettre de licenciement alors qu’elle n’était pas sa salariée, que le défaut de capacité de cette société pour la licencier implique qu’elle n’a donc jamais été licenciée et qu’elle peut se prévaloir des fautes de son employeur pour former une demande de résiliation judiciaire qui, elle, n’est pas prescrite.
Cela étant, il vient d’être jugé que Madame [T] n’était pas au jour de son licenciement, soit le 4 juillet 2018, la salariée de la société Organis mais celle de la société Orpéa ;
Or à cette date, elle n’avait saisi le conseil de prud’hommes ni d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail contre la société Organis ni d’une demande de résiliation de son contrat contre la société Orpéa.
En conséquence, elle doit être déboutée de toutes ses demandes formées de ce chef.
B – Sur la demande infiniment subsidiaire tenant à l’obligation de sécurité de l’employeur :
Sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise.
L’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité et il lui revient de prouver qu’il n’a pas manqué à son obligation de sécurité (Cass. soc., 12 janv. 2011, n° 09-70.838 ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914).
***
A titre infiniment subsidiaire, Madame [T] soutient en substance que les fautes de l’employeur – à savoir une surcharge de travail assimilable à un harcèlement moral, des exigences permanentes de la direction qui ont conduit à la dégradation de son état de santé – conduisent soit à la reconnaissance de l’existence d’un harcèlement moral à son égard, soit à tout le moins à celle du non respect par l’employeur de l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu.
Elle sollicite donc de ce fait, le paiement des sommes de :
– 25 000 € à titre de dommages intérêts au titre de son préjudice moral,
– 5000 € à titre de dommages intérêts pour déloyauté contractuelle.
Afin d’étayer ses prétentions, elle produit :
– l’attestation de Madame [X] (pièce 5) qui énonce : ‘Parfois ont pouvaient remarqué que la direction lui en demandait beaucoup. Il y avait un grand taux d’absentéisme et il fallait qu’elle trouve du personnel souvent au dernier moment. Ce qui est très compliqué. Elle faisait au mieux pour satisfaire Direction, personnels, familles et bien entendu le résident. Jamais je n’ai vu ou entendu qu’elle ait mis en danger qui que ce soit. Pour ma part elle est un exemple car elle avait de très grosses responsabilités je n’aurai pas pu tenir aussi longtemps dans ce contexte de travail,’ ( sic),
– l’attestation de Madame [N] (pièce 12) qui précise : ‘ ‘ mais manque récurrent de matériel nécessaire aux soins des résidents’ : nous étions en permanence soumises à des restrictions budgétaires, pressions et menaces de la part de la direction à l’égard de ses personnels : flicage, convocation
inopportune à répétition, appels téléphoniques intempestifs pendant les congés, les repos hebdomadaires mais aussi et surtout les arrêts de travail pour lesquels nous étions régulièrement soupçonnés de mensonges. À plusieurs reprises, j’ai également pu constater que lorsqu’il y avait des manquements de la part de la direction, elle rejetait la faute sur l’équipe soignante et plus particulièrement l’infirmière coordinatrice. Par exemple en mai 2018, nous nous sommes retrouvés en pénurie de protection contre l’incontinence et la direction a dit à l’équipe soignante que l’erreur venait de l’infirmière coordinatrice alors que j’ai vu de mes propres yeux la commande et la date à laquelle elle avait été effectuée par Madame [T], elle rejetait également la faute sur Madame [T] concernant les commandes de draps alors qu’elles ont toujours été gérées par l’adjointe de direction même avant que Madame [T] ne soit infirmière coordinatrice » ( sic)
– trois attestations indiquant en substance que Madame [T] est une bonne professionnelle, qu’elle renseignait complètement les dossiers des résidents sur le logiciel de soins à destination de l’équipe soignante, qu’elle remplissait également les fiches petit déjeuner et établissait le plan de table permettant ainsi à sa collègue auxiliaire de vie de préparer utilement des petits déjeuners,
– un échange de courriels intervenus entre Madame [T] et Orpéa durant la période de janvier à juin 2018 relatif à la mise en place des remplacements à effectuer durant cette période,
– le certificat médical du 16 octobre 2018 décrivant un trouble anxiodépressif et précisant : ‘elle explicitait son état par la charge de travail excessive et le harcèlement de sa direction'( sic)
***
Cela étant, aucune de ces pièces ne laisse présumer, même prises en leur ensemble, un harcèlement moral caractérisé par une surcharge de travail et des exigences excessives de l’employeur.
En effet, contrairement à ce que soutient la salariée, le fait de la surcharge de travail assimilable à un harcèlement moral n’est pas établi dans la mesure :
– où si deux des témoignages évoquent le manque récurrent de personnel, aucun d’eux ne fait état de la surcharge de travail de Madame [T] ; les cinq autres attestations relatant des faits qui n’ont aucun lien avec la charge de travail de la salariée,
– où si les échanges de mels démontrent que Madame [T] était chargée en qualité d’infirmière coordinatrice de gérer en lien avec la direction l’absence du personnel soignant, ils ne font apparaître Madame [T] en qualité de remplaçante de deux de ses collègues que sur deux créneaux respectifs de deux et trois jours et durant une fin de semaine, en qualité de ‘doublure’ d’une troisième collègue ,
– où de ce fait, ces trois interventions ont un caractère trop ponctuel en six mois pour qu’elles puissent constituer une surcharge de travail,
– où s’il se déduit des notes de l’audience de conciliation, que la représentante de la société a pu reconnaître que les effectifs n’étaient pas satisfaisants et que c’était l’ARS qui les déterminait, il n’en demeure pas moins que cela n’établit pas pour autant la charge excessive de travail de Madame [T].
De même, contrairement à ce que soutient la salariée, le fait des exigences permanentes de la direction à son égard n’est pas établi dans la mesure où les attestations pré-citées rédigées respectivement par Mesdames [N] et [X] se bornent à évoquer :
– pour la première le comportement de l’employeur envers les salariés en général sans viser en particulier son attitude à l’égard de l’appelante qui de surcroît elle-même mettait en doute le bien-fondé et la légitimité des absences de ses collègues comme le révèlent les échanges de mels intervenus entre la direction et elle durant la période de janvier à juin 2018,
– pour la seconde le fait que ‘parfois’, la direction ‘en demandait beaucoup’ à Madame [T] sans expliquer davantage les exigences de la direction à l’égard de l’appelante et la fréquence mise sous l’usage de l’adverbe ‘parfois’.
De ce fait, le certificat médical qui fait état de troubles anxio-dépressifs et rapporte le lien que Madame [T] établit elle-même entre son état de santé, sa surcharge de travail et le harcèlement de sa direction est totalement insuffisant pour démontrer la charge excessive de travail et ledit harcèlement.
La reprise par l’appelante de ces mêmes éléments pour caractériser le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est aussi inopérante pour les mêmes motifs que ceux venant d’être énoncés pour le harcèlement moral.
En conséquence, il convient de la débouter de toutes ses demandes formées au titre d’un harcèlement moral et d’un manquement de son employeur à son obligation de sécurité.
Enfin, tout en sollicitant des dommages intérêts fondés sur l’exécution déloyale du contrat de travail par son employeur , elle ne développe aucun moyen de fait au soutien de cette prétention permettant de la caractériser.
Il convient donc de la débouter de toutes ses demandes formées de ce chef.
III – SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
Les dépens doivent être supportés par Madame [T] qui succombe dans ses prétentions.
***
L’équité justifie qu’il ne soit pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare que l’effet dévolutif de l’appel interjeté par Madame [T] du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Poitiers le 2 avril 2021 s’est réalisé pleinement,
Déclare recevables les demandes formées par Madame [T] tenant à la résiliation de son contrat de travail et aux indemnisations subséquentes,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Poitiers le 2 avril 2021,
Y ajoutant,
Déboute Madame [T] de ses demandes de résiliation de son contrat de travail et d’indemnisations subséquentes,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [T] aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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