PC/LD
ARRET N° 170
N° RG 21/00522
N° Portalis DBV5-V-B7F-GGH7
S.A. ORPEA
venant aux droits de la société ORGANIS
C/
[G]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 06 AVRIL 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 janvier 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS
APPELANTE :
S.A. ORPEA venant aux droits de la société ORGANIS
N° SIRET : 401 251 566
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Olivier LOPES de la SELARL Patrice BENDJEBBAR – Olivier LOPES, avocat au barreau de SAINTES
INTIMÉE :
Madame [A] [G] épouse [O]
née le 30 Mars 1972 à [Localité 7] (02)
[Adresse 5]
[Localité 2]
Ayant pour avocat plaidant Me Sylvie RODIER, substituée par Me Guy DIBANGUE, tous deux de l’ASSOCIATION RODIER MBDT ASSOCIÉS, avocats au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 16 mars 2023. A cette date le délibéré a été prorogé au 6 avril 2023.
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [A] [G] épouse [O] a été engagée le 1er octobre 2010 par la société Organis (aux droits de laquelle se trouve désormais la S.A. Orpea) en qualité d’auxiliaire de vie au sein de l’EHPAD [4] à [Localité 6] (86) dans le cadre initial d’un contrat de travail à temps partiel puis à temps plein et de nuit, selon avenant du 1er décembre 2015.
Mme [O] s’est vue notifier son licenciement pour faute grave par une LRAR du 10 octobre 2018 ainsi rédigée :
Nous avons été alertés par vos collègues de travail de graves dysfonctionnements dans l’exercice de vos fonctions d’auxiliaire de vie de nuit survenus dans la nuit du 16 au 17 septembre 2018.
Ainsi, le 17 septembre 2018, vers 8h15, vos collègues de travail ont retrouvé une résidente dont vous aviez la charge, complètement souillée dans son fauteuil roulant avec de l’urine sous celui-ci. Le drap de son lit était tiré sur elle et son drap-housse était resté parfaitement lisse.
Ce même matin, ils ont également retrouvé deux résidentes avec des risques cutanés importants, dans leur lit, souillées d’urine jusqu’en haut de leur dos ainsi que plusieurs seaux de chaises percées non vidés.
Nous ne pouvons tolérer un tel comportement en totale contradiction avec ce que nous sommes en droit d’attendre d’un membre de notre personnel.
Par votre manque de rigueur et de professionnalisme, non seulement vous contrevenez à vos obligations professionnelles mais plus grave encore, vous nuisez au bien-être et à la qualité de prise en charge que nous devons apporter à nos résidents.
Vous avez ainsi placé ces trois résidentes dans une situation dégradante voire humiliante.
Nous vous rappelons qu’en votre qualité d’auxiliaire de vie de nuit et conformément à votre fiche de poste, il vous appartient d’aider les aide-soignants et/ou aides médico-psychologiques en participant aux changes et aux toilettes, de vous assurer de la bonne installation des résidents et assurer tout soin de confort (changement de position…) mais aussi d’assurer les transferts, le coucher et le lever des résidents et d’effectuer le nettoyage des sanitaires.
Outre le fait que votre attitude est en inadéquation avec la qualité de prise en charge que nous nous efforçons de garantir aux résidents, elle nuit également fortement à l’image de la Résidence.
Par vous manquements, non seulement vous contrevenez à vos obligations contractuelles mais plus grave encore vous nuisez au bien-être, à la dignité et à l’hygiène des résidents dont nous avons la charge, ce que nous ne saurions tolérer.
Par ailleurs, vous n’avez pas assuré correctement les transmissions écrites de l’ensemble de vos rondes de la nuit puisque seules deux rondes sur trois étaient tracées et aucune d’elles ne précisait des difficultés rencontrées lors de la nuit.
Ceci laisse donc entendre, pire encore que ne pas tracer les rondes dans le logiciel, que vous n’avez pas respecté les procédures en vigueur au sein de notre établissement en n’effectuant pas toutes les rondes qui vous sont attribuées.
Vous ne pouvez pourtant pas ignorer, conformément aux procédures applicables et à votre fiche de poste qu’il vous incombe d’assurer la traçabilité des activités et des soins sur les supports adéquats, d’assurer les transmissions (cahier de transmissions jour/nuit, fiches de surveillance…) et d’effectuer des rondes régulières selon le planning établi par la direction.
De même, vous avez pris l’initiative de scanner les soins devant être effectués par l’aide-soignante en binôme avec vous et avez scanné les médicaments distribués par celle-ci alors qu’il ne vous appartenait pas de le faire. Vous avez ainsi tracé le changement de sonde urinaire d’un résident alors que votre collègue n’avait pas effectué le soin. Vous avez également tracé la distribution de nombreux médicaments retrouvés non déblistérés sur les tables adaptables des résidents le lendemain matin.
En votre qualité d’auxiliaire de vie de nuit, vous ne pouvez pourtant pas ignorer qu’il vous appartient de réaliser correctement et soigneusement la traçabilité de la surveillance de nuit pour assurer la parfaite transmission des informations en cas de besoin.
En effet, un tel comportement peut être dangereux pour les résidents que nous accueillons et peut également engager la responsabilité de la Résidence en cas de problèmes. Vous devez donc vous conformer aux procédures applicables et veiller à l’application des bonnes pratiques professionnelles dans l’intérêt de l’ensemble des résidents que nous prenons en charge.
Votre comportement porte atteinte à la bonne prise en charge que les résidents sont en droit d’attendre d’un établissement tel que le nôtre et nuit à la bonne organisation du service et à la continuité des soins dans la mesure où cela ne permet pas à vos collègues de savoir ce qui a tété précédemment effectué.
Des remarques concernant des faits similaires vous avaient déjà été adressées. Force est de constater que vous n’avez pas su tirer les enseignements qui s’imposaient de ces différents rappels oraux puisque vous n’avez pas adopté un comportement adéquat.
Compte-tenu de la gravité de l’ensemble des faits qui vous sont reprochés, qui révèlent votre difficulté à exercer dans un établissement comme le notre accueillant des personnes âgées, votre maintien dans la Résidence s’avère impossible.
Par conséquent nous vous notifions votre licenciement pour faute grave.’
Mme [O] a, par acte reçu le 2 juillet 2019, saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers d’une action en contestation de son licenciement et paiement de diverses indemnités.
Par jugement du 22 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Poitiers a :
– requalifié le motif du licenciement en motif personnel,
– condamné la société Orpea à verser à Mme [O] les sommes de :
> 1 501,34 € au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée,
> 3 667 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
> 2 933,60 € au titre de l’indemnité de licenciement,
> 14 668 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> 2 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
Au soutien de leur décision, les premiers juges, relevant le défaut de communication par l’employeur de diverses pièces complémentaires sollicitées par le conseil, ont considéré en substance :
– qu’il demeure une incertitude sur le nombre de résidents concernés par le prétendu défaut de soins,
– qu’il est impossible de déterminer si Mme [O] devait intervenir seule ou non puisqu’elle était supposée aider l’aide-soignante à la toilette des résidents,
– qu’aucun élément de preuve, notamment de traçage, n’établit que Mme [O] était la seule fautive du manque de soin dispensé à la résidente,
– que devant l’impossibilité de prouver que Mme [O] a seule manqué à ses obligations, le doute doit profiter à la salariée.
La S.A. Orpea a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 12 février 2021.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 13 décembre 2022.
Par conclusions du 21 décembre 2022, la S.A. Orpea a demandé à la cour de prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture et d’ordonner le rejet des débats des conclusions et pièces signifiées le 12 décembre 2022 en soutenant que la communication, la veille de la clôture, de ces conclusions, en réponse à des écritures notifiées 13 mois auparavant, rend de fait impossible toute réplique et caractérise une violation manifeste du principe du contradictoire et des droits de la défense.
Le 9 janvier 2023, Mme [O] a transmis des conclusions dites ‘responsives et récapitulatives d’intimée n° 2″ tendant à voir déclarer recevables ses dernières conclusions et pièces en soutenant que le dépôt de conclusions la veille de l’ordonnance de clôture n’est pas de nature à entamer le principe du contradictoire, ces conclusions ne faisant que répondre à l’argumentation de la société Orpea selon laquelle elle était à la charge exclusive de certains résidents, que commenter la pièce 6 adverse et la pièce 7 étant le fichier métier auxiliaire de vie signé lors de son embauche, n’appelant pas de réponse, que l’organisation de la défense ne nécessitait pas nécessairement de réponse à son argumentation, alors même que la société Orpea n’a saisi la cour d’aucune demande de révocation de l’ordonnance de clôture afin de répliquer à ses moyens de défense.
MOTIFS
Les conclusions transmises et notifiées par Mme [O] le 12 décembre 2022 ne sont qu’une réplique, certes de dernière heure, aux conclusions en réponse de la S.A. Orpea du 1er novembre 2011 mais elles se bornent, en leurs développements nouveaux, à contester la fiabilité et la force probante des captures d’écran du logiciel de traçage versées aux débats par l’appelante et l’intimée n’a communiqué aucune nouvelle pièce à leur appui (la pièce n° 7 ‘fiche métier-auxiliaire de nuit’ étant mentionnée dans le bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions du 4 août 2021) et n’appellent pas nécessairement de réponse de l’employeur, de sorte qu’aucune violation du principe du contradictoire et de droits de la défense n’est caractérisée.
La demande de la S.A. Orpea tendant à voir écarter des débats les conclusions de Mme [O] remises et notifiées le 12 décembre 2022 sera en conséquence rejetée, étant constaté qu’aucune nouvelle pièce n’a été communiquée à leur soutien, par rapport à celles précédemment produites.
Il sera donc statué sur la base :
1 – des conclusions du 1er novembre 2021 par lesquelles la S.A. Orpea demande à la cour :
– de réformer le jugement déféré en ce qu’il a requalifié le motif du licenciement en motif personnel et l’a condamnée à verser à Mme [O] les sommes de 1 501,34 € au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée, 3 667 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 2 933,60 € au titre de l’indemnité de licenciement, 14 668 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens,
– de débouter Mme [O] de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et de 2 000 € au titre des frais exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens.
en soutenant, en substance :
– que Mme [O] a été licenciée pour :
> ne pas avoir assuré changes de trois résidentes retrouvées souillées le matin du 17 septembre 2018,
> ne pas avoir assuré correctement les transmissions écrites de l’ensemble des rondes, seules deux rondes sur trois ayant été tracées, sans que la moindre difficulté ait été signalée,
> avoir pris l’initiative de scanner des soins qui ne lui incombaient pas et d’avoir scanné des médicaments qu’elle n’avait pas à distribuer, avoir tracé le changement d’une sonde urinaire qu’une collègue n’avait pas effectué et avoir tracé la distribution de médicaments qui n’avaient manifestement pas été distribués puisqu’ils ont été retrouvés non déblistérés sur les tables des résidents le lendemain matin,
– que la réalité et l’imputabilité des faits reprochés à Mme [O] sont établies, s’agissant de la résidente retrouvée dans son fauteuil roulant, par les attestations d’une aide-soignante, d’une accompagnatrice éducative et sociale et d’une infirmière et de l’infirmière coordinatrice (pièces 4, 5, 3 et 2), que Mme [O] n’a pas procédé au coucher de la résidente mais que, si elle était réellement passée dans sa chambre, elle aurait pu s’apercevoir qu’elle se trouvait toujours dans son fauteuil, qu’elle n’avait pas de sonnette à portée de main et que sa protection était saturée, que pourtant Mme [O] a tracé son passage, laissant comprendre que, soit elle a menti sur la traçabilité de ses rondes soit qu’elle est bien passée mais n’a de façon incompréhensible rien fait au mépris de ses obligations,
– qu’elle verse aux débats en cause d’appel des captures d’écran du logiciel de traçage qui n’avaient pu être produites en première instance en raison d’un piratage informatique dont elle avait été victime, desquelles il s’évince que Mme [O] intervenait en binôme, qu’elle a indiqué avoir effectué plusieurs rondes de nuit qui n’ont manifestement pas été faites car si cela avait été le cas une résidente n’aurait pas été retrouvée le lendemain souillée dans son fauteuil,
– que la circonstance que Mme [O] n’avait qu’un rôle d’assistant, sur l’ordre des aides-soignants, en ce qui concerne les toilettes des résidents est indifférente dès lors que lui est reproché un défaut de surveillance,
– que Mme [O] devait seulement scanner ses propres activités et non, par exemple, des distributions de médicaments, relevant des attributions des infirmières.
En produisant, à l’appui de ses prétentions, outre les copies d’écran du logiciel de traçage (pièce 6) :
– une attestation de Mme [B], infirmière coordinatrice (pièce 2) : Sur notre logiciel de transmissions et traçabilité, j’ai pu constater à plusieurs reprises et notamment la nuit du 16 au 17/09/18 que Mme [O] a ‘signé’ des distributions de traitements de nuit, hors cet acte ne fait pas parti de ses
attributions. De plus un traitement de nuit, signé par [A] [O] comme donné, a été retrouvé posé sur l’adaptable d’une résidente, non déblistéré, à deux reprises au moins (résidente qui a des troubles cognitifs qui aurait donc pu avaler son traitement non déblistéré). Mme [O] a également ‘signé’ une surveillance de sonde urinaire et une diurèse d’un résident à plusieurs reprises alors que cet acte ne fait pas partie de ses attributions, acte important pour surveiller l’apparition d’une infection ou d’une anurie, le matin du 17/09/18, je suis appelée par une AS de jour qui me demande de monter dans la chambre de Mme [F], installée sur son fauteuil roulant, souillée d’urines (trempée +++ avec une flaque d’urines sous son fauteuil), frigorifiée car trempée, ayant réussi à tirer un bout de son drap sur elle pour se couvrir. Mme R n’a pas été couchée de la nuit, Mme [O] n’est pas passée dans sa chambre cette nuit-là (sauf le premier tour) alors que sa traçabilité dit le contraire . Elle a donc signé un soin qu’elle n’a pas fait. Mme R n’avait pas non plus sa sonnette à portée de mains. Résidente épuisée le lendemain’,
– une attestation de Mme [J], infirmière (pièce 3) : Mme [O] a noté que, dans la nuit du 16 au 17 septembre 2019, elle avait fait certains soins mais à mon arrivée j’ai constaté que ces soins n’avaient pas été faits. Une poche urinaire non vidée (retrouvée le matin pleine) ; des traitements retrouvés sur des tables de nuit dans leurs emballages. Cette même nuit, une résidente n’avait pas été couchée car retrouvée dans son fauteuil le matin par l’aide soignante ; cette résidente avait des propos incohérents et était incapable de se lever seule (sa protection était saturée et datait de la veille) (souillée ++ urine coulant à terre et a dormi toute la journée du fait de sa grande fatigue,
– une attestation de Mme [H], aide-soignante (pièce 4), datée du 17 septembre 2018 : ce matin, j’atteste avoir retrouvé Mme [F] [Z] dans son appartement, assise dans son fauteuil roulant, portant toujours la protection anatomique de la veille, protection saturée, flaque d’urine dessous le fauteuil. Mme [F] étant souillée d’urine, avait pris le drap pour se couvrir. Mme [F] n’avait pas sa sonnette à proximité d’elle.
– une attestation de Mme [C], accompagnatrice éducative et sociale (pièce 5) : Ce matin, j’atteste avoir retrouvé Mme [F] dans son appartement, assise dans son fauteuil roulant, portant toujours la protection anatomique de la veille, protection saturée, flaque d’urine dessous le fauteuil. Mme [F] étant souillée d’urine, avait pris le drap pour se couvrir. Mme [F] n’avait pas sa sonnette à proximité d’elle.
2 – les conclusions du 12 décembre 2022 par lesquelles Mme [O] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la S.A. Orpea à lui payer la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du C.P.C. au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens, en soutenant, pour l’essentiel :
– s’agissant des défauts de change dans la nuit du 16 au 17 septembre 2018 :
> qu’elle n’a jamais eu personnellement la charge de la résidente retrouvée au matin sur son fauteuil, souillée d’urine,
> que sa fiche de poste ‘auxiliaire de vie de nuit’ (pièce 7) prévoit simplement qu’elle aide les aides-soignants et/ou aides médico psychologiques en participant aux changes et aux toilettes, donc sous la direction de ces derniers et sans aucune autonomie,
> que les lacunes dans l’identification des intervenants rendent invérifiables les faits qui lui sont reprochés, l’employeur ne pouvant retenir un défaut de surveillance alors que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige mentionne le fait d’avoir placé trois résidentes dans une situation dégradante voire humiliante,
> qu’elle ne pouvait être licenciée en raison des manquements d’un tiers (aide-soignant) et ne pas y avoir pallié alors qu’elle ne pouvait agir de manière autonome et ne pouvait, en raison de sa situation de subordination, surveiller les actes de celui-ci,
> que les captures d’écran du logiciel de traçage produites par l’employeur sont tronquées et ne permettent pas d’établir qu’elle avait à sa charge exclusive les trois résidents mentionnés dans la lettre de licenciement,
> qu’en toute hypothèse, ces captures d’écran sont inexploitables dès
lorsqu’il est impossible de tracer les actes dans la mesure où le logiciel permet une signature globale à la fin de service des salariés,
> qu’ainsi, la lettre de licenciement repose sur des faits invérifiables et a fortiori qui ne lui sont pas imputables.
– s’agissant des supposées erreurs dans les transmissions écrites : que le planning des rondes pour la nuit du 16 au 17 septembre 2018 établi par la direction n’a pas été produit , de sorte que ce grief est invérifiable,
– s’agissant du scan de soins :
> qu’il ne peut lui être reproché d’avoir retranscrit la distribution de médicaments ; mission dévolue à une aide-soignante lorsque cette distribution a été incorrectement effectuée, l’imputabilité de cette faute reposant exclusivement sur cette dernière,
> qu’elle ne peut à cet égard se voir reprocher une situation de confusion des rôles entre aide-soignante et auxiliaire de vie telle que résultant des attestations produites par l’employeur, invoquant des manquements en termes de soins prodigués, relevant exclusivement de la compétence des aides-soignants.
Sur ce,
Il doit être rappelé :
– que selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié, que cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d’en apprécier la réalité et le sérieux, que le juge ne peut pas examiner d’autres motifs que ceux évoqués dans la lettre de licenciement mais qu’il doit examiner tous les motifs invoqués, quand bien même ils n’auraient pas tous été évoqués dans les conclusions des parties,
– que la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse sur aucune des parties en particulier, le juge formant sa conviction au vu des éléments produits par chacun, l’employeur étant en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif,
– que lorsque le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l’employeur de prouver la réalité de la faute grave, c’est-à-dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu’elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis,
– qu’il appartient au juge d’apprécier la nature de la faute invoquée par l’employeur, que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la gravité de la faute s’appréciant en tenant compte du contexte des faits, de l’ancienneté du salarié, des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié, de l’existence ou de l’absence de précédents disciplinaires.
Aux termes de la fiche descriptive de fonctions d’auxiliaire de vie de nuit signée par Mme [O] le 1er décembre 2015, celle-ci avait notamment pour mission :
– d’aider les aides soignants et/ou aides médico-psychologiques en participant aux changes et aux toilettes,
– de mettre à portée de main du résident la sonnette, le téléphone et les objets usuels,
– de s’assurer de la bonne installation des résidents et assurer tout soin de confort (changement de position…),
– d’aider à la prise des médicaments préparés par l’infirmière,
– d’assurer les transferts, le coucher et le lever des résidents en collaboration avec le soignant de nuit,
– d’effectuer des rondes régulières selon le planning établi par la Direction,
– d’assurer la traçabilité des activités et des soins sur les supports adéquats,
– de signaler à l’équipe soignante toute situation à risque pour le résident.
La lettre de licenciement vise trois griefs principaux relatifs à des faits survenus dans la nuit du 16 au 17 septembre 2018 :
– manquements à ses obligations en termes de soins à prodiguer aux résidents,
– manquements dans la retranscription écrite de son activité en termes de rondes de nuit,
– retranscriptions intempestives et erronées de soins devant être prodigués par l’aide-soignante.
S’agissant du premier grief, il doit être considéré :
– que s’il est constant que l’auxiliaire de vie de nuit n’intervient pas de manière autonome et solitaire mais en binôme avec une aide-soignante pour assurer le suivi nocturne des résidents, elle doit cependant, aux termes mêmes de sa fiche descriptive de fonctions, participer aux changes et aux toilettes, aux transferts, au lever et au coucher des résidents, assurer tous soins de confort et signaler à l’équipe soignante toute situation à risque pour le résident,
– qu’il n’est ni soutenu ni établi que la surveillance nocturne était, dans la nuit du 16 au 17 septembre 2018, assurée par plusieurs équipes et qu’il est constant et non contesté que Mme [O] était de service,
– qu’il résulte des attestations précises, détaillées et concordantes produites par l’employeur qu’au matin du 17 septembre 2018, une résidente a été retrouvée dans sa chambre, assise sur un fauteuil roulant sur lequel elle avait passé la nuit, non changée depuis la veille, souillée d’urine, sans possibilité d’accès à sa sonnette d’alarme,
– que la circonstance que Mme [O] travaillait en binôme doit demeurer sans incidence dès lors qu’il est établi qu’elle a manqué à ses propres obligations professionnelles qui lui imposaient d’agir en faveur de la résidente concernée, au regard de la situation préjudiciable dans laquelle se trouvait celle-ci.
La cour considère que ce manquement, en ce qu’il porte gravement atteinte à la dignité et à la santé d’une personne en situation de fragilité, est d’une gravité telle qu’il justifie, en soi et à lui seul, nonobstant l’ancienneté de services de la salariée et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs articulés dans la lettre de licenciement, la rupture immédiate du contrat de travail.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions et Mme [O] sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes en paiement d’indemnités de préavis, de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de paiement de la mise à pied conservatoire.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties, s’agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance (le jugement déféré étant réformé en ce qu’il a condamné de ce chef la société Orpea à payer à Mme [O] la somme de 2 000 €) que de ceux exposés en cause d’appel.
Mme [O] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Poitiers en date du 22 janvier 2021,
Rejette la demande de la S.A. Orpea tendant à voir écarter des débats les conclusions notifiées par Mme [O] le 12 décembre 2022,
Déclare sans objet la demande tendant à voir écarter des débats les pièces signifiées le 12 décembre 2012 (aucune nouvelle pièce n’ayant été communiquée à l’appui des conclusions litigieuses),
Réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
– Déclare bien fondé le licenciement pour faute grave notifié le 10 octobre 2018 par la S.A. Orpea à l’égard de Mme [A] [O],
– Déboute Mme [O] de ses demandes en paiement d’indemnités de préavis, de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de paiement de la mise à pied conservatoire,
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties, s’agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d’appel,
– Condamne Mme [O] aux dépens d’appel et de première instance.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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