Droit du logiciel : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01687

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Droit du logiciel : 31 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01687

2ème Chambre

ARRÊT N°169

N° RG 20/01687

N° Portalis DBVL-V-B7E-QRST

(3)

M. [Y] [V]

C/

SARL CABINET CORNEC CONSEILS

SA MMA IARD

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me GRENARD

– Me PELOIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine MARTIN, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 17 Janvier 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Mars 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [Y] [V]

né le 04 Février 1950 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

SARL CABINET CORNEC CONSEILS

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

SA MMA IARD

[Adresse 2]

[Localité 5]

Toutes représentées par Me Sylvie PELOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

2

EXPOSE DU LITIGE :

Le 1er janvier 2012, M. [Y] [V], président du conseil d’administration de la société Global Nutrition international qu’il a créée avec trois autres associés en 2002, est parti à la retraite.

Le 17 juillet 2012, il a cédé la totalité de ses 1840 actions pour un montant total de 2 105 328 euros. Ces parts ayant été acquises pour un montant total de 184 000 euros, c’est une plus value de 1 921 328 euros qui a été réalisée.

Au mois de mai 2013, le Cabinet Cornec Conseils (ci-après le Cabinet Cornec) auquel il avait confié depuis janvier 2010, une mission d’assistance à l’établissement de la déclaration sur le revenu, a complété la déclaration de revenus 2012 du foyer [V], la déclaration complémentaire 2042-C et la déclaration 2074-DIR sur les plus ou moins values de cessions.

Courant 2014, M. et Mme [V] ont fait l’objet d’un contrôle fiscal qui a conclu à une proposition de rectification le 18 juillet 2014. L’administration fiscale leur a reproché d’avoir souscrit des déclarations inexactes d’une part, en indiquant sur la déclaration 2074-DIR en annexe de la déclaration de revenus 2042, bénéficier de l’abattement de 100 % sur la plus-value réalisée alors que les conditions imposées par l’article 29de la loi du 30 décembre 2005, codifié à l’article 150-OD- ter du code général des impôts n’étaient pas remplies, et d’autre part, en omettant de reporter le montant de la plus-value réalisée sur la ligne 3VA de la déclaration complémentaires de revenus 2042-C, nécessaire pour permettre le calcul du revenu fiscal de référence et l’imposition de cette plus-value aux contributions sociales.

Le montant total du redressement était de 1 154 880 euros. Les époux [V] ont contesté la majoration de 40 % pour manquement délibéré. Celle-ci a été maintenue mais le redressement a été ramené à la somme de 1 126 867 euros.

Le 6 novembre 2015, le directeur régional des finances publiques a déposé plainte auprès du procureur de la République de Rennes pour soustraction à l’établissement et au paiement partiel de l’impôt sur le revenu 2012. Après enquête, la procédure a été classée sans suite le 31 mai 2016.

Par jugement du 5 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté le recours formé le 12 août 2015 par les époux [V] contre la décision de l’administration fiscale.

Entretemps, par courrier du 19 juin 2017, [Y] [V] a demandé au Cabinet Cornec de déclarer le sinistre auprès de son assureur et lui a réclamé la somme de 40 337 euros au titre des intérêts de retard et la somme de 310 431 euros, correspondant à la majoration de 40 %, au titre de son erreur. Le 16 novembre 2017, les MMA ont refusé leur garantie considérant que M. [V] avait sciemment omis de signaler au Cabinet Cornec les inexactitudes figurant sur la déclaration.

Par acte d’hussier en date du 23 février 2018, M. [V] a assigné le cabinet Cornec et son assureur devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Puis par acte d’huissier en date du 3 décembre 2018, il a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Laval, Maître [P], avocat, auquel il avait confié une mission d’assistance juridique lors de la cession de ses parts, la Selarl HSA et les MMA, en indemnisation de ses préjudices résultant d’un manquement à l’obligation d’information et de conseil.

Par jugement du 3 février 2020, le tribunal judiciaire de Rennes a :

– dit que la clause de forclusion stipulée à la lettre de mission du 10 janvier 2011 est inopposable à M. [Y] [V] et en tout état de cause réputée non écrite,

– débouté la société Cabinet Cornec Conseil et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard de leur fin de non-recevoir tirée de la forclusion conventionnelle,

– déclaré recevable l’action de [Y] [V],

– dit que la société Cabinet Cornec Conseils a commis une faute en mentionnant dans la déclaration de revenus 2012 de [Y] [V], la plus-value de la cession d’actions intervenue le 17 juillet 2012, au titre d’une exonération fiscale à laquelle [Y] [V] n’avait pas droit compte tenu de sa situation,

– dit que cette faute engage sa responsabilité,

– débouté [Y] [V] de ses demandes fondées sur d’autres manquements,

– condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard à payer à [Y] [V] la somme de 167 624,32 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 4 500 euros en réparation de ses frais de défense fiscale,

– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 23 février 2018 et ordonné leur capitalisation,

– débouté [Y] [V] de sa demande d’indemnisation de son préjudice moral,

– condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard aux dépens,

– condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard à payer à [Y] [V] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration en date du 10 mars 2020, M. [Y] [V] a relevé appel limité de cette décision.

Par jugement en date du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Laval a :

– dit que Maître [P] a commis une faute en omettant de se conformer au devoir d’information et de conseil qui lui incombaient s’agissant des conséquences fiscales de la cession de parts sociales et notamment de l’exonération fiscale à laquelle il n’avait pas droit,

– condamné in solidum Maître [P], la Selarl HSA et les MMA Iard à payer à M. [V] les sommes de 143 847,90 euros au titre de l’impôt sur le revenu en principal et de la contribution sur les hauts revenus et 54 949,10 euros au titre des pénalités de retard.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 novembre 2022, M. [V] demande à la cour de :

Vu les dispositions de l’article 1147 devenu 1231-1 du code civil,

Vu les articles L211-1 et L212-1 du code de la consommation,

Vu la lettre de mission en date du 10 janvier 2011,

– infirmer partiellement le jugement entrepris,

– juger mal fondé l’appel incident des MMA et du cabinet Cornec,

Y additant,

– dire et juger que la société Cornec a commis une erreur en omettant de déclarer la plus-value sur la déclaration 2042-C,

En conséquence,

– dire et juger que le Cabinet Cornec Conseils a commis plusieurs fautes et engage sa responsabilité à ce titre,

– condamner la société Cornec Conseils et les MMA IARD in solidum au règlement des sommes suivantes avec intérêts légaux à compter du 19 juin 2017, date de la demande de dommages et intérêts formulée par M. [V] :

– 295 838,90 euros au titre des intérêts de retard et de la majoration de 40 %,

– 7 500 euros au titre des frais d’avocat,

– 10 000 euros au titre du préjudice moral,

– dire et juger que les intérêts ayant plus d’un an d’ancienneté seront eux mêmes productifs d’intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la société Cornec et les MMA Iard in solidum au règlement d’une somme de 10 000 euros en cause d’appel à Monsieur [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société Cornec et les MMA Iard de toutes leurs demandes,

– condamner les mêmes aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 7 novembre 2022, le cabinet Cornec et son assureur la société MMA Iard, forment appel incident et demandent à la cour de :

– juger l’appel formé par M. [Y] [V] mal fondé,

– débouter M. [Y] [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– juger l’appel incident formé par le Cabinet Cornec Conseils et la société MMA Assurances Iard recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

-réformer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 3 février 2020 en ce qu’il a :

dit que la société Cabinet Cornec Conseils a commis une faute en mentionnant dans la déclaration des revenus 2012 d'[Y] [V], la plus-value de la cession d’actions intervenue le 17 juillet 2012, au titre d’une exonération fiscale à laquelle [Y] [V] n’avait pas droit, compte-tenu de sa situation,

dit que cette faute engage sa responsabilité,

condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard à payer à M [Y] [V] la somme de 167 624,32 euros en réparation de son préjudice financier et la somme de 4500,00 euros en réparation de ses frais de défense fiscale,

dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 23 février 2018 et ordonner leur capitalisation,

condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard aux dépens,

condamné in solidum la société Cabinet Cornec Conseils et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard à à payer à M. [Y] [V] la somme de 5 000,00 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

débouté M. [Y] [V] de ses demandes fondées sur d’autres manquements ainsi que de sa demande d’indemnisation de son préjudice moral,

En toute hypothèse,

– condamner M. [Y] [V] à payer la somme de 10 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [Y] [V] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu’aux dernières conclusions déposées par les parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 10 novembre 2022.

EXPOSE DES MOTIFS :

A titre liminaire, il sera constaté que les parties ne critiquent pas la disposition par laquelle le tribunal a retenu l’inopposabilité à M. [V] de la clause de forclusion stipulée à la lettre de mission du 10 janvier 2021 et l’a dite réputée non écrite. Dès lors, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la faute du cabinet Cornec dans l’appréciation de l’exonération de la plus-value réalisée:

Il est constant que M. [Y] [V], assisté du cabinet Cornec, a indiqué sur la déclaration 2074-DIR, annexée à sa déclaration de revenus 2042, pouvoir bénéficier de l’abattement de 100 % sur la plus-value réalisée lors de la cession de ses parts sociales dans la société Global Nutrition International d’un montant de 1 921 328 euros.

Il s’est avéré qu’il n’en remplissait pas les conditions d’une part parce qu’il ne détenait pas tous les titres cédés depuis au moins huit ans et d’autre part parce qu’il n’avait pas exercé de manière continue pendant 5 années une fonction de direction dont la rémunération représentait plus de la moitié de ses revenus professionnels.

Le tribunal a estimé que le cabinet d’expertise-comptable, en se fiant aux seuls allégations de M. [V], avait commis une faute en ne procédant à aucune vérification documentaire ni effectué la moindre recherche pour s’assurer que les conditions d’exonération étaient bien remplies.

Pour solliciter l’infirmation du jugement sur ce point, le cabinet Cornec et son assureur, la compagnie MMA IARD, font valoir que le cabinet d’expertise comptable n’est nullement intervenu dans l’opération de cession des titres qui a été réalisée par le cabinet d’avocats Helouet [P] et qu’il s’est fié aux déclarations de M. [V], son seul interlocuteur, pour les conditions de durée n’ayant aucune raison de mettre en doute la durée de sa direction de la société ni la durée de détention de ses titres, alors que les conditions de durée étaient clairement précisées dans le formulaire de déclaration transmis. Ils considèrent donc qu’il n’appartenait pas à l’expert-comptable de vérifier des informations fournies par le client qui ne pouvait ignorer les dates auxquelles il avait acquis l’essentiel de ses titres.

Mais il est de principe que l’expert-comptable qui accepte d’établir une déclaration fiscale pour le compte d’un client doit, compte tenu des informations qu’il détient sur la situation de celui-ci, s’assurer que cette déclaration est en tout point conforme, aux exigences légales.

Dès lors que le cabinet Cornec a accepté par lettre de mission du 10 janvier 2011, d’assister M. [V] dans l’établissement de sa déclaration d’impôt sur le revenu, et notamment de ‘[l’] assister dans le remplissage des informations de la déclaration d’impôts’, il ne pouvait se contenter des déclarations de son client, même si celui-ci s’était vu conseillé par un cabinet d’avocat pour l’opération de cession de ses parts sociales, pour considérer remplies les conditions d’exonérations de l’impôt, sans se faire remettre par M. [V], comme d’ailleurs précisé dans la lettre de mission, les éléments lui permettant de s’en assurer.

C’est donc par une exacte appréciation des obligations du cabinet Cornec dans l’exécution de sa mission et des circonstances dans lesquelles celles-ci se sont effectuées, que le tribunal a retenu une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité.

Sur le non report de la plus-value sur le formulaire 2042-C :

L’administration fiscale a également retenu à l’encontre de M. [V] le fait qu’il n’avait pas valablement reporté la plus-value générée par la cession de parts sur sa déclaration d’ensemble des revenus, la faisant ainsi échapper aux prélèvements sociaux.

L’appelant reproche au tribunal d’avoir considéré qu’il lui était impossible de déterminer si cette faute était imputable au cabinet Cornec au regard de l’ensemble des éléments soumis par les parties.

Il sera rappelé que chaque partie a présenté au tribunal, comme elle le fait désormais devant la cour, un exemplaire de la déclaration de revenus pour l’année 2012 de M. [V].

Celui produit par M. [V] est signé de sa main, mentionne des montants sur les lignes relatives à l’ISF mais ne comporte pas le report de la plus-value réalisée par la vente des parts sociales. Celui produit par le cabinet Cornec n’est pas signé par M. [V], comporte le report de la plus-value en ligne 3VA la somme de 1 921 328 euros mais est vierge de toute indication s’agissant de l’ISF.

Au soutien de son appel, M. [V] fait valoir, que le cabinet Cornec se chargeait lui-même de remplir sa déclaration qu’il se contentait de signer de sorte que l’exemplaire du formulaire qu’il produit, signé de sa main, fait partie des documents remis par l’expert-comptable pour validation et qui a été adressé à l’administration fiscale. Or, cet exemplaire ne comporte aucune mention de la plus-value sur la ligne 3VA, témoignant ainsi, selon M. [V], de l’erreur du cabinet d’expertise-comptable. Il soutient également que le cabinet Cornec ne rapporte pas la preuve qu’il l’a informé de la nécessité de reporter la plus-value sur la déclaration complémentaire ni de lui avoir remis l’exemplaire du formulaire qu’il produit aux débats. Enfin il souligne que cet exemplaire ne comporte pas le montant des revenus soumis à l’ISF au contraire de celui transmis à l’administration fiscale, alors que le cabinet Cornec était chargé de remplir les déclarations de revenus au titre de l’ISF ce qui établit, selon lui, que l’exemplaire ne lui a jamais été remis.

De son côté, pour justifier qu’il a rempli son obligation d’information, le cabinet Cornec produit:

– l’exemplaire de la déclaration de revenus remis à M. [V] pour signature dont le formulaire annexe 2042-C mentionnant en ligne 3VA le montant de la plus-value portant le logo EIC,

– la simulation d’impôt au titre de la déclaration de revenus des époux [V] pour l’année 2012 réalisée, dans le cadre de sa lettre de mission, qui porte le logo du logiciel EIC et mentionne la plus-value de 1 921 328 euros,

– l’état récapitulatif de la saisie 2042 et 2042-C qui reporte le montant de la plus-value en ligne 3VA.

Il communique également une attestation du directeur général de la société Editions Informatiques Comptables (EIC) dont il a utilisé le logiciel pour établir la déclarations de revenus de l’appelant en 2012, lequel confirme que ce logiciel permet un report automatique des mentions figurant sur le formulaire 2074-DIR enligne 560 vers la ligne 3VA de la déclaration 2042-C et qu’aucune fonction ne permet à l’utilisateur de supprimer ni remplacer le logo, ni de supprimier ou remplacer le nom et la version du logiciel qui figurent sur ces documents.

Il résulte de ces documents que le cabinet Cornec a correctement indiqué à son client le report de la plus-value réalisée lors de la vente des parts sociales, à effectuer sur sa déclaration de revenus. La lettre de mission du 10 janvier 2011 qui régit les rapports des parties, précise bien que le cabinet assiste son client dans le remplissage des informations de la déclaration d’impôts et que c’est à lui de l’envoyer dans les plus brefs délais. Il s’en déduit que M. [V] devait remplir sa déclaration d’après les éléments transmis par le cabinet Cornec, notamment d’après l’exemplaire que celui-ci a rempli avec son logiciel professionnel, exemplaire qui d’ailleurs a été produit par M. [V] dans le cadre de la procédure fiscale.

Il est exact que l’exemplaire communiqué par le cabinet Cornec ne mentionne pas les montants du patrimoine soumis à l’ISF dans les lignes prévues à cet effet sur la déclaration. Il ne saurait pour autant en être conclu que ce formulaire n’a jamais été remis à M. [V]. En effet, le cabinet Cornec soutient qu’il n’était pas chargé par M. [V] de procéder à l’établissement de sa déclaration ISF en 2012, contrairement aux années 2009 et 2010. Le courriel en date du 14 mai 2013 émanant de M. Cornec, en réponse à M. [V] qui lui demandait le même jour où il en était de sa déclaration d’impôts 2012 pour pouvoir donner à sa banque les informations y figurant, notamment pour l’ISF, à savoir ‘ je vais m’y pencher en fin de semaine’ n’est pas suffisamment probant pour considérer que le cabinet Cornec devait procéder à la déclaration ISF de M. [V] en 2012.

De surcroît, le cabinet Cornec démontre qu’il ne peut avoir établi le formulaire 2042-C signé et daté du 23 mai 2013, envoyé par M. [V] à l’administration fiscale, puisque celui-ci a été édité avec un logiciel BIG, utilisé par les banques et professionnels des patrimoine.

En conséquence, aucune faute dans le non report de la plus-value ne peut être retenue à l’encontre du cabinet Cornec.

Comme l’a justement relevé le tribunal, aucune faute ne peut davantage être retenue à l’encontre de M. [V] dont la mauvaise foi n’est pas établie. M.Cornec, lui même, dans le cadre de la procédure pénale, a indiqué que son client lui avait fait confiance pour l’établissement de la déclaration, ajoutant que M. [V] était ‘quelqu’un d’honnête.’ En outre, les poursuites pénales engagées ont été classées sans suite pour absence d’intention coupable et la majoration de 40 % pour manquement délibéré n’a été décidée par l’administration fiscale qu’au regard de la clarté des formulaires sur les conditions d’exonération et de report. Le fait que M. [V] ait reçu un avis d’imposition avec un montant nettement inférieur à celui figurant sur la simulation ne peut davantage démontrer une faute de sa part dans l’établissement de sa déclaration.

Sur l’indemnisation du préjudice subi par M. [V] :

M. [V] soutient que l’assiette de son préjudice doit prendre en compte la majoration de 40 % au titre de l’impôt sur le revenu mais également celle appliquée aux prélèvements sociaux et le montant total des intérêts de retard. Il fait valoir que la probabilité de régler une majoration aurait été de zéro si la déclaration d’impôt avait été correctement remplie et qu’il aurait également réglé son imposition en temps et en heure. Il fait la même analyse s’agissant des frais d’avocat pour sa défense fiscale qui auraient totalement évités, selon lui, si la déclaration avait été correctement renseignée. Il considère que son préjudice est un préjudice certain qui ne peut s’analyser en une perte de chance. Il sollicite en conséquence la réformation du jugement sur le montant des sommes qui lui ont été allouées en réparation de son préjudice et demande, au titre de la majoration et des intérêts de retard, la somme de 295 838,90 euros, après déduction de la somme obtenue devant le tribunal judiciaire de Laval, et la somme de 7 500 euros au titre des frais d’avocat, outre la somme de 10 000 euros au titre d’un préjudice moral.

Le tribunal a considéré que l’assiette du préjudice était constituée par la majoration de 40 % au titre de l’impôt sur le revenu et par les intérêts de retard sur le paiement de l’impôt sur le revenu.

Dans la mesure où la cour a confirmé le jugement sur l’absence de faute du cabinet Cornec dans le report de la plus value sur la déclaration complémentaire, il ne peut être retenu dans l’assiette du préjudice la majoration de 40 % appliquée aux autres impôts dus au titre de l’absence du report, comme le sollicite M. [V] en appel.

Il est exact que valablement conseillé, M. [V] aurait fait une déclaration de ses revenus favorable et ne serait pas trouvé à subir un redressement fiscal. Cependant, le préjudice subi par M. [V] résultant d’un manquement de l’expert comptable à son devoir d’information et de conseil, ne peut s’analyser qu’en une perte de chance de n’avoir pu régler son imposition à hauteur de ce qui était réellement dû dans les délais impartis, l’existence d’un aléa même minime ne pouvant être totalement exclue. Le tribunal a d’ailleurs justement apprécié cette perte de chance à hauteur de 90 %. Il a évalué l’assiette du préjudice subi à la somme de 186 249,24 euros en retenant la somme de 177 043 euros au titre de la majoration de 40% de l’impôt sur le revenu et la somme de 9 206,24 euros au titre des intérêts de retard sur treize mois, à raison de 0,40 % par mois conformément à l’article 1727 du code général des impôts, sur la majoration.

Toutefois, c’est à tort que les premiers juges ont calculé les intérêts de retard relatifs à la déclaration inexacte d’exonération sur la seule majoration alors qu’ils doivent être calculés sur le supplément d’impôt sur les revenus récupéré par l’administration fiscale de sorte que la part de ces intérêts, correspondant à l’exonération de la plus-value, sur le montant total des intérêts de retard soit 40 357 euros, s’élève à la somme de 24 902,43 euros et non à 9 206,245 euros.

De même, il convient de rappeler que l’évaluation du préjudice résultant du paiement des intérêts de retard commande de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation dans le patrimoine du contribuable du montant de l’impôt dont il était redevable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, un tel avantage étant susceptible de compenser totalement ou partiellement le préjudice allégué. Or, M. [V] ne produit aucune pièce de nature à rapporter la preuve qu’il n’a retiré aucun avantage financier de la conservation dans son patrimoine du montant de l’impôt dû pendant treize mois. Il n’est donc pas établi que le paiement des intérêts de retard ait engendré un préjudice dont il peut demander réparation.

La réparation de la perte de chance subie par M. [V] à raison de la faute du cabinet Cornec doit donc être évaluée à la somme de 159 338,70 euros.

Par jugement définitif en date du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Laval a dit que M. [I] [P], avocat fiscaliste, avait commis une faute en omettant de se conformer au devoir d’information et de conseil qui lui incombait, s’agissant des conséquences fiscales de la cession des parts sociales de M. [Y] [V] et notamment de l’exonération fiscale à laquelle il avait droit. Il l’a condamné à payer à M. [V] la somme de 54 949,10 euros au titre des pénalités de retard.

Pour parvenir à cette somme, les juges du tribunal judiciaire de Laval ont retenu comme assiette du préjudice résultant des fautes conjuguées de l’avocat fiscaliste et de l’expert-comptable, le montant total des majorations et intérêts de retard pour 350 788 euros, dont ils ont déduit le montant des dommages-intérêts alloués par le tribunal dans sa décision du 3 février 2020 au titre du préjudice financier, pour indemniser M. [V] à hauteur de 30 % de la différence.

En conséquence, s’il est exact que M. [I] [P] et le cabinet Cornec ont concouru à la réalisation du dommage subi par M. [V], il n’y a pas lieu de déduire du montant de l’indemnisation fixée par la cour, la somme allouée au titre des pénalités de retard à M. [V] par le tribunal judiciaire de Laval, celle-ci ayant été obtenue après déduction de l’indemnisation du préjudice résultant du manquement de l’expert-comptable.

S’agissant des frais d’avocat consécutifs à la procédure fiscale, ils ont été exposés par M. [V] pour contester la majoration de 40 % pour manquement délibéré de sorte qu’il s’agit d’un préjudice consécutif à la faute du cabinet Cornec. Le tribunal sera approuvé pour avoir estimé la perte de chance d’échapper à un redressement fiscal et au contentieux administratif à 60 % et chiffré la réparation de ce préjudice à 4 500 euros.

S’il ne peut être contesté que le déclenchement des poursuites pénales et l’interrogatoire dans les locaux du commissariat ait généré un stress pour M. [V], comme en atteste son épouse, celui-ci n’établit pas que l’état de stress ait engendré un préjudice moral permanent d’une certaine gravité justifiant une indemnisation de l’ordre de 10 000 euros. Il sera donc alloué en réparation du préjudice moral temporaire subi jusqu’à la décision de classement la somme de 800 euros.

Les sommes allouées produiront intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 23 février 2018 comme jugé par le tribunal, le courrier en date du 19 juin 2017 ne mentionnant pas une évaluation précisément chiffrée.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé sauf en ce qu’il a qu’il a condamné in solidum la société cabinet Cornec et la société Mutuelles du Mans à payer à M. [Y] [V] la somme de 167 624,32 euros au titre de son préjudice financier et a débouté celui-ci de sa demande au titre de son préjudice moral,

Sur les demandes accessoires :

Le présent arrêt confirmant le jugement dans ses dispositions principales, les dépens et frais irrépétibles seront également confirmés.

Le cabinet Cornec et son assureur supporteront solidairement la charge des dépens d’appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [V] les frais non compris dans les dépens qu’il a dû exposés en appel. Aussi le cabinet Cornec et son assureur seront condamnés in solidum à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 février 2020 par le tribunal judiciaire de Rennes sauf en ce qu’il a condamné in solidum la société cabinet Cornec et la société Mutuelles du Mans à payer à M. [Y] [V] la somme de 167 624,32 euros au titre de son préjudice financier et a débouté celui-ci de sa demande au titre de son préjudice moral,

Statuant à nouveau :

Condamne in solidum la société cabinet Cornec et la société Mutelle du Mans Assurances Iard à payer à M. [Y] [V] la somme de 159 338,70 euros au titre de son préjudice financier, la somme de 4 500 euros en réparation des frais de défense fiscale et la somme de 800 euros au titre de son préjudice moral,

Condamne in solidum la société cabinet Cornec et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard à payer à M. [Y] [V] la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société cabinet Cornec et la société Mutuelles du Mans Assurances Iard aux entiers dépens d’appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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